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Date : 20160331


Dossier : IMM-1983-15

Référence : 2016 CF 366

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2016

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

AZEB GEBREMEDHIN ASFAW

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente est une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par un adjoint des services de Citoyenneté et Immigration Canada (adjoint des services) qui a refusé de traiter la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR¸] de la demanderesse, car elle a été soumise avant que cette dernière ait reçu un avis d’admissibilité, conformément au paragraphe 160(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002­227.

[2]               Les faits en l’espèce sont inhabituels puisque la demanderesse avait demandé et obtenu un refuge dans une église.

[3]               La demanderesse est citoyenne de l’Éthiopie. Elle est arrivée au Canada le 1er mars 2013 et a demandé l’asile. Elle a été frappée d’une mesure d’interdiction de séjour le jour même. Le défendeur a reconnu à l’audition de la demande que la demanderesse ne faisait pas l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire, mais il est revenu sur sa position après l’audition, avec la permission de la Cour, lorsque la demanderesse a présenté une copie de la mesure d’interdiction de séjour.

[4]               Sa demande d’asile a été refusée le 30 avril 2013 en grande partie en raison de préoccupations concernant la crédibilité de la demanderesse. On lui a refusé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] rendue le 11 décembre 2013.

[5]               L’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] a envoyé une lettre à la demanderesse datée du 16 janvier 2014 pour l’aviser qu’elle [traduction] « faisait l’objet d’une mesure de renvoi en vigueur » et la convoquer à une entrevue le 28 janvier 2014. On lui a également émis un avis de convocation à cette date précisant qu’elle devait se présenter à une entrevue le 7 février 2014, ainsi que fournir un billet comme preuve de son retour en Éthiopie au plus tard le 28 février 2014. La demanderesse n’a jamais fourni de billet. On lui a donc présenté un deuxième avis de convocation le 12 février  2014, selon lequel elle devait se présenter à une entrevue le 3 mars 2014 pour une [traduction] « rencontre avant son renvoi ». Lors de la rencontre du 12 février 2014, la demanderesse a reçu une directive lui enjoignant de se présenter pour son renvoi le 4 mars 2014. Elle déclare ce qui suit : [traduction] « Au lieu de me rendre à l’aéroport pour être expulsée en Éthiopie, où je crains pour ma vie et ma sécurité, j’ai accepté une invitation de me réfugier dans une église de Toronto et j’y demeure encore aujourd’hui. »

[6]               Par suite de l’interdiction de 12 mois au sujet de la présentation d’une demande d’examen des risques avant renvoi dans le paragraphe 112(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LIPR], L.C. 2001, ch. 27, la demanderesse n’était pas admissible à un ERAR au moment où elle devait être renvoyée du Canada la première fois. Elle y est toutefois devenue admissible le 30 avril 2014. Depuis ce temps, elle est incapable de présenter une demande d’ERAR puisqu’un avis d’admissibilité ne lui a pas été émis; une exigence (sous réserve d’exceptions limitées) énoncée dans l’article 160 du Règlement prévoit ce qui suit :

160 (1) Sous réserve du paragraphe (2), pour l’application du paragraphe 112(1) de la Loi, toute personne peut faire une demande de protection après avoir reçu du ministère un avis à cet effet.

160 (1) Subject to subsection (2) and for the purposes of subsection 112(1) of the Act, a person may apply for protection after they are given notification to that effect by the Department

(2) La personne visée aux articles 165 ou 166 peut faire une demande de protection conformément à ces articles sans avoir reçu du ministère un avis à cet effet.

(2) A person described in section 165 or 166 may apply for protection in accordance with that section without being given notification to that effect by the Department.

(3) L’avis est donné

(3) Notification shall be given

a) dans le cas de la personne visée par une mesure de renvoi ayant pris effet, avant son renvoi du Canada;

(a) in the case of a person who is subject to a removal order that is in force, before removal from Canada; and

b) dans le cas de la personne nommée dans le certificat visé au paragraphe 77(1) de la Loi, lorsque le résumé de la preuve est déposé en application du paragraphe 77(2) de la Loi.

