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Date : 20160414


Dossier : IMM-3346-11

Référence : 2016 CF 415

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2016

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

RADEK BALAZ, BOZENA KRISTOFOVA,

KAROLINA BALAZOVA et

LAURA BALAZOVA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire concerne une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada datée du 28 avril 2011 (décision) qui a rejeté la demande des demandeurs en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). La demande est présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi.

[2]               Les demandeurs sont une épouse, son mari et deux enfants d’âge mineur, toutes les deux des filles. L’épouse était la demanderesse d’asile principale. Ils sont tous des citoyens de la République tchèque et ils sont des Roms, ce qui n’était pas contesté.

[3]               Les demandeurs allèguent que la SPR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents en ce qui concerne le caractère inadéquat de la protection de l’État et a commis une erreur en s’appuyant sur le document de fond de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de juin 2009. Dans les observations écrites, il y a un long argument relativement à une crainte de partialité, mais on m’a informé au tout début de l’audience que la question avait été réglée entre les parties et ne serait pas soumise à mon examen. Par conséquent, je n’ai pas tenu compte de ces arguments.

II.                Contexte

A.                La requête des demandeurs

[4]               Les demandeurs ont présenté une demande d’asile fondée sur une crainte d’extrémistes de droite, des skinheads, et le peuple tchèque (personnes de race blanche) pour les raisons suivantes :

         la façon dont les enfants étaient traités en général à l’école et ont été placés dans une école pour enfants ayant des besoins spéciaux alors que ce n’était pas nécessaire;

         l’épouse a perdu son emploi, sans explication, au profit d’une autre personne qui n’était pas une Rom;

         une agression par des extrémistes le 10 janvier 2008 contre le mari alors que la famille magasinait, agression qui a nécessité une intervention médicale;

         deux agressions contre l’épouse, dont une a donné lieu à des contusions au dos et l’autre qui a donné lieu à des contusions à une jambe;

         le fait que des propos raciaux ont été proférés à l’endroit des demandeurs pendant les agressions physiques ainsi qu’à l’école des enfants et, parce que, en général, [traduction] « n’importe quel endroit où vous allez, vous faites l’objet d’insultes; les gens font des grimaces – vous font des grimaces; vous êtes tout simplement au centre [sic] de tout cela ».

B.                 La décision contestée

[5]               La SPR a déterminé que les questions de crédibilité, de discrimination par rapport à persécution et de protection de l’État étaient déterminantes. Tant les questions de « protection de l’État » que de « discrimination par rapport à persécution » ont fait l’objet de discussions distinctes après avoir dressé la liste des allégations.

(1)               Conclusions relatives à la crédibilité

[6]               Selon la SPR, la crédibilité a été un des facteurs déterminants. Dans la décision, elle a exprimé certaines préoccupations en matière de crédibilité, en particulier en ce qui concerne un document présenté tardivement par le demandeur relativement à l’école pour enfants ayant des besoins particuliers. La transcription de l’audience indique que la SPR a effectivement accepté le fait que les enfants fréquentaient une école pour enfants ayant des besoins particuliers. De plus, après des questions posées par la SPR, la demanderesse principale a indiqué qu’on lui avait dit qu’elle avait perdu son emploi au supermarché parce que la nouvelle employée présentait un niveau de scolarité plus élevé qu’elle. La SPR n’a fait aucune autre observation, si ce n’est cet énoncé de clarification.

[7]               La seule conclusion défavorable en matière de crédibilité a été le rejet de l’élément de preuve tardif d’un document au sujet de l’école pour enfants ayant des besoins particuliers. Il n’y a aucune conclusion sur la crédibilité (ou aucune crédibilité) soit au sujet de la perte de l’emploi, soit que l’épouse a dit qu’elle avait signalé une agression à la police, mais qu’elle avait omis de l’inscrire dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP).

[8]               Les agressions physiques à l’endroit du mari et de l’épouse ont été acceptées comme étant survenues, y compris l’intervention médicale, mais l’absence de témoins a été prise en compte pour la question de la protection de l’État. Il n’y a eu aucun rejet des craintes exprimées par les demandeurs, quoique l’on ait conclu qu’elles n’équivalaient pas au niveau de persécution.

