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Date : 20160420


Dossier : IMM-2367-15

Référence : 2016 CF 440

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2016

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

CAN HUI LIU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS 

[1]               Le demandeur est un citoyen de la Chine âgé de 30 ans. Il est arrivé à Vancouver, au Canada, en septembre 2009. En 2010, il a déménagé à Toronto et a commencé à étudier la comptabilité au Collège Seneca avant de décrocher un diplôme en 2011. En février 2014, il a déposé une demande de résidence permanente. Dans cette demande, il indique exercer actuellement la profession envisagée de « soudeur ». En particulier, il déclare avoir travaillé comme apprenti soudeur dans l’entreprise Bethel Welding Ltd., à Toronto, d’octobre 2012 à décembre 2013. Sa demande inclut une lettre datée du 23 décembre 2013 rédigée par son superviseur, Aaron Gao, à Bethel Welding Ltd. Dans la lettre, M. Gao déclare, entre autres, que le demandeur (appelé « Canhui (Derek) Liu ») travaille actuellement comme soudeur et est employé à temps plein (44 heures par semaine) en tant que travailleur occupant un emploi à durée déterminée.

[2]               Le 5 novembre 2014, un agent a envoyé par courriel au demandeur une lettre relative à l’équité procédurale dans laquelle il exprime de « graves préoccupations » au sujet de sa demande, en particulier son allégation selon laquelle il travaillait comme soudeur :

[traduction] Le 5 novembre 2014, nous avons communiqué avec M. Aaron Gao à Bethel Welding Ltd. M. Gao a confirmé que vous étiez à l’origine employé comme comptable, mais que vous avez demandé à suivre une formation de soudeur. Au bout de deux à trois mois comme apprenti soudeur, M. Gao a été informé par le contremaître de la société que vous n’aviez pas les compétences nécessaires pour continuer à occuper le poste de soudeur. M. Gao a en outre déclaré que vous aviez ensuite réintégré les bureaux de l’entreprise où vous avez continué à travailler en tant que comptable. Compte tenu de ces renseignements, je ne suis pas convaincu que vous avez l’expérience requise en tant que soudeur, CNP 7237.

[3]               Le même jour que la lettre a été envoyée, la note suivante a été inscrite dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) du défendeur :

[traduction] ***DOSSIER RENVOYÉ POUR ENQUÊTE. NE PAS DIVULGUER LES RENSEIGNEMENTS AU CLIENT POUR LE MOMENT*** J’ai communiqué avec Aaron Gao, directeur des opérations, signataire de la lettre d’emploi. M. Gao ne se souvenait pas de la date précise d’embauche du demandeur principal, mais a dit que c’était en 2012 et qu’il avait travaillé durant 1 an environ. Je l’ai interrogé au sujet de l’entreprise. Il a répondu avoir entre 2 et 4 employés en ce moment en raison des activités qui tournent au ralenti, mais que l’année dernière il avait entre 5 et 10 employés, puis entre 2 et 4. Je lui ai demandé combien d’apprentis il avait. M. Goa semblait avoir du mal à saisir le concept d’apprenti. M. Gao a ensuite déclaré que Derek avait été embauché comme comptable, mais qu’il avait demandé à suivre une formation pour devenir soudeur. Entre deux et trois mois plus tard, le contremaître a dit à M. Gao que les compétences en soudage du demandeur principal étaient insuffisantes. Le demandeur principal a ensuite réintégré les bureaux de l’entreprise en tant que comptable. Je lui ai demandé une nouvelle fois combien de temps le demandeur principal avait travaillé comme soudeur. M. Gao a répondu qu’il avait occupé ce poste entre deux et trois mois. Le demandeur principal a quitté l’entreprise depuis.

