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Date : 20160408


Dossier : T-521-15

Référence : 2016 CF 390

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

BRIAN ABRAHAM

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur se pourvoit, aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7, à l’encontre d’une décision de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Section d’appel), datée du 20 février 2015, confirmant le refus de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission) de lui accorder une semi-liberté ou une libération conditionnelle totale en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC, ch 20 (la Loi).

[2]               Le demandeur soutient que la décision de la Commission, et par la bande celle de la Section d’appel, doit être écartée au motif que la Commission aurait fait défaut de se prononcer sur la valeur persuasive et l’exactitude d’un rapport d’incident dont la Commission fait mention dans sa décision.  Il estime que la Commission aurait ainsi contrevenu aux règles de l’équité procédurale.

[3]               Pour les motifs qui suivent, cet argument ne peut réussir.

II.                Contexte

[4]               Le demandeur purge actuellement une peine d’emprisonnement à perpétuité pour un meurtre au second degré commis en 1987 de même que pour une agression armée commise sur un codétenu en 2008.  Le meurtre a été décrit par le juge du procès comme un « brutal and cold-blooded killing ».  Pour sa part, l’agression armée a nécessité l’hospitalisation du codétenu à qui le demandeur a tenté de trancher la gorge.

[5]               Le dossier correctionnel du demandeur révèle un long passé criminel, qui s’amorce alors que le demandeur a 16 ans, de même qu’un parcours correctionnel tumultueux marqué de violence, de mises en détention préventive, de nombreux transfèrements entre établissements à sécurité maximale et à sécurité moyenne et d’une absence totale de collaboration avec les intervenants du milieu.  Il révèle aussi que toutes les remises en liberté dont le demandeur a pu bénéficier depuis qu’il est incarcéré ont été marquées de récidives.

[6]               Le 5 septembre 2014, le demandeur comparaît devant la Commission aux fins de l’étude de sa demande de libération conditionnelle.  Sa demande est rejetée le même jour.  Après avoir tracé l’historique criminel et carcéral du demandeur, la Commission note ce qui suit :

a)      qu’une évaluation psychologique datée de juillet 2014 identifie un risque de récidive avec violence de modéré à élevé et recommande un passage dans un établissement à sécurité minimum avant d’envisager une mise en liberté conditionnelle;

b)      qu’en décembre 2009, après avoir vu sa classification sécuritaire abaissée et avoir été transféré d’un pénitencier à sécurité maximale à un établissement à sécurité moyenne, le demandeur devient un sujet d’intérêt pour le groupe de sécurité préventive de l’établissement au motif qu’on le soupçonne alors de consommer du tabac et de faire de la contrebande de substances illicites en établissement;

c)      que ce séjour dans cet établissement culmine le 23 novembre 2013 lorsque le demandeur est placé en isolement, de l’information sécuritaire le reliant à un épisode de trafic de substances illicites en établissement;

d)     que le demandeur nie toute implication dans cet incident;

e)      qu’en janvier 2014, le demandeur est transféré dans un autre établissement à sécurité moyenne et qu’à partir de ce moment, son comportement en établissement s’améliore bien que, suivant son équipe de gestion de cas, il continue à démontrer peu d’ouverture envers les intervenants de l’équipe et à présenter un risque de récidive à tout le moins modéré.

[7]               La Commission estime que le demandeur continue de présenter un risque inacceptable pour la société et que sa libération ne contribuerait pas à la protection de celle-ci en favorisant la réinsertion sociale du demandeur en tant que citoyen respectueux des lois.  Elle note que malgré les efforts entrepris par le demandeur pour engager une réflexion sérieuse sur sa criminalité et les facteurs qui ont pu y contribuer, celui-ci a continué « until relatively recently » à faire de mauvais choix.  Elle est ainsi d’avis que le demandeur doit poursuivre son travail d’introspection afin de prendre le contrôle de sa vie et de réussir son retour en société, une chose que, selon la Commission, le demandeur a le potentiel de faire.

[8]               La Commission conclut en ces termes :

After careful analysis of your file and the hearing, the Board observes that you are engaged in serious reflection on your criminality and your contributing factors.  As you indicated, your psychological counseling really helped you in understanding the source of your negative choices and of the presence of such gratuitous violence in your offences.  You indicated that you identified three triggers to your violence which are fear, pride and anger.

The Board keeps in mind that your criminality led to the loss of the life of a human being for whom you seem to present with sincere regrets.  Nevertheless, the Board cannot omit the fact that you continued your negative choices while incarcerated until very recently.

In this regard, the Board concludes that you must continue your reflection in order to deepen you understanding of your dynamics and your vulnerabilities.

In addition, the views expressed at the hearing highlight that you do not yet present with a clear perception of the challenge that will represent your reinsertion.

Your openness with your CMT is the key to being able to consider options available to support you in your reinsertion.  You need to accept to take the time needed before your release and to plan a very gradual reinsertion process to increase your chances of succeeding on the long term.

