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Date : 20160414


Dossier : IMM-2852-15

Référence : 2016 CF 413

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2016

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

SAMUEL WANYOIKE KAMAU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande en vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la Loi] de contrôle judiciaire d’une décision de la section de Protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [SPR] datée du 26 mai 2015 [la décision], qui a rejeté la demande d’asile du demandeur conformément à l’article 96 et au paragraphe 97(1) de la Loi.

II.                CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen de 33 ans du Kenya qui prétend craindre d’être persécuté en raison de son orientation sexuelle alléguée de mâle bisexuel.

[3]               Il affirme avoir commencé à sentir une attirance pour les personnes de son propre sexe à l’école secondaire et que sa première expérience homosexuelle a eu lieu au pensionnat, aux environs de la 10e année. Bien que le demandeur ait eu des relations hétérosexuelles après le secondaire, il soutient que son attirance homosexuelle s’est poursuivie. Il dit qu’il a caché ces sentiments en raison de l’homophobie omniprésente au Kenya.

[4]               Le demandeur soutient qu’il a eu plusieurs rencontres homosexuelles uniques et occasionnelles au Kenya, ainsi qu’une relation sexuelle avec un partenaire mâle pendant environ trois mois.

[5]               En 2008, le demandeur a obtenu un visa de visiteur aux États­Unis. À son arrivée aux États­Unis, il a déposé une demande de résidence permanente et a reçu la permission de travailler pendant que sa demande était en attente. Alors qu’il vivait à Minneapolis, au Minnesota, le demandeur affirme avoir fréquenté différentes personnes et avoir participé à des relations « ouvertes » avec des hommes et des femmes. Il mentionne également qu’il a eu des relations sexuelles régulières avec un homme entre 2009 et 2014.

[6]               Le demandeur indique qu’en 2011, après que les membres de sa famille au Kenya eurent appris qu’il avait des relations homosexuelles aux États­Unis, ils ont décidé de le confronter sur ce sujet, puis en fin de compte, de le déshériter. Le demandeur prétend avoir reçu des menaces sur le réseau Internet et par le biais de messages textes.

[7]               En 2013, la demande de résidence permanente du demandeur aux États­Unis a été refusée. Suivant l’expiration de son permis de travail final en février 2014, il a fait l’objet d’une mesure de renvoi et il a dû quitter le pays avant le mois de mars 2015.

[8]               L’oncle maternel du demandeur lui a offert de l’aider à effectuer, au poste frontalier entre les États­Unis et le Canada, une demande d’asile assujettie à une exemption en vertu de l’Entente entre le Canada et les États­Unis sur les tiers pays sûrs. Le 24 mars 2015, le demandeur a rempli sa demande à son arrivée à Fort Erie, en Ontario.

[9]               Le 19 mai 2015, l’audience du demandeur a eu lieu devant la Section de la protection des réfugiés (SPR). Cet après­midi­là, après l’audience, l’avocat du demandeur a soumis par télécopieur à la SPR un article de 2014 du New York Times, lequel traitait d’une question soulevée au cours de l’audience concernant la description de l’orientation sexuelle de l’ancien partenaire du demandeur au Minnesota, soit Benjamin Mosioma. Dans le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) du demandeur, ce dernier a utilisé le mot « bisexuel » pour décrire Benjamin. Cependant, au cours de l’audience, il a indiqué que Benjamin se décrivait comme étant un homme « hétérosexuel avec des tendances homosexuelles. » L’article que l’avocat du demandeur a déposé pour le faire accepter comme élément de preuve démontre la nature « fluctuante » de la bisexualité. Le demandeur fait valoir que le contenu de cet article aiderait à expliquer les divergences dans les descriptions de Benjamin formulées par le demandeur. Le 25 mai 2015, l’avocat du demandeur a envoyé par télécopieur au SPR une lettre de la tante du demandeur, Lilian Walker de St. Paul, au Minnesota, qui corrobore les allégations du demandeur et son orientation sexuelle.

[10]           Le 25 mai 2015, le membre de la SPR qui est responsable de la décision a refusé d’admettre l’un ou l’autre de ces éléments de preuve, en invoquant les dates respectives de l’article et de la lettre (le 20 mars 2014 et le 10 mai 2015) et en faisant valoir que ces éléments auraient pu être raisonnablement fournis à la SPR avant l’audience.

[11]           Suivant la décision, le renvoi du demandeur au Kenya était prévu pour le 15 septembre 2015. Le 11 septembre 2015, le juge Boswell a imposé un sursis sur la mesure de renvoi en attente d’une disposition finale de ce contrôle judiciaire.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[12]           La SPR a conclu que le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, et a rejeté sa demande. En fonction de l’ensemble de la preuve présentée, la SPR a déterminé, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne serait exposé ni à une possibilité sérieuse de persécution à son retour au Kenya, ni à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de peines et de traitements cruels et inusités.

[13]           Dans la décision, la crédibilité a été définie comme étant la question déterminante concernant la demande du demandeur. Puisque le formulaire « Fondement de la demande d’asile » (FDA) contient les instructions « Écrivez tout ce qui est important pour votre demande d’asile » et « Indiquez les dates, les noms et les lieux », que le demandeur parle couramment l’anglais et qu’il a reçu l’assistance d’un avocat lorsqu’il a rempli le formulaire FDA, la SPR a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur en raison d’omission de plusieurs éléments touchant ses relations homosexuelles alléguées.