[9]               Il n’y a aucune conclusion selon laquelle les allégations des enfants, qui ont dit à leur retour de l’école que leurs enseignants les regardaient de travers, les punissaient et leur criaient après inutilement, n’étaient pas crédibles.

[10]           Dans sa conclusion, au paragraphe 31 de la décision, la SPR indique : [traduction] « il y avait des préoccupations en matière de crédibilité concernant la présentation d’éléments de preuve pour corroborer. »  Vraisemblablement, il s’agit d’une référence au document (une lettre) tardif qui a été rejeté au sujet de l’école pour enfants ayant des besoins particuliers étant donné qu’aucun autre document n’a été mentionné.

(2)               Conclusions relatives à la protection de l’État

[11]           La SPR a commencé l’analyse relative à la protection de l’État en discutant du fait que la demanderesse principale a reçu une lettre le 31 juin 2008 concernant le transfert de ses enfants à une école « spéciale », alors qu’il n’y a que 30 jours en juin et que la demanderesse était confuse lorsqu’on lui a posé des questions à ce sujet. Dès lors, la SPR a conclu que la lettre de divulgation tardive concernant une école spéciale ne serait pas acceptée. La SPR a examiné le fait que l’emploi au supermarché a été donné à une autre personne possédant un niveau de scolarité plus élevé, et elle a ensuite examiné les agressions physiques.

[12]           La SPR a souligné que l’agression physique à l’endroit du mari par des skinheads a exigé une attention médicale et que le rapport médical a été remis à la police, mais qu’aucune enquête ne pouvait avoir lieu parce qu’il n’y avait aucun témoin.

[13]           Pour ce qui est de l’agression à l’endroit de la demanderesse principale le 30 septembre 2008, elle a soutenu qu’il y avait des témoins « de race blanche » qui n’ont pas aidé. Lors de l’audience, elle a dit qu’elle est allée à la police, mais ces renseignements ne se trouvaient pas dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) de sorte que la SPR a conclu que cette omission « semait le doute » relativement à son témoignage selon lequel elle est allée porter plainte à la police. Une fois encore, on a souligné « qu’en l’absence de témoins, la police n’aurait pas été en mesure de faire enquête ».

[14]           Pour ce qui est de l’agression du 10 janvier 2009, la SPR a conclu que la demanderesse principale n’était pas allée porter plainte à la police en l’absence de témoins.

[15]           Lors de la présentation des observations à l’audience, l’avocat a indiqué qu’il n’y avait pas de témoin parce que [traduction] « seulement des personnes ‘de race blanche’ étaient sur place et n’étaient pas disposées à témoigner ». La SPR a rejeté cet argument pour deux motifs. Le premier était que la demanderesse principale n’a pas été en mesure d’identifier les auteurs. L’autre motif était qu’aucun élément de preuve présenté indiquait que les témoins ne s’étaient pas manifestés, mais que c’était plutôt les demandeurs qui ne pouvaient pas identifier les auteurs à la police.

[16]           D’après ce qui précède, la conclusion tirée à la rubrique « Protection de l’État » était la suivante, paragraphes 17 à 20 de la décision :

[traduction] [17]... Ces incidents, si malencontreux soient-ils, étaient tels que les demandeurs ne pouvaient pas identifier les auteurs à la police.

CONCLUSION

[18] On s’attend à ce que les demandeurs aient fait des démarches auprès des autorités de l’État relativement aux menaces alléguées et agressions subies par eux à tous les paliers à leur disposition en République tchèque. Les demandeurs ont déployé certains efforts mais, en l’absence d’identification, comment la police pourrait-elle faire enquête? Le fait que la police ne puisse pas empêcher la commission d’un crime ne laisse pas entendre qu’elle n’est pas disposée ou en mesure d’offrir une protection. On ne peut pas s’attendre à ce qu’un corps policier puisse résoudre tous les crimes. En l’absence d’identification, le fait de tout simplement indiquer à la police que des skinheads les avaient agressés ne constitue pas un élément de preuve suffisant en fonction duquel la police pourrait effectuer des arrestations.

