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Date : 20160408


Dossier : T-1157-13

Référence : 2016 CF 393

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2016

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

NEVSUN RESOURCES LTD.

appelante/tierce-saisie

et

DELIZIA LIMITED

intimée/créancière saisissante

et

ÉTAT DE L’ÉRYTHRÉE

intimé

JUGEMENT ET MOTIFS :


I.                   Nature de l’affaire, description des procédures et résumé du jugement

[1]               Il s’agit d’un appel à l’encontre de la décision rendue par le protonotaire Morneau [protonotaire] en date du 9 janvier 2015 qui accordait une ordonnance définitive de saisie-arrêt en faveur de la créancière judiciaire, Delizia Limited [Delizia ou l’intimée] contre la tierce-saisie, Nevsun Resources Ltd. [Nevsun ou l’appelante], relativement aux créances échues alléguées de l’appelante, Nevsun, envers la créancière judiciaire, l’État de l’Érythrée [Érythrée].

[2]               Delizia a obtenu un jugement arbitral contre l’Érythrée. Ultérieurement, Delizia a présenté une requête ex parte pour enregistrer ce jugement auprès de la Cour aux fins d’exécution, enregistrement qui a été accordé le 17 juillet 2013. Sur réception d’une autre requête ex parte, le protonotaire a accordé à Delizia une ordonnance provisoire de saisie-arrêt [techniquement, une ordonnance de saisie-arrêt aux fins de justification, mais par souci d’uniformité avec la décision visée par l’appel, ci-après OPSA Nevsun] contre Nevsun, datée du 31 juillet 2013. Après une autre audience sur avis, cette fois ayant entendu de Nevsun et Delizia, le protonotaire a accordé à Delizia une ordonnance définitive de saisie-arrêt [ODSA Nevsun] contre Nevsun, datée du 9 janvier 2015, qui fait l’objet du présent appel. La juge Kane a suspendu l’ODSA Nevsun en attendant le présent appel en vertu d’une ordonnance datée du 31 juillet 2015.

[3]               Le présent appel a été entendu en même temps qu’un appel présenté par une autre tierce-saisie nommée par Delizia, à savoir Sunridge Gold Corporation [Sunridge] : L’affaire Nevsun et l’affaire parallèle Sunridge ont été entendues sous le même numéro du greffe, mais ont été plaidées séparément, et sont traitées séparément ci-après. Le présent jugement porte uniquement sur l’affaire Nevsun; l’appel Sunridge est entendu séparément sous le même numéro du greffe.

[4]               L’appel doit être accueilli et l’OPSA Nevsun et l’ODSA Nevsun sont annulées. En résumé, et à mon humble avis, il n’y avait aucune créance échue ou à échoir de Nevsun envers l’Érythrée ou son alter ego, Eritrea National Mining Corporation [ENAMCo]; par conséquent, il n’existe aucun élément sur lequel fonder la saisie-arrêt. Le voile corporatif ne peut être levé dans des circonstances comme celles décrites en l’instance. En outre, l’OPSA et l’ODSA Nevsun sont des nullités puisque l’exigence de signification à l’Érythrée imposée par la Loi sur l’immunité des États, LRC 1985, ch. S-18 [LIE] n’a pas été respectée. Aucune ordonnance définitive de saisie-arrêt ne peut être délivrée en l’instance. Pour ces raisons, et d’autres, l’appel à l’encontre de l’ODSA Nevsun doit être accueilli. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’aborder les ordonnances de communication; toutefois, si tel était le cas, j’autoriserais l’appel à leur encontre également.

II.                Les faits

A.                Contrat entre Delizia et l’Érythrée, manquement et jugement arbitral

[5]               Delizia, une entreprise établie à Chypre, a conclu un marché pour vendre du matériel aérien militaire à l’Érythrée en 2003. L’Érythrée n’a pas payé une somme due. Conformément aux dispositions de leur contrat, Delizia a entrepris une procédure arbitrale contre l’Érythrée devant l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm [IACCS]. Même si Delizia a déposé de nombreux documents auprès du tribunal d’arbitrage, l’Érythrée n’a pas pleinement collaboré à ces procédures et a finalement décidé de ne plus y participer.

[6]               Le tribunal d’arbitrage dûment convoqué de l’IACCS a par la suite accordé à Delizia [décision arbitrale] 2 175 775 $US le 18 avril 2006, assorti d’un taux d’intérêt de 6 % à compter du 31 janvier 2005 ainsi que les frais d’arbitrage avec intérêt à compter du 18 avril 2006. Cette décision totalisait 4 062 428,70 $CA à la date d’inscription du jugement étranger à la Cour.

[7]               La validité de la décision arbitrale n’est pas contestée.

B.                 Nevsun et la mine Bisha en Érythrée

[8]               Nevsun a été constituée en personne morale en 1965 en vertu des lois de la Colombie-Britannique. Nevsun est une entreprise canadienne inscrite en bourse dont les actions sont transigées à la Bourse de Toronto et à la Bourse de New York.

[9]               La structure de la société Nevsun a été créée avant 2000, donc bien avant les événements qui nous intéressent. Trois filiales en propriété exclusive et incorporées à l’étranger de Nevsun, à savoir Nevsun (Barbados) Holdings Ltd., Nevsun Africa (Barbados) Ltd. et Nevsun Resources (Eritrea) Ltd., se sont interposées entre Nevsun et la société minière Bisha Mining Share Company [BMSCo].

[10]           Nevsun et ses filiales n’ont jamais transigé avec Delizia; elles ignorent tout du contrat conclu entre l’Érythrée et Delizia.

[11]           BMSCo est propriétaire d’une mine située en Érythrée, connue sous le nom de mine Bisha. BMSCo a été constituée en personne morale en 2006 afin d’établir officiellement une coentreprise entre Nevsun et l’État de l’Érythrée par l’intermédiaire de son alter ego, ENAMCo. BMSCo a été constituée en personne morale conformément aux lois de l’Érythrée et, à mon avis, dans le but précis de se conformer à la Proclamation 68/1995 de l’Érythrée (une proclamation visant à promouvoir la mise en valeur des ressources minérales). Cette proclamation stipule que l’Érythrée peut acquérir une participation de 10 % dans chaque exploitation minière comme celle de BMSCo, essentiellement sur demande. Cette proclamation prévoit en outre que l’Érythrée peut acquérir un capital-action supplémentaire par entente; dans le cas présent, l’Érythrée a acquis une participation supplémentaire de 30 %. Cette proclamation oblige également les titulaires de permis d’exploitation minière comme BMSCo à payer des redevances en plus des taxes et des frais des permis.

[12]           BMSCo, en tant que coentreprise, est détenue à 60 % par Nevsun Resources (Eritrea) Ltd. Les 40 % restants sont détenus par ENAMCo, une entreprise de l’État de l’Érythrée. ENAMCo détient la participation initiale de 10 % et la participation supplémentaire de 30 % susmentionnée. ENAMCo est l’alter ego de l’Érythrée.

[13]           Cette coentreprise autorise et, à mon avis, permet l’exploitation légitime de la mine Bisha, conformément aux lois de l’Érythrée.

[14]           La participation de Nevsun dans la mine Bisha et les avoirs inter-sociétés de Nevsun sont résumés comme suit :

[15]           Les parties s’entendent pour dire que le seul actif potentiellement profitable de la structure de la société Nevsun est la mine Bisha en Érythrée. BMSCo est le seul propriétaire de la mine Bisha. BMSCo détient les permis d’exploitation minière de la mine Bisha délivrés par l’Érythrée et exécute toutes les opérations minières. BMSCo génère un revenu de l’exploitation de la mine Bisha. Ce revenu est utilisé pour verser des paiements à l’Érythrée et/ou à ENAMCo sous la forme de redevances, de taxes et de permis d’exploitation minière. En outre, BMSCo verse des dividendes à la filiale en propriété exclusive de Nevsun, qui détient 60 % des parts de BMSCo. Ces paiements se sont chiffrés à plus de 300 millions de $CA en 2012, l’année précédant le début de ces procédures.

[16]           Les trois filiales en propriété exclusive intermédiaires de Nevsun sont inactives et ne comptent aucun employé. Toutes les trois ont les mêmes directeurs, dont M. Clifford T. Davis, président-directeur-général de Nevsun et président du conseil d’administration de BMSCo.

C.                 Créances échues ou à échoir de Nevsun envers l’Érythrée

[17]           Il y a des créances échues ou à échoir de BMSCo directement envers l’Érythrée et de BMSCo envers ENAMCo, l’alter ego de l’Érythrée.

[18]           Toutefois, il n’y a pas de créances échues ou à échoir de Nevsun envers l’Érythrée ou envers ENAMCo.

[19]           Par conséquent, toute responsabilité de Nevsun à l’égard de créances échues ou à échoir de BMSCo envers l’Érythrée ne peut survenir que par l’application de la loi et, dans le cas présent, seulement si Delizia peut persuader la Cour de lever le voile corporatif qui existe entre Nevsun et BMSCo à titre de personnalités juridiques distinctes.

D.                Historique des procédures judiciaires

(1)               Procédures en saisie-arrêt de Delizia aux États-Unis

[20]           Après l’obtention par Delizia de la décision arbitrale de l’IACCS contre l’Érythrée (voir les paragraphes 5 et 6 ci-dessus), Delizia a déposé une pétition pour confirmer la décision arbitrale dans une Cour de district aux États-Unis en 2009; elle a été accordée le 5 février 2010 par jugement par défaut. Cependant, le 2 mars 2012, un juge de la Cour de district des États-Unis a conclu qu’une ordonnance définitive de saisie-arrêt ne pouvait pas être accordée parce que Delizia n’avait pas signifié correctement le jugement par défaut à l’État de l’Érythrée, comme l’exige la Foreign Sovereign Immunities Act, 28 USC 97. Le tribunal américain a également fait part de ses préoccupations quant à savoir si la propriété à l’égard de laquelle Delizia voulait pratiquer une saisie-arrêt était exemptée d’une saisie-arrêt par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.

(2)               Procédures en saisie-arrêt de Delizia au Canada

(a)                Ordonnance de reconnaissance

[21]           Delizia a entrepris une procédure en saisie-arrêt en Cour fédérale. Delizia a déposé une requête pour inscrire le jugement arbitral, citant la Loi sur la convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères, LRC 1985, ch. 16 (2e suppl). Elle l’a fait en déposant un avis de demande ex parte pour enregistrer un jugement étranger au sens de l’article 326 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], soit la sentence arbitrale. L’article 326 habilite les parties à exécuter des ordonnances de saisie-arrêt à l’encontre de personnes ou d’organisations canadiennes qui ont une créance échue ou à échoir envers un créancier judiciaire.

[22]           Les documents et plaidoyers présentés à la Cour (sur cette requête ex parte) n’ont fait aucune mention d’une signification obligatoire d’actes introductifs d’instance à des États étrangers, comme l’exige l’article 9 de la LIE.

