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Date : 20160414


Dossier : IMM-175-15

Référence : 2016 CF 416

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2016

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

UMAIR ALI CHUGHTAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du 24 août 2015 d’un agent d’immigration (l’agent) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) refusant la demande de résidence permanente en tant que travailleur qualifié du demandeur en raison de son inadmissibilité au Canada pour fausses déclarations en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

CONTEXTE

[2]               Le demandeur, un citoyen du Pakistan, déclare qu’il a été embauché comme gestionnaire de bureau par le bureau de médecine dentaire Dr Khurrum Ashraf Dentistry (l’employeur) le 18 août 2007. Une demande d’avis d’emploi réservé a été déposée au ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences Canada (RHDCC) et un avis positif a été émis le 10 octobre 2007.

[3]               Le 29 juillet 2008 ou aux alentours de cette date, le demandeur a déposé une demande de résidence permanente en tant que travailleur qualifié, qui a par la suite été traitée en fonction des instructions ministérielles émises le 28 novembre 2008, appliquées rétroactivement. Le demandeur a joint à sa demande de résidence permanente l’avis d’emploi réservé positif, son diplôme de maîtrise de Premier College et son diplôme de baccalauréat du National College of Business Administration and Economics. Le demandeur reconnaît que ces institutions n’étaient pas accréditées lorsqu’il y a reçu ses diplômes. Par contre, le National College of Business Administration and Economics a été accrédité depuis.

[4]               Le 1er avril 2010, le bureau des visas de CIC à Islamabad a cessé de traiter les demandes de résidence permanente de catégorie d’immigration économique. Le dossier du demandeur a été transféré au Haut-commissariat du Canada à Londres, au Royaume-Uni, le 9 juin 2010. Le 14 juin 2011 ou aux alentours de cette date, l’ancien avocat du demandeur a reçu une lettre relative à l’équité procédurale (LEP1) d’un agent d’immigration désigné déclarant qu’il n’était pas convaincu que le demandeur satisfaisait aux exigences de l’avis d’emploi réservé ni que ledit avis était authentique. L’agent souligne que l’avis d’emploi réservé mentionne que l’exigence de détenir un diplôme ou certificat universitaire est satisfaite, bien que les diplômes du demandeur n’ont pas été octroyés par des institutions accréditées et que cette exigence n’était donc pas satisfaite.

[5]               Le 12 juillet 2011 ou aux alentours de cette date, le demandeur a présenté une réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, réponse à laquelle l’employeur a joint une nouvelle lettre indiquant qu’il était au courant des problèmes relatifs aux diplômes mais qu’il considérait que le demandeur satisfaisait aux exigences de diplômes établies. Le demandeur y a également joint son diplôme de baccalauréat en administration des affaires du National College of Business Administration and Economics, obtenu le 7 mai 2011 après avoir poursuivi des études supplémentaires dans le but de détenir un diplôme d’une institution accréditée. Le 27 décembre 2012 ou aux alentours de cette date, le demandeur a appris qu’il devait se présenter à une entrevue au bureau des visas d’Abu Dhabi. Cette entrevue a eu lieu le 18 février 2013.

[6]               Le 1er mai 2013, l’ancien avocat du demandeur a reçu une deuxième lettre relative à l’équité procédurale (LEP2) l’avisant que le demandeur pourrait être interdit de territoire au Canada en raison de fausses déclarations. L’agent déclare dans cette lettre que l’avis d’emploi réservé n’est pas authentique et que, sans cet avis, la demande n’est pas admissible à être traitée. Le 2 juillet 2013 ou aux alentours de cette date, le demandeur a répondu à la deuxième lettre relative à l’équité procédurale (LEP2). Il y joint une nouvelle de lettre de l’employeur indiquant que l’offre d’emploi est authentique et qu’un besoin démontrable existe pour le poste.

