Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160425


Dossier : T-1707-13

Référence : 2016 CF 466

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2016

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

GOODYEAR CANADA INC.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Depuis 1999, les autorités canadiennes, les scientifiques et les compagnies privées examinent et évaluent les effets sur la santé et l’environnement de l’utilisation industrielle d’un agent antioxydant appelé BENPAT [pour N,N-(phényl(s) et tolyl(s))benzène-1,4-diamines]. L’entreprise de fabrication de pneus Goodyear Canada Inc., qui est la demanderesse en l’espèce, est la plus importante utilisatrice de BENPAT au Canada. Goodyear utilise cet agent pour augmenter la durabilité et la sécurité de ses pneus.

[2]               En 2011, les ministres de l’Environnement et de la Santé ont conclu que le BENPA était un agent toxique, devant par conséquent être ajouté à la liste des substances toxiques de l’annexe I de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (L.C. 1999, ch. 33) [LCPE] (les articles cités sont en annexe). Suite à cette conclusion, Goodyear demanda à ce que le ministre de l’Environnement constitue une commission de révision en vertu de la partie 11 de la LCPE pour réévaluer cette conclusion à la lumière de nouvelles études. Le ministre refusa de faire droit à cette demande en invoquant que les nouvelles données ne modifiaient pas les conclusions antérieures concernant les rejets de BENPAT dans l’environnement par l’usure des pneus sur la route et les rejets industriels dans l’eau.

[3]               Goodyear conteste le refus du ministre de constituer une commission de révision, faisant valoir que cette décision est inéquitable et déraisonnable considérant les éléments qui lui ont été présentés. Goodyear me demande d’annuler cette décision ministérielle et d’ordonner la constitution d’une commission de révision.

[4]               À mon avis, le ministre a pris cette décision équitablement, après avoir donné aux intervenants, dont Goodyear, de nombreuses occasions de lui présenter leurs observations sur ces questions. Je conclus également que la décision du ministre n’était pas déraisonnable compte tenu des éléments de preuve qui lui ont été présentés. Elle n’a pas passé outre ou écarté déraisonnablement la preuve scientifique pertinente. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[5]               Deux questions principales sont soulevées :

1.   La décision du ministre était-elle déraisonnable?

2.   Est-ce que le ministre a manqué à son devoir d’équité envers Goodyear?

[6]               Au surplus, une question préliminaire est soulevée par les défendeurs concernant l’admissibilité des trois affidavits déposés en l’espèce par Goodyear.

II.                Cadre législatif et contexte factuel

[7]               Les ministres de l’Environnement et de la Santé déterminent conjointement quelles sont les substances potentiellement toxiques pour la santé humaine et pour l’environnement. Les substances toxiques sont celles présentant le plus fort risque d’exposition, ayant une toxicité intrinsèque, persistante (c’est-à-dire qui sont longues à se dissoudre) ou bioaccumulable (qui tendent à s’accumuler dans les tissus d’organismes vivants) [article 73]. En 2006, les ministres ont découvert que le BENPAT était intrinsèquement toxique, persistant et bioaccumulatif; l’évaluation préalable obligatoire devint donc une priorité élevée (article 74). Les ministres ont avisé les intervenants de leurs constatations par l’intermédiaire d’une publication dans la Gazette du Canada, Partie I.

[8]               En 2009, les ministres ont annoncé que l’ébauche de l’évaluation préalable serait publiée au plus tard en octobre 2010. Ils ont communiqué avec les intervenants, y compris Goodyear, demandant des renseignements sur le BENPAT. On a spécifiquement demandé à Goodyear de fournir une copie des études techniques qu’elle avait financées et une prorogation de délai lui a été accordée afin qu’elle puisse faire part de ses observations.

[9]               Les représentants d’Environnement Canada ont examiné la documentation déposée et ont mené leurs propres recherches concernant le BENPAT. L’ébauche de l’évaluation préalable a de plus été envoyée à un groupe de scientifiques (le groupe consultatif du Défi) mandaté pour donner son avis sur l’application du « principe de prudence » et du poids de la preuve reconnus par la LCPE dans le préambule et aux articles 2 et 76.1. Le groupe consultatif a conclu que ces principes directeurs ont été bien appliqués dans l’évaluation préalable. Il est en accord avec la conclusion de l’évaluation selon laquelle le BENPAT peut avoir des effets nocifs pour l’environnement ou la biodiversité puisqu’il peut être à la fois persistant et bioaccumulatif.