[23]           En vertu de l’ordonnance datée du 17 juillet 2013, la Cour a accordé à Delizia son ordonnance d’inscription ex parte [ordonnance de reconnaissance]. L’ordonnance de reconnaissance reconnaît la sentence arbitrale, qui peut donc faire l’objet d’une demande d’exécution comme une procédure de saisie-arrêt devant la Cour. L’ordonnance de reconnaissance stipule également ce qui suit : [traduction] « [l]a pétitionnaire Delizia Limited est exemptée de l’obligation conformément à l’article 334 et est, par la présente, autorisée à exécuter le présent jugement sans présenter d'éléments de preuve de signification du présent jugement au défendeur, l’État de l’Érythrée. »

(b)               Aucune signification conformément à la Loi sur l’immunité des États (LIE)

[24]           Delizia n’a pas signifié l’ordonnance de reconnaissance à l’Érythrée, conformément aux modalités énoncées dans la LIE. Le paragraphe 9(2) de la LIE énonce les exigences de signification obligatoires :

9 (2) La signification mentionnée à l’alinéa (1)c) peut se faire par remise personnelle ou par envoi recommandé d’une copie de l’acte introductif d’instance au sous-ministre des Affaires étrangères ou à la personne qu’il désigne; le sous-ministre ou cette personne transmet à son tour cette copie à l’État étranger.

9 (2) For the purposes of paragraph (1)(c), anyone wishing to serve an originating document on a foreign state may deliver a copy of the document, in person or by registered mail, to the Deputy Minister of Foreign Affairs or a person designated by him for the purpose, who shall transmit it to the foreign state.

[25]           L’Érythrée n’a pas reçu de signification en vertu de la LIE avant ou après la demande par Delizia d’obtenir l’ordonnance de reconnaissance. Je souligne cette situation parce que, comme il est indiqué plus loin, la non-signification à l’Érythrée rendait nulles l’OPSA et l’ODSA Nevsun.

(3)               Delizia obtient une ordonnance provisoire de saisie-arrêt ex parte de Nevsun [OPSA Nevsun]

[26]           Ayant obtenu l’ordonnance de reconnaissance, Delizia a ensuite demandé, encore une fois ex parte, une ordonnance provisoire de saisie-arrêt contre Nevsun. Le protonotaire a émis l’OPSA Nevsun le 31 juillet 2013. Cette ordonnance avait deux volets. Premièrement, son volet saisie-arrêt ordonnait [traduction] « que toutes les créances échues ou à échoir de la tierce-saisie [c.-à-d. Nevsun] envers l'intimé [c.-à-d. l’Érythrée] soient saisies-arrêtées pour exécuter l’[ordonnance de reconnaissance]. » Deuxièmement, le volet de justification ordonnait à Nevsun de déclarer toutes les créances échues ou à échoir de Nevsun envers l’Érythrée, et ordonnait à Nevsun de justifier pourquoi Nevsun ne devrait pas payer à Delizia les créances échues de Nevsun envers l’Érythrée ([traduction] « dire à la Cour pourquoi elle ne devrait pas payer au demandeur la créance qu’elle doit au défendeur ou toute partie de ce montant qui pourrait suffire à exécuter l’[ordonnance de reconnaissance] »).

[27]           Le jour même, le protonotaire a rendu une ordonnance provisoire de saisie-arrêt en faveur de Delizia contre Sunridge. Le présent jugement porte uniquement sur l’affaire Nevsun. L’appel Sunridge est entendu séparément sous le même numéro du greffe.

(4)               Ordonnance définitive de saisie-arrêt de Nevsun [ODSA Nevsun]

[28]           Delizia a signifié à Nevsun l’OPSA quelque temps avant le 19 août 2013 et a demandé au protonotaire une ODSA en vertu de l’article 449 et aux Règles suivantes en vue de saisir les créances échues ou à échoir de Nevsun envers l’Érythrée et/ou ENAMCo, l’alter ego de l’Érythrée. Nevsun a été avisée de ces procédures, qu’elle a contestées, demandant le rejet de la requête d’ODSA. Des affidavits et des pièces ont été échangés et des contre-interrogatoires ont été menés. La position de Nevsun est que seul BMSCo, et non Nevsun, avait des créances échues ou à échoir envers l’Érythrée relativement aux opérations minières de BMSCo en Érythrée.

[29]           Le protonotaire a conclu en faveur de Delizia le 9 janvier 2015. Il a levé le voile corporatif et conclu que les responsabilités de BMSCo envers ENAMCo et l’Érythrée pouvaient faire l’objet d’une saisie-arrêt de la part de Delizia. Il a jugé approprié de lever le voile corporatif puisqu’il considérait que BMSCo n’était [traduction] « qu’un simple mandataire ou instrument de Nevsun et qu’une conclusion contraire entraînerait pour Delizia, qui cherche à appliquer le jugement, un résultat trop nettement en conflit avec la justice ».

[30]           Le protonotaire a souligné qu’un grand nombre de tribunaux n’appliquent pas le critère selon lequel le voile corporatif serait « une conduite trop nettement en conflit avec la justice », préférant plutôt un critère fondé sur l’ampleur du « contrôle », sans plus, que le tiers-saisi exerce sur la société dont les créances soient saisies-arrêtées. À ce sujet, le protonotaire a déterminé que la participation majoritaire de Nevsun au sein de BMSCo lui permettait, dans les faits, d’exercer « un contrôle total sur BMSCo », ajoutant qu’aucun élément de preuve ne permettait de réfuter cette perception.

[31]           L’ODSA Nevsun qui en a résulté ordonnait la saisie-arrêt de toutes les créances échues et à échoir de Nevsun envers l’Érythrée, y compris celles envers ENAMCo. Elle ordonnait à Nevsun d’exécuter l’ordonnance de reconnaissance en date du 17 juillet 2013; elle déclarait que Nevsun a omis à tort de détenir et de déclarer la créance échue envers l’Érythrée à compter du 17 juillet 2013 et elle ordonnait à Nevsun de payer 4 371 618,47 $CA, y compris les intérêts courus (à être mis en état) au bénéfice de Delizia.

[32]           L’ODSA Nevsun ne précise pas quelles créances échues ou à échoir de BMSCo envers l’Érythrée ou ENAMCo devraient faire l’objet d’une saisie-arrêt et lesquelles sont exemptes, à titre d’« activité commerciale » au sens de l’article 5 et de l’alinéa 12(1)b) de la LIE; l’ODSA Nevsun ordonne la saisie-arrêt de « toutes les créances ». Toutefois, le protonotaire a souligné que le matériel de Nevsun désigne les créances suivantes : « l’impôt sur le revenu, les droits de timbre, retenues et autres taxes, les redevances, les droits de douane, les frais d’exploitation minière, d’exploration et d’entreprise ». Il semble qu’elles soient toutes considérées comme saisissables.

[33]           L’ODSA Nevsun a également ordonné à Nevsun de répondre à certaines questions, qui sont abordées en détail vers la fin des présents motifs.

[34]           Des dépens ont été accordés à l’encontre de Nevsun, en faveur de Delizia.

III.             Questions en litige

[35]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision rendue par le protonotaire?

2.                  Une ordonnance définitive de saisie-arrêt devrait-elle être délivrée en l’espèce?

3.                  Le protonotaire a-t-il commis une erreur en ordonnant à Nevsun de répondre à certaines questions auxquelles elle s’était opposée en contre-interrogatoire?

IV.             Analyse

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision rendue par le protonotaire?

[36]           La Cour doit premièrement déterminer la nature de l’appel et la norme de contrôle appropriée. Je suis d’accord avec le juge Beaudry qui, citant une jurisprudence bien établie, a conclu que lorsque la décision d’un protonotaire a un effet déterminant sur le résultat, c’est-à-dire si l’ordonnance a une influence déterminante sur l’issue de l’affaire, ou qu’elle est manifestement erronée, la Cour doit revoir la décision de novo :

31.       Les principes applicables lorsqu’il s’agit de décider d’un appel d’une ordonnance d’un protonotaire ont été établis dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd [1993] 2 CF 425 [Aqua-Gem], et reformulés dans Merck & Co Inc v. Apotex Inc, 2003 CAF 488 [Merck & Co]. Les critères sont énoncés au paragraphe 19 de l’arrêt Merck & Co, où le juge Décary, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, déclare ce qui suit : [...] Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants : a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. [...]

36.       [...] La Cour doit donc procéder à une analyse de novo.

London Life, Compagnie d’assurance-vie (Re), 2013 CF 93 [London Life] aux paragraphes 31 et 36 (confirmée par la CAF dans London Life, Compagnie d’assurance-vie c. Canada, 2014 CAF 106).

[37]           Le juge Beaudry dans Corp. Steckmar/Steckmar Corp., Re, 2004 CF 1568 [Steckmar] a précisé antérieurement, dans une affaire d’ordonnance définitive de saisie-arrêt, en vertu toutefois de la Loi de l’impôt sur le revenu) :

16        Dans l’arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., [2003] ACF no 1925 (CAF) (QL) au paragraphe 19, la Cour précise la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires. Cette norme avait préalablement été élaborée dans l’arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 CF 425 (CAF).

17        Il a été établi que le juge saisi d’un appel d’une ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l’ordonnance porte sur une question ayant une influence déterminante sur l’issue du principal;

b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

18        L’ordonnance du protonotaire fait en sorte que la tierce saisie est condamnée à payer la somme de 126 666,39 $. Ceci est sûrement une question ayant une influence déterminante sur l’issue du principal. La Cour doit reprendre l’analyse de novo pour exercer son pouvoir discrétionnaire.

[Non souligné dans l’original.]

[38]           À mon avis, l’ordonnance discrétionnaire du protonotaire dans cet appel à l’encontre de l’ODSA Nevsun porte sur une affaire déterminante sur l’issue du principal. En effet, l’ODSA est la seule question en litige en l’instance. Par conséquent, je conclus que la Cour doit reprendre l’analyse et décider d’elle-même s’il existe des créances échues ou à échoir de Nevsun envers l’Érythrée ou ENAMCo, c’est-à-dire décider si une ordonnance définitive de saisie-arrêt devrait être délivrée. J’examinerai aussi les conclusions du protonotaire.

[39]           Différents principes s’appliquent à l’appel concernant les ordonnances de communication, ce que j’examinerai plus tard.