[7]               Dans une entrée dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) datée du 8 octobre 2013, les notes concernant le dossier du demandeur indiquent :

[traduction] En réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, le demandeur a fait parvenir une réponse de l’employeur nommé dans l’avis d’emploi réservé. L’employeur déclare qu’il fait un travail caritatif et qu’il possède un cabinet spécialisé ayant plus de 3 500 patients, employant trois hygiénistes, deux assistants, deux employés à l’administration de l’accueil et trois employés à temps partiel. L’employeur soutient qu’il souhaite augmenter son espace de bureau pour y faire venir un autre dentiste et potentiellement un anesthésiologiste et un technicien de laboratoire. Aucune preuve spécifique de ces plans, de la taille du bureau ou du personnel employé n’a été fournie pour soutenir ces allégations. L’employeur déclare qu’il ne fait confiance qu’à un membre de la famille pour ce poste à responsabilité. À l’exception de la lettre, le demandeur n’a pas fourni d’autre preuve pour compléter les déclarations de l’employeur potentiel. Les préoccupations, indiquées au demandeur lors de l’entrevue et dans lettre relative à l’équité procédurale, n’ont pas été adéquatement traitées. L’employeur déclare qu’il considère qu’il a le droit d’intégrer un membre de sa famille à son cabinet. La réponse donnée semble confirmer que l’offre d’emploi a été faite afin de faciliter l’immigration du demandeur. En fonction des réponses à l’entrevue et de la preuve au dossier, je ne suis pas convaincu qu’une personne sans lien de parenté et possédant une expérience de travail, des compétences, des habiletés et la capacité d’exécuter les tâches d’un gestionnaire de bureau semblables aurait reçu une offre d’emploi en raison d’un besoin authentique d’embaucher un gestionnaire de bureau. Une copie de la correspondance antérieure de l’employeur concernant le diplôme et les qualifications du demandeur a encore été fournie. Il semble que l’offre d’emploi a été faite par écrit afin que le demandeur se qualifie de façon spécifique plutôt que basé sur le critère de besoin ou d’embauche et, bien qu’il ne détenait pas les qualifications requises, il a été déclaré que ces qualifications n’étaient pas essentielles, sans même qu’il n’y ait de changement apparent dans les exigences de l’emploi ou dans les tâches à être exécutées par le demandeur.

[8]               Dans une entrée du 13 décembre 2013, les notes soulignent :

[traduction] L’agent chargé de l’entrevue est préoccupé par rapport à l’authenticité de l’offre d’emploi. […] Étant donné que les exigences de scolarité relatives à l’offre d’emploi ont été modifiées pour équivaloir à notre évaluation de la scolarité du demandeur et que l’employeur (le beau-frère du demandeur principal) n’a pas donné de raisons suffisantes pour expliquer pourquoi l’offre d’emploi a été faite pour un gestionnaire de bureau ou pourquoi cette offre a été faite au demandeur autrement qu’en exprimant son désir d’embaucher un membre de sa famille, je ne suis pas convaincu que cette offre d’emploi est authentique et qu’elle n’a pas plutôt été faite avec l’intention d’aider le demandeur dans sa demande de résidence permanente. La déclaration d’une offre d’emploi non authentique constitue une fausse déclaration directe qui, si elle était acceptée, entraînerait une erreur dans l’application de la LIPR. Je suis un agent désigné en vertu de la Loi pour prendre une décision aux termes de l’article 40. Je suis ainsi convaincu que le demandeur a fait une fausse déclaration concernant un fait important qui, si elle était acceptée, entraînerait une erreur dans l’application de la LIPR. Le demandeur est donc interdit de territoire pour fausse déclaration en vertu de l’article 40.

[9]               Il est inscrit dans une entrée du 17 août 2015 que le dossier a été renvoyé pour examen et qu’il y a eu une [traduction] « décision incorrecte de fausse déclaration » en décembre 2013. Examinant les recommandations de l’agent chargé de l’entrevue, l’agent qui a fait l’entrée du 17 août 2015 conclut que l’offre d’emploi du demandeur constitue une fausse déclaration tel que défini par l’article 40 de la LIPR. L’entrée continue en déclarant que l’offre d’emploi a été faite au demandeur afin de facilite sa demande, et ajoute :

[traduction] L’offre d’emploi/l’offre d’emploi réservé a ensuite été modifiée suite à nos préoccupations pour s’adapter à la scolarité du demandeur. La fausse déclaration est certainement importante puisque sans cette offre d’emploi, le demandeur n’aurait pas été admissible au dépôt d’une demande en tant que travailleur qualifié en vertu des instructions ministérielles 1 (IM1). L’agent conclut que le sujet ne possède aucune des expériences énumérées aux emplois listés. Ainsi, le demandeur avait besoin d’une offre d’emploi pour être admissible à déposer une demande conformément aux IM1.