[14]           La SPR a d’abord examiné la première relation homosexuelle que le demandeur affirme avoir eu au Kenya. La SPR a déterminé que même si le demandeur a fourni, dans son témoignage, le nom de son premier partenaire homosexuel (Clive) et plusieurs détails au sujet de celui­ci (incluant le fait qu’il était capitaine à son école), il n’a pas inscrit cette information dans son formulaire FDA. La SPR a tiré une conclusion négative par rapport à cette omission.

[15]           Le demandeur a déclaré que la relation sexuelle suivante d’importance qu’il a eue au Kenya a été avec un homme (Michael Mwangi) qu’il a rencontré dans une boîte de Nairobi au cours de l’année 2002. La SPR a déterminé que lorsqu’il a décrit cette relation dans son exposé des faits, le demandeur avait été « vague, évasif et hésitant ». En notant que dans son formulaire FDA le demandeur n’avait aucunement fait mention de cette relation ou de toute autre relation homosexuelle au Kenya qui était plus sérieuse qu’une simple rencontre occasionnelle, la SPR a déterminé que l’incapacité du demandeur à se rappeler des détails touchant une relation alléguée qui a duré de six à neuf mois a miné sa crédibilité.

[16]           En ce qui concerne le témoignage du demandeur indiquant qu’il a eu « une relation régulière avec un homme » (Benjamin Mosioma) lorsqu’il vivait aux États­Unis, la SPR a noté que le demandeur n’avait fourni aucun détail dans son formulaire FDA au sujet du nom de cet homme ou des dates associées à cette relation. Cependant, au cours de l’audience, le demandeur a indiqué que le couple a entretenu des liens d’amitié entre 2009 et septembre 2014, en plus d’être des amoureux. En raison de la durée alléguée de la relation et du fait que sa seule relation homosexuelle régulière aux États­Unis a été avec Benjamin, la SPR a déterminé qu’il n’était pas raisonnable que le demandeur n’ait pas été en mesure de fournir des détails au sujet de cette relation dans le formulaire FDA.

[17]           La SPR souligne que malgré le fait qu’il ait d’abord indiqué dans son témoignage que Benjamin était le seul homme avec lequel il a eu une relation homosexuelle aux États­Unis, le demandeur a décrit une relation occasionnelle qui « n’était pas une aventure sans lendemain », mais plutôt une relation dans laquelle l’autre « personne venait le voir de façon ponctuelle » entre 2011 et 2013 (Jazmine Eric). Le formulaire FDA ne faisait aucunement mention de Jazmine, et la SPR a déterminé que le demandeur n’a pas été en mesure de raisonnablement expliquer pourquoi cette relation n’a pas été mentionnée dans son exposé des faits d’origine.

[18]           La SPR a souligné que contrairement à ces descriptions de relations homosexuelles remplies d’omissions, le demandeur a fourni, dans son témoignage et le formulaire FDA, des détails poussés et cohérents d’une manière« franche et spontanée » – y compris les noms complets, les dates et les périodes – au sujet des relations qu’il a eues avec deux femmes. Étant donné que le demandeur a été en mesure de fournir des renseignements aussi détaillés, la SPR a déterminé qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il ait été capable de donner des détails de qualité similaire concernant ses relations homosexuelles.

[19]           La SPR a examiné une lettre soumise par le demandeur qui a été rédigée par sa mère. Dans cette lettre, la mère affirmait qu’elle avait entendu des rumeurs provenant de membres de sa famille et de son mari indiquant que le demandeur était bisexuel. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment de détails pour expliquer comment des membres de sa famille résidant au Kenya avaient pu avoir vent de son orientation bisexuelle et que la lettre ne présentait aucune caractéristique de sécurité ou d’identification pour étayer son authenticité. Par conséquent, la SPR a accordé peu de valeur probante à cette lettre pour établir l’orientation sexuelle du demandeur, et a conclu que cet élément de preuve n’était pas suffisant pour lever les doutes au sujet de la crédibilité du demandeur.

[20]           Le manque de crédibilité du demandeur concernant la fourniture de renseignements au sujet de ses partenaires homosexuels a porté atteinte à sa crédibilité générale et a miné ses allégations de risque pour sa vie en raison de son orientation sexuelle.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[21]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.      Les constatations de la SPR quant à la crédibilité étaient­elles déraisonnables?

2.      A­t­on refusé l’équité procédurale au demandeur?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[22]           La Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir) a décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans tous les cas. En revanche, lorsque la norme de contrôle applicable à la question en cause est bien établie en jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque la jurisprudence est muette ou qu’elle semble incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que l’examen des quatre facteurs de cette analyse est nécessaire : Agraira c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[23]           En ce qui concerne la première question, les deux parties conviennent, et j’accepte, que la norme de contrôle judiciaire appropriée relativement aux conclusions de la SPR sur la crédibilité est celle du caractère raisonnable : Lumaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 763, au paragraphe 25; Wu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, au paragraphe 17; Navarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 358, aux paragraphes 11 à 13.

[24]           Le demandeur affirme qu’on lui a refusé l’équité procédurale parce que la SPR a commis une erreur au moment de déterminer s’il fallait admettre la preuve présentée après l’audience. La deuxième question est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte : Behary c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 794, au paragraphe 6; Khela c. Établissement de Mission, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Cox c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1220, au paragraphe 79 [Cox].

[25]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon le caractère raisonnable, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir Dunsmuir, précité, paragraphe 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[26]       Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Définition de « réfugie »

Convention Refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well­founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant:

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles­ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or Medical care.

Crédibilité

Credibility

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

Preuve

No credible basis

107. (2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande.

107. (2) If the Refugee Protection Division is of the opinion, in rejecting a claim, that there was no credible or trustworthy evidence on which it could have made a favourable decision, it shall state in its reasons for the decision that there is no credible basis for the claim.