[4]               Le demandeur a répondu au courriel de l’agent daté du 5 novembre 2015 et a joint une seconde lettre de M. Gao, ainsi que des chèques de paie et plusieurs photos. Dans la lettre, M. Gao affirme avoir reçu un appel d’un agent d’immigration pendant qu’il conduisait et a dit que ce serait mieux si l’agent le rappelait à un autre moment. Toutefois, l’agent a poursuivi la conversation et a posé des questions sur les antécédents de travail du demandeur. M. Gao déclare qu’il conduisait et qu’il a répondu aux questions de l’agent rapidement et de façon inexacte. M. Gao indique en outre qu’à la suite de l’appel téléphonique, et après avoir été informé par le demandeur qu’il avait fourni des renseignements erronés, il a vérifié son dossier avant de déclarer : [traduction] « Je me suis rendu compte que j’avais confondu les antécédents de travail de Derek Liu avec ceux d’un autre employé nommé Derek parce que j’avais été distrait au volant et parce que la rotation des emplois au sein de l’entreprise était élevée; en outre, notre société avait plusieurs employés nommés Derek, donc étant donné que je conduisais, il m’était à peine possible de les distinguer. »

[5]               M. Gao conclut comme suit : [traduction] « J’aimerais rectifier mes erreurs précédentes et certifier que Canhui (Derek) Liu était apprenti soudeur à temps plein à Bethel Welding Ltd. d’octobre 2012 à décembre 2013. Durant cette période, il a travaillé 44 heures par semaine et son salaire était de 15 $ l’heure. »

[6]               Le 1er mai 2015, le demandeur a reçu une lettre de refus de sa demande de résidence permanente. Dans la lettre, l’agent a déclaré qu’il n’était [traduction] « pas convaincu qu’il satisfaisait aux critères en matière d’expérience de travail qualifié » de la Catégorie de l’expérience canadienne. L’agent a expliqué ce qui suit :

[traduction] Je note que votre employeur a reçu un appel téléphonique le 5 novembre 2014 en vue de confirmer les détails de votre emploi. M. Aaron Gao, le signataire de votre lettre de recommandation professionnelle, et directeur des opérations de Bethel Welding a répondu aux questions concernant votre emploi. Il a déclaré que vous aviez été embauché en tant que comptable et que vous aviez seulement travaillé deux à trois mois comme soudeur. Je remarque qu’en réponse à ces préoccupations, vous avez fourni une lettre de recommandation professionnelle supplémentaire rédigée par M. Gao qui stipule qu’il vous avait confondu avec un autre employé également nommé Derek et qu’il avait également été distrait parce qu’il conduisait. Si j’admets que votre employeur a pu être contacté à un moment inopportun, je trouve inconcevable qu’il m’ait fourni des renseignements incorrects au sujet de votre emploi. [Non souligné dans l’original.]

L’agent a conclu qu’il n’était pas convaincu que le demandeur avait l’expérience nécessaire en tant que soudeur pour satisfaire aux critères du programme Catégorie de l’expérience canadienne et a rejeté sa demande.

Questions en litige

[7]               Le demandeur a soulevé deux questions. Tout d’abord, il affirme que l’agent a violé l’équité procédurale en omettant de lui fournir des détails de sa conversation avec M. Gao, et en omettant de l’interroger sur les contradictions entre sa version des faits au sujet de son emploi et celle fournie par M. Gao à l’agent durant leur conversation. Ensuite, il prétend que l’agent a commis une erreur en concluant, à partir de l’appel téléphonique avec M. Gao, qu’il n’avait pas accumulé une année d’expérience de travail qualifié.

[8]               La première question doit être examinée selon la norme de la décision correcte tandis que la seconde doit être examinée selon la norme du caractère raisonnable. Voir la décision Mehfooz c. Canada (Citoyenneté et Immigration, 2016 CF 165, 263 ACWS (3d) 458, aux paragraphes 9 à 11.

Analyse

A.                Équité procédurale

[9]               La lettre relative à l’équité procédurale n’a pas divulgué tous les détails de la conversation de l’agent avec M. Gao. Les détails de cette conversation qui se trouvent dans les notes du SMGC, mais pas dans la lettre, comprennent le nombre d’employés que M. Gao a dit avoir eus à diverses périodes, et précisaient que M. Gao semblait avoir du mal à saisir le concept d’« apprenti ». Les notes du SMGC ne font aucunement mention de certains détails attestés par M. Gao dans sa deuxième lettre, y compris le fait qu’il conduisait pendant la conversation et qu’il avait demandé à l’agent de le rappeler ultérieurement.