[10]           Dans une lettre du 24 août 2015, le demandeur a été informé qu’il ne satisfaisait pas aux exigences de la LIPR puisqu’il a fait une fausse déclaration concernant des faits importants pour l’évaluation de sa demande de résidence permanente. Plus précisément, l’agent ayant examiné le dossier du demandeur conclut que le demandeur a déposé un avis d’emploi réservé pour un poste qui n’étant pas authentique et que cette déclaration est pertinente pour déterminer s’il satisfait ou non aux critères de sélection de travailleur qualifié en vertu des instructions ministérielles. La fausse déclaration concerne un fait important à la disposition de la demande et aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Le demandeur a par conséquent été jugé étranger interdit de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR et sa demande de résidence permanente a été rejetée.

Norme de contrôle

[11]           Les parties conviennent que la conclusion de fausse déclaration en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR est de nature factuelle et fait appel à une norme de contrôle déférente (Kobrosli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 757 au paragraphe 24). La décision doit donc être révisée par rapport à la norme de la décision raisonnable (Khorasgani c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2012 CF 1177, au paragraphe 8, Singh c. Canada, 2015 CF 377, au paragraphe 12). La Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). De plus, les notes du SMGC peuvent constituer la base des motifs donnés par l’agent des visas dans sa décision, ou les compléter (De Azeem c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1043, au paragraphe 27 [De Azeem]).

Analyse

[12]           J’ai pris en considération les observations des parties retrouvées dans leurs mémoires des faits et du droit respectifs, de même que la réponse écrite du demandeur et les observations orales faites par les avocats des parties à l’audience. Leurs positions et arguments principaux sont résumés ci-dessous.

[13]           Premièrement, le demandeur soutient que contrairement aux allégations de l’agent, l’employeur n’a pas modifié les exigences de l’avis d’emploi réservé en réponse à la première lettre relative à l’équité procédurale (LEP1). L’employeur a plutôt simplement exprimé son désaccord face à l’évaluation faite par l’agent, ce qui ressort clairement du texte de la lettre selon le demandeur. Le demandeur ajoute qu’au moment de la rédaction de la première lettre relative à l’équité procédurale (LEP1), l’agent n’a pas conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères de l’avis d’emploi réservé et observe qu’à l’entrevue qui a suivi, l’agent a confirmé que le demandeur avait une expérience de travail authentique dans un poste qui le qualifiait pour le programme et a également confirmé que son diplôme était authentique.

[14]           En ce qui concerne la deuxième lettre relative à l’équité procédurale (LEP2), le demandeur soutient que l’agent a confondu l’incapacité apparente du demandeur à répondre aux préoccupations de l’agent à propos de la bonne foi de l’offre à une fausse déclaration d’importance. Le demandeur déclare que [traduction] « ce saut passant de l’insuffisance à la fausse déclaration » n’est pas étayé par la preuve et qu’une conclusion de fausse déclaration doit être établie par des faits objectifs plutôt que par une croyance apparente ((Xu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 784, au paragraphe 16 [Xu]).

[15]           Le demandeur souligne que l’intention du législateur est de faciliter l’entrée au Canada d’un demandeur par l’intermédiaire de l’avis d’emploi réservé et qu’il est beaucoup plus probable qu’un demandeur devienne économiquement établi s’il a un emploi qui l’attend. Par conséquent, le demandeur fait valoir qu’il serait peu logique de rayer un demandeur du Canada pour avoir eu recours à un programme conformément à ses objectifs. Le demandeur ajoute que ni lui ni l’employeur n’ont caché qu’ils avaient un lien par alliance et souligne qu’il est permis aux employeurs d’embaucher des membres de la famille après avoir reçu l’autorisation de RHDCC. Le demandeur déclare que la Cour s’est penchée sur cette question par le passé dans un contexte d’aide familiale résidant et a toujours conclu que l’agent avait agi sans référer à une préoccupation objective (Ouafae c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 459, au paragraphe 32 [Ouafae]; Nazir c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 553, au paragraphe 23; Palogan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 889, au paragraphe 15 [Palogan]).