[10]           Les ministres ont publié le 2 octobre 2010 dans la Gazette du Canada, Partie I, un résumé de l’ébauche de l’évaluation préalable. En raison des conclusions de cette évaluation, les ministres ont proposé d’ajouter le BENPAT à la liste des substances toxiques. 60 jours de consultations publiques s’en sont suivis. Pendant cette période, Goodyear et d’autres intervenants ont fourni des renseignements et données supplémentaires. Les représentants d’Environnement Canada ont également rencontré les représentants de Goodyear et échangé des documents avec eux.

[11]           Un rapport d’évaluation final, basé sur ces examens approfondis, a par la suite été publié, concluant que le BENPAT répond aux critères établis pour être considéré comme étant bioaccumulatif. Les autres conclusions de l’ébauche de l’évaluation préalable concernant la nocivité, la biodiversité et la persistance ont été confirmées dans le rapport final. L’évaluation définitive comprend l’examen de la preuve supplémentaire fournie par Goodyear et Environnement Canada et a retiré la référence à une étude qui était dépassée selon Goodyear.

[12]           En 2011, en fonction de l’évaluation définitive, de résumé des consultations publiques sur l’évaluation préalable et les réponses ministérielles à ces commentaires, les ministres ont publié dans la Gazette du Canada, Partie I, un avis déclarant que le BENPAT satisfait à la définition statutaire de la toxicité selon le paragraphe 64a) de la LCPE, peut être nocif pour l’environnement et qu’il sera proposé au gouverneur en conseil d’ajouter le BENPAT à la liste des substances toxiques. Cette décision était définitive. Le Gouverneur en conseil a approuvé la proposition des ministres et a publié le décret proposé ajoutant le BENPAT à la liste des substances toxiques en vertu du paragraphe 90(1) de la Loi. Une seconde consultation publique de 60 jours a suivi cette ordonnance [paragraphe 332(1)].

[13]           En réponse au décret du Gouverneur en conseil, Goodyear déposa un avis d’opposition et demanda au ministre de constituer une commission de révision conformément aux articles 332 et 333. Dans un document de 11 pages, Goodyear fournit des renseignements additionnels et maintient que l’évaluation s’est basée sur un modèle peu fiable de prédiction des émissions, fait des hypothèses irréalistes et n’a pas pris en considération certaines propriétés intrinsèques du BENPAT (sa faible solubilité par exemple) et a ignoré le fait que le BENPAT n’est pas toxique pour les organismes aquatiques lorsque la concentration est plus faible que sa solubilité maximale.

[14]           Les représentants du ministère ont examiné l’avis d’opposition et ont préparé en réponse une analyse technique qui a été terminée en juillet 2013. À la demande pressante de Goodyear, les représentants du ministère ont notamment examiné une étude datant de 2010 sur les émissions chimiques de l’industrie du pneu. Ces données ont été reprises dans une étude sur les pneus réalisée en 2012, démontrant que les rejets de BENPAT dans l’environnement seraient probablement inférieurs à l’estimation de l’évaluation préalable définitive. Malgré ces renseignements, les auteurs de l’analyse technique ont rejeté l’opposition de Goodyear et ont maintenu les conclusions générales de l’évaluation préalable définitive.

[15]           En septembre 2013, à la lumière de l’analyse technique, le ministre conclut qu’il n’y aura pas constitution d’une commission de révision puisqu’aucune donnée scientifique ni aucun renseignement fourni ne contredirait les conclusions de l’évaluation préalable définitive.

III.             Première question en litige : les affidavits de Goodyear sont-ils admissibles?

[16]           Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, Goodyear me demande de prendre en considération trois affidavits n’ayant pas été déposés devant le ministre lorsqu’elle a pris la décision de ne pas constituer de commission de révision. Goodyear soutient que ces affidavits n’apportent pas de preuve nouvelle mais fournissent plutôt un aperçu du contexte. Les défendeurs soutiennent que ces affidavits sont inadmissibles puisqu’ils concernent la valeur de la décision du ministre, qu’ils répètent et accentuent les motifs de contestation de Goodyear et qu’ils contiennent des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés au ministre.

[17]           Je suis d’avis qu’une partie de ces affidavits fournit des renseignements utiles à propos de certaines hypothèses scientifiques soutenant la décision du ministre. Cependant, je n’en tiendrai compte que dans la mesure de ces renseignements. Ce qui suit est un résumé du contenu pertinent de ces affidavits.