[27]           Les dispositions suivantes des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012­25 [Règles de la SPR], sont applicables en l’espèce :

Communication de documents par une partie

Disclosure of documents by party

34 (1) Pour utiliser un  document à une audience, une partie en transmet une copie à l’autre partie, le cas échéant, et une copie à la Section.

34 (1) If a party wants to use a document in a hearing, the party must provide a copy of the document to the other party, if any, and to the Division.

Preuve de transmission

Proof that document was provided

(2) La copie du document transmise à la Section est accompagnée d’une déclaration écrite indiquant à quel moment et de quelle façon la copie a été transmise à l’autre partie, le cas échéant.

(2) The copy of the document provided to the Division must be accompanied by a written statement indicating how and when a copy of that document was provided to the other party, if any.

Délai

Time limit

(3) Les documents transmis en application de la présente règle doivent être reçus par leurs destinataires au plus tard, selon le cas :

(3) Documents provided under this rule must be received by their recipients no later than

a) dix jours avant la date fixée pour l’audience;

b) si le document est transmis en réponse à un document reçu d’une partie ou de la Section, cinq jours avant la date fixée pour l’audience.

(a) 10 days before the date fixed for the hearing; or (b) five days before the date fixed for the hearing if the document is provided to respond to another document provided by a party or the Division.

Utilisation d’un document non communiqué

Use of undisclosed documents

36 La partie qui ne transmet pas un document conformément à la règle 34 ne peut utiliser celui­ci à l’audience à moins d’une autorisation de la Section. Pour décider si elle autorise ou non l’utilisation du document à l’audience, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

36 A party who does not provide a document in accordance with rule 34 must not use the document at the hearing unless allowed to do so by the Division. In deciding whether to allow its use, the Division must consider any relevant factors, including

a) la pertinence et la valeur probante du document;

(a) the document’s relevance and probative value;

b) toute nouvelle preuve que le document apporte à l’audience;

(b) any new evidence the document brings to the hearing; and

c) la possibilité qu’aurait eue la partie, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre le document aux termes de la règle 34.

(c) whether the party, with reasonable effort, could have provided the document as required by rule 34.

Documents après l’audience

Documents after hearing

43 (1) La partie qui souhaite transmettre à la Section après l’audience, mais avant qu’une décision prenne effet, un document à admettre en preuve, lui présente une demande à cet effet.

43 (1) A party who wants to provide a document as  evidence after a hearing but before a decision takes effect must make an application to the Division.

Demande

Application

(2) La partie joint une copie du document à la demande, faite conformément à la règle 50, mais elle n’est pas tenue d’y joindre un affidavit ou une déclaration solennelle.

(2) The party must attach a copy of the document to the application that must be made in accordance with rule 50, but the party is not required to give evidence in an affidavit or statutory declaration.

Éléments à considérer

Factors

(3) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

(3) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

(a) la pertinence et la valeur probante du document;

(a) the document’s relevance and probative value;

(b) toute nouvelle preuve que le document apporte aux procédures;

(b) any new evidence the document brings to the proceedings; and

(c) la possibilité qu’aurait eue la partie, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre le document aux termes de la règle 34.

(c) whether the party, with reasonable effort, could have provided the document as required by rule 34.

VII.          ARGUMENTS

A.                Question en litige 1 ­ Les constatations de la SPR quant à la crédibilité étaient­elles déraisonnables?

(1)               Demandeur

[28]           Le demandeur soutient que les conclusions négatives de la SPR quant à la crédibilité sont déraisonnables pour quatre principaux motifs. Premièrement, le demandeur soutient que les détails qui, selon la SPR, auraient dû être inclus dans le formulaire FDA, étaient des renseignements complémentaires et que, par conséquent, la SPR n’aurait pas dû tirer une conclusion négative découlant de cette omission. Le défaut de mentionner des faits importants ou des faits clés relatifs à la persécution est un motif raisonnable de préoccupation, mais l’omission de détails accessoires ou techniques ne l’est pas : Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF no 1867; Feradov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 101, au paragraphe 18. De plus, les incohérences et les contradictions sont des fondements plus fiables sur lesquels on peut tirer des conclusions négatives quant à la crédibilité : Rahal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 45 [Rahal].

[29]           La SPR a déterminé que le demandeur aurait dû spécifiquement nommer ses partenaires homosexuels dans le formulaire FDA (y compris l’étudiant plus âgé du secondaire, Clive, et l’homme de Minneapolis, Benjamin). Le demandeur soutient que ces omissions sont des éléments techniques plutôt que des éléments de fond, puisque les noms en question correspondent à des personnes mentionnées dans l’exposé des faits. De plus, le demandeur n’a pas hésité à fournir ces noms lorsqu’il a été questionné en ce sens au cours de l’audience.

[30]           Deuxièmement, le demandeur soutient que la SPR a conclu de façon déraisonnable que sa description de Benjamin à titre de personne « bisexuelle » plutôt que de personne « hétérosexuelle avec des tendances homosexuelles » constitue une contradiction. Le demandeur affirme que cette incohérence est une question de sémantique. La SPR a non seulement ignoré le fait que la description du demandeur au sujet de Benjamin, c’est­à­dire un « homosexuel avec des tendances homosexuelles », a été effectuée avec une référence explicite au fait que Benjamin utilisait lui­même ces mots pour se décrire, mais la SPR a également ignoré que le demandeur avait affirmé que les descriptions sont essentiellement interchangeables. Cette affirmation est appuyée par les lignes directrices du Haut­Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR) touchant les demandes fondées sur l’orientation sexuelle.