[19] Comme il est indiqué dans Kallai, Nikoletta, la SPR avait conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée de sa charge de réfuter la présomption de la protection de l’État, étant donné qu’il serait difficile pour les policiers de procéder à des arrestations s’ils ne connaissent pas l’identité de ses assaillants.

[20] Compte tenu de ce qui précède, les demandeurs n’ont pas fourni d’éléments de preuve « clairs et convaincants » de l’incapacité de l’État de les protéger. Il leur incombe de le faire et, par conséquent, ils n’ont pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

(Non souligné dans l’original)

(3)               Conclusions relatives à la discrimination par rapport à persécution

[17]           L’ensemble du raisonnement et de l’analyse de savoir si les allégations des demandeurs, dont aucune n’a été jugée crédible, équivalent à de la persécution se retrouve dans les deux paragraphes suivants :

[traduction] [21] Est-ce que la discrimination subie par ces demandeurs d’asile constitue de la persécution de façon individuelle ou cumulative? Pour être considéré comme de la persécution, le mauvais traitement subi ou anticipé doit être grave. Pour déterminer si un mauvais traitement en particulier peut être qualifié de « grave », il faut déterminer quel droit du demandeur d’asile pourrait être lésé et dans quelle mesure la subsistance, la jouissance, l’expression ou l’exercice de ce droit pourrait être compromis. Par exemple, la persécution, qui n’est pas définie dans la Convention, s’est vu accorder le sens d’un non-respect constant ou systématique des droits fondamentaux de la personne.

[22] Je conclus que ces incidents n’équivalent pas à de la persécution lorsqu’ils sont pris séparément, et je conclus aussi qu’ils n’équivalent pas à de la persécution lorsqu’ils sont pris dans leur ensemble.

[18]           Après cette conclusion, la SPR a ensuite examiné, au paragraphe 24, si la demanderesse principale serait confrontée à une grave possibilité de persécution tout simplement parce qu’elle était une Rom. La SPR avait souligné au paragraphe 23 divers aspects de la preuve documentaire sur les conditions du pays en République tchèque, notamment les conclusions suivantes :

         les Rom font l’objet de discrimination et même si le nombre d’agressions violentes avait diminué depuis les années 1990, de nouveaux éléments de preuve indiquent que les agressions pour des motifs raciaux à l’endroit des minorités en République tchèque sont à la hausse;

         les Roms sont des gens vulnérables en République tchèque; ils font l’objet de mauvais traitements de la part de la police, et les tribunaux ne sont pas suffisamment sévères dans le cas des crimes à caractère racial;

         il existe des éléments de preuve selon lesquels l’État ne tolère pas et, pour la majeure partie, n’accepte pas le comportement discriminatoire fondé sur la race, en particulier par des skinheads extrémistes.

[19]           Au paragraphe 25, la SPR a énoncé la présomption favorable de la protection de l’État et les divers qualificateurs et explications qui ont été présentés au fil des années par la jurisprudence dans ce domaine. Au paragraphe 26, elle a conclu que les éléments probants n’indiquaient pas de façon claire et convaincante que l’État tchèque n’est pas disposé ou en mesure d’offrir une protection adéquate de l’État. Ce faisant, la SPR a donné des exemples tirés de la preuve documentaire, notamment ce qui suit :

         au milieu des années 1990, le ministère de l’Intérieur a lancé une initiative pour lutter contre l’extrémisme, permettant aux corps policiers de surveiller les tendances et les activités des groupes extrémistes;

         le gouvernement peut interdire les rassemblements, concerts, activités ou discours qui incitent à la haine, et l’a fait tout au long de 2008;

         en janvier 2008, la police a arrêté 30 néo-nazis au centre-ville de Prague;

         en octobre 2008, la police a contré un rassemblement d’extrémistes de droite qui étaient arrivés dans un quartier de Litvinov habité par des Roms;

         en mai 2008, la police a réussi à empêcher une confrontation majeure entre des anarchistes et des néo-nazis à Brno, et les a expulsés de la ville;

         lors de la marche du Parti des ouvriers de novembre 2008 à Litvinov, la police a été en mesure de mettre fin aux manifestations;

         en décembre 2008, la police a empêché le Parti national d’extrême-droite de tenir des manifestations à Brno.

