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Date : 20160420


Dossier : IMM-7628-13

Référence : 2016 CF 437

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2016

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

HUSSAM HASSAN SAIF

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire concerne une décision prise par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la Commission] selon laquelle Hussam Hassan Saif a été déclaré interdit de territoire aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR]. Plus précisément, M. Saif conteste la conclusion de la Commission selon laquelle il s’est livré à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’un acte criminel.

I.                   Contexte

[2]               Les circonstances à l’origine des difficultés de M. Saif en matière d’immigration ne peuvent être sérieusement contestées. Le 15 septembre 2011, il a plaidé coupable à une infraction aux termes de l’alinéa 465(1)d) du Code criminel, L.R.C., 1985, ch. C-46, impliquant un complot visant à commettre une infraction punissable par procédure sommaire. Il s’agissait d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité, pour laquelle M. Saif a été condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis de cinq mois. Le complot en question impliquait un stratagème orchestré par Ahmad El-Akhal grâce auquel plus de 300 résidents permanents canadiens ont obtenu des adresses de complaisance et d’autres documents pour établir frauduleusement leur résidence canadienne.

[3]               La participation de M. Saif était secondaire à celle de M. El-Akhal. M. Saif a permis que son adresse soit utilisée comme un point de livraison du courrier, et que son nom soit utilisé sur des baux falsifiés. Il a également fait des courses pour M. El-Akhal afin de faciliter le stratagème; il a d’ailleurs reçu une rémunération pour cette tâche. Un rapport d’enquête de la Gendarmerie royale du Canada [GRC] décrit le rôle de M. Saif de la manière suivante :

[traduction]

Hussam SAIF a aidé M. EL-AKHAL dans ces activités, permettant ainsi que son nom soit utilisé en tant que nom du locataire et que son adresse soit utilisée comme une adresse de complaisance sur les faux baux qui ont été créés par M. EL-AKHAL et qui étaient associés à deux des adresses de complaisance où M. SAIF était le locataire réel. M. SAIF s’est fait passer pour un employé de M. EL-AKHAL et a utilisé une lettre de recommandation de M. EL-AKHAL en vue de conclure un bail résidentiel à l’une des adresses de complaisance, soit le 3934, Bishopstoke Lane, Mississauga (Ontario). Dans sa déclaration KGB, M. SAIF a admis qu’il a aidé M. EL-AKHAL à conduire des clients, et à vérifier des articles de courrier fournissant une adresse postale pour ses clients en échange d’argent. M. SAIF a également déclaré que M. EL-AKHAL avait promis de l’initier à ce commerce, mais il ne l’a jamais fait. M. SAIF a uniquement cessé d’aider M. EL-AKHAL lorsque sa propre citoyenneté a été mise en péril par CIC en raison de l’utilisation de son adresse par les clients de M. EL-AKHAL.

[4]               Le témoignage du caporal Robert Galloway de la GRC devant la Commission a indiqué qu’aucune considération sérieuse n’avait été donnée à la possibilité d’intenter des poursuites se rapportant à des accusations d’organisation criminelle contre M. El-Akhal ou M. Saif. Selon le caporal Galloway, M. Saif assistait M. El-Akhal dans le cadre d’une relation de travail qui ne semblait pas constituer une organisation criminelle en vertu du Code criminel.

[5]               Nonobstant la preuve susmentionnée, la Commission a conclu que les activités de M. Saif tombaient sous le coup de « criminalité organisée » comme il y est fait référence à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Le ministre n’a pas prétendu que M. Saif était membre d’une organisation criminelle, mais seulement qu’il était visé par la deuxième partie de la disposition traitant « d’activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert ». La Commission a accepté l’argument du ministre et a invoqué les motifs suivants pour justifier sa décision :

[38]      Compte tenu des éléments de preuve présentés par les conseils du ministre et le conseil, des témoignages fournis par M. Saif et le caporal Robert Galloway, je conclus que M. Saif est visé à la seconde partie de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR parce qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il s’est livré à des activités faisant partie d’un tel plan, soit le suivant : un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation.