[31]           Troisièmement, le demandeur mentionne que son témoignage au sujet de Benjamin n’était pas « vague ». La conclusion contraire de la SPR n’était étayée par aucun élément et exemple – cette conclusion ne satisfait pas à la norme de caractère « raisonnable » et la Cour devrait intervenir.

[32]           Quatrièmement, en ce qui concerne Michael et le fait que la SPR ait reproché au demandeur de ne pas avoir mentionné cette personne dans le formulaire FDA, le demandeur mentionne que l’examen de son témoignage démontre qu’il n’a jamais parlé de Michael comme de son « partenaire », et qu’il n’y avait aucun élément contredisant l’énoncé des faits du formulaire de FDA précisant que ses relations sexuelles au Kenya n’étaient rien d’autre que des relations ouvertes « sans engagement ». En outre, le demandeur n’a pas été « vague » dans sa description de Michael, contrairement à ce qui est indiqué dans la décision. Il a fourni des détails précis concernant les endroits qu’ils ont visités ensemble, ainsi que sur les études et la date de naissance de Michael. Le demandeur soutient qu’il n’existe aucun motif valable pour que la SPR s’attende à ce que celui­ci se souvienne, plus de 12 ans après le fait, de la date de sa première rencontre avec Michael et de la nature de leur discussion au cours de cette rencontre : Sheikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 568, au paragraphe 28; Samseen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 542, aux paragraphes 9 et 33.

[33]           Le demandeur affirme que la conclusion de crédibilité négative générale tirée à son sujet était déraisonnable. Même si la Cour accepte qu’il y ait eu certains doutes au sujet de la crédibilité, son intervention est néanmoins justifiée parce que la décision de rejet de la demande s’appuyait seulement sur la base de l’ensemble des conclusions soutenues concernant la crédibilité : Rusznyak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 255, au paragraphe 47 [Rusznyak]; Huerta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 586, au paragraphe 21.

(2)               Défendeurs

[34]           Les défendeurs soutiennent que la SPR n’a clairement pas fondé sa décision exclusivement sur l’absence de noms dans le formulaire FDA. Plutôt, la SPR, qui a fait remarquer que les instructions du formulaire FDA indiquent précisément qu’il faut fournir des détails comme les dates, les noms et les lieux, a conclu qu’il manquait des renseignements dans le formulaire FDA du demandeur, plus particulièrement en ce qui concerne ses relations homosexuelles alléguées.

[35]           La SPR a raisonnablement conclu que le demandeur avait fait des omissions importantes concernant sa relation avec une autre personne aux États­Unis, ainsi que sa deuxième relation au Kenya. Ce manque de détails précis contrastait de façon marquée avec les descriptions approfondies que le demandeur a données au sujet de ses relations hétérosexuelles.

[36]           Les défendeurs affirment que les tribunaux ont conclu que les questions d’évaluation de la valeur probante des éléments de preuve est de la compétence exclusive de la SPR et que le rôle de la Cour est de réexaminer la valeur des éléments de preuve. Une intervention judiciaire n’est pas justifiée du simple fait que plus d’une conclusion peut être tirée des éléments de preuve : Brar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF nº 435, aux paragraphes 10 et 11 (CA); Rincon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 407, au paragraphe 19; Medarovik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 61, au paragraphe 16.

[37]           Les défendeurs affirment également que la présomption de la véracité d’un témoignage sous serment peut être réfutée lorsque la preuve documentaire ne contient pas l’information qu’on peut s’attendre d’y trouver : Bhagat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1088, au paragraphe 13; Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF nº 114, au paragraphe 1. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à fournir des éléments de preuve suffisamment crédibles pour étayer ou corroborer sa demande lorsque ces éléments pouvaient être facilement obtenus. Pour ce motif, ainsi pour le fait que le demandeur n’a pas été en mesure d’expliquer cette absence de corroboration, il était justifié de tirer une conclusion négative : Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 850; Osman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 921, aux paragraphes 38 et 39.

[38]           Les défendeurs soutiennent également que même lorsque la SPR commet une erreur dans une conclusion d’invraisemblance, pour autant que sa conclusion globale de manque de crédibilité du demandeur n’a pas été rendue de façon arbitraire ou abusive ou sans tenir compte des éléments de la preuve, la Cour ne devrait pas intervenir : Pan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 515. De plus, même si certaines des conclusions de manque de crédibilité sont erronées, elles ne doivent mener à une révision que lorsque ces conclusions erronées viennent vicier l’ensemble des conclusions sur la crédibilité : Agbon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1573.

(3)               Réponse du demandeur

[39]           Le demandeur affirme que même si les conclusions de crédibilité de la SPR font généralement l’objet d’une retenue, la SPR ne possède pas carte blanche pour faire abstraction de la présomption de véracité d’un témoignage sous serment d’un réfugié.

[40]           Dans la présente affaire, la SPR n’a pas cru à la bisexualité du demandeur en basant presque la totalité de sa détermination sur le fait qu’il manquait des renseignements dans le formulaire FDA. La Cour a souligné que les contradictions et invraisemblances sont les fondements les plus appropriés pour justifier une conclusion globale défavorable relative à la crédibilité. Les omissions peuvent jouer un rôle pour étayer une conclusion quant à la crédibilité générale, mais « il est préférable qu’il y ait des faits objectifs additionnels pour justifier la conclusion »; Rahal, précitée, au paragraphe 45. Aucun de ces « faits objectifs additionnels » n’est présent dans la décision afin d’étayer les conclusions négatives de la SPR au sujet de la crédibilité. Aucune invraisemblance n’a été relevée et une seule contradiction a été mentionnée, soit que, pour décrire un ancien partenaire, le demandeur a utilisé le terme « bisexuel » dans le formulaire FDA et l’expression « homosexuel avec des tendances hétérosexuelles » au cours de l’audience. Le tribunal ne peut pas monter en épingle des contradictions purement banales ou dérisoires pour rejeter une demande : Rahal, précitée, au paragraphe 43. De plus, les défendeurs n’ont pas pris en compte l’argument sur l’orientation sexuelle énoncée dans les lignes directrices du Haut­Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR), lequel met en garde sur le fait de présumer que le terme « bisexuel » signifie que la personne est attirée de façon égale par les hommes et les femmes.