[20]           L’avocat des demandeurs a présenté une preuve documentaire qui illustre le risque de préjudices graves pour les demandeurs. Au paragraphe 27, la SPR a indiqué qu’elle avait tenu compte de ces éléments de preuve, mais n’a fourni aucun extrait et n’a pas fait référence à un document précis. Elle a par contre indiqué dans une note de bas de page que les éléments de preuve présentés se trouvent à la pièce C-4. La SPR a ensuite déclaré :

[traduction] [27]... La Commission a tenu compte des observations ainsi que de la preuve documentaire de l’avocat. Bien qu’il existe des préoccupations de la part de certains groupes selon lesquelles il y a impunité pour des agressions à caractère racial et les réponses ne sont pas suffisantes, la prépondérance de la preuve indique que l’État prend des mesures à l’encontre des extrémistes et qu’il ne tolère pas ni n’accepte les gestes des extrémistes, et que ces mesures sont efficaces. La police ne peut pas être la seule responsable du changement de l’attitude des gens étant donné que cela nécessite un réseau d’établissements et d’organismes sociaux, mais il est évident que la police est intervenue pour offrir une protection au besoin.

[21]           La SPR a souligné ce qui suit au paragraphe 28 :

[traduction] La discrimination est courante, mais il existe des éléments de preuve selon lesquels la République tchèque prend des mesures pour aider les Roms de plusieurs façons afin de s’assurer qu’ils seront en mesure de participer à la société tchèque.

[22]           Plus loin, au paragraphe 28, on fait référence à ces mesures, notamment la mise en place d’un organisme pour l’inclusion sociale des communautés roms dont le but est d’améliorer les conditions socioéconomiques des Roms. Il a aussi été fait mention d’aider les Roms à trouver de l’emploi, y compris l’inclusion de représentants roms au sein de la commission pour toutes les affaires des communautés roms. La SPR a conclu ce volet de la recherche de faits en disant ceci à la fin du paragraphe 28 :

[traduction] En l’espèce, la discrimination dont a fait l’objet la demanderesse, même prise dans son ensemble, n’équivaut pas à de la persécution. Cependant, elle est une Rom et il existe une preuve documentaire de persécution des Roms en République tchèque; de plus, il y a la montée d’extrémistes de droite et de néo-nazis qui préconisent une solution au problème des Roms, même par la force au besoin. La question est donc de savoir ce que l’État fait pour protéger les Roms contre ce préjudice.

[23]           La SPR a ajouté au paragraphe 29 qu’il existe [traduction] « de nombreux signes de changement, en particulier dans le système éducatif en République tchèque » et elle a donné des exemples comme celui d’un établissement d’études secondaires conçu spécialement pour les Roms et on compte sept succursales dans tout le pays, pour un total de 600 élèves. Le gouvernement a également offert d’assumer le coût de la maternelle pour les parents qui n’en avaient pas les moyens.

[24]           Au paragraphe 30, la SPR a dit que [traduction] « [le judiciaire a intenté à plusieurs reprises des poursuites contre les crimes haineux commis à l’endroit des Roms », concluant le paragraphe comme suit :

[traduction] La prépondérance de la preuve documentaire indique que le gouvernement de la République tchèque déploie des efforts très sérieux pour offrir une protection aux Roms, soit en tant que victimes de crimes haineux, soit pour les aider à obtenir des soins de santé ou à faire des études ou à les inclure dans la société tchèque. Comme on l’a indiqué plus haut, les Roms font l’objet de discrimination dans divers aspects de leur vie. Cependant, le gouvernement tchèque déploie des efforts très sérieux pour surmonter cette discrimination. (Non souligné dans l’original.)

[25]           Au paragraphe 31, la conclusion était que la demanderesse principale n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État et que cela s’appliquait également aux deux articles 97 [sic] et 97 de la Loi.

