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Date : 20160414


Dossier : IMM-4242-15

Référence : 2016 CF 410

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

BESSEM CHTIOUI

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

Partie défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] d'une décision de l'agent d'exécution de la loi ordonnant l’exécution d’une mesure de renvoi datée le 19 septembre 2015 [la décision], communiquée verbalement au demandeur [M. Chtioui] le 14 septembre 2015. Le demandeur tente de faire infirmer la décision et d’ordonner son retour au Canada conformément à l’article 52(2) de la LIPR, ou subsidiairement, d’ordonner que l’article 52(1) de la LIPR ne lui soit pas applicable.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

II.                Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen de la Tunisie. Il est arrivé au Canada le 21 octobre 2010, muni d’un visa de visiteur valide pour six mois et n’a pas quitté le pays à son expiration.

[4]               Le 13 janvier 2012, le demandeur a été interpellé par la police et le lendemain, soit le 14 janvier 2012, il a été transféré à l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC].

[5]               Le 16 janvier 2012, l’ASFC a émis une mesure de renvoi contre M. Chtioui. Il a été libéré sous conditions, notamment l’obligation de communiquer tout changement d’adresse résidentielle à un bureau de l’ASFC.

[6]               Ce même jour, le 16 janvier 2012, M. Chtioui a déposé une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] où il a déclaré être venu au Canada pour vivre avec son épouse le temps que sa demande de parrainage soit traitée et qu’il ne ferait face à aucun risque advenant son retour en Tunisie.

[7]               Le 19 novembre 2013, l’ASFC a convoqué M. Chtioui pour lui remettre la décision de l’ERAR, mais il ne s’est pas présenté. Un mandat d’arrestation a alors été émis contre lui le 27 novembre 2013.

[8]               Le 14 septembre 2015, M. Chtioui a été arrêté par le Service de police de Montréal pour conduite avec facultés affaiblies. Suite à cet événement, un agent d’exécution de la loi a remis à M. Chtioui la décision négative rendue le 27 novembre 2013 sur sa demande d’ERAR.

[9]               Le 16 septembre 2015, une demande d’entente de retrait des accusations au pénal à l’encontre du demandeur au moment de son renvoi du Canada a été transmise au procureur de la ville de Montréal.

[10]           Le 17 septembre 2015 à 8h35, le procureur de la ville de Montréal a accepté de retirer les accusations déposées contre le demandeur et a informé l’agent d’exécution de la loi de ce fait.

[11]           Le 17 septembre 2015, M. Chtioui a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de renvoi datée du 14 janvier 2012 et de la décision de l’ERAR datée du 27 janvier 2012.

[12]           Le même jour, M. Chtioui a déposé une requête en sursis d’exécution de renvoi que le juge Martineau a refusé d’entendre.

[13]           Le 17 septembre 2015, le demandeur s’est fait renvoyer du Canada.

III.             Cadre législatif

[14]           Les dispositions pertinentes de la LIPR dans le cas présent sont les suivantes :

48 (2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible

48 (2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and the order must be enforced as soon as possible.

50 Il y a sursis de la mesure de renvoi dans les cas suivants :

50 A removal order is stayed

a) une décision judiciaire a pour effet direct d’en empêcher l’exécution, le ministre ayant toutefois le droit de présenter ses observations à l’instance;

(a) if a decision that was made in a judicial proceeding — at which the Minister shall be given the opportunity to make submissions — would be directly contravened by the enforcement of the removal order;

52 (2) L’étranger peut revenir au Canada aux frais du ministre si la mesure de renvoi non susceptible d’appel est cassée à la suite d’un contrôle judiciaire.

52 (2) If a removal order for which there is no right of appeal has been enforced and is subsequently set aside in a judicial review, the foreign national is entitled to return to Canada at the expense of the Minister.

IV.             Questions en litige

[15]           La présente demande soulève les questions suivantes:

1.      Est-ce que le renvoi du demandeur en Tunisie rend le contrôle judiciaire de la décision de l’ERAR théorique?

2.      Est-ce que la mesure de renvoi prise contre le demandeur a été exécutée dans le cadre de la loi?

V.                Norme de contrôle

[16]           Le demandeur soumet que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision correcte. D’après le paragraphe 25 de la décision Diabate c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 129, le demandeur maintient que la décision relative à l’interprétation de l’article 50(a) de la LIPR, et son règlement d’application, est une question qui échappe à la décision raisonnable et fait appel à l’exception, c’est-à-dire, la décision correcte.