[16]           Citant Garcia Porfirio c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 794, aux paragraphes 33 à 37, le demandeur fait également valoir que bien que l’évaluation de RHDCC faite dans le cadre d’une émission d’un avis d’emploi réservé n’élimine pas l’obligation de l’agent des visas d’évaluer si une offre est authentique ou non, il est inapproprié de la part d’un agent des visas étranger de remettre en question les conclusions de RHDCC concernant le marché du travail canadien et de questionner si un poste est réellement nécessaire. Puisque l’agent n’était pas en position d’évaluer adéquatement les besoins de l’employeur pour ce poste, rien ne subsiste qui aurait pu conduire l’agent à croire que l’offre d’emploi n’était pas authentique; sa décision se situant donc sous le seuil nécessaire pour déterminer qu’il y a fausse déclaration (Berlin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117, au paragraphe 21 [Berlin]).

[17]           Enfin, bien que le demandeur concède qu’une tierce partie, comme une personne rédigeant l’avis d’emploi réservé, peut être celle faisant une fausse déclaration, le demandeur soutien qu’en l’espèce, tant le demandeur que l’employeur croyaient que l’offre était authentique et ont fourni tous les renseignements qu’ils ont jugés nécessaires pour établir la bonne foi de l’offre. En rejetant la demande, l’agent n’a cité aucune preuve objective démontrant que le demandeur ou l’employeur aurait caché des faits importants. Pourtant, une conclusion de fausse déclaration ne peut être maintenue si les parties impliquées ont été franches (Baro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15 [Baro]).

[18]           D’autre part, le défendeur maintient que la décision de l’agent est raisonnable et n’exige pas l’intervention de  cette Cour. Le défendeur souligne que dans le cadre du système législatif fédéral relatif aux travailleurs qualifiés, les agents d’immigration attribuent des points aux demandeurs en fonction des facteurs énumérés à l’alinéa 76(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), c’est-à-dire l’éducation, la fluidité en anglais et en français, l’expérience, l’âge, l’emploi réservé et l’adaptation. Pour être admissibles à un visa de travailleur qualifié fédéral, les demandeurs doivent obtenir au moins 67 points.

[19]           Conformément à l’alinéa 82(2)c) du Règlement, les demandeurs de l’extérieur du Canada ont droit à 10 points pour un emploi réservé, dans la mesure où l’agent des visas approuve l’offre d’emploi en basant cette approbation sur l’opinion de RHDCC. L’agent des visas peut prendre en considération l’opinion de RHDCC, mais doit en définitive être convaincu que l’offre d’emploi satisfait aux exigences du paragraphe 203(1) du Règlement, qui mentionne explicitement la décision de l’agent des visas relativement à l’authenticité de l’offre d’emploi. Le paragraphe 200(5) du Règlement établit les facteurs devant être considérés par l’agent des visas pour prendre sa décision. Le défendeur fait valoir que l’agent des visas n’a octroyé aucun point au demandeur pour l’emploi réservé puisqu’il n’était pas convaincu qu’il s’agissait d’une offre d’emploi authentique. Le demandeur a eu l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agent au cours d’une entrevue. Néanmoins, l’agent n’a pas été convaincu de l’authenticité de l’offre. Suite à l’entrevue, une autre lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée au demandeur, afin de lui offrir une occasion de fournir de plus amples renseignements pour démontrer l’authenticité de son offre d’emploi. Le demandeur a fourni une lettre de son employeur mise à jour, que l’agent a également pris en considération.

[20]           Le défendeur ajoute que l’agent a conclu que l’avis d’emploi réservé n’était pas authentique pour les raisons suivantes :

                     lorsque l’offre d’emploi a été faite en 2007, le demandeur ne possédait pas la scolarité nécessaire pour se qualifier puisque son diplôme provenait d’une institution n’étant pas accréditée;

                     en février 2013, au moment de son entrevue d’immigration, le demandeur a mentionné que le bureau de l’employeur était une petite entreprise constituée uniquement de deux employés, une assistante dentaire et la sœur du demandeur;

                     au moment de son entrevue d’immigration, le demandeur a mentionné que son employeur avait des projets d’agrandissement futurs, mais qu’il n’y avait rien de concret pour l’instant. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas de besoin pressant d’embaucher un gestionnaire de bureau considérant la grandeur actuelle de l’entreprise, particulièrement d’un gestionnaire ayant pour expérience la coordination de crédit de régions pour une banque.