[18]           Dans son affidavit, M. Keith Solomon, Ph. D., qui a par le passé siégé à une commission de révision (concernant le Siloxane D5) déclare que la décision d’ajouter le BENPAT à l’annexe I de la LCPE n’a pas été prise en fonction des meilleurs renseignements scientifiques existant à ce moment. Plus précisément, cette décision ne prend pas en considération le fait qu’une des propriétés intrinsèques du BENPAT est de se transformer naturellement en d’autres produits; il ne devrait donc pas être considéré comme persistant dans l’environnement. M. Solomon explique que le BENPAT s’oxyde en présence d’oxygène et d’ozone, ayant une préférence pour le caoutchouc, ce qui permet d’accroître la durée de vie des produits en caoutchouc comme les pneus. Cette réaction démontre que le BENPAT se transforme en d’autres produits. À son avis, si les auteurs de l’évaluation avaient pris cette réaction en considération, leurs conclusions auraient été différentes.

[19]           Il soutient également que l’évaluation préalable a ignoré les autres propriétés du BENPAT, c’est-à-dire sa faible solubilité, sa tendance à se fragmenter en composante organique hydrophobique (comme le caoutchouc) et d’exister à un état solide à des températures sous 90 °C. Selon M. Solomon, ces caractéristiques suggèrent que le BENPAT appliqué au caoutchouc ne créera pas de rejet dans l’eau ou l’air. Selon lui, l’évaluation a surestimé la quantité de BENPAT risquant d’être rejetée par l’utilisation commerciale et de consommation de ce produit.

[20]           Ce qui est encore plus frappant est que M. Solomon soutient que les examens sur lesquels l’évaluation s’est basée pour obtenir les données concernant l’eau pénétrant dans les installations de traitement des eaux usées – communément appelé l’examen « Mega Flush  » – [traduction] « ne peuvent être considérés sérieusement ». Il considère que l’examen « Mega Flush » est inapproprié pour évaluer les rejets de BENPAT au contact de l’eau. Il s’agit d’un examen convenant uniquement aux produits de consommation aboutissant directement dans un drain.

[21]           Dans une analyse très détaillée des données disponibles, M. Frank Gobas, Ph. D., confirme l’opinion de M. Solomon selon laquelle Environnement Canada n’a pas adéquatement pris en considération les caractéristiques de solubilité et de sorption du BENPAT. Il considère également que les résultats de l’examen « Mega Flush » n’étaient ni détaillés, ni bien justifiés. Selon lui, une commission de révision aurait dû être constituée puisque l’évaluation n’a pas pris en considération des données qui ont pourtant été considérées comme significative par une commission de révision antérieure (Siloxane D5).

[22]           Goodyear a également déposé l’affidavit de Mme Julie Panko, hygiéniste industrielle certifiée. Elle croit que l’évaluation ne s’est pas basée sur la meilleure preuve disponible et qu’Environnement Canada n’a pas justifié l’utilisation de données moins fiables. Par exemple, l’évaluation se base sur une publication technique de l’OCDE parue en 2004 pour laquelle il a été démontré en 2009 que les hypothèses étaient incorrectes. De plus, Environnement Canada n’a pas pris en considération les études démontrant le risque relativement faible posé par les particules de pneus routiers. À son avis, les meilleures données disponibles démontrent que les rejets industriels de BENPAT ne créent pas de risques pour l’environnement. Mme Panko considère comme M. Solomon que les résultats d’examen « Mega Flush » ne sont pas vérifiables.

IV.             Deuxième question en litige : la décision du ministre était-elle déraisonnable?

[23]           Goodyear soutient que la décision du ministre n’était pas justifiée par la meilleure preuve existante, ce qui la rend donc déraisonnable. Au soutien de sa prétention, elle fait spécifiquement référence à la preuve de ses experts, résumée ci-dessus, et aux conclusions de la commission de révision sur le Siloxane D5.

[24]           Le rôle de la Cour n’est pas de résoudre les conflits scientifiques. La question à se poser est plutôt à savoir si la décision du ministre appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier en regard des faits et du droit. J’estime que la décision du ministre de ne pas constituer une commission de révision est une issue possible acceptable.

