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Date : 20160411


Dossier : IMM-8496-14

Référence : 2016 CF 402

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

LUIS CARLOS GALVIN ALVAREZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente est une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) à l’encontre d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rejetant la demande du demandeur après avoir jugé qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR, respectivement.

[2]               La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur, Luis Carlos Galvan Alvarez, est un citoyen de la Colombie qui s’est enfui aux États-Unis en février 2014. Il n’a pas demandé la protection des États-Unis, car il avait l’intention de venir au Canada où sa sœur habite. Il est venu au Canada en août 2014 et a présenté une demande d’asile à son point d’entrée.

[4]               Le demandeur a fui la Colombie parce qu’il redoutait la violence liée à l’absence de sécurité perpétuée par les groupes criminels et paramilitaires illégaux, notamment les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et l’Armée de libération nationale (ELN). À la SPR, il a indiqué qu’il craint une persécution future en raison de sa profession d’ingénieur mécanique. S’il est renvoyé en Colombie, il craint d’être exposé à un réel danger de vol, d’extorsion et d’enlèvement parce qu’il est ingénieur.

[5]               Le demandeur est retourné en Colombie, une requête en sursis en attendant la décision concernant cette demande de contrôle judiciaire ayant été rejetée.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[6]               La SPR a rejeté la demande du demandeur et a conclu (1) qu’il n’avait pas établi de lien avec aucun des cinq motifs énoncés à l’article 96, car sa peur liée à son statut d’ingénieur découle de l’activité criminelle en Colombie, et non d’un acte de persécution; (2) que les risques définis sont généralisés et non personnalisés en vertu du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR.

[7]               En concluant qu’il n’y avait aucun lien avec un motif de la Convention, la SPR a soutenu qu’en raison de son statut d’ingénieur, le demandeur ne formait pas un groupe social particulier en fonction d’un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique, tel qu’interprété dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 70 [Ward]. La SPR a également conclu que le risque de préjudice auquel le demandeur était exposé en vertu de l’article 96 est spéculatif et que le demandeur n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il risquait d’être persécuté en tant qu’ingénieur.

[8]               La SPR a ensuite soutenu que la peur du demandeur occasionnée par son statut d’ingénieur était généralisée et que, par conséquent, il n’a pas établi le bien-fondé de sa demande en vertu de l’article 97 de la LIPR. La SPR a relevé de nombreux incidents d’extorsion, d’enlèvement et de menace en Colombie, ce qui traduit un risque auquel les autres Colombiens sont généralement exposés. En se fondant sur la décision de la juge Danièle Tremblay-Lamer dans Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331, au paragraphe 23, 70 Imm L.R. (3d) 128, la SPR a conclu, au paragraphe 17 de sa décision, que : [traduction] « Même si certains ingénieurs ont été la cible de diverses organisations criminelles en Colombie, tous les Colombiens courent le risque de devenir victimes de violence et cela ne permet pas d’exclure le demandeur de la catégorie risque généralisé. »  La SPR note également que les motifs pour lesquels le demandeur pourrait être visé ne sont pas clairs, que le crime est omniprésent et tous les citoyens y sont exposés.

III.             Analyse

[9]               Invoquant le paragraphe 70 de l’arrêt Ward, le demandeur fait valoir qu’en rejetant sa demande en s’appuyant sur le fait qu’il n’avait pas établi de lien avec aucun des cinq motifs énoncés à l’article 96 de la LIPR, en particulier l’appartenance à un groupe social particulier associée par un ancien statut volontaire immuable en raison de la permanence historique, la SPR n’a que tiré une conclusion simple ne reposant sur aucun motif à l’appui. Avec tout le respect que je dois au demandeur, je ne suis pas d’accord. La décision de la SPR en l’espèce est, selon moi, rationnellement ancrée dans les faits et le droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