[17]           Contrairement à ce qui précède, je suis d’avis que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, et ce, du fait que l’interprétation de l’article 50(a) de la LIPR n’est pas la question en litige, mais plutôt la question de fait à savoir si une entente existait ou non au moment où l’ASFC a décidé d’exécuter la mesure de renvoi contre le demandeur.

VI.             Analyse

A.                Est-ce que le renvoi du demandeur en Tunisie rend le contrôle judiciaire de la décision de l’ERAR théorique?

[18]           Le défendeur affirme que le renvoi de M. Chtioui en Tunisie rend la demande de contrôle judiciaire de la décision de l’ERAR théorique. Le demandeur, quant à lui, maintient qu’il n’a pas lieu de se pencher sur cette question puisqu’il ne conteste plus cette décision.

[19]           En effet, l’abandon du contrôle judiciaire de la décision de l’ERAR fait en sorte qu’il n’est point nécessaire d’amorcer cette analyse.

B.                 Est-ce que la mesure de renvoi prise contre le demandeur a été exécutée dans le cadre de la loi?

[20]           L’article 50(a) de la LIPR prévoit un sursis administratif d’une mesure de renvoi lorsqu’une « décision judiciaire a pour effet direct d’en empêcher l’exécution », tel le dépôt d’accusations au pénal. Par contre, le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [règlement] prévoit à son article 234(a) ce qui suit :

234 Il est entendu que, pour l’application de l’alinéa 50a) de la Loi, une décision judiciaire n’a pas pour effet direct d’empêcher l’exécution de la mesure de renvoi s’il existe un accord entre le procureur général du Canada ou d’une province et le ministère prévoyant :

a) soit le retrait ou la suspension des accusations au pénal contre l’étranger au moment du renvoi;

[Je souligne.]

[21]           Il n’est pas nécessaire que les accusations soient retirées ou suspendues avant le départ du demandeur, mais simplement qu’un accord quant à leurs retraits existe. En l’espèce, une entente écrite de retrait des accusations sans condition entre le procureur de la ville de Montréal et l’ASFC était en place au moment du renvoi du demandeur, tel qu’il appert de la preuve au dossier. En effet, la preuve démontre que l’entente a été envoyée et retournée par télécopieur la journée même, soit le 17 septembre 2015, avant le renvoi du demandeur qui a eu lieu vers 16h.

[22]           Sur ce point, le demandeur prétend que le procureur et l’ASFC a intentionnellement tenté de le tromper relativement à l’existence de cette entente avant son renvoi en Tunisie. Il maintient que la date inscrite sur le document démontre que l’entente a été prise le 18 septembre 2015, mais que cette date a été modifiée manuellement pour remplacer le numéro 8 pour un 7 ayant comme résultat de changer la date du document du 18 septembre au 17 septembre. Il maintient alors que son renvoi n’a pas été exécuté conformément à l’article 50(a) de la LIPR.

[23]           L’observation du document effectué lors de l’audience révèle que la date inscrite, soit le 17 septembre 2015, est identique aux autres dates présentes sur le document, tels les tampons d’envoi et de réception par télécopieur. Ainsi, les dates étant identiques tant au niveau de la forme que du fond, la Cour ne peut que conclure qu’une entente a effectivement eu lieu le 17 septembre 2015.

[24]           N’ayant plus d’obstacle au renvoi, la mesure était devenue exécutoire et en vertu de l’article 48(2) de la LIPR celle-ci devait être exécutée dès que possible. Dans ces circonstances, l’exécution du renvoi de M. Chtioui a respecté l’entente et l’esprit de la loi.

[25]           Je suis également d’accord avec le défendeur que la validité de la mesure n’est pas un enjeu puisque le demandeur conteste uniquement l’exécution de la mesure et non son bien-fondé. Ainsi, il n’y a pas lieu d’ordonner le retour du demandeur au Canada en vertu de l’article 52(2) de la LIPR. Une telle ordonnance par ailleurs n’apporterait pas au demandeur le remède qu’il recherche, car une mesure de renvoi valide existerait toujours contre ce dernier et une fois arrivé en sol canadien, les autorités procéderaient de nouveau à son renvoi.

[26]           À la lumière de ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question ne sera certifiée pour appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n’est certifiée.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4242-15

INTITULÉ :

BESSEM CHTIOUI v LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 MARS 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

LE 14 AVRIL 2016

COMPARUTIONS :

Hervé Ndedi Penda

pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Lyne Prince

pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hervé N. Penda

Avocat

Montréal (Québec)

pour LA PARTIE DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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