(b) in the case of a person named in a certificate described in subsection 77(1) of the Act, when the summary of information and other evidence is filed under subsection 77(2) of the Act.

(4) L’avis est donné :

(4) Notification is given

a) soit sur remise en personne du formulaire de demande de protection;

(a) when the person is given the application for protection form by hand; or

b) soit à l’expiration d’un délai de sept jours suivant l’envoi par courrier du formulaire de demande de protection à la dernière adresse fournie au ministère par la personne.

(b) if the application for protection form is sent by mail, seven days after the day on which it was sent to the person at the last address provided by them to the Department.

[7]               Le 8 avril 2015, l’avocat de la demanderesse a envoyé une lettre au Bureau de réduction de l’arriéré de Citoyenneté et Immigration Canada accompagnée d’une demande d’ERAR. La lettre expliquait que la demanderesse avait été frappée d’une mesure de renvoi, et qu’elle s’était réfugiée dans une église de la région du Grand Toronto au lieu de se présenter pour son renvoi. La lettre disait ensuite : [traduction]

Nous savons que le paragraphe 160(1) du Règlement précise que « toute personne peut faire une demande de protection après avoir reçu du ministère un avis à cet effet » et que, conformément au paragraphe 160(4), un avis peut être remis en personne ou envoyé par la poste. À notre connaissance, Mme Asfaw n’a pas reçu d’avis officiel de son admissibilité à un ERAR à ce jour. Néanmoins, il est évident qu’elle est en effet admissible. Nous vous demandons donc :

a)      de nous envoyer dès que possible un avis écrit de son admissibilité à l’ERAR aux termes du paragraphe 160(4) du Règlement et, dès lors, de traiter la demande d’ERAR ci­jointe;

b)      d’avoir recours au pouvoir discrétionnaire que vous confère le paragraphe 25 de la LIPR de renoncer à l’exigence d’un avis aux termes du paragraphe 160(1) du Règlement pour des motifs d’ordre humanitaire en tenant compte des observations et des éléments de preuve inclus dans la demande d’ERAR ci­jointe, surtout la crainte de préjudice de Mme Asfaw si elle est renvoyée en Éthiopie, sa persécution antérieure, son état psychologique qui en résulte et le fait qu’elle a le soutien d’une communauté lui offrant un refuge.

[8]               En retournant la demande d’ERAR, l’adjoint des services a écrit ce qui suit : [traduction

En réponse à votre demande reçue le 8 avril 2015, nous souhaitons vous aviser que nous ne pouvons pas la traiter puisque vous êtes inadmissible à l’ERAR en ce moment. L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) doit présenter une demande d’ERAR pour que vous y soyez admissible. Votre demande vous a été renvoyée pour vos dossiers.

[9]               La seule question propre à cette demande consiste à déterminer si la décision de l’adjoint des services était raisonnable.

[10]           La demanderesse soutient que l’adjoint de services a agi injustement en refusant d’examiner sa demande afin qu’elle reçoive un avis d’admissibilité à l’ERAR ou une exemption de cette exigence.

[11]           Il est clair que la demanderesse doit faire l’objet d’un avis. Elle n’est pas admissible à une exemption de cette exigence. La demanderesse n’est pas une des personnes décrites à l’article 165, car il ne s’applique qu’aux personnes ayant déjà reçu un avis aux termes de l’article 160. Elle n’est pas non plus une des personnes décrites à l’article 166 puisque sa mesure de renvoi était conditionnelle lorsqu’elle a été frappée, car elle faisait une demande d’asile.

[12]           La demanderesse à l’extrait de la décision précisant ce qui suit : [traduction] « L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) doit présenter une demande d’ERAR pour que vous y soyez admissible. »  Elle note que, selon le paragraphe 160(1) du Règlement, toute personne peut faire une demande d’ERAR « après avoir reçu du ministère un avis à cet effet ». Le « ministère » est défini dans l’article 2 comme étant le « ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration », et non l’Agence des services frontaliers du Canada.

[13]           Le défendeur note que le manuel d’exécution pertinent (ENF 10 Renvois) précise qu’un agent de l’ASFC doit amorcer le processus d’ERAR en fournissant un avis, tel qu’il est décrit au paragraphe 160(1) du Règlement, aux environs du renvoi à effectuer.