[41]           Le demandeur affirme qu’on devrait faire preuve de moins de déférence envers les conclusions de la SPR concernant le fait que des détails ont été omis dans le formulaire FDA, ou les allégations que le demandeur a été vague dans sa déclaration.

[42]           Le formulaire FDA ne demande pas de fournir une description détaillée de l’historique sexuelle d’un demandeur. Dans le formulaire, on pose des questions comme « Avez­vous, vous ou votre famille, déjà subi un préjudice, de mauvais traitements ou des menaces dans le passé de la part d’une personne ou d’un groupe? » et « Si vous retourniez dans votre pays, croyez­vous que vous subiriez un préjudice, des mauvais traitements ou des menaces de la part d’une personne ou d’un groupe? ». Le demandeur a répondu à ces questions dans son exposé des faits il n’a fait aucune omission concernant les aspects importants de sa demande. La SPR s’est intéressée à des faits et détails qui non seulement ne sont pas demandés dans le formulaire FDA, mais qui représentent de l’information générale et contextuelle. Le demandeur soutient que cette façon de procéder a mené à la création de règles arbitraires concernant le niveau de détails attendu.

[43]           Le demandeur soutient que puisque les conclusions tirées par la SPR au sujet de la crédibilité étaient « cumulatives », si la Cour détermine que certaines de ces conclusions sont déraisonnables, la Cour doit intervenir parce qu’on ne peut savoir si, sans ces erreurs, la SPR serait parvenue aux mêmes conclusions au sujet de la crédibilité générale : Rusznyak, précitée, au paragraphe 47.

B.                 Question en litige 2 – A­t­on refusé l’équité procédurale au demandeur?

(1)               Demandeur

[44]           Le demandeur soutient qu’on lui a refusé l’équité procédurale parce que les documents que son avocat a fournis après l’audience de la SPR n’ont pas été considérés adéquatement, conformément aux Règles. L’article 43 des Règles prévoit clairement la possibilité d’admettre les éléments de preuve présentés après l’audience et exige de la SPR, lorsqu’elle est confrontée à ces éléments, de considérer ces derniers en fonction des trois facteurs énumérés au paragraphe 43(3) : (a) la pertinence et la valeur probante du document; (b) toute nouvelle preuve que le document apporte aux procédures; (c) la possibilité qu’aurait eue la partie, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre le document avant l’audience. La Cour a soutenu que bien que la SPR a le pouvoir discrétionnaire d’admettre ou de refuser des éléments de preuve soumis après l’audience, elle doit considérer ces trois facteurs : Cox, précité, aux paragraphes 26 et 27.

[45]           En examinant seulement si le demandeur pouvait fournir les documents tel qu’il est requis, on a refusé l’équité procédurale au demandeur en ne tenant pas compte des deux autres facteurs énumérés. Pour le client, il est clair que l’article du New York Times sur la bisexualité aurait pu satisfaire aux deux premiers facteurs du paragraphe 43(3) des Règles. L’article illustre comment la SPR a commis une erreur en mettant l’accent sur la différence entre les étiquettes de personne « bisexuelle » et personne « hétérosexuelle avec des tendances homosexuelles » dans un domaine de la sexualité humaine rempli de zones grises et d’un manque de compréhension.

[46]           En ce qui concerne la lettre de la tante du demandeur, ce dernier affirme que le fait que la lettre fasse référence directement à son orientation sexuelle et indique que cette information a été transmise aux membres de sa famille au Kenya font en sorte qu’elle est pertinente et qu’elle a une valeur probante, fait dont la SPR a fait fi.

[47]           Le demandeur soutient qu’il est bien établi en droit que, sauf lorsque la question en réexamen correspond à une question de droit aboutissant à une réponse inévitable, un déni d’équité procédurale justifiera presque toujours l’annulation d’une décision et son renvoi pour réexamen : Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, au paragraphe 23. En ce qui a trait aux deux documents rejetés, on ne peut affirmer qu’il n’aurait pas modifié la décision. Cela est particulièrement vrai parce que la décision était fondée explicitement sur la conclusion négative générale et la nature cumulative des conclusions de la SPR, tel que l’illustre l’énoncé suivant de la décision : « prises individuellement, les préoccupations en matière de crédibilité soulevées peuvent ne pas être déterminantes ou fatales pour la demande de [demandeur]. »

(2)               Défendeurs

[48]           Les défendeurs affirment que la demande du demandeur pour que la SPR accepte les éléments de preuve soumis après l’audience n’était pas conforme aux Règlements et que, ainsi, la SPR avait fourni des motifs adéquats étayant son refus de ces éléments.

[49]           Les défendeurs ne s’opposent pas à l’ajout par le demandeur de nouveaux éléments de preuve dans le dossier de demande (par l’entremise de l’affidavit Navaneelan, qui comprend la lettre de la tante et l’article du New York Times) pour la question limitée d’équité procédurale. Cependant, ils s’opposent au paragraphe 6 de l’affidavit puisque cette information n’a jamais été soumise à la SPR et devrait par conséquent être radiée.