[25]           Comme il a été mentionné précédemment, les experts de Goodyear reprochent aux conclusions de l’évaluation préalable de ne pas reconnaître certaines caractéristiques physiques et chimiques intrinsèques du BENPAT (comme son insolubilité, son point d’ébullition, son oxydation, etc.) et d’être basées sur des données d’examens douteuses (« Mega Flush » par exemple). À mon avis, ces opinions se résument principalement à des différends sur le poids et la valeur à accorder à certains éléments de preuve analysés dans l’évaluation préalable. Cela ne me convainc pas que la décision du ministre était déraisonnable.

[26]           L’évaluation n’a pas ignoré les propriétés chimiques et physiques du BENPAT. L’analyse des conséquences potentielles du BENPAT sur l’environnement cite ces propriétés à de nombreuses reprises. Une partie de l’évaluation préalable s’intitule même « Propriétés physiques et chimiques » et comprend un tableau présentant le point de fusion, le point d’ébullition, la solubilité dans l’eau et autres caractéristiques pertinentes du BENPAT. Le texte souligne que la solubilité est « un des paramètres clés permettant la caractérisation du devenir d’une substance chimique lorsque cette dernière est rejetée dans l’environnement ». Le texte réfère directement à la faible solubilité aqueuse du BENPAT. L’évaluation préalable mentionne également les propriétés antioxydantes du BENPAT et le mécanisme agissant comme agent préventif de la dégradation des produits en caoutchouc, comme les pneus et les tuyaux.

[27]           Je ne peux donc pas conclure que l’évaluation préalable n’a pas pris en considération les caractéristiques physiques et chimiques intrinsèques du BENPAT.

[28]           Les experts de Goodyear ont aussi écarté la valeur de certaines modélisations de données citées dans l’évaluation préalable, plus précisément celles du résultat de l’examen « Mega Flush ». Cette critique fait également partie de l’avis d’opposition de Goodyear et a été étudiée dans l’analyse technique. Cette analyse explique que lorsque possible [traduction] « la preuve concernant les propriétés intrinsèques du BENPAT, la quantité en commerce et l’évaluation des rejets potentiels dans l’environnement a été examinée de façon critique et utilisée pour mesurer le poids de la preuve dans la préparation du quotient de risque pour cette substance ». Toutefois, dans certaines circonstances et en l’absence de données réelles, des modèles tels que le « Mega Flush » ont été appliqués avec précaution.

Les hypothèses émises par les scénarios « Mega Flush » demeurent prudentes en raison des nombreuses incertitudes relatives aux rejets de BENPAT dans les milieux aquatiques à la suite de son utilisation par des consommateurs. Ces incertitudes découlent notamment du manque de données relatives à la caractérisation des particules d’usure des pneus se retrouvant dans les eaux pluviales d’orage, aux différentes pratiques de gestion des eaux de pluie au Canada et à l’impact de ces pratiques sur l’extraction de BENPAT.

[29]           Goodyear a raison lorsqu’elle souligne que la commission de révision sur le Siloxane D5 a conclu que des examens comme le « Mega Flush », sur lesquels l’évaluation préalable s’est basée pour analyser cette composante, étaient limités et probablement inexacts. Toutefois, la commission en est arrivée à cette conclusion seulement après avoir examiné des données plus récentes et fiables : [traduction] « Maintenant qu’un suivi empirique des données est disponible, la commission considère que ces valeurs mesurées sont plus fiables que celles évaluées par le modèle “Mega Flush” ». La commission n’a pas conclu que ce modèle ne devrait absolument pas être utilisé en raison de son manque de fiabilité.

[30]           Ainsi, je considère que la conclusion du ministre était raisonnable par rapport à la preuve dont elle disposait, notamment les observations nombreuses et substantielles de Goodyear.

[31]           Goodyear fait aussi valoir que la décision du ministre de ne pas constituer de commission de révision est déraisonnable puisqu’elle était basée sur une norme qui n’a pas été établie pour la LCPE et qui, en fait, est incompatible avec son cadre législatif.

[32]           Je suis convaincu que la norme appliquée par le ministre était appropriée et que sa décision n’était pas déraisonnable en regard de la preuve.