2.         Une ordonnance définitive de saisie-arrêt devrait-elle être délivrée en l’espèce?

(1)               Nevsun n’a aucune créance échue envers l’Érythrée ou ENAMCo; à moins de lever le voile corporatif, il n’y a rien à saisir-arrêter

[40]           Delizia ne peut avoir gain de cause que si elle établit que Nevsun a une créance échue ou à échoir en tant que tierce-saisie proposée envers l’Érythrée à titre de débiteur judiciaire ou envers ENAMCo à titre d’alter ego de l’Érythrée : voir l’article 449 des Règles. Par souci d’exhaustivité, j’énonce la règle sur la saisie-arrêt dans son intégralité, mais voir en particulier les sous-alinéas 449(1)a)(i) et (ii) :

Saisie-arrêt

Garnishment

449. (1) Sous réserve des règles 452 et 456, la Cour peut, sur requête ex parte du créancier judiciaire, ordonner :

449. (1) Subject to rules 452 and 456, on the ex parte motion of a judgment creditor, the Court may order

a) que toutes les créances suivantes du débiteur judiciaire dont un tiers lui est redevable soient saisies-arrêtées pour le paiement de la dette constatée par le jugement :

(a) that

(i) les créances échues ou à échoir dont est redevable un tiers se trouvant au Canada,

(i) a debt owing or accruing from a person in Canada to a judgment debtor, or

(ii) les créances échues ou à échoir dont est redevable un tiers ne se trouvant pas au Canada et à l’égard desquelles le débiteur judiciaire pourrait intenter une poursuite au Canada;

(ii) a debt owing or accruing from a person outside Canada to a judgment debtor, where the debt is one for which the person might be sued in Canada by the judgment debtor,

be attached to answer the judgment debt; and

b) que le tiers se présente, aux date, heure et lieu précisés, pour faire valoir les raisons pour lesquelles il ne devrait pas payer au créancier judiciaire la dette dont il est redevable au débiteur judiciaire ou la partie de celle-ci requise pour l’exécution du jugement.

(b) that the person attend, at a specified time and place, to show cause why the person should not pay to the judgment creditor the debt or any lesser amount sufficient to satisfy the judgment.

Note marginale: Signification

Marginal note: Service of show cause order

(2) L’ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1) est signifiée, au moins sept jours avant la date fixée pour la comparution du tiers saisi :

(2) An order to show cause made under subsection (1) shall be served, at least seven days before the time appointed for showing cause,

a) au tiers saisi, par signification à personne;

(a) on the garnishee personally; and

b) au débiteur judiciaire, sauf directives contraires de la Cour.

(b) unless the Court directs otherwise, on the judgment debtor.

Note marginale: Prise d’effet de l’ordonnance

Marginal note: Debts bound as of time of service

(3) Sous réserve de la règle 452, l’ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1) grève les créances saisies-arrêtées à compter du moment de sa signification.

[soulignement ajouté]

(3) Subject to rule 452, an order under subsection (1) binds the debts attached as of the time of service of the order.

[emphasis added]

[41]           Autrement dit, les Règles exigent un certain fondement sur lequel s’appuyer pour motiver une conclusion selon laquelle Nevsun, en tant que tierce-saisie, a une créance échue ou à échoir envers l’Érythrée ou ENAMCo, à titre de créancier judiciaire : Champlain Company Limited c. La Reine, [1976] 2 CF 481 (CAF).

[42]           En l’instance, il n’y a aucun élément de preuve d’une créance échue ou à échoir de Nevsun envers l’Érythrée, ni de preuve d’une créance échue ou à échoir de Nevsun envers ENAMCo. Bien que BMSCo ait versé et continue à verser des sommes plutôt substantielles à ENAMCo et à l’Érythrée sous la forme de dividendes, de redevances, de frais de permis et de taxes, Delizia n’a pas droit de saisir ces paiements de Nevsun, à moins que la Cour ne lève le voile corporatif qui existe de façon présomptive entre Nevsun et BMSCo en tant qu’entités juridiques distinctes. Certains paiements peuvent également être exemptés d’une saisie-arrêt en vertu de la LIE; je reviendrai sur ce point plus tard.

[43]           Toutefois, il se peut que la Cour ne lève pas le voile corporatif dans cette affaire pour les raisons suivantes.

(2)               Il n’existe aucune conduite inappropriée ni aucune conduite qui s’apparente à la fraude, comme il est exigé pour lever le voile corporatif

[44]           Il ne fait aucun doute que la levée du voile corporatif est contraire aux principes établis depuis longtemps en droit corporatif, tant au Canada qu’à l’étranger. Pour lever le voile corporatif en l’absence d’une exigence d’un organisme ou d’une exigence réglementaire, il doit exister un trompe-l’œil ou un véhicule permettant de commettre des fautes, ou une conduite qui s’apparente à la fraude. Ce critère a été confirmé par la Cour d’appel fédérale (par les juges Malone, Décary et Rothstein) dans Meredith c. Canada, 2002 CAF 258 [Meredith] où la Cour a déclaré :

[12]      La levée du voile corporatif est contraire aux principes établis depuis longtemps en droit. En l’absence d’allégation selon laquelle la société constitue un « trompe-l’œil » ou un véhicule permettant à des actionnaires putatifs de commettre des fautes, et en l’absence d’autorisation légale, les tribunaux doivent respecter les rapports juridiques créés par un contribuable (voir Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22; Kosmopoulos c. Constitution Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 2). Les tribunaux ne peuvent pas qualifier autrement les véritables rapports en fonction de ce qu’ils jugent être la réalité économique qui les sous-tend (voir Continental Bank Leasing Corp. c. La Reine, [1998] 2 R.C.S. 298; Shell Canada Ltée c. La Reine, [1999] 3 R.C.S. 622 au paragraphe 51).

[Non souligné dans l’original.]

[45]           Je suis lié par cette décision de la Cour d’appel fédérale. Je veux souligner que de nombreuses autres affaires dans de nombreuses autres compétences adoptent la même démarche en exigeant la commission d’actes fautifs ou une conduite qui s’apparente à la faute avant de lever le voile corporatif. Récemment, par exemple, la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré dans l’arrêt Shoppers Drug Mart v. 6470360 Canada Inc., 2014 ONCA 85 au paragraphe 43 [Shoppers Drug Mart] :

43        [traduction] [...] L’arrêt Fleischer est le critère qui s’applique à la levée du voile corporatif en Ontario. Dans l’arrêt Fleischer, le juge Laskin a déclaré que seules les affaires exceptionnelles qui donnent lieu à une injustice flagrante justifient d’aller derrière le voile corporatif. Il peut être levé si les personnes qui exercent le contrôle ordonnent expressément qu’un acte fautif soit posé. Au paragraphe 68, il a déclaré ce qui suit :

[traduction] Habituellement, le voile corporatif est levé lorsque l’entreprise est constituée en personne morale dans un but illégal, frauduleux ou inapproprié. Par contre, il peut aussi être levé si une fois l’entreprise constituée en personne morale, les « personnes qui exercent le contrôle ordonnent expressément qu’un acte fautif soit posé » : Clarkson Co. v. Zhelka p. 578. Le juge Sharpe expose le principe directeur dans Transamerica Life Insurance Co. of Canada v. Canada Life Assurance Co. (1996), 28 O.R. (3d) 423 p. 433-434 (Div. gén.), conf. par [1997] O.J. no 3754 (C.A.) : [traduction] « les tribunaux ne tiendront pas compte de la personnalité juridique distincte d’une entreprise lorsqu’elle est complètement dominée, contrôlée et utilisée comme bouclier pour une conduite frauduleuse ou inappropriée. »

[Non souligné dans l’original.]

[46]           Une autre décision récente dans le même sens expose trois circonstances pour lesquelles la personnalité juridique distincte d’une entreprise peut être ignorée et le voile corporatif, levé.

[44]      [traduction] Depuis Salomon v. Salomon & Co., précité, le droit anglo-canadien a reconnu qu’une société est une entité juridique distincte de ses actionnaires. Une société mère est également une société juridique distincte d’une filiale en propriété exclusive. Dans Gregorio v. Intrans-Corp. (1994), 18 O.R. (3d) 527 (C.A.) au paragraphe 24, la Cour d’appel a déclaré en ce qui concerne la personnalité juridique distincte d’une société mère et d’une filiale :

En général, une filiale, même une filiale en propriété exclusive, ne sera pas l’alter ego de sa société mère, à moins que la filiale ne relève du contrôle total de la société mère et qu’elle n’est rien d’autre qu’un mécanisme utilisé par la société mère pour éviter une responsabilité. Le principe de l’alter ego s’applique pour empêcher la conduite qui s’apparente à une fraude qui autrement priverait injustement les demandeurs de leurs droits.

[45]      [traduction] Les tribunaux de l’Ontario ont reconnu trois circonstances pour lesquelles la personnalité juridique distincte peut être ignorée et le voile corporatif, levé : a) lorsque la société est « complètement dominée, contrôlée et utilisée comme bouclier pour une conduite frauduleuse ou inappropriée » (642947 Ontario Ltd. v. Fleischer (2001), 56 O.R (3d) 417 (C.A.) au paragraphe 68); b) lorsque la société a agi en tant que mandataire autorisé de ses entités majoritaires, corporatives ou humaines (Parkland Plumbing & Heating Ltd. v. Minaki Lodge Resort 2002 Inc., 2009 ONCA 256, [2009] O.J. no 1195 au paragraphe 51); et c) lorsqu’une loi ou un contrat l’exige (Parkland Plumbing, précité, au paragraphe 51).

[Non souligné dans l’original.]

Angelica Choc v. Hudbay Minerals Inc, 2013 ONSC 1414 [Angelica Choc].

[47]           Pour ce qui est d’un acte fautif ou d’une conduite qui s’apparente à la fraude, je reconnais qu’il peut sembler que la Cour suprême du Canada a proposé un critère plus vaste pour lever le voile corporatif, critère qui ne nécessite pas un acte fautif ou une fraude : tout ce qu’il faudrait peut-être, c’est une conclusion que le fait de ne pas lever le voile serait « trop nettement en conflit avec la justice, la commodité ou les intérêts du fisc » : Kosmopoulos c. Constitution Insurance Co, [1987] 1 RCS 2 [Kosmopoulos], par la juge Wilson :

12.       En règle générale, une société est une entité juridique distincte de ses actionnaires : Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22 (H.L.) Aucune règle uniforme n’a été appliquée à la question de savoir dans quelles circonstances un tribunal peut déroger à ce principe en « faisant abstraction de la personnalité morale » et en considérant la société comme un simple « mandataire » ou « instrument » de son actionnaire majoritaire ou de sa société mère. En mettant les choses au mieux, tout ce qu’on peut dire est que le principe des « entités distinctes » n’est pas appliqué lorsqu’il entraînerait un résultat [traduction] « trop nettement en conflit avec la justice, la commodité ou les intérêts du fisc » : L. C. B. Gower, Modern Company Law (4th ed. 1979), à la p. 112. Je n’ai aucun doute qu’en théorie on pourrait, dans la présente affaire, faire abstraction de la personnalité morale afin que justice soit rendue, comme cela a été fait dans l’arrêt American Indemnity Co. v. Southern Missionary College, précité, auquel s’est référée la Cour d’appel de l’Ontario. Un certain nombre de considérations m’amènent cependant à croire qu’il ne serait pas sage de le faire.