[50]           En ce qui concerne l’argument du demandeur selon lequel le refus par la SPR d’accepter la lettre de la tante et l’article du New York Times constitue une erreur susceptible de contrôle, les défendeurs soutiennent qu’il est établi clairement que la SPR n’est pas tenue d’admettre de telles soumissions après une audience : Farkas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 542, au paragraphe 12.

[51]           Les défendeurs soutiennent que le demandeur n’a pas présenté une demande appropriée pour soumettre des éléments de preuve après une audience et que, par conséquent, la décision de la SPR de ne pas accepter ces documents ne constituait pas une erreur. Le demandeur a inclus une lettre d’accompagnement seulement pour l’article du New York Times, et non pas pour la lettre de la tante. La lettre d’accompagnement indiquait que l’article a été soumis pour aborder des questions soulevées à l’audience et que cet article est pertinent et probant, mais elle n’explique pas comment. Les défendeurs soutiennent qu’il n’est pas clair comment cet article aborde les omissions et contradictions du demandeur.

[52]           Aucun document n’a été présenté pour expliquer la pertinence et la valeur probante de la lettre de la tante. Comme pour la lettre transmise par la mère du demandeur qui a été prise en considération par la SPR, les défendeurs soutiennent que la lettre de la tante ne présentait aucune caractéristique ou marque permettant d’étayer son authenticité. De toute façon, les défendeurs affirment que la lettre n’explique pas comment les membres de la famille du demandeur au Kenya ont découvert que le demandeur était bisexuel et qu’elle n’élimine pas les doutes sur la crédibilité du demandeur.

[53]           Les défendeurs soutiennent qu’en raison du peu de renseignements soumis avec ces documents, il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale dans la décision concernant l’admission d’éléments de preuve présentés après l’audience. Même si ces éléments avaient été admis, un nombre important de conclusions négatives sur la crédibilité du demandeur seraient demeurées inchangées en raison des omissions et des incohérences du demandeur. Cette question ne devrait ainsi pas être renvoyée pour réexamen en s’appuyant sur un tel fondement : Yassine c. Canada (Emploi et Immigration) (1994), 172 NR 308, 48 ACWS (3d) 1434 (CAF).

VIII.       ANALYSE

[54]           La question déterminante pour la SPR était la crédibilité. En l’espèce, on a déterminé que la crédibilité du demandeur faisait défaut pour les motifs suivants :

a)      Le demandeur n’a pas fourni le nom de Clive dans le formulaire FDA « ou autres détails concernant la relation mentionnée au cours de son témoignage à l’audience »;

b)      Le demandeur a été « vague, évasif et hésitant au moment de décrire sa première rencontre avec Michael » à Nairobi, en 2002;

c)      Lorsqu’on a demandé au demandeur quelles activités de couple il avait faites avec Michael, il a « nommé plusieurs chutes situées au Kenya, dont les chutes Thomson, ainsi que des parcs nationaux que lui et Michael ont prétendument visités, mais il n’a donné aucun détail supplémentaire concernant le temps qu’ils ont passé ensemble »;

d)     Le demandeur n’a « fait aucunement mention de Michael dans son formulaire FDA » et n’a « fait allusion à aucune relation homosexuelle au Kenya plus sérieuse que des rencontres occasionnelles »;

e)      Le demandeur n’a pas « témoigné d’une façon non hésitante et spontanée au moment de décrire sa relation avec Michael » et « a été vague et allusif quant aux détails sur leur temps passé ensemble et a seulement été capable de nommer des lieux célèbres au Kenya »;

f)       Le demandeur n’a pas fourni le nom de Benjamin dans son formulaire FDA et « Étant donné que la relation du demandeur avec Benjamin est la seule relation sur une base régulière qu’il a eue aux États­Unis », il était « raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur soit capable de donner des détails d’une manière complète et transparente, sans être hésitant ou évasif…. »; Le demandeur a plutôt été « vague dans son témoignage et n’a fourni aucun détail sur Benjamin dans son formulaire FDA, en plus d’omettre d’y inscrire de l’information de base au sujet de sa relation avec Benjamin, incluant son nom et des dates pertinentes »;

g)      Le demandeur a décrit Benjamin comme étant une personne « bisexuelle dans son formulaire FDA, mais comme une personne hétérosexuelle avec des tendances homosexuelles dans son témoignage. » Il s’agit d’une incohérence et « étant donné que la seule relation homosexuelle régulière du demandeur aux États­Unis a été avec Benjamin et que leur amitié a duré de 2009 à 2014, le tribunal conclut qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur soit au courant de l’orientation sexuelle de Benjamin et que ses connaissances à ce sujet soient cohérentes »;

h)      Le demandeur n’a pas mentionné sa relation avec Jazmine dans son formulaire FDA et n’a pas « fourni une explication raisonnable pour avoir omis de parler de cette relation avec Jazmine. » La « relation avec Jazmine a duré deux ans, de 2011 à 2013, et... le demandeur a déterminé que cet élément était assez important pour qu’il le mentionne au cours de son témoignage »;

i)        Contrairement aux renseignements qu’il a donnés concernant ses relations homosexuelles alléguées, le demandeur a fourni les noms complets des deux femmes avec lesquelles il a eu une relation, en ajoutant « les dates et les périodes (sic) associées à ces relations, ainsi que des renseignements généraux à ce sujet dans le formulaire FDA. » De plus, le demandeur a « facilement répété ces détails d’une manière cohérente, franche et spontanée lorsqu’il a relaté les faits associés à ses relations avec ces femmes. » Il serait « raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur puisse fournir des détails similaires concernant ses relations homosexuelles »;

j)        Un « nombre insuffisant d’éléments de preuve convaincants a été présenté au tribunal pour permettre de conclure que les membres de la famille du demandeur ont vraiment été informés de l’orientation bisexuelle du demandeur. »

[55]           La seule discordance relevée par la SPR est liée au « manque de cohérence concernant la description de l’orientation sexuelle de Benjamin…. » Un examen de la transcription révèle qu’il n’y a pas eu d’incohérence et que, de toute façon, la différence entre « bisexuel » et « hétérosexuel avec des tendances homosexuelles » est non significative dans le contexte d’une identité sexuelle de nature « fluctuante ». Le demandeur fournissait seulement la vision personnelle de Benjamin de sa propre sexualité et n’était pas incohérent dans les propos rapportés.