[9]               Le 25 février 2015, la Section d’appel maintenait la décision de la Commission, la jugeant conforme aux exigences de la Loi et raisonnable.

III.             Question en litige et norme de contrôle

[10]           Tel que j’avais l’occasion de le rappeler récemment dans l’affaire Coon c Canada (Procureur général) 2016 CF 340 [Coon], en matière de libération conditionnelle, bien que la Cour soit théoriquement saisie d’une demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Section d’appel, elle est en réalité appelée à examiner la légalité de la décision de la Commission lorsque, comme ici, la Section d’appel confirme la décision de la Commission.  Ainsi, sauf erreur particulière de sa part, ce que le demandeur n’invoque pas en l’espèce, la Cour n’interviendra à l’égard de la décision de la Section d’appel que si elle juge qu’il y a matière à intervenir à l’encontre de la décision de la Commission (Coon, aux para 18-19; Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, aux para 6 -10, 233 FTR 181 [Cartier]; Collins c Canada (Procureur général), 2014 CF 439, au para 36, 454 FTR 106; Scott c Canada (Procureur général), 2010 CF 496, aux para 19-20, 369 FTR 162).

[11]           Il s’agit donc ici de déterminer si, comme le prétend le demandeur, la Commission a contrevenu aux règles de l’équité procédurale en faisant mention de l’incident du 23 novembre 2013 sans s’assurer au préalable du caractère sûr et convaincant de l’information sécuritaire liant le demandeur à cet incident.

[12]           Il est bien établi que lorsque le reproche adressé à la Commission a trait au respect des règles de l’équité procédurale, la norme de révision applicable est normalement celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24,  au para 79, [2014] 1 RCS 502 [Khela]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 43, [2009] 1 RCS 339; Prévost c Canada (Procureur général), 2015 CF 702, au para 37).

IV.             Analyse

[13]           Aux termes de l’article 107 de la Loi, la Commission possède « toute compétence et latitude » pour accorder une libération conditionnelle, ce qu’elle fera lorsque, suivant ce que prévoit l’article 102 de la Loi, elle est d’avis « qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois », le critère prépondérant de toute décision en cette matière demeurant, selon l’article 100.1 de la Loi, la protection de la société (voir aussi : Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] RCS 75, aux para 19, 29, 192 NR 161[Mooring]; Cartier, précité au para 19; Fernandez c Canada (Procureur général), 2011 CF 275, au para 15, 387 FTR 37; Korn c Canada (Procureur général), 2014 CF 590, au para 16, 456 FTR 307).

[14]           La tâche de la Commission consiste donc à observer la personnalité et le comportement du délinquant pendant son incarcération de manière à évaluer le danger qu’il présente à la société et son aptitude à réintégrer la communauté (Ouelette c Canada (Procureur général), 2013 CAF 54, au para 30 [Ouelette]).  À cette fin, la Commission doit, suivant l’article 101 de la Loi, tenir compte de toute l’information pertinente dont elle dispose, notamment des renseignements fournis par le délinquant et les autorités correctionnelles.

[15]           Aux termes de l’article 141 de la Loi, les documents contenant l’information pertinente, ou un résumé de celle-ci, doivent, sauf s’il y renonce, être transmis au délinquant au moins 15 jours avant la date fixée pour l’examen de son cas par la Commission ou le plus rapidement possible lorsque l’information est obtenue en deçà de ce délai de 15 jours, la Commission étant par ailleurs habilitée, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, à refuser la communication de renseignements au délinquant si elle a des motifs raisonnables de croire que cette communication irait à l’encontre de l’intérêt public, mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite.

[16]           Ainsi, s’il est acquis que la libération conditionnelle relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission, celle-ci doit néanmoins se plier aux exigences de l’équité procédurale lorsqu’elle prend la décision d’accorder ou non la libération conditionnelle (Ouelette, précité au para 30).  Dans cette optique, elle doit s’assurer que les renseignements sur lesquels elle se fonde pour prendre une telle décision sont « sûrs et convaincants » (Mooring, précité au para 36).  Cette obligation se veut une forme de contrepoids au fait que la Commission est habilitée à considérer des renseignements qui ne seraient pas autrement admissibles en preuve devant une cour de justice (Ouellette, précité au para 68).

[17]           En l’espèce, toute la théorie du demandeur, comme on l’a vu, repose sur le fait que la Commission aurait omis de se prononcer sur le caractère sûr et convaincant des renseignements contenus au rapport des autorités carcérales qui l’impliquait dans l’incident du 23 novembre 2013 lié au trafic de substances illicites, incident pour lequel le demandeur a toujours nié toute implication.

[18]           La difficulté principale avec la position du demandeur vient du fait que même en concédant que la Commission se serait rendue coupable d’une telle omission, encore faut-il établir la matérialité de ce manquement sur le sort de la demande de libération conditionnelle du demandeur, ce qui, à mon avis, n’a pas été fait.  En effet, il est bien établi que pour que la Cour intervienne dans un cas d’équité procédurale, le manquement allégué doit avoir eu une incidence déterminante sur l’issue du litige (Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada-- Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers,[1994] 1 RCS 202, aux para 54-55, 111 DLR (4th) 1; Émond c Canada (Procureur général), 2015 CF 1148, au para 21;  Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, au para 40; Roy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 768, au para 34; Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) c Patel, 2002 CAF 55, au para 12, 219 FTR 159).