13.       Il y a un argument convaincant selon lequel [traduction] « quiconque choisit de profiter des avantages qu’offre la constitution en société doit aussi en supporter les inconvénients, de sorte que, si jamais on doit lever le voile corporatif, ce ne doit être que dans l’intérêt de tiers à qui, sans cela, ce choix porterait préjudice » : Gower, précité, à la p. 138. Un avocat compétent a conseillé à M. Kosmopoulos de constituer son entreprise en société afin de protéger ses biens personnels et rien dans la preuve n’indique que sa décision de profiter des avantages qu’offre la constitution en société n’était pas sincère. Ayant opté pour les avantages de la constitution en société, il ne devrait pas lui être permis de se soustraire à ses désavantages. Il ne devrait pas lui être permis de « jouer sur les deux tableaux » en même temps.

14.       Je suis consciente également de l’arrêt Aqua-Land Exploration Ltd., précité, dans lequel cette Cour n’a pas « fait abstraction de la personnalité morale » pour conclure qu’un des trois actionnaires d’une société possédait un intérêt assurable dans l’actif de celle-ci. De même, dans l’arrêt Wandlyn Motels Ltd., précité, la Cour a refusé de considérer un motel appartenant à un homme qui détenait toutes les actions, sauf deux, de l’assurée, Wandlyn Motels Ltd., comme la propriété de cette société. Si l’on devait faire abstraction de la personnalité morale en l’espèce, il pourrait alors surgir une distinction très arbitraire et, à mon avis, indéfendable, entre les sociétés ayant plus d’un actionnaire et celles qui comptent un seul actionnaire : pour un commentaire récent sur les distinctions arbitraires et techniques qui résulteraient si l’on faisait abstraction de la personnalité morale en l’espèce, voir Jacob S. Ziegel, « Shareholder’s Insurable Interest‑‑Another Attempt to Scuttle the Macaura v. Northern Assurance Co. Doctrine: Kosmopoulos v. Constitution Insurance Co. » (1984), 62 R. du B. can. 95, aux pp. 102 et 103. De plus, j’estime que, si l’application d’une règle mène à une justice dure, la bonne marche à suivre est d’examiner la règle ellemême plutôt que de la confirmer et de tenter d’atténuer ses mauvais effets cas par cas.

[Non souligné dans l’original.]

[48]           Je note que le protonotaire s’est appuyé sur la première partie du paragraphe 12 de Kosmopoulos pour lever le voile corporatif de façon à imposer à Nevsun les obligations de BMSCo envers ENAMCo et l’Érythrée et à fonder sa conclusion selon laquelle : [traduction] « BMSCo n’est qu’un simple mandataire ou instrument de Nevsun et qu’une conclusion contraire entraînerait pour Delizia, qui cherche à appliquer le jugement, un résultat trop nettement en conflit avec la justice » [Non souligné dans l’original].

[49]           Toutefois, les tribunaux canadiens, dont la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Meredith, ont sans cesse maintenu qu’une simple injustice à l’endroit d’une partie ne suffit pas, sans plus, à lever le voile corporatif. Par exemple, voir Shoppers Drug Mart au paragraphe 43 [traduction] (« seules les affaires exceptionnelles qui donnent lieu à une injustice flagrante justifient d’aller derrière le voile corporatif. Il peut être levé si les personnes qui exercent le contrôle ordonnent expressément qu’un acte fautif soit posé »); Emtwo Properties Inc v. Cineplex (Western Canada) Inc, 2011 BCSC 1072 [Emtwo], aux paragraphes 127, 128 et 132; Actton Petroleum Sales Ltd v. British Columbia (Minister of Highways) (1998), 50 BCLR (3d) 187, aux paragraphes 15, 19; et BG Preeco (Pacific Coast) Ltd b. Bon Street Holdings Ltd (1989), 37 BCLR (2d) 258 (CA), aux paragraphes 37 à 40.

[50]           Au Royaume-Uni, des affaires indiquent également qu’il faut des éléments de preuve reliés à des actes fautifs ou à une conduite qui s’apparente à la fraude pour lever le voile corporatif : Voir Prest v. Petrodel Resources and others, [2013] UKSC 34; Adams v. Cape Industries plc [1990] Ch 433 (Slade, Mustill and Ralph Gibson LJJ). De plus, le passage suivant tiré de Gower, Modern Company Law, 4th ed (1979), à la page 138, vient appuyer l’exigence de la conduite qui s’apparente à la fraude qui, à mon avis, rejette de façon convaincante l’approche juste et équitable parce qu’elle a des relents de « justice primitive » plutôt que de l’application de règles juridiques :

[traduction] Tout ce que l’on peut affirmer est que la politique des tribunaux est de lever le voile s’ils pensent que la justice l’exige et s’ils ne sont pas contraints par une autorité contraignante contraire. Les résultats dans des cas individuels sont peut-être louables, ils ont des relents de justice primitive plutôt que de l’application de règles juridiques.

[51]           Quoi qu’il en soit, je ne suis pas persuadé que les actions de Nevsun constituaient « une conduite trop nettement en conflit avec la justice ». Il est important de noter que Nevsun a établi BMSCo en Értythrée en 2006, bien avant le litige en l’instance et sans aucun lien avec celui-ci. De plus, à mon avis, ENAMCo s’est fait donner et a obtenu une participation à hauteur de 40 % dans BMSCo afin de tenir compte d’exigences juridiques imposées par l’État de l’Érythrée concernant la propriété locale et le contrôle d’intérêts miniers sur son territoire. Le protonotaire a également déterminé que BMSCo n’a pas été établi pour éviter la saisie-arrêt.

[52]           Ces ententes de longue date visaient des objectifs commerciaux légitimes. En l’espèce, il n’existe aucun élément de preuve d’une fraude, d’une conduite qui s’apparente à la fraude ou d’une conduite inappropriée de la part de Nevsun ou de ses filiales. Les paiements versés par BMSCo à ENAMCo l’ont été en vertu d’ententes de longue date, bien avant les présentes instances. Ce n’est donc pas le cas d’une entreprise constituée en personne morale après coup pour camoufler des transactions trompe-l’œil. BMSCo a été constituée en société séparément pour permettre à ENAMCo et à Nevsun de détenir des actifs conjointement en Érythrée et pour satisfaire aux exigences prévues par la loi de l’Érythrée.

[53]           Ces objectifs commerciaux légitimes introduisent et appuient ma conclusion selon laquelle la constitution en personne morale de BMSCo était valide en tant qu’entité juridique distincte de Nevsun. Les conclusions du protonotaire selon lesquelles la structure corporative [traduction] « [certainement]... n’a pas été mise en place pour éviter cette saisie-arrêt » étaient justes. Toutefois, elles sont incompatibles avec sa suggestion subséquente voulant que Nevsun, en conservant cette structure, ait cherché à se protéger advenant que des procédures de saisie-arrêt soient intentées. Les tiers-saisis potentiels n’ont aucune obligation de restructurer les ententes de longue date légitimes en fonction des créanciers saisissants potentiels et, le cas échéant, ne sont pas en faute.

(a)                Aucune relation de mandataire, de contrôle total ou d’instrument

[54]           Un autre motif sur lequel le voile corporatif peut être levé, comme il est souligné dans Angelica Choc, est la présence d’un mandataire, c.-à-d. une situation où la filiale est complètement contrôlée par la société mère et agit comme un simple instrument ou mandataire. En l’espèce, il n’existe aucun élément de preuve d’un mandataire. Nevsun détient indirectement 60 % de BMSCo par l’entremise d’une série de filiales en propriété exclusive, tandis qu’ENAMCo en détient 40 %. À mon avis, la participation partielle indirecte de Nevsun en l’instance est insuffisante pour conclure à l’existence d’un mandataire. Les éléments de preuve ne démontrent aucunement qu’un contrôle complet d’ENAMCo est exercé par Nevsun, ni que BMSCo est un simple mandataire ou instrument de Nevsun : cette affirmation reviendrait à ne pas tenir compte de l’influence exercée par ENAMCo sur BMSCo.

[55]           Quoi qu’il en soit, la jurisprudence établit clairement que le contrôle ne peut pas à lui seul, sans plus, constituer soit une relation expresse ou implicite de mandat-mandataire pour lever un voile corporatif. S’il en était autrement, le voile corporatif serait levé dans le cas de toutes les filiales, ce qui n’est pas la règle de droit : Meredith; Trans-Pacific Shipping Co c. Atlantic & Orient Trust Co Ltd, 2005 CF 311 (requête en radiation refusée); Emtwo aux paragraphes 127 et 128; Kosmopoulos. Bien que le protonotaire semble avoir déterminé l’existence d’un mandataire pour lever le voile corporatif, je ne peux pas être d’accord avec cette décision.

[56]           Pour les mêmes motifs, même le fait d’être un « instrument » au sens d’être complètement contrôlé, comme c’est le cas pour pratiquement toutes les filiales en propriété exclusive, ne suffit pas, à mon humble avis, à justifier la levée du voile corporatif sans conduite inappropriée ou conduite qui s’apparente à la fraude : voir de façon générale Salomon v. Salomon & Co, Ltd, [1897] AC 22 (HL); Edgington v. Mulek Estate, 2008 BCCA 505; et la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Meredith.

(b)               Aucune exigence légale de lever le voile corporatif

[57]           L’arrêt Angelica Choc établit une troisième catégorie de relations où le voile corporatif peut être levé, à savoir lorsque des lois l’exigent. Par exemple, il pourrait s’agir de dispositions relatives aux régimes fiscaux ou aux régimes de droit de la famille où les assemblées législatives ont choisi d’enlever la protection de la common law pour promouvoir des objectifs en matière de politique publique. Cette exception ne s’applique pas en l’espèce.

[58]           À cet égard, ma conclusion que le voile corporatif ne peut être levé signifie que l’appel est tranché et que l’ODSA Nevsun doit être annulée.

(3)               Omission d’interjeter appel, principe de la chose jugée et règle interdisant les contestations indirectes

[59]           Subsidiairement, Delizia soutient que Nevsun ne peut attaquer l’ODSA Nevsun en raison du principe de la chose jugée, de l’omission de Nevsun d’interjeter appel et d’attaquer de toute autre façon l’ODSA et de la règle interdisant les contestations indirectes. À mon avis, aucun de ces arguments n’est fondé.

[60]           En règle générale, je ne peux accepter qu’une conclusion fondée sur une requête d’ordonnance de reconnaissance ex parte ou une requête d’ordonnance provisoire de saisie-arrêt ex parte lie la Cour devant statuer sur une ordonnance définitive de saisie-arrêt. À mon avis, ces conclusions sont réfutables. L’ordonnance provisoire de saisie-arrêt obligeait expressément la tierce-saisie Nevsun à [traduction] « faire valoir les raisons pour lesquelles elle ne devrait pas payer » les créances devant être saisies. Or, c’est exactement ce que Nevsun a fait, lorsqu’elle a eu l’occasion de s’adresser à la Cour. À mon avis, Nevsun était libre de contester les conclusions sans avoir à déposer d’avis tant dans le cas de l’ordonnance de reconnaissance que de l’ODSA Nevsun. Le fait d’en conclure autrement irait à l’encontre du volet justification de l'alinéa 449(1)b), selon lequel le tiers-saisi proposé doit avoir la possibilité de « faire valoir les raisons pour lesquelles il ne devrait pas payer » les créances alléguées au créancier judiciaire.

