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Date : 20160419


Dossier : IMM-1223-16

Référence : 2016 CF 423

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 19 avril 2016

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

MAITHAM AZIZ ALZEHRANI

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

(Motifs prononcés de vive voix à l’audience, le 11 avril 2016.)

[1]               Il s’agit de la suite de l’audience tenue à Vancouver, en Colombie-Britannique, le 31 mars 2016, dans le cadre de laquelle le ministre demande une suspension de l’ordonnance de la commissaire King de la Section de l’immigration par laquelle il a mis le défendeur en liberté, le 22 mars 2016. Le 31 mars 2016, j’ai accordé une ordonnance de suspension provisoire jusqu’à ce que la date d’aujourd’hui ou jusqu’à ce qu’il y ait une nouvelle ordonnance de la Cour.

[2]               J’ai examiné les documents soumis par les parties et j’ai examiné attentivement le critère conjoint en trois étapes énoncé dans la décision RJR MacDonald Inc. c. Canada [1994] 1 RCS 311 [RJR MacDonald] et comme précisé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988) 86 NR 302 [Toth].

[3]               Je suis pleinement conscient du fait que, dans le cadre de cette demande de suspension, il m’incombe de déterminer l’issue de la demande de contrôle judiciaire, mais seulement pour évaluer le critère en trois étapes énoncé dans les arrêts RJR MacDonald et Toth.

[4]               Avant d’aborder les éléments fondamentaux du critère en trois étapes, j’estime qu’il convient de définir le contexte. M. Maitham Aziz Alzehrani, ci-après dénommé M. Alzehrani, est un citoyen âgé de 44 ans de l’Irak qui est arrivé aux États-Unis en 1994. En 1997, il a été condamné aux États-Unis pour violence conjugale pour laquelle il a été condamné à une probation de deux ans. Selon les rapports de police, cet acte de violence est survenu alors qu’il tentait de chasser sa petite amie de force de leur appartement. Moins d’une semaine plus tard, M. Alzehrani a suivi sa petite amie jusqu’au travail et l’a fait sortir de force du véhicule de son ami, puis l’a fait embarquer dans sa voiture.

[5]               Plus tard, alors qu’il était en probation pour enlèvement, séquestration illégale et violence conjugale, M. Alzehrani a commis une agression sexuelle. Il a été condamné en 1998 pour cette agression, qui constitue des rapports sexuels forcés avec sa colocataire, après que le conjoint de la victime et la conjointe du défendeur soient partis au travail et alors que les trois jeunes enfants de la victime étaient dans la maison.

[6]               Après avoir été libéré de prison pour cette agression sexuelle, M. Alzehrani s’est rendu au Canada où le 18 décembre 2003, on a ordonné son renvoi de ce pays pour grande criminalité. Malgré la mesure d’expulsion, il n’y a aucune preuve au dossier indiquant qu’il a volontairement quitté le Canada.

[7]               Ayant préféré demeurer au Canada après le 18 décembre 2003, environ un an plus tard, M. Alzehrani a été accusé d’une agression sexuelle qui a eu lieu sur le sol canadien. Cette inculpation et la condamnation subséquente découlaient de rapports sexuels forcés avec l’amie de sa petite amie après lui avoir donné deux comprimés d’ecstasy et l’avoir suivie jusqu’à la salle de bain de sa résidence. Sans vouloir se lancer dans tous les détails, le dossier dont je dispose démontre que le défendeur a continué à forcer la victime à avoir des rapports sexuels avec lui, malgré que la victime et la petite amie de M. Alzehrani lui disaient d’arrêter et que sa petite amie essayait de l’éloigner de la victime. Il a été reconnu coupable de ce délit, le 14 février 2007, et condamné à 78 mois d’emprisonnement.

[8]               Malheureusement pour le public canadien, alors que M. Alzehrani était en liberté sous caution pour l’agression sexuelle, il a décidé de participer à une opération de passage de clandestins contrairement à l’article 117 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[9]               Je fais remarquer, à ce stade de mon analyse, que M. Alzehrani a commis une agression sexuelle aux États-Unis alors qu’était en probation et qu’il était, évidemment, visé par une ordonnance lui interdisant de commettre des crimes. Il n’a pas respecté une mesure d’expulsion des autorités canadiennes et a commis le délit de passage de clandestins à nouveau lorsqu’il était en liberté sous caution pour agression sexuelle et, donc, pendant une période de temps où on lui avait ordonné de ne pas enfreindre la loi, ce qui devrait être compréhensible en tout état de cause.