[39]      Il ressort manifestement des renseignements fournis par toutes les parties qu’il y a des motifs raisonnables de croire que M. El-Akhal était la tête dirigeante de ce stratagème, qui a permis de frauder le gouvernement du Canada de centaines de milliers de dollars (près de 500 000 $). Les montants de 110 000 $US et de 40 000 $CAN constituaient, en totalité ou en partie, les gains obtenus par la perpétration d’une infraction punissable par mise en accusation, et ils ont été trouvés en la possession de M. El-Akhal.

[40]      M. Art Pittman, inspecteur à la GRC, a précisé que ce stratagème impliquait 300 personnes du Moyen‑Orient et M. El-Akhal, et les autres personnes créaient de fausses adresses pour les nouveaux citoyens, déposaient de fausses déclarations de revenus en leur nom et recevaient des remboursements. [traduction] « Il est soutenu qu’il a aidé de nombreuses personnes à prétendre qu’elles vivaient au Canada alors que ce n’était pas le cas. Comme ces personnes prétendaient vivre au Canada, elles ont pu demander des avantages fiscaux auxquels elles n’avaient pas droit. »  Des renseignements ont été recueillis au cours d’une enquête qui a duré deux ans et demi.

[41]      Le rapport de police indique que la relation de travail coopérative entre M. El‑Akhal et M. Saif démontre le complot entre les deux pour aider et encourager les clients à faire de fausses déclarations relativement à leur demande de citoyenneté, infraction visée à l’alinéa 465(1)d) du Code criminel. Bien qu’il s’agisse d’une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, il y avait un total de 58 chefs d’accusation, pour un bon nombre d’infractions mixtes, qui, en application de l’alinéa 36(3)a), doivent être considérées comme des infractions punissables par mise en accusation. Au cours de son témoignage, le caporal Robert Galloway a déclaré que M. El-Akhal avait plaidé coupable à trois ou à quatre chefs d’accusation et avait été condamné à une peine de trois ans. Même si la plupart des 58 chefs d’accusation ont été retirés, il y a eu un certain nombre de condamnations, et, compte tenu du grand nombre d’éléments de preuve documentaire à la pièce AH‑1 qui ont déjà été mentionnés dans le cadre de la présente décision, il y a des motifs raisonnables de croire que ces activités ont eu lieu et qu’une infraction punissable par mise en accusation a été commise, par exemple une fraude contre le gouvernement du Canada.

[42]      Il y a manifestement des motifs raisonnables de croire qu’il existe un plan d’activités auquel ont participé des intervenants majeurs et secondaires (certains connus et d’autres inconnus, certains au Canada et d’autres au Moyen‑Orient), parmi lesquels certains dirigeaient et d’autres obéissaient. Ce plan a permis de frauder le gouvernement du Canada de centaines de milliers de dollars. La planification, le stratagème et la coopération qui en faisaient partie comprenaient l’envoi de courriels et de messages texte contenant des directives. M. Saif a admis devant la Cour, par l’entremise de son avocat au criminel, les faits qui ont été lus à haute voix. Il s’agit notamment des faits suivants : M. El‑Akhal a donné à M. Saif la directive de continuer à ramasser le courrier, y compris les chèques, lorsqu’il était à l’extérieur du pays; M. Saif ramassait le courrier à ces adresses selon les directives de M. El‑Akhal. Le rôle de M. Saif dans le cadre du stratagème était le suivant : M. El-Akhal était le principal facilitateur, et M. Saif l’aidait. Ce dernier ramassait le courrier pour M. El-Akhal à différentes adresses et lui permettait d’utiliser ses adresses domiciliaires à Mississauga comme adresses postales. Il agissait comme chauffeur pour les clients. M. Saif a admis avoir reçu une certaine rémunération pour l’utilisation de ses adresses. Ultimement, M. El-Akhal a disparu; il ne faisait pas le suivi des appels téléphoniques, et les clients ont commencé à appeler M. Saif. Ce stratagème a duré des années.

[…]

[45]      Ce plan d’activités a duré presque une décennie. L’enquête a duré deux ans et demi, et M. Saif a été impliqué dans cette activité pendant au moins deux ans. De nombreuses personnes (plus de 300) y ont participé. Le gouvernement du Canada a été victime d’abus et de fraude de centaines de milliers de dollars. Un complot a été commis; il y a eu communication et planification. Des ordres ont été donnés et reçus. Les endroits impliqués étaient le Moyen‑Orient, Montréal et la région du Grand Toronto. En me fondant sur l’ensemble de la preuve, je conclus que M. Saif est visé à l’alinéa 37(1)a). Une mesure d’expulsion est jointe.