(a)                Omission d’interjeter appel

[61]           À mon humble avis, la suggestion selon laquelle Nevsun aurait dû porter en appel ou contester l’OPSA (ou l’ordonnance de reconnaissance) n’est pas convaincante, et ce, pour plusieurs raisons. Je ne vois aucune raison pour laquelle Nevsun aurait dû avoir recours à l’article 399 en plus de présenter son document de justification en réponse en vertu de l’article 449. L’article 453 prévoit précisément qu’une saisie-arrêt soit jugée par procédé sommaire. Je ne vois rien de sommaire au fait d’exiger qu’un saisi-arrêté présente d’autres actes de procédure distincts en plus de justifier pourquoi une ordonnance provisoire de saisie-arrêt ne devrait pas être rendue définitive. C’est particulièrement le cas lorsque l’ordonnance de reconnaissance et l’OPSA ont fait l’objet d’une requête ex parte. Il faut éviter et, certainement, ne pas encourager une multiplicité d’actes de procédure. Il est extrêmement efficace que des litiges comme celui-ci soient tranchés lors de l’audience de justification; en effet, l’objectif même d’une audience de justification est de juger par procédure sommaire si l’OPSA Nevsun devrait être transformée en ordonnance définitive de saisie-arrêt.

(b)               Chose jugée

[62]           Je ne suis pas d’accord que Nevsun est liée par l’ordonnance de reconnaissance ou par l’OPSA Nevsun au motif qu’il s’agit de choses jugées et qu’elles ne peuvent pas faire l’objet d’un appel. À mon humble avis, l’argument fondé sur le principe de la chose jugée doit être rejeté puisque le principe de la chose jugée exige à tout le moins une identité des parties, ce qui n’était pas le cas avec l’ordonnance de reconnaissance; par conséquent, le principe de la chose jugée ne peut pas s’appliquer. Permettre à Nevsun de régler la validité de l’OPSA au cours de l’audience de justification est conforme à l’objectif sous-jacent du principe de la chose jugée, qui est principalement d’assurer l’efficacité du système judiciaire.

[63]           En portant les « causes » à l’attention de la Cour aux fins d’arbitrage lors de l’audience de justification imposée par la Cour, Nevsun agit tel que l’autorise et le prévoit l'alinéa 449(1)b) : Nevsun était en droit de le faire et, à cet égard, elle a fourni les justifications pour lesquelles l’OPSA ne devrait pas être rendue définitive.

(c)                Contestation indirecte

[64]           Je ne suis pas d’accord pour dire que Nevsun faisait une forme de contestation indirecte inadmissible de l’ordonnance de reconnaissance en invoquant ces moyens de défense comme justifications pour lesquelles l’OPSA ne devrait pas être rendue définitive. Je reconnais qu’il existe une règle qui interdit les contestations indirectes. Cependant, à mon avis, le fait de soulever ces questions est expressément permis par la disposition sur la « justification » comprise dans les Règles, qui à la fois autorisait et obligeait Nevsun à « faire valoir » les raisons pour lesquelles une ordonnance définitive de saisie-arrêt ne devrait pas être rendue : alinéa 449(1)b). Par conséquent, à mon avis, la règle sur la contestation indirecte ne s’applique pas. Ce qui s’est produit n’était pas une contestation indirecte; il s’agissait simplement de faire valoir les raisons pour lesquelles l’OPSA ne devrait pas être rendue une ODSA.

(4)               Renonciation à l’exigence de signification à l’Érythrée dans l’ordonnance de reconnaissance et l’OPSA

[65]           Il ne fait aucun doute que tant l’ordonnance de reconnaissance que l’OPSA Nevsun visent à renoncer à l’exigence de signification à l’Érythrée. À mon humble avis, la Cour conformément à ses Règles ne peut pas dispenser de l’obligation de respecter les exigences de signification de la LIE. Telle était la conclusion expresse tirée par le juge Martineau dans TMR Energy Ltd v. Ukraine (State Property Fund), 2004 Carswell Nat 6249 [TMR] qui explique pourquoi en les termes suivants :

10        [traduction] APRÈS QUE la Cour a déterminé si le SPF est un « organisme d’un État étranger » au sens de la Loi sur l’immunité des États, L.R.C. 1985, ch. S-18, modifiée, ou s’il est en fait l’alter ego ou une subdivision de « l’État étranger » lui-même, en l’espèce l’État de l’Ukraine, il n’en demeure pas moins qu’avant d’obtenir ou de prononcer un jugement ou une ordonnance, la signification de l’acte introductif d’instance doit être faite conformément à l’article 9 de la Loi sur l’immunité des États.

11        [traduction] APRÈS QUE la Cour a déterminé que les conditions et exigences énoncées dans la Loi sur l’immunité des États ont préséance sur les Règles des Cours fédérales, 1998, DORS/98-106, modifiées (les « Règles »);

[Non souligné dans l’original.]

[66]           Les obligations internationales du Canada envers les autres nations, prévues dans la LIE, ne peuvent pas faire l’objet d’une renonciation en vertu des Règles de la Cour. La LIE elle-même ne confère aucun pouvoir à cet effet. Renoncer à ses obligations en vertu des Règles exigerait, à mon humble avis, un libellé très clair du Parlement, ce qui n’est pas le cas. J’accepte aussi que la LIE a préséance sur des mesures législatives subordonnées comme les Règles pour les motifs énoncés dans États-Unis d’Amérique c. Zakhary, 2015 CF 335 aux paragraphes 20 à 23 [Zakhary].

(5)               Autres motifs de l’appel porté devant la Cour, mais pas devant le protonotaire

[67]           Nevsun a soulevé deux nouvelles questions de loi qui semblent ne pas avoir été soumises au protonotaire, notamment la question de savoir si :

1.                  l’ordonnance de reconnaissance ainsi que les OPSA et ODSA sont des nullités parce que l’Érythrée n’a pas reçu de signification en vertu de la Loi sur l’immunité des États [LIE] avant l’émission de l’OPSA et de l’ODSA; et

2.                  si « l’impôt sur le revenu, les droits de timbre, retenues et autres taxes, les redevances, les droits de douane, les frais d’exploitation minière, d’exploration et d’entreprise » ou l’un de ces éléments est lié à des activités commerciales et, par conséquent, est exempté d’une saisie-arrêt en vertu de la section 5 de la LIE.

[68]           La question préliminaire consiste à déterminer si la Cour doit examiner ces nouveaux arguments. Les deux questions ont été pleinement débattues devant la Cour par de longues observations écrites et au cours des deux jours de l’audience. Je n’ai pas eu connaissance que le fait de tenir compte de ces questions ait porté préjudice à Delizia. On ne m’a pas informé, par exemple, que de nouveaux éléments de preuve auraient été soumis ou que d’autres examens ou échanges de matériel auraient été nécessaires, et on ne m’a pas demandé d’accorder un tel recours. Les deux questions reposent sur des arguments juridiques découlant de fait.

[69]           J’ai décidé de tenir compte de ces arguments supplémentaires. En agissant ainsi, j’adopte l’opinion de la Cour suprême du Canada sur les nouveaux arguments : « [i]l est loisible à la Cour, dans le cadre d’un pourvoi, d’examiner une nouvelle question de droit dans les cas où elle peut le faire sans qu’il en résulte de préjudice d’ordre procédural pour la partie adverse et où son refus de le faire risquerait d’entraîner une injustice » : Performance Industries Ltd c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club, Ltd, [2002] 1 CSC 678, au paragraphe 33, le juge Binnie; et voir Renova Holdings Ltd c. la Commission canadienne du blé, 2006 CF 71 (le juge Blanchard), au paragraphe 33; Hall c. Canada (Procureur général), 2013 CF 933 (le juge en chef Crampton). Je désire également écarter le risque d’injustice.

Nouvelle question no 1 : non-conformité à la Loi sur l’immunité des États [LIE]

[70]           Il n’est pas nécessaire de se pencher sur cette question : j’ai constaté qu’il n’y avait pas de créances échues ou à échoir de Nevsun envers l’Érythrée et/ou ENAMCo, car le voile corporatif ne peut pas être levé.

[71]           Toutefois, par souci d’exhaustivité et dans le cas où ma décision serait erronée, je suis d’avis que les OPSA et ODSA Nevsun doivent être annulées. À cet égard, la disposition législative importante est le paragraphe 9 :

Signification à l’État étranger

Service on a foreign state

9 (1) La signification d’un acte de procédure introductif d’instance à l’État étranger, à l’exclusion de ses organismes, se fait :

9 (1) Service of an originating document on a foreign state, other than on an agency of the foreign state, may be made

a) selon le mode agréé par l’État;

(a) in any manner agreed on by the state;

b) selon le mode prévu à une convention internationale à laquelle l’État est partie;

(b) in accordance with any international Convention to which the state is a party; or

c) selon le mode prévu au paragraphe (2).

(c) in the manner provided in subsection (2).

Idem

Marginal note: Idem

(2) La signification mentionnée à l’alinéa (1)c) peut se faire par remise personnelle ou par envoi recommandé d’une copie de l’acte introductif d’instance au sous-ministre des Affaires étrangères ou à la personne qu’il désigne; le sous-ministre ou cette personne transmet à son tour cette copie à l’État étranger.

(2) For the purposes of paragraph (1)(c), anyone wishing to serve an originating document on a foreign state may deliver a copy of the document, in person or by registered mail, to the Deputy Minister of Foreign Affairs or a person designated by him for the purpose, who shall transmit it to the foreign state.

...

...

[72]           Pour avoir gain de cause sur ce point, Delizia doit établir qu’elle a signifié à l’Érythrée l’acte introductif d’instance menant à l’ordonnance de reconnaissance. Toutefois, cette requête n’a pas été signifiée à l’Érythrée. En raison du non-respect de l’exigence de signification imposée par la LIE, l’OPSA et l’ODSA Nevsun sont des nullités. Les conséquences ont été énoncées par la Cour dans l’arrêt Zakhary.

[73]           L’arrêt Zakhary a été prononcé environ deux mois après la décision du protonotaire. L’arrêt Zakhary invoquait une plainte pour congédiement injuste par une ancienne employée du consulat des États-Unis à Toronto. La plaignante a obtenu un jugement arbitral qu’elle a déposé avec succès pour exécution auprès de la Cour. Cependant, la plainte originale n’a pas été signifiée à l’État étranger conformément au paragraphe 9(2) de la LIE. Les actes de procédure ont plutôt été envoyés par courrier enregistré aux bureaux consulaires à Toronto, l’ambassade des États-Unis d’Amérique à Ottawa en ayant accusé réception. Les États-Unis ont demandé et obtenu un contrôle judiciaire : la certification d’exécution a été annulée.