[10]           En prison, M. Alzehrani n’a vu aucune nécessité de suivre des programmes de traitement pour les délinquants sexuels. En fait, le dossier dont je dispose indique que non seulement il n’en a pas vu la nécessité, mais il a également refusé de participer à de tels programmes. En raison de son refus d’y participer, il est resté en prison jusqu’à l’expiration du mandat, qui, si j’ai bien compris, était le 16 février 2016 ou aux alentours de cette date.

[11]           Comme elle est tenue de le faire, la Section de l’immigration a effectué des contrôles des motifs de détention les 16 février, 23 février et 22 mars 2016. La Section de l’immigration a ordonné à M. Alzehrani de rester en détention à la suite des deux premiers contrôles. À l’issue du troisième contrôle, on a ordonné la mise en liberté de M. Alzehrani sous conditions et je pourrais ajouter qu’elles semblent strictes.

[12]           Cependant, un aspect de ces conditions mérite d’être mentionné. En raison de l’exigence selon laquelle M. Alzehrani doit purger sa peine jusqu’à l’expiration du mandat et de l’incapacité manifeste des autorités de le réintégrer progressivement dans la collectivité grâce à des cours et des thérapies appropriées en prison, la GRC a demandé une ordonnance, en vertu de l’article 810.2 du Code criminel, visant la supervision continue de M. Alzehrani. La possibilité de cette ordonnance figurait de manière significative dans la prise de décision du commissaire ou des commissaires lors des contrôles des motifs de détention du 23 février 2016 et du 22 mars 2016.

[13]           La perspective de l’ordonnance visée par l’article 810.2 faisait partie des motifs pour lesquels la Section de l’immigration a conclu, le 22 mars 2016, que M. Alzehrani devait être mis en liberté. En fait, M. Alzehrani, par l’intermédiaire de son avocat, a dit au commissaire de la Section de l’immigration, le 22 mars 2016, et je cite :  

[traduction] M. Alzehrani vient de mentionner qu’il va revenir à la cour le 31 mars. Son plan ce jour-là, si je comprends bien, est de consentir à l’application de l’article 810 et de continuer de se soumettre aux conditions très strictes que ma collègue a mentionnées dans ses observations.

[14]           Comme on a pu le constater, l’audience touchant l’article 810 devait avoir lieu le 31 mars 2016. Il ne fait aucun doute que cette audience touchant l’article 810.2 a été prise en compte par la commissaire pour rendre sa décision.

[15]           Pour une raison ou une autre, M. Alzehrani ne s’est pas présenté à l’audience du 31 mars 2016. Cette audience a ensuite été prévue pour le 7 avril 2016. Le 7 avril, la question de l’article 810.2 a été reportée à une autre date en avril. M. Alzehrani n’a pas consenti à l’application de l’article 810 comme il s’était engagé à le faire devant la commissaire de la Section de l’immigration, le 22 mars 2016.

[16]           Dans sa décision, la commissaire King de la Section de l’immigration a formulé la question dans les termes suivants :

[traduction] Vous avez été présenté comme étant un délinquant sexuel non traité, mais le but de la détention en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés n’est pas de vous détenir pour des infractions passées comme une sanction, mais plutôt de déterminer si vous êtes susceptible de poser un danger présent ou futur pour le public en cas de mise en liberté […].

[17]           C’était ma question. Sa réponse est alors la suivante :

[traduction] […] et avec le degré de surveillance qui va être mis en place dans votre cas, je ne vois vraiment pas qu’il y ait beaucoup de risque que cela se produise. Votre liberté sera sérieusement restreinte dans ces conditions.

[18]           Et à la page précédente de cette citation, la commissaire a déclaré ce qui suit :

[traduction] L’autre solution en l’espèce est vraiment très stricte. Je consulte la pièce C-2. Le coordonnateur provincial de l’application de l’article 810 vous surveillera ainsi que votre lieu de résidence.