[Notes de bas de page omises]

[6]               La présente demande découle de cette décision.

II.                Questions en litige

A.                Quelle est la norme de contrôle appropriée?

B.                 La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Saif était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR?

III.             Analyse

A.                Norme de contrôle

[7]               La question déterminante en l’espèce porte sur l’interprétation de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR et, en particulier, sur la question de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que la conduite criminelle de M. Saif tombe sous le coup de cette disposition. L’avocat de M. Saif soutient que la décision doit être examinée selon la norme de la décision correcte. L’avocat du ministre soutient que la norme déférente du caractère raisonnable s’applique et s’appuie sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87, aux paragraphes 70 à 72, [2014] 4 R.C.F. 326 (C.A.F). Lorsque cette décision a été portée en appel, la Cour suprême du Canada a jugé inutile d’aborder la question de la norme de contrôle. Néanmoins, elle a observé que la norme de contrôle présumée des questions d’interprétation de sa loi constitutive est empreinte de déférence : voir B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, aux paragraphes 25 et 26, [2015] 3 R.C.S. 704.

[8]               Normalement, je serais d’accord avec l’avocat du ministre que la norme de la raisonnabilité doit s’appliquer aux questions de la sorte soulevées en l’espèce. Toutefois, dans la mesure où la Cour suprême du Canada a déterminé les questions d’interprétation des lois qui s’appliquent aux faits de l’espèce, il n’y a absolument pas lieu d’adopter un point de vue différent. Ma tâche consiste simplement à déterminer si l’interprétation de la Commission de l’article 37 de la LIPR est conforme à l’interprétation adoptée ultérieurement par la Cour suprême.

B.                 La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la conduite de M. Saif tombait sous le coup de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR?

[9]               Je suis d’avis que la Commission a commis une erreur dans son application de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR selon la preuve fondée sur la conduite de M. Saif. Bien que la Commission ait clairement examiné certains des éléments de l’alinéa 37(1)a), ce qui manque manifestement à ses motifs est une considération claire des caractéristiques structurelles nécessaires pour conclure à de la criminalité organisée. Ce n’est pas surprenant parce que, à cette époque, la jurisprudence sur ce point n’était que généralement applicable. Comme la Commission l’a souligné à juste titre, le terme « organisation » à l’alinéa 37(1)a) avait été interprété dans « un sens large et non restreint » par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, paragraphe 55, [2007] 3 R.C.F. 198 (CAF). Cette décision a fourni le large cadre analytique suivant permettant de déterminer qu’une organisation est criminelle aux termes du paragraphe 37(1) de la LIPR :

[37]      L’alinéa 37(1)a) semble être une tentative pour lutter contre la criminalité organisée, eu égard au fait que les non‑citoyens membres d’organisations criminelles constituent une menace aussi grande que les personnes qui sont déclarées coupables d’infractions criminelles graves. Il permet l’expulsion de membres d’organisations criminelles qui ne sont pas déclarés coupables en tant qu’individus, mais qui représentent néanmoins un danger.

[38]      Des décisions récentes appuient cette interprétation. Dans Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 349, [2004] 3 R.C.F. 301 (C.F.), décision infirmée pour d’autres motifs, [2006] 1 R.C.F. 474 (C.A.F.), le juge O’Reilly a tenu compte de divers facteurs lorsqu’il a conclu que deux bandes tamoules (dont la bande A.K. Kannan en cause en l’espèce) étaient des « organisations » au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. À son avis, les deux groupes tamouls avaient « certaines caractéristiques d’une organisation », à savoir « l’identité, le leadership, des liens hiérarchiques lâches et une structure organisationnelle de base » (au paragraphe 31). Les facteurs énumérés dans Thanaratnam, précité, ainsi que d’autres facteurs comme l’occupation d’un territoire ou la tenue de réunions régulières dans un endroit donné – deux facteurs pris en considération par la Commission – sont utiles lorsqu’il faut rendre une décision fondée sur l’alinéa 37(1)a), mais aucun d’eux n’est essentiel.