III.             Question en litige

[26]           Outre la question habituelle de ce qui constitue la norme de contrôle appropriée, la seule question en litige est de savoir si la décision devrait être annulée, comme le demande l’avis de requête.

IV.             Analyse

A.                Norme de contrôle

[27]           Il n’existe que deux normes de contrôle : la norme de la décision correcte et celle de la décision raisonnable. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question en cause est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 57 [Dunsmuir].

[28]           La norme de la décision correcte fait intervenir une décision de savoir si le décideur est parvenu à la bonne conclusion. Aucune déférence n’est accordée au raisonnement du décideur. Si la cour de révision conclut différemment, elle substituera sa propre conclusion et rendra la décision qui s’impose, voir Dunsmuir, au paragraphe 50.

[29]           La norme de la décision raisonnable exige que la cour de révision fasse preuve de retenue à l’endroit du décideur. Cela veut dire que la cour tiendra dûment compte des décisions du décideur, dans le respect du choix législatif de laisser certaines affaires entre les mains de décideurs administratifs. L’examen de la raisonnabilité porte sur « l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi que sur « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », voir Dunsmuir, aux paragraphes 47 et 49.

[30]           La norme de contrôle pour savoir si le traitement des demandeurs équivalait à de la persécution a été décidée dans l’arrêt Ruszo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004. Dans cette affaire, le juge en chef Crampton a conclu qu’il existe deux questions distinctes, chacune faisant l’objet d’un contrôle différent. Il a conclu qu’en ce qui concerne l’élaboration du critère concernant la protection de l’État ou la persécution, la jurisprudence actuelle a établi un critère précis pour chacune de ces questions; il n’est pas loisible à la SPR de retenir une interprétation différente. Par conséquent, l’élaboration par la SPR des critères constitue une question de droit, qui peut faire l’objet d’un contrôle en fonction de la norme de la décision correcte. La conclusion factuelle qui s’ensuit de savoir si les demandeurs ont démontré une crainte bien fondée de persécution ou réfuté la présomption de la protection de l’État peut faire l’objet d’un contrôle en fonction d’une norme de la décision raisonnable étant donné qu’il s’agit de questions mixtes de fait et de droit, voir les paragraphes 20 à 22.

[31]           L’application des critères aux faits est une question mixte de fait et de droit, qui peut faire l’objet d’un contrôle en fonction d’une norme de la décision raisonnable, voir Dunsmuir, au paragraphe 47.

B.                 La décision devrait-elle être annulée?

(1)               Protection de l’État

[32]           Pour déterminer si la décision devrait être annulée, je commencerai par l’analyse de la protection de l’État que l’on trouve à la rubrique « Protection de l’État » (exposée en détail au paragraphe 17 des présents motifs), puis l’analyse par la suite à la rubrique « Discrimination par rapport à persécution ».

[33]           En arrivant à la conclusion selon laquelle les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de la protection de l’État, la SPR a commis une erreur au paragraphe 18 en ce qui concerne l’application du critère à la protection de l’État lorsqu’elle a conclu qu’on s’attend à ce que les demandeurs [traduction] « aient fait des démarches auprès des autorités de l’État à tous les paliers à leur disposition en République tchèque ». Il ne s’agit pas d’une exigence lorsque la discrimination comporte des actes de violence criminelle comme les agressions à l’endroit des demandeurs par les skinheads, voir Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1081; Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429; Katinszki c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1326.

[34]           Aux paragraphes 18 et 19, la SPR a également conclu que le fait de dire à la police que des skinheads les avaient agressés, sans fournir une meilleure description ne constituait pas [traduction] « un élément de preuve suffisant en fonction duquel la police pourrait effectuer des arrestations ». Ce qui dérange dans cette déclaration, c’est la référence au critère qui veut que la police doit pouvoir effectuer des arrestations. Bien que, dans une démocratie fonctionnelle, l’on suppose que l’État est en mesure d’assurer la protection des gens, il n’est pas dit que la protection comporte des arrestations. Des mesures comme dresser un rapport ou mener une enquête dans le but d’effectuer une arrestation indiquent un niveau de protection, et non pas le fait d’effectuer en réalité une arrestation. Par exemple, même s’il n’y a aucun témoin, la présente Cour a conclu que la police pouvait ratisser la région pour trouver des témoins possibles, voir Biro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1120.