[33]           Le refus du ministre de constituer une commission de révision conformément à la demande de Goodyear se fonde sur le fait que l’avis d’opposition [traduction] « n’apporte pas de nouvelles données scientifiques ni de renseignements qui seraient de nature à modifier la conclusion de l’évaluation ». Goodyear soumet que cette norme signifie en fait que le ministre lui dit : [traduction] « vous devez me convaincre que mon personnel en est arrivé à la mauvaise conclusion en effectuant l’évaluation préalable, sans quoi je ne constituerai pas de commission de révision ». La compagnie soutient que ce critère est inapproprié puisque :

     Cela exigerait qu’elle démontre que le BENPAT n’est pas nocif pour l’environnement. Si Goodyear était en mesure de démontrer une telle preuve dans son avis d’opposition, le ministre aurait tout simplement à renverser ses conclusions et une commission de révision ne serait donc pas nécessaire, ce qui démontrerait une redondance dans la Loi;

     Cela impose à Goodyear le fardeau de persuader les représentants mêmes qui ont rédigé l’évaluation et qui ont déjà leur idée de formée au sujet du BENPAT;

      Il est peu probable qu’une partie visée serait en mesure de fournir de nouvelles données dans un délai de 60 jours;

      Une contestation démontrant que les données antérieures ne sont pas fiables serait insuffisante puisque la demanderesse devrait présenter de « nouvelles » données pour voir sa demande autorisée;

      Ce critère est contraire à l’accent qui est mis dans la LCPE pour la participation des intervenants et des membres du public;

     Il est incompatible avec les autres critères appliqués pour d’autres demandes de constitution d’une commission de révision.

[34]           Je suis en désaccord avec la caractérisation du critère du ministre que fait Goodyear. À mon avis, le critère se résume à ceci : « Vous avez eu de nombreuses occasions de présenter des éléments de preuve au soutien de votre position et de contester les données sur lesquelles l’évaluation préalable s’est basée, et le tout a déjà été pris en considération. Votre avis d’opposition ne soulève rien de nouveau qui aurait un effet sur les conclusions de l’évaluation. Par conséquent, j’ai décidé de ne pas constituer de commission de révision. » En d’autres mots, le critère du ministre ne doit pas être lu de façon isolée mais plutôt en considérant le contexte de l’ensemble du processus menant à la décision.

[35]           Il s’en suit que je n’accepte pas les allégations de Goodyear selon lesquelles le critère du ministre serait impossible à appliquer et rendrait les commissions de révision redondantes. Ce critère n’entre pas en conflit avec l’accent que met la LCPE sur la participation. Il ne s’écarte pas de façon substantielle des critères appliqués dans d’autres décisions refusant de constituer une commission de révision, toutes ces décisions ayant exigé une nouvelle preuve justifiant cette constitution. Bien que le ministre ait énoncé une norme légèrement supérieure en ajoutant que la nouvelle preuve doit [traduction] « justifier une modification à la conclusion », il ne s’agit pas, dans les circonstances, d’un critère déraisonnable considérant toutes les occasions qui ont été données à Goodyear de déposer une preuve et des observations pendant l’ensemble du processus conduisant à la décision du ministre. Ce point a d’ailleurs été expliqué à Goodyear dans l’analyse technique répondant à son avis d’opposition.

Étant donné que le rôle principal d’une commission de révision serait de revoir et répéter le travail qui a été fait dans le processus consultatif en plusieurs étapes ayant conduit au décret proposé, il est raisonnable que les ministres s’attendent à ce que les avis d’opposition soient accompagnés de nouveaux renseignements démontrant de façon crédible et convaincante qu’il est justifié de mener une commission de révision malgré les délais et les coûts qui seront engendrés.

V.                Troisième question en litige : est-ce que le ministre a manqué à son devoir d’équité envers Goodyear?

[36]           Goodyear soutient que le ministre avait l’obligation de la traiter équitablement en prenant sa décision de constituer ou non une commission de révision. Selon la demanderesse, le ministre ne s’est pas déchargé de son fardeau puisqu’elle a fait défaut de divulguer une étude de 2012 sur les pneus démontrant que les rejets industriels de BENPAT pourraient être inférieurs à ce qui avait été estimé dans l’évaluation préalable.

[37]           Je ne suis pas d’accord avec l’argument de Goodyear. Le ministre n’a pas de devoir d’équité envers Goodyear et, même si un tel devoir existait, le ministre n’y aurait pas contrevenu dans les circonstances.

[38]           La décision administrative du ministre ne concernait pas des droits, privilèges ou intérêts de Goodyear. Il s’agit plutôt d’une décision générale en lien au traitement réglementaire d’une composante chimique, prenant en considération l’intérêt public général. Ni la décision du ministre relativement à la constitution d’une commission de révision ni le mandat de la commission elle-même ne portent sur les droits ou privilèges individuels (Syncrude Canada Ltd c. Canada [procureur général], 2014 CF 776 au paragraphe 158).