[39]      Ces organisations criminelles n’ont généralement pas une structure formelle comme une société commerciale ou une association qui est dotée d’une charte, de règlements ou d’un acte constitutif. Elles sont habituellement peu structurées et leur organisation varie énormément. L’absence de structure et le caractère informel d’un groupe ne devraient pas cependant contrecarrer l’objet de la LIPR. C’est pour cette raison qu’il faut faire preuve de souplesse lorsqu’on décide si les caractéristiques d’un groupe particulier satisfont aux exigences de la LIPR étant donné que pareil groupe peut prendre différentes formes et qu’il mène ses activités dans la clandestinité. Il est donc important d’évaluer les différents facteurs utilisés par le juge O’Reilly ainsi que d’autres facteurs semblables qui peuvent aider à déterminer si les caractéristiques essentielles d’une organisation existent dans les circonstances. Une telle interprétation du terme « organisation » laisse une certaine latitude à la Commission lorsqu’elle doit décider si, à la lumière de la preuve et des faits dont elle dispose, un groupe peut être considéré comme étant une organisation au sens de l’alinéa 37(1)a).

[10]           Ce qui est notable de l’arrêt Sittampalam, précité, est le refus par la Cour d’examiner la définition du Code criminel du terme « organisation criminelle » ou d’autres références similaires dans les instruments internationaux. Selon la Cour, ces sources servent d’autres fins non liées à la LIPR et sont, par conséquent, inutiles.

[11]           Après la décision de la Commission dans le cas qui nous occupe, la Cour suprême du Canada a abordé le paragraphe 37(1) de la LIPR dans le contexte du « passage de clandestins » en vertu de l’alinéa 37(1)b) : voir B010, précité. Malgré les tentatives énergiques de l’avocat du ministre pour démontrer que cette décision présentait des caractéristiques différentes, elle est décisive en l’espèce.

[12]           Le ministre soutient que l’analyse d’interprétation réalisée dans B010, précité, doit être limitée à l’alinéa 37(1)b) de la LIPR, parce seule cette disposition était en cause. Selon ce point de vue, l’historique législatif et les objectifs des alinéas 37(1)a) et 37(1)b) sont différents, et ils doivent donc être considérés indépendamment l’un de l’autre. Le ministre a ajouté que, dans la mesure où la Cour suprême a commenté sur le libellé et l’intention de l’alinéa 37(1)a), les remarques sont purement incidentes.

[13]           La faiblesse fondamentale dans la position du ministre est que les alinéas 37(1)a) et b) sont tous deux soumis au libellé introductif du paragraphe 37(1), qui fait référence à l’interdiction de territoire « pour criminalité organisée ». Lorsqu’interprété d’une façon qui s’harmonise avec l’objet de la loi et le contexte, le terme « criminalité organisée » inspire toute la formulation qui suit. Aucune interprétation plausible du paragraphe 37(1) ne permettrait une signification différente du terme « criminalité organisée » entre les alinéas a) et b). Ainsi, l’interprétation de la Cour suprême de ce terme dans le contexte de l’alinéa 37(1)b) doit également s’appliquer à l’alinéa 37(1)a). La Cour suprême est très claire à ce sujet au paragraphe 37 :

[37]      Le premier élément contextuel est la relation entre l’al. 37(1)b) et le reste du par. 37(1). Le paragraphe (1) introduit le concept de l’interdiction de territoire pour criminalité organisée. On trouve aux al. a) et b) des exemples d’activités de criminalité organisée.

L’alinéa 37(1)a) fait de l’appartenance à une organisation criminelle un motif d’interdiction de territoire, alors que l’al. 37(1)b) prévoit que « se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité » en est un autre. Interprété dans le contexte du par. 37(1) dans son ensemble, l’al. 37(1)b), tout comme l’al. 37(1)a), est sans aucun doute axé sur l’activité criminelle organisée.

[14]           La même remarque est faite par la Cour suprême, où elle encadre l’une des questions qui lui sont soumises comme suit : « quelles limites peuvent être inférées du par. 37(1), suivant lequel une personne est déclarée interdite de territoire pour « criminalité organisée »? ». La remarque de la Cour sur cette question ne constitue donc pas une remarque incidente.