[56]           Ainsi, dans l’ensemble, le fondement général de la décision est le manque de détails dans le formulaire FDA concernant les relations homosexuelles et l’incapacité du demandeur à offrir un témoignage complet, franc et sans hésitations ou imprécisions au moment de relater les faits au cours de l’audience. Ces éléments sont encore plus révélateurs pour la SPR lorsqu’ils sont comparés aux détails que le demandeur a fournis dans son formulaire FDA au sujet de ses relations avec des femmes et le caractère complet de son témoignage à l’audience touchant ces mêmes relations.

[57]           Le demandeur a demandé à la Cour d’examiner la transcription et de conclure que, dans les faits, son témoignage au sujet de ses relations homosexuelles n’était pas vague ou évasif. La manière de témoigner du demandeur est difficile à déterminer à partir d’une transcription. Il fallait être présent à l’audience pour pouvoir évaluer la nature et les détails de son témoignage. C’est précisément pour cette raison que la Cour s’en remet toujours au SPR pour donner une interprétation des témoignages. Voir Rusznyak, précité, au paragraphe 47; Aguebor c. Canada (Emploi et Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF), au paragraphe 4; Palden c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 787.

[58]           Dans la présente affaire, les doutes sur la crédibilité du demandeur ne reposent pas uniquement sur l’omission de détails dans le formulaire FDA. Par exemple, dans le cas de la relation du demandeur avec Benjamin, le raisonnement de la SPR est le suivant :

Puisque la relation du demandeur avec Benjamin était la « seule relation sur une base régulière » qu’il a eue aux États­Unis, le tribunal conclut qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur soit en mesure de donner des détails au sujet de cette relation d’une manière complète et transparente, sans être hésitant ou évasif; cependant, le demandeur a été vague dans son témoignage et n’a pas fourni une description de sa relation avec Benjamin dans les détails et, de surcroît, a oublié de donner des renseignements de base au sujet de Benjamin, y compris son nom et des dates pertinentes, dans son formulaire FDA.

[59]           Par conséquent, ce n’est pas seulement l’omission du nom de Benjamin et des détails dans le formulaire FDA qui posent problème au SPR; c’est également la manière avec laquelle le demandeur a fourni ces détails dans son témoignage au cours de l’audience. Et cela contraste avec les détails et le témoignage que le demandeur a donnés au sujet de ses relations avec des femmes :

[traduction]

[12] Le demandeur fournit des détails au sujet de deux femmes avec lesquelles il a eu des relations aux États­Unis : Vanessa Shakur et Evelyn Kamau. Le demandeur fournit les noms complets de ces femmes, les dates et les périodes associées des relations, ainsi que les renseignements généraux de ces relations dans le formulaire FDA. Le demandeur a facilement répété ces détails d’une manière cohérente, franche et spontanée lorsqu’il a relaté les faits associés à ses relations avec ces femmes. Le tribunal estime que la description franche et détaillée que le demandeur a donnée au sujet de ses relations avec les deux femmes est nettement en contraste avec les descriptions insuffisantes des relations homosexuelles qu’il a eues. Dans ces descriptions, le demandeur a omis des renseignements importants dans son formulaire FDA, comme les noms de ses partenaires homosexuels et les dates de ses relations. Le tribunal a conclu que cela vient miner davantage les explications précédentes du demandeur sur le fait qu’il n’a pas reçu de conseils pour rédiger son exposé des faits dans son formulaire FDA et qu’il n’était pas au courant de l’étendue des détails qu’il devait fournir dans ce formulaire. Étant donné que le demandeur a fourni des renseignements détaillés de ses relations avec Vanessa Shakur et Evelyn Lamau, y compris les dates et les noms, le tribunal estime raisonnable de conclure que le demandeur pouvait savoir ou savait qu’il devait fournir des détails similaires au sujet de ses relations homosexuelles. Le demandeur ne l’a pas fait. Par conséquent, le tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités, qu’il possède suffisamment d’éléments de preuve convaincants pour conclure que le demandeur est attiré par les femmes et qu’il a eu des relations avec des femmes, mais qu’il manque de crédibilité lorsqu’il allègue sa bisexualité.

[60]           Autrement dit, la SPR n’a pas trouvé que le demandeur était convaincant au sujet de ses relations homosexuelles parce qu’il n’a pas fourni les détails requis dans le formulaire FDA, et que les détails qu’il a fourni au cours de l’audience n’étaient pas probants parce qu’il ne les a pas présentés d’une manière complète et transparente, sans être hésitant ou évasif, contrairement à ce qu’il a fait pour ses relations avec des femmes.