[39]           Goodyear soulève qu’Environnement Canada était vraisemblablement au courant de cette étude de 2012 sur les pneus puisqu’elle l’a spécifiquement citée dans une déclaration de mise à jour de la gestion du risque publiée deux jours après que le ministre ait rendu sa décision de ne pas constituer de commission de révision et pourtant, cette étude n’a pas été citée dans l’évaluation préalable et n’a été divulguée à Goodyear qu’une fois la décision du ministre rendue. Aux dires de la demanderesse, la conduite du ministre a été contraire aux attentes légitimes selon lesquelles il considérerait toute la preuve scientifique disponible dans son évaluation de la preuve et que Goodyear serait en droit de connaître le seuil de preuve à satisfaire pour persuader le ministre de constituer une commission de révision.

[40]           En fait, comme il l’a été mentionné précédemment, cette étude de 2012 se base sur des données contenues dans une étude antérieure parue en 2010 qui a été divulguée à Goodyear et prise en considération par le ministre. Ces données n’ont tout simplement pas diminué les préoccupations des représentants d’Environnement Canada concernant les rejets industriels de BENPAT dans l’environnement.

[41]           Je ne peux donc pas conclure que le ministre a contrevenu à quelque devoir d’équité que ce soit envers Goodyear. En fait, comme cela a été souligné précédemment, Goodyear a eu de nombreuses occasions de participer au processus ayant mené à la décision du ministre. Elle n’a pas été traitée injustement.

VI.             Conclusion et dispositif

[42]           Bien que le ministre n’avait aucun devoir d’équité envers Goodyear, cette dernière a malgré tout été traitée équitablement dans le processus menant à la décision du ministre de ne pas constituer de commission à propos des conséquences du BENPAT sur l’environnement. De plus, considérant le processus et les occasions données à Goodyear d’y participer, je ne peux conclure que le critère appliqué par le ministre, qui a décidé qu’avant de constituer une commission de révision, Goodyear devait offrir des éléments de preuve soutenant une modification aux conclusions de l’évaluation préalable, était déraisonnable. Enfin, la décision du ministre n’était pas déraisonnable en regard de la preuve qu’elle détenait relativement aux propriétés physiques et chimiques du BENPAT et de ses conséquences potentielles pour l’environnement. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire, avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

« James W. O’Reilly »

Juge


ANNEXE

Loi canadienne sur la protection de l’environnement, LC 1999, ch 33

Canadian Environmental Protection Act, SC 1999, c 33

Substance toxique

Toxic substances

64. Pour l’application de la présente partie et de la partie 6, mais non dans le contexte de l’expression « toxicité intrinsèque «, est toxique toute substance qui pénètre ou peut pénétrer dans l’environnement en une quantité ou concentration ou dans des conditions de nature à :

64. For the purposes of this Part and Part 6, except where the expression “inherently toxic” appears, a substance is toxic if it is entering or may enter the environment in a quantity or concentration or under conditions that

a) avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement ou sur la diversité biologique;

(a) have or may have an immediate or long-term harmful effect on the environment or its biological diversity;

Catégorisation des substances inscrites sur la liste intérieure

Categorization of substances on Domestic Substances List

73. (1) Dans les sept ans qui suivent la date où la présente loi a reçu la sanction royale, les ministres classent par catégories les substances inscrites sur la liste intérieure par application de l’article 66 pour pouvoir déterminer, en se fondant sur les renseignements disponibles, celles qui, à leur avis :

73. (1) The Ministers shall, within seven years from the giving of Royal Assent to this Act, categorize the substances that are on the Domestic Substances List by virtue of section 66, for the purpose of identifying the substances on the List that, in their opinion and on the basis of available information,

a) soit présentent pour les particuliers au Canada le plus fort risque d’exposition;

(a) may present, to individuals in Canada, the greatest potential for exposure; or

[En blanc / Blank]

(b) are persistent or bioaccumulative in accordance with the regulations, and inherently toxic to human beings or to non-human organisms, as determined by laboratory or other studies.

Renseignements

Information

(2) Si les renseignements disponibles sont insuffisants, les ministres peuvent, dans la mesure du possible, coopérer avec les autres gouvernements au Canada, les gouvernements à l’étranger ou tout intéressé en vue d’obtenir les renseignements requis.

(2) Where available information is insufficient to identify substances as referred to in that subsection, the Ministers may, to the extent possible, cooperate with other governments in Canada, governments of foreign states or any interested persons to acquire the information required for the identification.