[21]           À la lumière de ces informations, le défendeur soutient que l’agent pouvait conclure que l’avis d’emploi réservé n’était pas authentique puisque l’aide supplémentaire d’un gestionnaire de bureau à temps plein n’était pas réellement nécessaire. Le défendeur rappelle que les agents des visas doivent déterminer si une offre d’emploi est authentique [traduction] « en se basant sur l’opinion donnée par le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences », la version actuelle faisant référence au ministère de l’Emploi et du Développement social conformément au paragraphe 203(1) du Règlement. Bien qu’un agent doit prendre en considération l’opinion de RHDCC, il doit rendre sa propre décision sur l’affaire et doit être convaincu que l’offre d’emploi est authentique (Ghazeleh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1521, au paragraphe 20 [Ghazeleh]; Bellido c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452, au paragraphe 21).

[22]           Le défendeur souligne que les renseignements donnés par le demandeur concernant la taille du cabinet de l’employeur contredisent les renseignements contenus dans la lettre de l’employeur. De plus, le défendeur soutient que l’agent était justifié d’évaluer l’authenticité du futur emploi et de considérer la relation entre le demandeur et l’employeur. Il souligne que ce n’est qu’en 2013 que le demandeur a mentionné que l’employeur est son beau-frère, un fait qui n’étant pas mentionné dans les lettres de l’employeur de 2007 et de 2011. Il était libre à l’agent de croire que l’offre d’emploi a été faite pour faciliter l’immigration du demandeur au Canada, puisque s’il y avait un besoin authentique d’embaucher un gestionnaire de bureau, le poste n’aurait probablement pas été donné à un candidat ne faisant pas partie de la famille qui aurait possédé des compétences et une expérience semblable. En concluant que l’offre n’était pas authentique, l’agent a examiné l’ensemble de la preuve (Bondoc c. Canada (MCI), 2008 CF 842, au paragraphe 15 [Bondoc]).

[23]           Le défendeur termine en observant que la conclusion de l’agent selon laquelle l’avis d’emploi réservé n’est pas authentique fait partie des issues possibles en regard des faits et du droit, le demandeur n’ayant pas été en mesure de démontrer que les conclusions de l’agent ne sont pas soutenues par la preuve et qu’elles ont été portées de façon déraisonnable.

[24]           En réponse aux observations du défendeur, le demandeur fait valoir que le défendeur commet une erreur en déclarant que l’agent a refusé d’octroyer des points au demandeur pour son avis d’emploi réservé et que c’est ce qui a causé le rejet de la demande puisque le demandeur n’a pas été en mesure d’atteindre le seul minimal d’admissibilité de 67 points. En fait, le demandeur soutient que sa demande a été rejetée parce que l’agent a conclu qu’il était interdit de territoire pour fausse déclaration en vertu du paragraphe 40(1) de la LIPR. Le défendeur a donc mal interprété le refus et a fait fi des questions de fond soulevées par le demandeur. En fait, la demande du demandeur a été rejetée parce que l’agent a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, l’offre d’emploi était frauduleuse. La seule preuve ou absence de preuve utilisée par l’agent au soutien de sa conclusion de fausse déclaration est sa conclusion antérieure selon laquelle l’employeur n’avait peut-être pas un besoin réel pour ce poste. L’agent a donc commis une erreur révisable en omettant d’indiquer la preuve objective au soutien de sa conclusion de fausse déclaration (Xu, au paragraphe 16).

[25]           Le demandeur ajoute que les arguments du défendeur concernant le droit conféré par la Loi à l’agent de faire l’évaluation de l’authenticité de l’offre d’emploi définitive ne sont absolument pas pertinents puisque ce droit n’est pas contesté. La jurisprudence citée par l’avocat du défendeur, principalement Bondoc, De Azeem et Ghazeleh, est clairement distincte des faits de l’espèce. Le demandeur fait plutôt valoir qu’il n’y a pas de preuve objective ou d’omissions pouvant être interprétées de façon à soutenir la conclusion selon laquelle le demandeur a présenté une offre d’emploi frauduleuse. Toutes les préoccupations concernant le nombre d’employés et la taille de l’entreprise ont été dissipées puisque l’entreprise est passée de deux à sept employés à la suite de recrutement. Les questions concernant la scolarité du demandeur étaient également spéculatives et il y a été répondu. Concernant la suggestion du défendeur selon laquelle le demandeur aurait caché sa relation familiale avec l’employeur, le demandeur souligne que cet élément n’a jamais été soulevé avant l’entrevue et qu’il a donné volontairement ce renseignement pendant l’entrevue.