[61]           En fin de compte, il s’agit d’une question touchant la façon dont le demandeur a témoigné au cours de l’audience et, à cet égard, il est difficile pour la Cour d’affirmer que la SPR est déraisonnable dans sa conclusion parce que la Cour n’était pas présente et ne peut pas elle­même évaluer si le demandeur a été vague, évasif et hésitant. La transcription n’offre pas nécessairement ce type d’information. Cependant, la transcription de l’audience est révélatrice sur quelques points. Par exemple, lorsque la SPR pose des questions au demandeur au sujet de Benjamin, il répond clairement à toutes les questions. La SPR affirme que son témoignage était  « vague », mais ne donne pas de précisions à ce sujet. En fait, lorsque je compare le témoignage du demandeur concernant Benjamin à celui concernant sa relation avec une femme à laquelle la SPR fait référence, il n’y a pas de différence décelable en matière d’imprécision.

[62]           Cependant, avant tout, le demandeur a soulevé des questions d’équité procédurale au sujet des documents qu’il a soumis après l’audience et que la SPR a refusé d’admettre.

[63]           L’article de 2014 du New York Times au sujet de la nature « dynamique » de l’identité sexuelle ne touche que la question de contradiction que j’ai mentionnée ci­dessus et qui, selon moi, est un élément assez important pour annuler l’ensemble de la décision.

[64]           Toutefois, le demandeur a également soumis une lettre de sa tante de St. Paul, Minnesota, qui vient corroborer l’orientation bisexuelle du demandeur et les menaces de mort proférées contre lui au Kenya. Cet élément de preuve revêt une importance capitale pour étayer l’allégation du demandeur concernant les dangers auxquels il est exposé s’il retourne au Kenya.

[65]           La SPR possède le pouvoir discrétionnaire d’admettre ou de refuser des éléments de preuve soumis après une audience, mais elle doit exercer ce pouvoir conformément à la règle 43. En l’espèce, la SPR a tout simplement exclu la lettre de la tante parce que, selon la SPR, le demandeur aurait pu la fournir à temps pour l’audience. Cependant, la SPR doit effectuer une analyse plus approfondie lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire d’accepter ou refuser des éléments de preuve après une audience. L’orientation donnée par le juge Near dans la décision Cox c. Canada, précitée, aux paragraphes 26 et 27 est utile à cet égard :

[26]      « Je ne suis pas convaincu que la Commission a respecté ses obligations au titre de l’équité procédurale en l’espèce. Bien qu’elle n’ait pas tout simplement tenu aucun compte des éléments de preuve présentés, comme cela avait été le cas dans les affaires Nagulesan et Howlader, précitées, la Commission a seulement soupesé un des éléments énumérés au paragraphe 37(3) des Règles. Je conviens avec les demandeurs que la pertinence et la valeur probante des documents constituaient des éléments importants que la Commission aurait dû prendre en considération dans son traitement de la demande d’autorisation à produire des éléments de preuve après l’audience, compte tenu en particulier du fait que l’autre motif de refus de la demande d’asile des demandeurs est lié à la vraisemblance de leur récit ».

[27]      « La Commission a souligné que les demandeurs avaient été représentés par un conseil versé en matière de droit des réfugiés à toutes les époques pertinentes tout au long de l’instance, qu’ils  n’avaient pas expliqué pourquoi les éléments de preuve n’avaient pas été communiqués plus tôt et qu’ils n’avaient pas expliqué pourquoi ils ne semblaient pas avoir fait d’efforts raisonnables pour obtenir les documents avant la fin de l’audience – des considérations qui relèvent toutes de l’alinéa 37(3)c) des Règles. Néanmoins, la Commission était tenue de prendre en considération la pertinence, la valeur probante et le caractère nouveau des documents, c’est­à­dire les facteurs énumérés aux alinéas 37(3)a) et b) des Règles. Bien que la liste des facteurs à prendre en considération aux termes du paragraphe 37(3) ne soit pas exhaustive, l’emploi du mot « incluant » plutôt que des mots « tel que » avant l’énumération des facteurs en question indique que le législateur a voulu que chacun des facteurs énumérés à cette disposition soit pris en considération. Ne pas le faire constitue un manquement à l’équité procédurale. »

[66]           En l’espèce, la SPR était tenue de prendre en considération la pertinence et la valeur probante de la lettre de la tante. À mon avis, la lettre de la tante possède une pertinence et une valeur probante très élevées en regard de la question principale de la demande. Par conséquent, j’estime que si la Commission avait pris ces éléments en considération, la lettre aurait peut­être été admise.

[67]           Les défendeurs font valoir que le demandeur n’a pas présenté une demande adéquate pour soumettre des éléments de preuve après une audience. Cependant, cette façon de faire fait passer la forme avant le fond. Les défendeurs ont également invoqué des raisons expliquant pourquoi la lettre de la tante devait être exclue ou rejetée (si elle avait été prise en considération), mais ce ne sont pas les mêmes raisons que la SPR a utilisées. Ce qui est en cause ici c’est le pouvoir discrétionnaire de la SPR. Dans le présent cas, la SPR a exclu la lettre en raison du moment de sa soumission (après l’audience), sans évaluer sa pertinence et sa valeur probante. De plus, on ne peut tenir pour acquis que la SPR aurait traité la preuve directe de la tante, c’est­à­dire la lettre, de la même façon qu’elle a traité la lettre de la mère. Et, bien entendu, si la lettre de la tante avant été admise, cela aurait pu avoir une incidence sur l’analyse de la lettre de la mère par la SPR.

[68]           Tout bien considéré et abstraction faite de toute autre considération, j’estime qu’il existe suffisamment de doutes au sujet de l’équité procédurale pour demander un réexamen.

[69]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un tribunal de la SPR constitué différemment.

2.      Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2852-15

 

INTITULÉ :

SAMUEL WANYOIKE KAMAU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 mars 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

John Norquay

Pour le demandeur

 

Alex C. Kam

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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