Application du paragraphe 81(3)

Application of subsection 81(3)

(3) Lorsqu’ils classent par catégories des substances inscrites sur la liste intérieure, les ministres les examinent afin de déterminer s’il y a lieu de modifier la liste en vue d’y indiquer qu’elles sont assujetties au paragraphe 81(3).

(3) When categorizing substances under subsection (1), the Ministers shall examine the substances that are on the Domestic Substances List to determine whether an amendment should be made to the List to indicate that subsection 81(3) applies with respect to those substances.

Évaluation préalable des risques

Screening level risk assessment

74. Une fois qu’ils ont établi qu’une substance correspond aux critères énoncés aux alinéas 73(1)a) ou b), les ministres en effectuent une évaluation préalable pour pouvoir, d’une part, déterminer si elle est effectivement ou potentiellement toxique et, d’autre part, choisir, parmi les mesures énumérées au paragraphe 77(2), celle qu’ils ont l’intention de prendre à son égard; ils font de même à l’égard d’une substance inscrite sur la liste intérieure en application de l’article 105.

74. The Ministers shall conduct a screening assessment of a substance in order to determine whether the substance is toxic or capable of becoming toxic and shall propose one of the measures described in subsection 77(2) if

[En blanc / Blank]

(a) the Ministers identify a substance on the Domestic Substances List to be a substance described in paragraph 73(1)(a) or (b); or

[En blanc / Blank]

(b) the substance has been added to the Domestic Substances List under section 105.

Inscription sur la liste des substances toxiques

Addition to List of Toxic Substances

Poids de la preuve et principe de prudence

Weight of evidence and precautionary principle

76.1 Les ministres appliquent la méthode du poids de la preuve et le principe de la prudence lorsqu’ils procèdent à l’évaluation et aux examens ci-après mentionnés et à l’évaluation de leurs résultats:

76.1 When the Ministers are conducting and interpreting the results of

a) l’évaluation préalable en vertu de l’article 74;

(a) a screening assessment under section 74,

b) l’examen, en vertu du paragraphe 75(3), de la décision d’une autre instance qui, de leur avis, est, à la fois, fondée sur des considérations scientifiques et pertinente pour le Canada;

(b) a review of a decision of another jurisdiction under subsection 75(3) that, in their opinion, is based on scientific considerations and is relevant to Canada, or

c) l’examen afin de déterminer si une substance inscrite sur la liste des substances d’intérêt prioritaire est effectivement ou potentiellement toxique.

(c) an assessment whether a substance specified on the Priority Substances List is toxic or capable of becoming toxic,

the Ministers shall apply a weight of evidence approach and the precautionary principle.

90. (1) S’il est convaincu qu’une substance est toxique, le gouverneur en conseil peut prendre, sur recommandation des ministres, un décret d’inscription de la substance sur la liste de l’annexe 1.

90. (1) Subject to subsection (3), the Governor in Council may, if satisfied that a substance is toxic, on the recommendation of the Ministers, make an order adding the substance to the List of Toxic Substances in Schedule 1.

Publication des projets de décret, d’arrêté et de règlement

Publication of proposed orders and regulations

332. (1) Le ministre fait publier dans la Gazette du Canada les projets de décret, d’arrêté ou de règlement prévus par la présente loi; le présent paragraphe ne s’applique pas aux listes visées aux articles 66, 87, 105 ou 112 ou aux arrêtés d’urgence pris en application des articles 94, 163, 173, 183 ou 200.1.

332. (1) The Minister shall publish in the Canada Gazette a copy of every order or regulation proposed to be made by the Minister or the Governor in Council under this Act, except a list, or an amendment to a list, referred to in section 66, 87, 105 or 112 or an interim order made under section 94, 163, 173, 183 or 200.1.

Avis d’opposition

Notice of objection

(2) Quiconque peut, dans les soixante jours suivant la publication dans la Gazette du Canada des projets de décret, d’arrêté, de règlement ou de texte — autre qu’un règlement — à publier en application du paragraphe 91(1), présenter au ministre des observations ou un avis d’opposition motivé demandant la constitution de la commission de révision prévue à l’article 333.

(2) Within 60 days after the publication of a proposed order or regulation in the Canada Gazette under subsection (1) or a proposed instrument respecting preventive or control actions in relation to a substance that is required by section 91 to be published in the Canada Gazette, any person may file with the Minister comments with respect to the order, regulation or instrument or a notice of objection requesting that a board of review be established under section 333 and stating the reasons for the objection.