[74]           Dans Zakhary, le juge Rennie (juge alors) a résumé l’exigence obligatoire de signification en vertu de la LIE :

[20]      La jurisprudence de notre Cour, et d’autres tribunaux, est sans équivoque et bien établie : la signification aux États étrangers doit être faite conformément au paragraphe 9(2) de la LIÉ : Tritt c United States of America, (1989), 68 OR (2d) 284 (QL) (HCJ); Softrade c Tanzania, [2004] OJ No 2325 (SCJ). Les documents laissés aux pieds d’un représentant du consulat des États-Unis ne sont pas signifiés en bonne et due forme. Sauf s’il convient d’un autre mode de signification, l’État étranger ne peut recevoir signification que par l’intermédiaire du sous-ministre des Affaires étrangères : Canadian Conflict of Laws, 6e éd., édition en feuilles mobiles (Markham, Ont. : LexisNexis, 2005), aux pages 10 à 21; H.L Molot et M.L. Jewett, The State Immunity Act of Canada, (1983) R. du B. can 843.

[21]      L’origine de la règle de l’immunité des États en droit international, sa codification dans la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques et son incorporation dans le droit interne sont exposées en détail dans l’arrêt récent Kazemi (Succession) c République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, où le juge LeBel de la Cour suprême du Canada, s’exprimant au nom de la majorité, a formulé les remarques suivantes aux paragraphes 42 et 43 :

Au Canada, l’immunité des États à l’égard des poursuites civiles est consacrée par la LIÉ dont l’objet reflète en grande partie celui de la règle en droit international : le respect de l’égalité souveraine. La « pierre angulaire » de cette loi se trouve en son art. 3, qui confirme que les États étrangers bénéficient de l’immunité de juridiction devant les tribunaux canadiens « [s]auf exceptions prévues dans la [...] loi. » (Bouzari c. Islamic Republic of Iran (2004), 71 O.R (3d) 675 (C.A.), au paragraphe 42; LIÉ, art. 3). Fait important, la LIÉ ne s’applique pas aux poursuites pénales, ce qui suggère que le législateur était convaincu que la common law en matière d’immunité des États devrait continuer à régir ce domaine du droit (LIÉ, art. 18).

Cependant, lorsqu’il a adopté la LIÉ, le Parlement a reconnu plusieurs exceptions à la vaste portée de l’immunité des États. Mise à part l’exception relative aux activités commerciales examinée précédemment, le Canada a choisi d’inclure des exceptions à l’immunité en cas de renonciation à celle-ci par l’État étranger de même que dans le cas où il est question de décès, de dommages corporels ou de dommages aux biens survenus au Canada; en matière maritime; et à l’égard de biens détenus par un État étranger au Canada (LIÉ, art. 4, 6, 7 et 8; Currie, p. 395-400; Emanuelli, p. 346-349; J.-M. Arbour et G. Parent, Droit international public (6e éd. 2012), p. 500-508.3).

[22]      Les objectifs de politique que vise à promouvoir l’article 9 de la LIÉ sont formulés dans une note circulaire du gouvernement du Canada datée du 28 mars 2014 et intitulée « La signification des actes introductifs d’instance judiciaire ou administrative mettant en cause le Gouvernement du Canada dans d’autres États ». Selon cette note circulaire, « en vertu de la Loi sur l’immunité des États du Canada, le Canada assure à tout autre État les protections mentionnées [...] quant à la signification de documents introductifs d’une instance au Canada, lesquels documents seront transmis par voie diplomatique à leur ministère des Affaires étrangères dans leurs capitales respectives au moins soixante jours avant la prochaine étape des procédures ». De plus, « [l]a signification à une mission diplomatique ou à un poste consulaire, par quelque moyen que ce soit, est donc sans effet et constitue par ailleurs une infraction à l’Article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques [...] ».

[23]      La signification de la plainte au consulat par envoi recommandé n’était pas conforme à l’article 9 de la LIÉ. Étant donné que la signification conformément à l’article 9 de la LIÉ constitue une condition juridictionnelle obligatoire et préalable à l’introduction d’instances contre les États étrangers, l’arbitre ne pouvait avoir compétence sur les États-Unis.

[...]

[25]      [...] Les dispositions de la LIÉ en matière de signification sont impératives, indépendamment de la personne ou de l’organisme chargé de la signification dans le cadre d’un mécanisme de recours donné.

[Non souligné dans l’original.]

[75]           La Cour en est venue à la même conclusion dans l’arrêt TMR, à savoir que la signification en vertu du paragraphe 9(2) de la LIE est obligatoire. Dans l’arrêt TMR, un différend est survenu entre le State Property Fund of Ukraine (SPF) (une entité de l’État de l’Ukraine) et TMR Energy Ltd. (TMR), lorsque le SPF a contrevenu à son entente avec TMR, et un jugement arbitral a été accordé en faveur de TMR en Suède. Le juge Martineau a refusé d’accorder une ordonnance enregistrant, reconnaissant et exécutant la sentence arbitrale définitive. Il a conclu, comme en l’espèce, que l’État concerné n’avait pas reçu la signification en bonne et due forme, conformément au paragraphe 9(2) de la LIE. Le juge Martineau a déclaré ce qui suit au sujet de l’article 9 de la LIE et les Règles :

10        [traduction] APRÈS QUE la Cour a déterminé si le SPF est un « organisme d’un État étranger » au sens de la Loi sur l’immunité des États, L.R.C. [traduction]1985, ch. S-18, modifiée, ou s’il est en fait l’alter ego ou une subdivision de « l’État étranger » lui-même, en l’espèce l’État de l’Ukraine, il n’en demeure pas moins qu’avant d’obtenir ou de prononcer un jugement ou une ordonnance, la signification de l’acte introductif d’instance doit être faite conformément à l’article 9 de la Loi sur l’immunité des États avant d’obtenir ou de prononcer un jugement ou une ordonnance.

11        [traduction] APRÈS QUE la Cour a déterminé que les conditions et exigences énoncées dans la Loi sur l’immunité des États ont préséance sur les Règles des Cours fédérales, 1998, DORS/98-106, modifiées (les « Règles »);

[Non souligné dans l’original.]

[76]           La Cour d’appel fédérale a unanimement maintenu la décision du juge Martineau sur la nature obligatoire de la signification en vertu de l’article 9 de la LIE : TMR Energy Ltd c. Ukraine (State Property Fund), 2005 CAF 28. La Cour suprême du Canada a accordé l’autorisation d’en appeler, mais l’appel a été abandonné.

[77]           Il est incontestable que l’Érythrée n’a pas reçu de signification en vertu de la LIE. Par conséquent, l’OPSA et l’ODSA Nevsun sont des nullités.

Nouvelle question no 2 : Si « l’impôt sur le revenu, les droits de timbre, retenues et autres taxes, les redevances, les droits de douane, les frais d’exploitation minière, d’exploration et d’entreprise » ou l’un de ces éléments est lié à des activités commerciales et, par conséquent, est exempté d’une saisie-arrêt en vertu de la section 5 de la LIE

[78]           Puisque j’ai constaté que le voile corporatif ne peut être levé et que l’OPSA et l’ODSA Nevsun sont des nullités en raison du non-respect de la LIE, il n’est pas nécessaire de me pencher sur la question de savoir si « l’impôt sur le revenu, les droits de timbre, retenues et autres taxes, les redevances, les droits de douane, les frais d’exploitation minière, d’exploration et d’entreprise » sont exemptés d’une saisie-arrêt en vertu de la LIE ou peuvent faire l’objet d’une saisie-arrêt puisqu’il s’agit « [d’]actions qui portent sur les activités commerciales [de l’État étranger] » [exemption liée à l’activité commerciale] comme cela est indiqué à la section 5 et à l’alinéa 12(1)b) de la LIE. Quoi qu’il en soit, j’aborderai ces questions par souci d’exhaustivité.

(i)                 Exemption liée à l’activité commerciale à l’immunité des États en vertu de la section 5 de la LIE

[79]           Le point de départ est la loi. Le paragraphe 3(1) de la LIE est la disposition générale selon laquelle un État étranger n’est pas visé par la compétence d’un tribunal au Canada :

Immunité de juridiction

State immunity

3 (1) Sauf exceptions prévues dans la présente loi, l’État étranger bénéficie de l’immunité de juridiction devant tout tribunal au Canada.

3 (1) Except as provided by this Act, a foreign state is immune from the jurisdiction of any court in Canada.

[80]           La section 5 exclut l’« activité commerciale » de ce qui précède dans les termes suivants :

Activité commerciale

Commercial activity

5 L’État étranger ne bénéficie pas de l’immunité de juridiction dans les actions qui portent sur ses activités commerciales.

[soulignement ajouté]

5 A foreign state is not immune from the jurisdiction of a court in any proceedings that relate to any commercial activity of the foreign state.

[emphasis added]

[81]           L’alinéa 12(1)b) renforce ce qui précède et exempte les biens d’un État étranger au Canada de saisie-arrêt ou d’exécution lorsque les biens sont utilisés ou destinés à être utilisés dans le cadre d’une activité commerciale :

Exécution des jugements

Execution

12 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), les biens de l’État étranger situés au Canada sont insaisissables et ne peuvent, dans le cadre d’une action réelle, faire l’objet de saisie, rétention, mise sous séquestre ou confiscation, sauf dans les cas suivants :

12 (1) Subject to subsections (2) and (3), property of a foreign state that is located in Canada is immune from attachment and execution and, in the case of an action in rem, from arrest, detention, seizure and forfeiture except where

...

...

b) les biens sont utilisés ou destinés à être utilisés soit dans le cadre d’une activité commerciale, soit par l’État pour soutenir le terrorisme ou pour se livrer à une activité terroriste si celui-ci est inscrit sur la liste visée au paragraphe 6.1(2) [.]

(b) the property is used or is intended to be used for a commercial activity or, if the foreign state is set out on the list referred to in subsection 6.1(2), is used or is intended to be used by it to support terrorism or engage in terrorist activity [.]

[82]           La LIE établit une immunité de présomption pour les États étrangers relativement à la juridiction des tribunaux canadiens, y compris l’exécution. Ce principe est résumé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kuwait Airways Corp c. Irak, 2010 CSC 40 [Kuwait Airways] au paragraphe 19 :

Dans la mesure où l’on considère qu’un État étranger bénéficie d’une immunité de juridiction en vertu de cette loi, le tribunal canadien n’a tout simplement pas compétence pour se pencher sur une demande à son encontre, y compris sur une requête en reconnaissance et en exécution d’une décision étrangère. Ce n’est que dans l’hypothèse où il existe une exception au principe général d’immunité que le tribunal pourra se prononcer sur le fond d’une demande visant un État étranger.