[…] Des ordonnances de non-communication ont été rendues à l’égard de toutes les victimes de vos délits.

[…]

Vous devez informer immédiatement votre surveillant de liberté sous caution de toutes relations étroites ou intimes.

[…]

Vous devez respecter des conditions d’abstinence strictes en ce qui concerne l’alcool ou les substances contrôlées.

[19]           Je passe maintenant au critère en trois étapes pour déterminer : 1) si le ministre a établi le bien-fondé d’une question sérieuse à juger; 2) s’il y a un préjudice irréparable; 3) si la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi de l’ordonnance demandée.

[20]           À mon humble avis, le ministre a établi le bien-fondé d’une question sérieuse. La commissaire King diverge des deux commissaires antérieurs par rapport à la question de la mise en liberté de M. Alzehrani sans, à mon avis, en fournir des motifs suffisants.

[21]           Plus important encore, cependant, je suis d’avis que le ministre a établi le bien-fondé d’une question sérieuse à juger uniquement sur la foi de la conclusion que le danger pour le public a été atténué dans la mesure qu’elle soutient. Je le dis pour les motifs qui suivent.

[22]           Premièrement, sa conclusion laisse supposer que M. Alzehrani a respecté son engagement de consentir à l’ordonnance visée par l’article 810.2, le 31 mars 2016. Non seulement il n’a pas consenti à cette ordonnance le 31 mars, mais il ne l’a également pas fait le 7 avril 2016 et nous ne savons pas quand, le cas échéant, il y consentira.

[23]           Deuxièmement, une grande partie de la décision de la commissaire King est fondée sur les engagements de M. Alzehrani. Ces engagements comprennent des choses comme des ordonnances de non-communication, la notification des surveillants de liberté sous caution s’il a une relation intime avec quelqu’un, l’abstention de toute consommation d’alcool et de substances contrôlées, et d’autres. Le fait que ces engagements personnels de M. Alzehrani figurent dans son analyse sans aucune évaluation du défaut de M. Alzehrani de respecter les engagements qu’il a pris devant la Cour et de respecter les lois canadiennes qui touchent les agressions sexuelles pendant une période de probation, le passage de clandestins pendant la liberté sous caution et le défaut de respecter une mesure d’expulsion des autorités canadiennes m’amène à conclure que le ministre soulève une question sérieuse à juger en ce qui concerne le danger que cet homme pose et l’incapacité de la commissaire King de mettre en contexte le non-respect des lois par M. Alzehrani quand elle conclut qu’il « [traduction] ne représente pas beaucoup de risque » en ne respectant pas les conditions de sa mise en libération.

[24]           J’en conclus donc que le ministre a établi une question sérieuse à juger.

[25]           En ce qui concerne la question du préjudice irréparable, je suis d’avis que le ministre a établi qu’il y a un risque important pour le public canadien si M. Alzehrani est libéré. Il y a aussi un risque grave pour la crédibilité du système d’immigration canadien si M. Alzehrani devait être libéré en attendant la conclusion de la demande de contrôle judiciaire ou jusqu’à ce qu’il y ait une nouvelle ordonnance de la Cour. Le ministre est tenu de renvoyer M. Alzehrani, tout comme ce dernier était tenu de quitter le pays en 2003, mais il est encore là. C’est l’un de ces cas où la question du préjudice irréparable suit clairement la question importante à trancher.

[26]           Compte tenu de l’absence démontrée du respect de la loi par M. Alzehrani et de l’incapacité de la commissaire King de mettre en contexte son non-respect des conditions des libérations précédentes, il est évident que la prépondérance des inconvénients favorise le maintien en détention de M. Alzehrani.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que l’ordonnance de suspension provisoire du 31 mars 2016, soit maintenue jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire ait été tranchée définitivement ou jusqu’à ce qu’il y ait une nouvelle ordonnance de la Cour.

« B. Richard Bell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1223-16

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c. MAITHAM AZIZ ALZEHRANI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 avril 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

Lucy Bell

 

Pour le demandeur

 

Robin D. Bajer

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Robin D. Bajer Law Office

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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