[10]           En demandant l’asile, il incombe au demandeur d’établir l’existence d’une crainte subjective et le fondement objectif de la crainte selon la prépondérance des probabilités (Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, au paragraphe 120; Ye c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1221, au paragraphe 15). Lors de l’audience, l’avocat de la SPR et l’avocat du demandeur ont demandé au demandeur de quoi il avait peur et pourquoi il avait peur, et il a répondu qu’il avait peur de faire l’objet d’extorsion et de vol s’il démarrait une entreprise (dossier certifié du tribunal, volume 2, aux pages 484 et 487). À la question pourquoi les ingénieurs, en tant que groupe, sont la cible de persécutions en Colombie, le demandeur a admis qu’il ne pouvait que donner une opinion et qu’il croyait que cela était peut-être lié au travail technique des ingénieurs dans des domaines spécialisés (dossier certifié du tribunal, volume 2, à la page 487). En outre, même si la preuve documentaire sur laquelle le demandeur s’appuie démontre que les ingénieurs ont été victimes d’actes criminels en Colombie, cette preuve ne démontre pas que ces personnes ont été persécutées ou ciblées parce qu’elles étaient des ingénieures.

[11]           Bien que je ne sois pas prêt à conclure que le statut d’ingénieur d’un demandeur ne satisfera jamais aux exigences d’appartenance à un groupe social particulier aux fins de l’article 96 de la LIPR, la conclusion de la SPR en l’espèce n’était pas déraisonnable. L’emploi et le poste ont été déterminés comme ne soulevant habituellement aucune question en lien avec les thèmes de la défense des droits de la personne et la lutte contre la discrimination justifiant la protection internationale des réfugiés (Galvan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF nº 442, aux paragraphes 16, 34-35, 193 FTR 161 (CF 1re inst.); Balcorta Olvera c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1048, au paragraphe 31, 417 FTR 255; Luna Rios c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 276, aux paragraphes 62 à 67, 9 Imm L.R. (4th) 88). Le demandeur n’a pas réussi à démontrer que sa situation était différente de ces affaires.

[12]           En concluant que le demandeur n’a pas réussi à établir de lien, les motifs invoqués par la SPR sont succincts. Cependant, lorsqu’ils sont considérés dans leur ensemble dans le contexte du dossier, les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si la décision fait partie des issues acceptables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, aux paragraphes 14 à 16).

[13]           La preuve du demandeur concernant les ingénieurs démontre une crainte que les ingénieurs, y compris lui-même, qui tentent de démarrer une entreprise soient perçus comme étant bien nantis et fassent ainsi l’objet de vol, d’enlèvement et d’extorsion. En s’appuyant sur cette preuve, il existe un fondement rationnel pour décrire la peur du demandeur comme découlant de la criminalité et non de la persécution, et pour conclure que le risque qu’il allègue était généralisé aux fins du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR (Saint-Hilaire c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 178, aux paragraphes 17 et 20, 185 ACWS (3d) 734).

IV.             Conclusion

[14]           Il était raisonnable pour la SPR de conclure que la preuve du demandeur concernant les risques auxquels les ingénieurs sont exposés (1) n’a pas permis au demandeur de s’acquitter du fardeau d’établir un lien aux fins de l’article 96; (2) n’a pas démontré que les groupes que le défendeur craint cibleraient personnellement le demandeur aux fins du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR.

[15]           En concluant que les conclusions de la SPR à l’égard du lien et du risque généralisé sont raisonnables, je n’ai pas besoin de traiter les questions portant sur la norme de preuve et l’appréciation de la preuve soulevées par le demandeur. Le caractère théorique a également d’abord été identifié comme une question par le défendeur en raison du renvoi du demandeur en Colombie. Le défendeur a ensuite abandonné la question, et compte tenu de ma conclusion sur le fond, il n’y a pas lieu d’aborder la question du caractère théorique.

[16]           Les parties n’ont pas relevé de questions aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-8496-14

 

INTITULÉ :

LUIS CARLOS GALVAN ALVAREZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 mars 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE :

LE 11 AVRIL 2016

 

COMPARUTIONS :

Jack Davis

 

Pour le demandeur

 

Negar Hashemi

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jack Davis

Davis and Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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