[26]           En raison de ce qui précède, le demandeur demande le redressement mentionné dans sa demande d’autorisation, à savoir une ordonnance annulant la décision de l’agent du 24 août 2015 ainsi qu’un bref de mandamus enjoignant au défendeur de prendre en considération et de traiter la demande de résidence permanente du demandeur conformément au droit.

[27]           Je suis d’avis d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

[28]           Premièrement, je souhaite souligner que je suis d’accord avec le défendeur qu’un agent des visas peut refuser à sa discrétion une demande de résidence permanente en tant que travailleur qualifié, et ce, même lorsque RHDCC a émis un avis d’emploi réservé. Conformément à l’alinéa 203(1)a) du Règlement, un agent doit établir, à partir d’une évaluation fournie par le ministère de l’Emploi et du Développement social, si une offre d’emploi est authentique. Un agent des visas doit être convaincu que les critères établis à l’article 82 du Règlement sont satisfaits. De plus, l’opinion de RHDCC n’est pas déterminante pour la décision concernant l’émission d’un visa et c’est l’agent d’immigration qui est le décideur ultime (Ghazeleh, aux paragraphes 20 et 21). Il est vrai que l’agent peut déterminer l’authenticité de l’offre d’emploi en prenant en considération l’évaluation de RHDCC, mais le défendeur a raté l’essentiel de la question en litige par sa mauvaise interprétation de la décision contestée. Dans cette affaire, la conclusion de l’agent selon laquelle l’avis d’emploi réservé n’était pas authentique l’a conduit à ne pas accorder de points pour cette catégorie, ayant probablement pour conséquence l’impossibilité pour l’appelant d’atteindre le seuil nécessaire de 67 points. Néanmoins, il ressort clairement de la décision contestée, tant de la lettre du 24 août 2015 que des notes du SMGC, que la raison principale du rejet de la demande est la conclusion établissant que le demandeur est interdit de territoire pour fausse déclaration en vertu du paragraphe 40(1) de la LIPR.

[29]           Une demande pour un visa de résidence permanente peut être rejetée si le demandeur ou la demanderesse n’arrive pas à satisfaire le fardeau de preuve nécessaire pour convaincre un agent de son admissibilité. Toutefois, une conclusion d’interdiction de territoire est de nature plus grave. En vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, une personne est interdite de territoire au Canada si elle «  fai[t] une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi ». Comme mon collègue le juge Barnes l’a déclaré dans Xu au paragraphe 16, « Une conclusion de fausse déclaration aux fins de l’article 40 de la LIPR a des conséquences sérieuses, et il ne faut ainsi pas tirer pareille conclusion en l’absence d’une preuve claire et convaincante […] » [Non souligné dans l’original]. Parallèlement, dans l’arrêt Berlin, au paragraphe 21, le juge Barnes mentionne qu’« on n’établit pas l’existence de fausses déclarations sur de simples apparences. Ainsi que le guide opérationnel sur l’exécution de la loi du défendeur le reconnaît, l’existence d’une fausse déclaration doit être établie selon la prépondérance des probabilités. » Bien qu’un demandeur de résidence permanente a une obligation de franchise exigeant de lui la divulgation des faits substantiels et que même une omission innocente de fournir un renseignement substantiel peut avoir pour conséquence une conclusion d’interdiction de territoire (Baro au paragraphe 15), il doit malgré tout être démontré de façon claire et convaincante selon la prépondérance des probabilités que le demandeur n’a pas divulgué des faits substantiels pour pouvoir tirer une conclusion de fausse déclaration.

[30]           En l’espèce, le SMGC note que l’agent est « convaincu » que le demandeur a fait une fausse déclaration sur un fait substantiel, mais je ne suis pas convaincu que cette décision est basée sur le type de preuve « claire et convaincante » nécessaire pour pouvoir conclure à une interdiction de territoire. En effet, bien que les motifs retrouvés dans les notes du SMGC puissent être appropriées pour déterminer que le demandeur n’a pas satisfait son fardeau de preuve pour convaincre l’agent de l’authenticité de l’avis d’emploi réservé, il semble que l’agent a fait « un saut, qu’absolument rien ne justifiait, d’une conclusion raisonnable d’insuffisance de preuve à une conclusion de fausse déclaration » (Xu, au paragraphe 16). Les conséquences d’une conclusion d’interdiction de territoire en raison de fausse déclaration en vertu du paragraphe 40(1) de la LIPR sont bien plus graves que celles d’un simple refus. Comme le souligne le demandeur, dans le cas d’un refus, le demandeur se retrouve plus ou moins dans la même situation où il était avant de faire la demande, alors que dans le cas de l’interdiction de territoire, le demandeur se retrouve interdit de territoire au Canada pour une période de cinq ans.