Exception

Single publication required

(3) Ne sont pas visés par l’obligation de publication les projets de décret, d’arrêté, de règlement ou de texte — autre qu’un règlement — déjà publiés dans les conditions prévues au paragraphe (1), qu’ils aient ou non été modifiés.

(3) No order, regulation or instrument need be published more than once under subsection (1), whether or not it is altered after publication.

Danger de la substance

Establishment of board of review

333. (1) En cas de dépôt de l’avis d’opposition mentionné aux paragraphes 77(8) ou 332(2), le ministre, seul ou avec le ministre de la Santé, peut constituer une commission de révision chargée d’enquêter sur la nature et l’importance du danger que représente la substance visée soit par la décision ou le projet de règlement, décret ou texte du gouverneur en conseil, soit par la décision ou le projet d’arrêté ou de texte des ministres ou de l’un ou l’autre.

333. (1) Where a person files a notice of objection under subsection 77(8) or 332(2) in respect of

[En blanc / Blank]

(a) a decision or a proposed order, regulation or instrument made by the Governor in Council, or

[En blanc / Blank]

(b) a decision or a proposed order or instrument made by either or both Ministers,

[En blanc / Blank]

the Minister or the Ministers may establish a board of review to inquire into the nature and extent of the danger posed by the substance in respect of which the decision is made or the order, regulation or instrument is proposed.

Accords et conditions afférentes

Establishment of board of review

(2) En cas de dépôt de l’avis d’opposition mentionné aux paragraphes 9(3) ou 10(5), le ministre peut constituer une commission de révision chargée d’enquêter sur l’accord en cause et les conditions de celui-ci.

(2) Where a person files a notice of objection under subsection 9(3) or 10(5) in respect of an agreement or a term or condition of the agreement, the Minister may establish a board of review to inquire into the matter.

Rejet d’une substance dans l’atmosphère ou l’eau

Mandatory review for international air and water

(3) En cas de dépôt, dans le délai précisé, de l’avis d’opposition mentionné au paragraphe 332(2), le ministre constitue une commission de révision chargée d’enquêter sur la nature et l’importance du danger que représente le rejet dans l’atmosphère ou dans l’eau de la substance visée par un projet de règlement d’application des articles 167 ou 177.

(3) Where a person or government files with the Minister a notice of objection under subsection 332(2) with respect to regulations proposed to be made under section 167 or 177 within the time specified in that subsection, the Minister shall establish a board of review to inquire into the nature and extent of the danger posed by the release into the air or water of the substance in respect of which the regulations are proposed.

Règlements — partie 9 et article 118

Mandatory reviews for certain regulations

(4) En cas de dépôt, dans le délai précisé, de l’avis d’opposition mentionné au paragraphe 332(2) à l’égard d’un projet de règlement d’application de la partie 9 ou de l’article 118, le ministre constitue une commission de révision chargée d’enquêter sur la question soulevée par l’avis.

(4) Where a person files with the Minister a notice of objection under subsection 332(2) with respect to regulations proposed to be made under Part 9 or section 118 within the time specified in that subsection, the Minister shall establish a board of review to inquire into the matter raised by the notice.

Plaintes quant aux permis

Review for permits

(5) En cas de dépôt, dans le délai précisé, de l’avis d’opposition mentionné à l’article 134, le ministre peut constituer une commission de révision chargée d’enquêter sur la question soulevée par l’avis.

(5) Where a person files with the Minister a notice of objection under section 134 within the time specified in that section, the Minister may establish a board of review to inquire into the matter raised by the notice.

Toxicité de la substance

Mandatory review for toxics

(6) Lorsqu’une personne dépose un avis d’opposition auprès du ministre en vertu de l’article 78 pour défaut de décision sur la toxicité d’une substance, le ministre constitue une commission de révision chargée de déterminer si cette substance est effectivement ou potentiellement toxique.

(6) Where a person files with the Minister a notice of objection under section 78 in respect of the failure to make a determination about whether a substance is toxic, the Minister shall establish a board of review to inquire into whether the substance is toxic or capable of becoming toxic.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1707-13

 

INTITULÉ :

GOODYEAR CANADA INC. c. LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 23 septembre et 24 septembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE :

Le 25 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

Harry Dahme

Anthony Creber

Jay Zakaib

 

Pour la demanderesse

 

Lynn Marchildon

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.