[83]           J’accepte que la LIE constitue une codification du droit relativement à l’immunité des États. Les États étrangers bénéficient de l’immunité de juridiction devant les tribunaux canadiens, dans les circonstances limitées prévues dans la loi. Encore une fois, pour citer la Cour suprême du Canada, cette fois dans l’arrêt Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, 2014 CSC 62 au paragraphe 42 :

Au Canada, l’immunité des États à l’égard des poursuites civiles est consacrée par la LIÉ dont l’objet reflète en grande partie celui de la règle en droit international : le respect de l’égalité souveraine. La « pierre angulaire » de cette loi se trouve en son art. 3, qui confirme que les États étrangers bénéficient de l’immunité de juridiction devant les tribunaux canadiens « [s]auf exceptions prévues dans la loi. »

[84]           Pour déterminer si l’exception relative à l’« activité commerciale » en vertu de la LIE s’applique, un tribunal doit examiner la nature de l’action particulière et le contexte sous-jacent. Dans l’évaluation de la nature de l’activité, les tribunaux aux É.-U. et au R.-U. ont analysé si l’État agit « comme un acteur privé » du marché. Les tribunaux canadiens ont renvoyé à cette démarche dans leur analyse, mais ils devront aussi examiner l’ensemble du contexte des circonstances en cause : Kuwait Airways aux paragraphes 29 à 31; Re Code canadien du travail, [1992] 2 RCS 50.

[85]           À cet égard, la Cour suprême du Canada a dit dans Kuwait Airways :

[28]      Tant au Royaume-Uni qu’aux États-Unis, la jurisprudence moderne semble restreindre l’immunité de juridiction aux actes de souveraineté proprement dits, les exceptions étant utilisées pour confirmer une interprétation qui correspond à celle que le droit international public s’est formée quant à son caractère restreint

[29]      Au Royaume-Uni, les tribunaux se demandent si l’acte en cause pourrait être accompli par une personne privée. Lord Goff of Chieveley recommande l’application de ce critère dans l’un des arrêts qui concernent le litige opposant KAC et IAC, et qui est à l’origine du présent litige. Se basant sur une opinion antérieure de Lord Wilberforce dans I Congreso del Partido, [1983] A.C. 244, p. 262, 267 et 269, il retient comme valide la méthode d’analyse qui consiste à se demander non pas quel est l’objectif poursuivi par l’État en accomplissant l’acte, mais plutôt si l’acte pourrait être accompli par un simple citoyen (Kuwait Airways Corp. c. Iraqi Airways Co., [1995] 3 All E.R. 694, p. 704‑705). Aux États-Unis, la Cour suprême a décrit les actes de souveraineté, protégés par l’immunité de juridiction, comme ceux accomplis dans l’exercice des pouvoirs particuliers au souverain :

[traduction] Selon la théorie de l’immunité restreinte, et non « absolue », un État bénéficie de l’immunité de juridiction devant les tribunaux étrangers relativement à ses actes souverains ou publics (jure imperii), mais non à l’égard de ses actes à caractère privé ou commercial (jure gestionis).... Dans Weltover, précité, à la p. 614 (citant Dunhill, précité, à la p. 704), nous avons expliqué que, selon la théorie de l’immunité restreinte, un État exerce une activité commerciale lorsqu’il exerce « “uniquement les pouvoirs que les simples citoyens pourraient aussi exercer,” » à la différence « “des pouvoirs propres aux souverains” ». Autrement dit, selon la théorie de l’immunité restreinte, un État étranger n’exerce une activité commerciale que lorsqu’il agit « comme un acteur privé—» du marché. (Saudi Arabia c. Nelson, 507 U.S. 349 (1993), p. 359‑360).

[30]      On constate que la qualification des actes pour l’application de l’immunité de juridiction dépend, dans les droits américain et anglais, d’une analyse orientée vers leur nature. Il ne suffit donc pas de se demander si l’acte visé émanait d’une décision de l’État, et s’il a été accompli dans le but de protéger un intérêt étatique ou d’atteindre un objectif de politique publique. S’il en était ainsi, tous les actes d’un État, ou même d’un organisme qu’il contrôle, seraient assimilés à des actes de souveraineté. Ce résultat nierait le caractère restreint de l’immunité de juridiction en droit international public contemporain et viderait de leur contenu les exceptions visant les actes de gestion privée, comme l’exception de commercialité.

[31]      En droit canadien, le juge La Forest a recommandé l’adoption de cette méthode d’analyse dans l’arrêt Re Code canadien du travail pour régler les problèmes d’application de la LIE. Par contre, il a précisé que l’exception de commercialité canadienne exige un examen de l’ensemble du contexte, ce qui inclut non seulement la nature de l’acte posé, mais aussi son objet :

Il me semble qu’une méthode contextuelle est la seule qui nous permette raisonnablement d’appliquer le principe de l’immunité restreinte. L’autre solution est de tenter l’impossible, c’est-à-dire une distillation antiseptique afin de qualifier « une fois pour toutes » l’activité en question, quel qu’en soit l’objet. Il est vrai que l’objet ne devrait pas prédominer, car cette méthode ferait pratiquement de tout acte accompli par les agents commerciaux d’un État un acte jure imperii. Toutefois, le contraire est également vrai. S’en tenir strictement à la « nature » d’un acte, indépendamment de son objet, aurait pour effet de rendre jure gestionis d’innombrables activités gouvernementales. [p. 73]

[86]           Je vais maintenant discuter de la classification appropriée des créances échues ou à échoir en l’instance, telles qu’elles ont été déterminées par le protonotaire et Nevsun.

(6)               Statut de l’impôt sur le revenu, des droits de timbre, retenues et autres taxes, des redevances, des droits de douane et des frais d’exploitation minière, d’exploration et d’entreprise

(a)                Impôt sur le revenu, droits de timbre et autres taxes, redevances, droits de douane

[87]           À mon humble avis, l’impôt sur le revenu ainsi que les droits de timbre et autres taxes et les droits de douane sont considérés à tort comme des paiements liés à une activité commerciale. La nature et l’objet de ces paiements, qui sont évidemment imposés par l’État, sont essentiellement des obligations imposées par un État souverain sur ceux et celles qui exploitent une entreprise sur son territoire. En imposant ces obligations, l’État de l’Érythrée n’agissait pas « comme un acteur privé » du marché. Il agissait comme un État souverain et seul comme un État souverain peut le faire. Il s’agit simplement de paiements imposés dans le but d’amasser des fonds pour l’État de l’Érythrée; aucun élément de preuve ne porte à croire que la nature ou l’objet des paiements est lié à une « activité commerciale ».

(b)               Frais d’exploitation minière, d’exploration et d’entreprise

[88]           Je conclus que les frais d’exploitation minière, d’exploration et d’entreprise ne sont pas correctement classés comme étant une « activité commerciale ». Au lieu de cela, leur nature et leurs objectifs sont essentiellement des obligations réglementaires imposées par un État souverain sur ceux et celles qui exploitent une entreprise sur son territoire, en l’occurrence l’Érythrée. En imposant ces obligations, l’État de l’Érythrée n’agissait pas « comme un acteur privé » du marché. Elle agit comme seul un État souverain peut agir en réglementant les activités sur le territoire qu’elle contrôle et elle le fait en délivrant des permis permettant aux deux gouvernements de contrôler le comportement des entreprises privées. Principalement et en particulier, l’Érythrée impose une exigence en matière de permis afin d’exercer un contrôle national sur les entreprises en général et sur les activités minières en particulier lorsqu’elles sont exécutées sur son territoire. Les frais de permis ne sont qu’une des façons dont l’État exerce son contrôle, mais à mon avis, ils sont inextricablement liés aux permis eux-mêmes. Bien que le montant soit faible, ces frais prélèvent également des taxes dont se sert le gouvernement national.

[89]           Par conséquent, les frais constituent le mécanisme gouvernemental légitime important et usuel qui permet, en l’occurrence à l’État de l’Érythrée, d’exercer un contrôle souverain sur les actifs miniers et les activités minières sur son territoire. Ces paiements n’ont pas la nature, l’objet ou la qualité juridique nécessaires d’une « activité commerciale » au point d’être l’objet d’une ordonnance définitive de saisie-arrêt. Par conséquent, ils ne peuvent pas faire l’objet d’une saisie aux termes du paragraphe 12(1) de la LIE, et ils ne sont pas visés par les exclusions liées à une « activité commerciale ».

(c)                Retenues de taxes

[90]           Dans le cas des retenues de taxes, le protonotaire a conclu qu’elles ne constituaient pas une « activité commerciale » dans le cas parallèle Sunridge (voir 2015 CF 34); je suis d’accord avec cette conclusion et aucun appel n’est interjeté. Il n’y a aucune raison de soumettre les retenues de taxes à une saisie-arrêt en l’instance si elles ne sont pas saisissables dans l’appel Sunridge. Effectivement, il n’est pas clair que le protonotaire prévoyait soumettre les retenues de taxes à une saisie-arrêt en l’instance, mais par souci de clarté, j’estime qu’elles ne sont pas saisissables.

(d)               Redevances et dividendes

[91]           Les autres créances échues ou à échoir sont des redevances et des dividendes. À mon avis, les dividendes sont considérés à juste titre, tant par leur nature que par leur objet, comme des paiements liés à une « activité commerciale ». Mon affirmation est fondée sur le fait que les dividendes sont le fruit d’une « activité commerciale », essentiellement les activités minières commerciales de BMSCo.

[92]           Les redevances, par contre, ne font pas l’objet d’une entente, mais sont imposées par la loi : la Proclamation 68/1995 de l’Érythrée, précitée (voir le paragraphe 11), impose à Nevsun l’obligation légale de verser des redevances. Les redevances permettent à un État de collecter son « dû », en l’instance, une partie des bénéfices découlant de l’activité minière commerciale. J’en conviens que les redevances découlent d’une « activité commerciale » et qu’elles sont calculées sur la base d’une « activité commerciale ». Ceci dit, à mon avis, les redevances sont simplement une autre forme de taxes. Il s’agit simplement de paiements exigés par un État auprès d’une entité sous son contrôle. Étant donné leur nature et leur contexte, les redevances versées sont essentiellement des obligations imposées par un État souverain et elles relèvent de la même catégorie que les taxes pour les motifs précités.

[93]           Si l’OPSA et l’ODSA n’étaient pas des nullités en raison du non-respect de la LIE et s’il avait été légalement permis de lever le voile corporatif, j’aurais été en accord avec le protonotaire et considéré que les redevances et les dividendes peuvent être soumis à une saisie-arrêt en vertu de l’ODSA Nevsun. Toutefois, compte tenu de mes conclusions, cet argument est académique.

3.         Est-ce que Nevsun peut contester l’ordonnance de reconnaissance concernant l’activité commerciale?

[94]           Delizia a également soutenu que Nevsun ne devrait pas pouvoir soulever la question de ce qui constitue ou non une « activité commerciale », car cela a pour effet de contester l’ordonnance de reconnaissance, selon laquelle les créances échues et à échoir de Nevsun envers Eritrea et/ou ENAMCo découlaient d’une activité commerciale en vertu de la LIE; au paragraphe 5, l’ordonnance de reconnaissance stipule ce qui suit : [TRADUCTION] « [l]e défendeur ne jouit pas d’une immunité de juridiction de la Cour conformément aux dispositions de l’article 5 de la Loi sur l’immunité des États, L.R.C. 1985, ch. S-18 ». J’ai déjà envisagé et rejeté une variante de cet argument dans ma conclusion selon laquelle un tiers-saisi éventuel, dans le cas d’une « demande de justification » imposée par la Cour, peut réfuter des conclusions comme celles rendues dans une ordonnance de reconnaissance et une ordonnance de saisie-arrêt demandées et obtenues sans aviser le tiers-saisi.