[10]           Le demandeur fait valoir qu’il était injuste pour l’agent de demander au demandeur de répondre aux renseignements glanés dans sa conversation avec M. Gao, sans fournir plus de détails sur cette conversation. Plus précisément, le demandeur écrit ce qui suit :

[traduction] CIC n’a rien fourni par écrit au sujet de la conversation qui a eu lieu avec l’employeur canadien du demandeur. Le demandeur est « maintenu dans l’ignorance » au sujet de cette importante conversation, des questions posées, des réponses complètes fournies, des compétences de son employeur en anglais, etc. [Souligné dans l’original.]

[11]           L’agent avait l’obligation de tenir un registre complet des « questions posées » et des « réponses complètes fournies ». Bien que l’agent n’ait pas divulgué tous les détails contenus dans les notes du SMGC, l’agent a révélé l’unique détail important et pertinent, à savoir que M. Gao avait déclaré que le demandeur avait travaillé seulement deux à trois mois en tant que soudeur avant de réintégrer son poste de comptable. Ce poste, d’après le défendeur, correspond davantage à la formation du demandeur.

[12]           Comme ce fut le cas pour le demandeur dans la décision Sidhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 419, 453 FTR 297 [Sidhu], au paragraphe 15, le demandeur ici ne précise pas quelles autres observations il aurait faites s’il avait été informé des détails des notes du SMGC qui ne sont pas mentionnés dans la lettre. Le demandeur n’a pas été « maintenu dans l’ignorance ». Au contraire, il a eu la possibilité raisonnable de réfuter ce qu’on lui reprochait et il en a pleinement profité. Comme dans Sidhu, il n’y a pas eu violation de l’équité procédurale sur ce fondement.

[13]           Le demandeur fait également valoir que l’agent a agi injustement en ne l’interrogeant pas sur l’incompatibilité entre sa version des faits au sujet de son emploi et celle qui a été donnée lors de la conversation entre l’agent et M. Gao. Le demandeur soutient qu’une entrevue avait été exigée parce qu’une question de crédibilité avait été soulevée au sujet de l’allégation du demandeur selon laquelle il avait travaillé comme soudeur pendant un an. Dans ses observations orales, le conseil a soutenu avec force que l’agent avait le devoir de « l’interroger sérieusement » sur les versions discordantes.

[14]           Là encore, je ne suis pas d’accord. Il est vrai que, au sens large, la conversation que l’agent a eue avec M. Gao a soulevé des questions quant à la crédibilité du demandeur. Il en a été de même pour toute preuve qui contredisait la version du demandeur et aurait mis sa crédibilité en jeu. Cependant, si, comme l’affirme le demandeur, la version donnée par ce dernier est correcte et celle de M. Gao est fausse, on ne voit pas bien ce que le demandeur aurait pu dire, dans une entrevue, pour expliquer pourquoi M. Gao avait fait cette erreur. La meilleure preuve que le demandeur aurait pu fournir est celle qu’il a fournie, à savoir, une déclaration de M. Gao expliquant la contradiction entre sa lettre et ce qu’il a dit au téléphone.

[15]           Les faits en l’espèce sont semblables à ceux de la décision Bhamra c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 239, 239 ACWS (3d) 169 [Bhamra], citée par le défendeur. Dans cette affaire, un demandeur de visa a fourni une déclaration de soutien qu’aurait prétendument écrit un employeur. Un agent a composé le numéro de téléphone qui était indiqué sur la déclaration, et il a parlé à une personne qui prétendait être l’employeur. L’employeur a nié que le demandeur avait travaillé pour lui. L’agent a envoyé une lettre relative à l’équité procédurale détaillant les préoccupations découlant de l’appel téléphonique. En réponse, le demandeur a fourni une autre déclaration de soutien de l’employeur, qui tentait d’expliquer l’incohérence. Cette explication a été rejetée et le visa n’a pas été octroyé. Lors du contrôle judiciaire, le demandeur a affirmé que sa crédibilité avait été remise en cause.