[19]           Si la Commission réfère à cet incident et au fait qu’il a été suivi d’un transfèrement dans un autre établissement, elle prend bien soin de préciser que le demandeur a toujours contesté son implication dans cet incident.  Je ne vois rien dans la décision à l'étude qui me permette de penser que la Commission a tiré, de cet incident, une inférence négative eu égard à ce qu’elle avait à décider.  Le dossier démontre plutôt que les préoccupations de la Commission viennent du fait que le demandeur a admis, lors de l’audition, qu’il était impliqué dans la contrebande de tabac jusqu’à peu de temps avant l’incident de novembre 2013 (Dossier du demandeur, p. 71-72) et qu’il consommait toujours du tabac au moment de cet incident, ce qui est interdit par les règlements carcéraux (Dossier du demandeur, p. 44-45).  À cet égard, la Commission note ceci du passage du demandeur en établissement à sécurité moyenne en 2009 :

In December 2009, your security classification was lowered and you were transferred back to a medium institution.  There, you required several interventions for your use of tobacco and other illicit substances and had been a concern to the Preventive Security Department since your arrival.

[20]           En somme, lorsque la Commission reproche au demandeur ses « negative choices while incarcerated until relatively recently » et opine qu’il lui faut donc poursuivre le travail d’introspection  entrepris en janvier 2014 suite au transfèrement qui a suivi l’incident du 23 novembre 2013, sa décision se justifie amplement sans égard à la prise en compte de cet incident.

[21]           La présente situation diffère grandement de celle qui prévalait dans l’affaire Khela, précitée, sur laquelle le demandeur se fonde pour prétendre à l’illégalité de la décision de la Commission.  Dans cette affaire, l’information sécuritaire litigieuse avait été au cœur de la décision de procéder au transfèrement d’urgence du détenu dans un établissement à sécurité plus élevée.  En d’autres termes, sans cette information, rien ne justifiait la mesure prise à l’encontre de ce détenu.  Ce n’est pas le cas en l’instance où, comme je l’ai déjà mentionné, l’incident du 23 novembre 2013 ne semble avoir joué qu’un rôle périphérique dans la décision de la Commission de rejeter la demande de libération conditionnelle du demandeur.

[22]           Le procureur du demandeur soutient toutefois que cet incident s’est avéré la raison principale de son transfèrement de janvier 2014 dans un nouvel établissement à sécurité moyenne et que cela a teinté, à tout le moins, l’approche prise par son Équipe de gestion de cas lors de l’audition de sa demande devant la Commission.  Cet argument ne me convainc pas.  Encore une fois, rien n’indique que cet incident a eu une influence quelconque dans la décision de la Commission.  C’est à elle, et non au Service correctionnel du Canada, qu’il incombait de décider, en fonction des critères prévus à la Loi, si la libération conditionnelle du demandeur pouvait être autorisée dans les circonstances de l’espèce.

[23]           Quoi qu’il en soit, le demandeur s’est vu remettre, dans les délais prévus à l’article 141 de la Loi, un résumé des renseignements contenus au rapport portant sur l’incident du 23 novembre 2013.  À l’audience devant la Commission, ni lui ni son procureur n’ont formulé d’objection quant à la suffisance de ce résumé ou encore quant au fait que le rapport lui-même ne lui avait pas été transmis.  À mon avis, le défendeur a raison de dire qu’il lui fallait soulever cette objection à la première occasion, ce qu’il n’a pas fait.  Cela lui est, selon moi, fatal (Hudon c Canada (Procureur général) 2001 CFPI 1313, au para 29, 214 FTR 193 [Hudon]).

[24]           Bref, le demandeur ne m’a pas démontré avoir subi un préjudice particulier de la situation qu’il déplore puisqu’il n’a pas démontré que le manquement allégué, en supposant qu’il soit fondé, a eu une incidence sur la décision que la Commission a finalement prise (Hudon, au para 28).

[25]           Le défendeur demande les dépens alors que le demandeur ne les demandait pas et souhaite, en cas d’échec de son recours, ne pas avoir à les payer.  Alternativement, il voudrait que la Cour en limite le montant à 500 $.  J’estime, dans les circonstances de la présente affaire, que le défendeur a droit à ses dépens.  Je les limiterai toutefois à un montant de 500 $, déboursés compris.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Avec dépens en faveur du défendeur établis à un montant de 500 $, déboursés compris.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-521-15

INTITULÉ :

BRIAN ABRAHAM c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 novembre 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 8 avril 2016

COMPARUTIONS :

Me Maxime H. Lafontaine

Pour le demandeur

Me Marjolaine Breton

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Latour, Dorval, Del Negro

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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