4.         Est-ce que le protonotaire a commis une erreur en ordonnant à Nevsun de répondre à certaines questions auxquelles elle s’était opposée en contre-interrogatoire?

[95]           Pour ce qui est des communications demandées, la norme de contrôle pour un juge de révision d’ordonnances de communication délivrées par un protonotaire est énoncée dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd, [1993] 2 C.F. 425 aux paragraphes 67 et 68 [Aqua-Gem]. La cour de révision ne doit intervenir que lorsque l’ordonnance de la Cour est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

[96]           La portée des questions posées lors d’un contre-interrogatoire comme celui-ci est limitée et plus étroite que la portée de la communication et est, par ailleurs, limitée aux questions pertinentes découlant de l’affidavit lui-même : Sivak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 402 aux paragraphes 12 et 13. À ce titre, la communication est liée pour tous les aspects de la notion de pertinence : Royal Bank of Scotland plc c. Golden Trinity (Le), [2000] 4 RCF 211 aux paragraphes 15 à 17. De plus, le contre-interrogatoire ne peut pas servir à faire des demandes à l’aveuglette : Imperial Chemical Industries PLC c. Apotex Inc (1988), 23 CPR (3d) 362 (CF) au paragraphe 9.

[97]           La question préliminaire en l’espèce consistait à déterminer si Delizia peut persuader la Cour de lever le voile corporatif qui existe de façon présomptive entre Nevsun et BMSCo. Nevsun a refusé de divulguer certains renseignements demandés par Delizia avant l’audience de la requête en ODSA au motif que cela n’était pas pertinent quant à savoir si le voile corporatif pouvait être levé. Je suis d’accord avec Nevsun et je conclus que l’ordonnance enjoignant à Nevsun de répondre aux questions de Delizia s’appuyait sur un principe erroné. Chaque catégorie de question est abordée ci-dessous.

[98]           On demande de produire ce qui suit :

1.                  Produire, pour la période débutant le jour où M. Davis a reçu l’ordonnance de saisie-arrêt, les états financiers trimestriels et mensuels intérimaires de Bisha Mining Share Company, Nevsun Resources Eritrea, Nevsun Africa, et Nevsun Barbados.

2.                  Produire une copie de la Convention d’actionnaires en date de juillet 2013, modifiée selon le cas.

3.                  Déterminer la somme, à partir des fonds contrôlés directement et indirectement par Nevsun Resources Limited en date du 1er juillet 2013, le cas échéant, qui est payable directement ou indirectement à l’État de l’Érythrée, est détenue en fiducie par l’État de l’Érythrée ou doit être versée maintenant ou dans le futur à l’État de l’Érythrée.

4.                  Déterminer le pays où est détenu le compte bancaire au nom de la Bisha Mining Share Company.

5.                  Déterminer si les redevances sont versées à partir des fonds détenus par la Bisha Mining Share Company en Érythrée ou à l’extérieur de l’Érythrée.

6.                  Déterminer si Nevsun Barbados Holdings, Nevsun Africa ou Nevsun Eritrea ont effectué un quelconque paiement à BMSCo à partir du 1er juillet 2013.

7.                  Fournir les noms des membres du conseil d’administration de BMSCo qui ne sont pas des citoyens de l’Érythrée.

[99]           Ces questions ont été soumises à Nevsun pour permettre à Delizia d’obtenir une ordonnance définitive de saisie-arrêt. Je ne vois aucune utilité pratique à ordonner qu’un tiers saisi réponde à des questions posées une fois que l’ordonnance a été délivrée. Si j’ai raison de conclure que l’OPSA et l’ODSA Nevsun sont des nullités et que le voile corporatif ne peut être levé, je ne vois pas l’utilité de forcer Nevsun à répondre.

[100]       En gardant ces conclusions générales à l’esprit, je répondrais aux questions sur la production comme suit.

[101]       En ce qui concerne la première catégorie de questions en cause, Delizia a demandé la production des états financiers de BMSCo et des filiales intervenantes de Nevsun pour déterminer si des paiements ont été versés à l’Érythrée. Cependant, la participation majoritaire indirecte de Nevsun dans BMSCo et les paiements effectués par BMSCo à l’Érythrée ou à ENAMCo pour des redevances, taxes ou autres ne sont pas contestés; ces faits ont été admis. La question de savoir si les autres filiales versent des paiements à l’Érythrée ou à ENAMCo n’est pas pertinente pour savoir si le voile corporatif doit être levé. Même si les autres filiales de Nevsun ont versé des paiements à l’Érythrée, cela ne signifie pas que BMSCo n’est qu’un mandataire ou instrument de Nevsun, ni qu’il y a eu une conduite qui s’apparente à la fraude.

[102]       Delizia a également demandé la production d’états financiers de BMSCo et des filiales intervenantes de Nevsun pour déterminer s’ils ont versé des paiements continus à l’Érythrée au mépris de l’interdiction imposée à Nevsun par l’OPSA de disposer [traduction] « desdites sommes tant que la Cour n’a pas tranché cette question ». En supposant que l’OPSA est valide, les procédures de l’ODSA portent sur la question de savoir si la Cour doit lever le voile corporatif. Delizia n’est pas autorisée à faire des demandes à l’aveuglette. Cette question n’est pas pertinente pour savoir si le voile corporatif doit être levé. Bien que Nevsun ait l’obligation de se conformer à l’OPSA, je ne le permettrais pas, puisque cela n’a aucun lien avec la question préliminaire, à savoir si le voile corporatif doit être levé.

[103]       En ce qui concerne la deuxième catégorie de questions, Delizia a demandé la production de la Convention des actionnaires de BMSCo entre la filiale de Nevsun et ENAMCo. Je constate que la participation majoritaire indirecte de Nevsun dans BMSCo n’est pas contestée. S’il n’y a pas de lieu de conclure à une conduite s’apparentant à la fraude et si la structure de participation de BMSCo est fondée sur les exigences de l’État de l’Érythrée visant à assurer à l’Érythrée un plus grand contrôle sur l’exploitation de ses ressources naturelles, les renseignements qui figurent dans la Convention des actionnaires présentent une pertinence discutable dans le cadre de la requête en ODSA sur la question déterminante, à savoir si la Cour peut lever le voile corporatif. Si l’ODSA est accordée, Nevsun doit payer et Delizia peut recourir à un interrogatoire à l’appui d’une exécution ou autre. Si l’ODSA n’est pas accordée, il est inutile d’ordonner cette production. Ceci dit, tout compte fait, je ne remettrais pas en question le pouvoir discrétionnaire du protonotaire puisque la réponse pourrait être pertinente pour lever le voile corporatif.

[104]       En ce qui concerne la troisième catégorie de questions, Delizia a cherché à connaître le montant dû directement ou indirectement à l’Érythrée par Nevsun. Nevsun a nié toute obligation directe. La demande concernant les obligations « indirectes » doit chercher à déterminer si des filiales ont des dettes envers l’Érythrée. Nevsun ne conteste pas les obligations de BMSCo à l’égard d’ENAMCo ou de l’Érythrée. La question de savoir si les autres filiales versent des paiements à l’Érythrée n’est pas pertinente pour savoir si le voile corporatif doit être levé.

[105]       Quant à la quatrième catégorie de questions, Delizia demande à connaître l’emplacement des comptes bancaires de BMSCo. À mon avis, cette demande vise à faciliter l’exécution en regard des actifs de BMSCo à l’extérieur de l’Érythrée. Cette demande est à la fois prématurée et non pertinente pour savoir si le voile corporatif doit être levé.

[106]       De même, la cinquième catégorie de questions de Delizia vise à déterminer l’emplacement de la source des fonds utilisés par BMSCo pour verser des redevances à l’Érythrée. Encore une fois, cette demande est à la fois prématurée et non pertinente pour savoir si le voile corporatif doit être levé.

[107]       En ce qui concerne la sixième catégorie de questions, Delizia cherche à déterminer si l’une des filiales en propriété exclusive de Nevsun a versé des paiements à BMSCo. À mon avis, cette question est également non pertinente pour savoir si le voile corporatif doit être levé.

[108]       La septième question vise à obtenir les noms des membres du conseil d’administration de BMSCo qui ne sont pas des citoyens de l’Érythrée. Je ne remettrais pas en question le pouvoir discrétionnaire du protonotaire puisque la réponse pourrait être pertinente pour savoir si le voile corporatif doit être levé.

[109]       En somme, si je n’avais pas constaté que l’OPSA et l’ODSA sont des nullités en raison de la non-conformité à la LIE et que le voile corporatif ne peut être levé, j’aurais ordonné les productions demandées, sauf aux questions 2 et 7.

V.                Dépens

[110]       À mon avis, les dépens devraient suivre les règles normales et, par conséquent, suivront la cause. Par conséquent, les dépens sont accordés à Nevsun, ci-après. Nevsun a présenté une liste détaillée des dépens en ce qui concerne l’ODSA, le sursis d’instance et le présent appel qui sont raisonnables, sauf que les dépens que réclame Nevsun à la colonne V devraient être calculés au point milieu de la colonne IV. Si d’autres directives sont nécessaires, les parties peuvent présenter des observations écrites dans les 15 jours suivant la date de cette décision.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  L’appel est accueilli.

2.                  L’ordonnance provisoire de saisie-arrêt du 31 juillet 2013 et l’ordonnance définitive de saisie-arrêt du 9 janvier 2015 sont annulées.

3.                  Delizia doit payer les dépens à Nevsun pour le présent appel, le sursis et l’audience en ordonnance définitive de saisie-arrêt, en fonction du montant réclamé dans le mémoire des dépens présenté par Nevsun, sauf que les dépens que réclame Nevsun à la colonne V devraient être calculés au point milieu de la colonne IV. Si d’autres directives sont nécessaires, les parties peuvent présenter des observations écrites dans les 15 jours suivant la date de cette décision.

4.                  L’intitulé de la cause est modifié et devient celui qui est indiqué à la première page des présentes, avec prise d’effet immédiate.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1157-13

 

INTITULÉ :

NEVSUN RESOURCES LTD. c.

DELIZIA LIMITED c.

ÉTAT DE L’ÉRYTHRÉE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 novembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE :

Le 8 avril 2016

COMPARUTIONS :

Stephen R. Schachter c.r.

Peter R. Senkpiel

 

Pour l’APPELANTE/TIERCE-SAISIE

Laurent Debrun

Laurent Huot

 

Pour l’INTIMÉE/CRÉANCIÈRE SAISISSANTE

 

Personne

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathanson Schachter & Thompson LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l’APPELANTE/TIERCE-SAISIE

Kaufman Laramée, LLP

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour l’INTIMÉE/CRÉANCIÈRE SAISISSANTE

 

 

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