[16]           Cet argument a été rejeté par la Cour, qui a formulé la conclusion suivante au paragraphe 42 :

Le demandeur a reçu une lettre d’équité et a eu amplement l’occasion de résoudre la question des fausses déclarations en sa faveur. Il a plutôt offert des lettres contradictoires ainsi qu’une explication invraisemblable et entièrement non corroborée au sujet de cette contradiction. Ainsi que le juge Mandamin l’a souligné dans la décision Chen [Chen Guo Hui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 10 décembre 2010, IMM-2357-10 (CF)], en s’appuyant sur les remarques du juge Zinn dans la décision Ni [Ni c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 162], au paragraphe 18 :

Je souscris à l’avis du demandeur selon lequel une norme d’équité élevée est requise pour conclure à l’existence de fausses déclarations. C’est la raison pour laquelle l’agent a envoyé au demandeur une lettre d’équité procédurale dans laquelle il a formellement soulevé ses préoccupations et permis au demandeur de présenter une réponse. C’est la norme d’équité requise en les circonstances et l’agent s’est acquitté de son fardeau. Selon la norme d’équité, l’agent n’est pas obligé d’accepter aveuglément la réponse à la lettre d’équité sans se questionner. Il doit évaluer la réponse pour voir si elle répond à ses préoccupations et dissipe ses doutes. Comme nous l’avons vu, cette décision peut être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable.

C’est la lettre d’équité qui, dans ce contexte, offre au demandeur une occasion véritable de répondre aux préoccupations et de faire pleinement valoir ses arguments, conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Baker. Le demandeur ne m’a pas démontré qu’il n’a pas pu présenter la réponse qu’il souhaitait à la lettre d’équité.

[17]           Le raisonnement de Bhamra s’applique en l’espèce.

B.                 Caractère raisonnable de la décision

[18]           Le demandeur soutient que la décision de l’agent était déraisonnable du fait qu’il n’avait fourni aucune raison de privilégier les preuves découlant de la conversation téléphonique avec M. Gao à la lettre fournie par la suite par M. Gao, dans laquelle il a expliqué qu’il avait fait une erreur.

[19]           La question dont était saisi l’agent était de savoir si le demandeur avait acquis [traduction] « au moins un an d’expérience professionnelle à temps plein » conformément à l’alinéa 87.1(2)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. L’agent disposait de la preuve découlant d’une conversation téléphonique avec M. Gao, dans laquelle il avait clairement indiqué que le demandeur avait seulement cumulé deux à trois mois d’expérience pertinente. L’agent disposait également d’une lettre ultérieure de M. Gao, dans laquelle il avait expliqué que sa déclaration antérieure était erronée. En décidant de préférer la preuve découlant de la conversation téléphonique, l’agent a déclaré ce qui suit : [traduction] « Si [M. Gao] a pu être contacté à un moment inopportun, je trouve inconcevable qu’il m’ait fourni des renseignements incorrects au sujet de votre emploi. »  En d’autres termes, l’agent a reconnu l’explication suivante de la part de M. Gao, mais il ne l’a pas jugée suffisante.

[20]           Le travail de l’agent consiste à évaluer la preuve et il était loisible à l’agent de préférer la preuve découlant de la conversation téléphonique à l’explication fournie par la suite. Il aurait peut-être été préférable que l’agent explique cette préférence plus en détail. Cependant, le fait que l’agent ne l’a pas fait ne représente pas un motif autonome justifiant un contrôle judiciaire : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. TerreNeuveetLabrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 14. Cela ne porte pas non plus atteinte à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité de la décision de l’agent, si bien que cette dernière n’est pas déraisonnable.

[21]           Le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer les éléments de preuve : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 SCR 339, au paragraphe 61, et c’est exactement ce que le demandeur me demande de faire.

[22]           Aucune question de certification n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande. Aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2367-15

 

INTITULÉ :

CAN HUI LIU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 AVRIL 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 AVRIL 2016

 

COMPARUTIONS :

Robert I. Blanshay

Pour le demandeur

 

Stephen Jarvis

Pour le défendeur

.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert Israel Blanshay

Avocat

Société professionnelle

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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