[31]           Par ailleurs, l’examen du dossier ne soutient pas les allégations contenues dans les notes du SMGC selon lesquelles l’employeur aurait modifié les exigences en matière d’éducation de l’avis d’emploi réservé suite à la deuxième lettre relative à l’équité procédurale (LEP2). L’employeur, plutôt que de modifier les exigences reliées à l’emploi, a simplement déclaré dans sa première lettre (en réponse à la première lettre relative à l’équité procédurale - LEP1) qu’au moment de l’émission de l’avis d’emploi réservé, il connaissait la scolarité du demandeur, qu’il connaissait l’institution d’où le demandeur a reçu son diplôme et qu’il considérait que ces titres de compétence, alliés avec la formation générale du demandeur, ses antécédents et son expérience de travail, étaient suffisants. Dans sa seconde lettre (en réponse à la deuxième lettre relative à l’équité procédurale - LEP2), l’employeur réitère que l’offre d’emploi et le besoin d’embaucher le demandeur sont authentiques et que le demandeur satisfait aux exigences requises pour l’emploi. À mon avis, ceci n’atteint pas le niveau de preuve claire et convaincante qu’il y a fausse déclaration.

[32]           Je ne retrouve rien non plus dans le dossier qui suggère que le demandeur et l’employeur ont fait de fausses déclarations quant à leurs liens familiaux. Bien qu’une fausse déclaration puisse survenir par omission, il ne semble pas y avoir ici de quelconque indication que le demandeur ou l’employeur croyaient retenir des renseignements substantiels relativement à leurs liens. En fait, cette information a été divulguée volontairement par le demandeur pendant son entrevue et n’a pas été demandée avant ce moment. Il existe en outre une exception à la règle selon laquelle même une omission innocente de fournir un renseignement substantif peut avoir pour conséquence une conclusion d’interdiction de territoire lorsque les demandeurs peuvent démontrer qu’ils croyaient honnêtement et raisonnablement ne pas avoir retenu de renseignement substantiel (Baro, au paragraphe 15). De plus, bien que « [l]a relation entre le demandeur et l’employeur peut constituer un facteur dont l’agent tiendra compte dans son évaluation de l’authenticité du contrat » (Palogan, au paragraphe 15), comme le demandeur l’a souligné dans un contexte d’aide familiale résidant, « rien dans la loi ni dans le Règlement n’interdit des liens familiaux entre le futur employeur et l’employé » (Ouafae, au paragraphe 32). Enfin, en ce qui a trait à la prétention du défendeur selon laquelle [traduction ] « les renseignements donnés par le demandeur concernant la taille du cabinet de l’employeur contredit les renseignements contenus dans la lettre de l’employeur », cette conclusion ne se retrouve ni dans la lettre de décision ni dans les notes du SMGC.

[33]           Dans l’ensemble, il appert de la décision que la seule preuve utilisée par l’agent au soutien de sa conclusion de fausse déclaration est la décision selon laquelle il est possible que l’entreprise actuelle de l’employeur n’exigeait pas de poste de gestionnaire de bureau. En conséquence, les motifs ne soutiennent pas la conclusion de fausse déclaration selon un critère de preuve claire et convaincante. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que la conclusion d’interdiction de territoire de l’agent des visas appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

Conclusions

[34]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du 24 août 2015 est infirmée et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen conformément au droit et aux présents motifs. Il est convenu qu’aucune question de portée générale n’a été soulevée dans la présente affaire.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire. La décision du 24 août 2015 est infirmée et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen conformément au droit et aux présents motifs. Il est convenu qu’aucune question de portée générale n’a été soulevée dans la présente affaire.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-175-15

 

INTITULÉ :

UMAIR ALI CHUGHTAI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

Max Chaudhary

Pour le demandeur

Aleksandra Lipska

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chaudhary Law Office

Avocats

North York (Ontario)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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