[14]           La délégation du pouvoir par le ministre d’amorcer le processus d’ERAR à l’ASFC n’était pas manifeste dans le dossier présenté à la Cour. Ainsi, une directive a été émise pour aviser la Cour de l’exécution d’une telle délégation. En guise de réponse, l’avocat a avisé la Cour de ce qui suit : [traduction] « Aucun pouvoir n’est délégué directement dans l’instrument en ce qui a trait à l’émission d’un avis d’ERAR. »  Peu importe, j’ai conclu qu’il n’y avait aucune incidence sur les questions dont je suis saisi, c’est­à­dire si l’avis a été émis par le défendeur ou l’ASFC. Il en reste qu’aucun avis du genre n’a été émis par personne.

[15]           Selon l’alinéa 160(3)a) du Règlement, « l’avis est donné [...] avant son renvoi du Canada. »  En l’espèce, rien ne laisse croire que la demanderesse sera bientôt renvoyée du Canada, de sorte que l’obligation de présenter un avis entre en vigueur. Je suppose que les autorités souhaitent qu’elle soit renvoyée du Canada à un moment donné, mais aucun renvoi imminent n’est prévu ni qu’il sera susceptible d’avoir lieu, sauf si elle quitte son refuge ou si le ministre prend des mesures pour l’expulser de force de l’église où elle habite actuellement.

[16]           Facteur peut­être plus important encore, un ERAR ne doit pas avoir lieu immédiatement puisque son efficacité quant à la protection du droit de non­refoulement de la demanderesse dépend de son exécution peu avant le renvoi, point soulevé par la Cour dans l’affaire Revich c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 852, aux paragraphes 15 et 16 :

… l’objectif d’un ERAR est d’éviter qu’un étranger, dont la demande d’asile a déjà été rejetée, puisse être contraint de retourner dans son pays de résidence ou de citoyenneté lorsque la situation a changé dans ce pays et qu’il serait exposé au risque d’être persécuté.

À mon avis, pour que cet examen soit efficace et conforme à l’intention qu’avait le législateur en le créant, l’ERAR doit coïncider autant que possible avec le départ de l’intéressé du pays.

[17]           Dans la lettre de son avocat datée du 8 avril 2015, la demanderesse exige au ministère [traduction] « de nous envoyer dès que possible un avis écrit de son admissibilité à l’ERAR aux termes du paragraphe 160(4) du Règlement et, dès lors, de traiter la demande d’ERAR ci­jointe » [ou] « d’avoir recours au pouvoir discrétionnaire que vous confère le paragraphe 25 de la LIPR de renoncer à l’exigence d’un avis aux termes du paragraphe 160(1) du Règlement ».

[18]           Je suis d’accord avec la demanderesse que l’article 25 de la Loi vise plutôt les demandes de statut de résident permanent. Il ne s’applique aucunement au processus d’ERAR.

[19]           Par conséquent, même si l’adjoint des services a commis une erreur en soutenant que la responsabilité d’émettre un avis était celle de l’ASFC, aucun avis n’a été émis ni qu’il y avait une raison de croire qu’il fallait en émettre un lorsqu’on l’a demandé. La décision est donc raisonnable puisque la demanderesse n’a pas automatiquement droit à un ERAR ni a­t­elle le droit d’exiger l’émission d’un avis permettant l’ERAR en ce moment.

[20]           Si la demanderesse souhaite bénéficier d’un ERAR, elle doit approcher sa date de renvoi, ce qui est peu probable aussi longtemps qu’elle demeure dans l’église. Il semble à la Cour que, si la demanderesse souhaite bénéficier d’un ERAR, elle devra quitter son refuge.

[21]           Aucune question de certification ne se pose dans ce cas.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1983-15

 

INTITULÉ :

AZEB GEBREMEDHIN ASFAW c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 JANVIER  2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE :

LE 31 MARS 2016

 

COMPARUTIONS :

Andrew J. Brouwer

Pour la demanderesse

 

Suzanne Marguerite Bruce/

Aleksandra Lipska

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Andrew J. Brouwer

Avocat­procureur

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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