[15]           Il s’ensuit nécessairement que la perspective de la Cour sur le sens et la portée du terme « criminalité organisée » s’applique également aux alinéas 37(1)a) et 37(1)b), y compris l’importation de l’interprétation de la définition du Code pénal du terme « organisation criminelle » nécessitant un groupe de trois personnes ou plus. J’ajouterais à cela que l’exigence numérique d’au moins trois personnes du Code criminel pour qu’une organisation soit considérée comme criminelle est plus compatible avec le libellé de l’alinéa 37(1)a), qui exige « plusieurs personnes ». Si le législateur avait voulu qu’une organisation formée de « plusieurs personnes » puisse consister en deux personnes, il aurait sans doute utilisé ce libellé ou une formulation similaire : voir, par exemple, l’article 465 du Code criminel.

[16]           L’avocat du ministre a fait valoir que les 300 personnes ou plus qui ont bénéficié de la conduite frauduleuse de M. El-Akhal et de M. Saif doivent être considérées comme faisant partie de leur organisation criminelle. Je retiens le point que bon nombre de ces bénéficiaires, sinon tous, ont agi illégalement en retenant les services de M. El-Akhal pour faire une fausse déclaration relative à leur résidence canadienne. Ce fait ne suffit toutefois pas pour qu’elles soient visées par la définition de criminalité organisée du paragraphe 37(1).

[17]           Bien qu’une interprétation libérale et large doive être faite du terme « organisation » tel qu’il est utilisé dans le paragraphe 37(1), la disposition exige toujours l’existence de caractéristiques organisationnelles communes telles que « l’identité, le leadership, des liens hiérarchiques lâches et une structure organisationnelle de base » : voir Sittampalam, précité, aux paragraphes 38 et 39. Les tierces parties qui traitent individuellement avec une organisation criminelle ne peuvent raisonnablement être perçues comme « membres » ni être considérées comme des personnes se livrant à « une activité qui fait partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction [...] punissable. »  Par analogie, personne ne considérerait un acheteur de stupéfiants, sans autre implication, comme un membre, ou comme une personne agissant de concert avec une organisation criminelle formée pour vendre la drogue, même si les deux participent ensemble à une transaction illégale.

[18]           L’erreur de la Commission susceptible de révision dans la décision faisant l’objet du contrôle résulte de l’omission d’appliquer les principes susmentionnés aux faits essentiellement incontestés de la conduite de M. Saif. La Commission a apparemment conclu qu’un complot criminel de longue date entre M. Saif et M. El-Akhal impliquait également « plusieurs personnes » et tombait donc sous le coup de la partie de l’alinéa 37(1)a) traitant d’un « plan d’activités ». Comme je l’ai noté ci-dessus, l’exigence relative à la « criminalité organisée » n’est pas établie lorsque la conduite criminelle n’est que l’affaire de deux personnes. La participation marginale de tierces parties dont la participation se situe en dehors de la conspiration criminelle sous-jacente ne l’emporte pas sur cette exigence. C’est le cas parce que, selon toute interprétation raisonnable de l’alinéa 37(1)a), ces personnes ne peuvent pas être vues comme des personnes s’étant livrées à une activité qui faisait partie d’un plan d’activités criminelles organisées de concert avec M. Saif et M. El-Akhal en vue de la perpétration d’une infraction punissable.

[19]           Pour les motifs qui précèdent, la décision faisant l’objet du contrôle est annulée. L’affaire doit être jugée de nouveau sur le fond par un autre décideur pour qu’il procède à un nouvel examen sur le fond et conformément aux présents motifs.

[20]           L’avocat de M. Saif a proposé deux questions à certifier, mais compte tenu des présents motifs, ces questions sont sans objet. Le défendeur n’a pas proposé de question à certifier. Par conséquent, aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR annule la décision faisant l’objet du contrôle. L’affaire est renvoyée à un autre décideur afin qu’elle soit jugée à nouveau sur le fond.

« R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-7628-13

 

INTITULÉ :

HUSSAM HASSAN SAIF c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 mars 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :

Le 20 avril 2016

COMPARUTIONS :

Timothy Wichert

Pour le demandeur

John Provart

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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