[35]           L’analyse de la protection de l’État au début de la décision est également maigre. L’accent est mis sur les « arrestations » et les « témoins ». Il ne fait aucun doute que la protection de l’État est adéquate étant donné que l’accent est mis sur ce qui précède et la question de savoir si les demandeurs ont [traduction]  « fait des démarches auprès des autorités de l’État… à tous les paliers à leur disposition. »  Ce que l’on entend par faire des démarches auprès d’autres paliers des autorités de l’État n’est pas clair. Cela semble laisser entendre qu’il existe soit des paliers plus élevés des autorités policières ou d’autres organisations mises en place par l’État pour aider les Roms. Dans un cas comme dans l’autre, compte tenu des agressions physiques qui sont survenues, la force policière constitue la principale institution mise en place pour protéger les citoyens, et d’autres institutions gouvernementales ou privées n’ont ni le mandat ni le moyen d’assurer une protection aux citoyens, voir Graff c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 437, au paragraphe 24.

[36]           Les applications précédentes du critère peuvent faire l’objet d’un contrôle en fonction d’une norme de la décision raisonnable. Je conclus que l’accumulation des erreurs dans l’analyse, tel qu’il est indiqué plus haut, rendent les conclusions de la SPR déraisonnables.

[37]           Plus loin dans la décision, après l’analyse concernant la discrimination par rapport à la persécution, la SPR examine une fois de plus le critère de la protection de l’État. En décidant que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption, la SPR a examiné [traduction] « de nombreux signes de changement », des « efforts très sérieux pour offrir une protection », et des « efforts très sérieux pour surmonter cette discrimination ». Ce n’est pas là le bon critère de l’efficacité opérationnelle. Dans Dawidowicz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 115, le juge O’Keefe a examiné la jurisprudence récente de notre cour sur l’interprétation de la protection de l’État. Il a résumé le tout au paragraphe 28 : « [c’[est une maigre consolation pour la personne qui craint d’être persécutée que son État ait fait des efforts pour la protéger si ceuxci ne sont pas ou guère suivis d’effet. C’est pourquoi la Commission doit évaluer dans sa réalité empirique le caractère adéquat de la protection de l’État. » L’énonciation erronée du critère est une erreur de droit qui exige de revenir sur la décision.

(2)               Conclusion relative à la discrimination par rapport à la persécution

[38]           La SPR a cerné le bon critère pour déterminer s’il existe de la persécution en ce sens que cela signifie « violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne » et qu’elle devait tenir compte des actes de discrimination à la fois individuels et cumulatifs. Malheureusement, sans aucune analyse, la SPR a alors énoncé aux paragraphes 21 et 22 sa conclusion selon laquelle les incidents visés par les plaintes [traduction] « n’équivalent pas à de la persécution lorsqu’ils sont pris séparément et… [i]ls n’équivalent pas à de la persécution lorsqu’ils sont pris dans leur ensemble. »

[39]           Dans Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 796, la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 3, a décrit ce qui est exigé d’un décideur pour conclure que des actes de violence équivalent à de la persécution ou de la discrimination :

Il est vrai que la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer, d’autant plus que, dans le contexte du droit des réfugiés, il a été conclu que la discrimination peut fort bien être considérée comme équivalant à la persécution. Il est également vrai que la question de l’existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n’est pas simplement une question de fait, mais aussi une question mixte de droit et de fait, et que des notions juridiques sont en cause. Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l’intervention de cette Cour n’est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable. (Non souligné dans l’original.)

[40]           En l’espèce, il y a un manque total d’analyse par la SPR au point où il n’est pas possible de déterminer comment ou pourquoi elle a conclu ce qu’elle a conclu à l’égard de la persécution. Il n’existe aucune évaluation individualisée des risques relatés par les demandeurs. Il n’existe aucune pondération ni mise en équilibre de quelle que sorte que ce soit pour me permettre de savoir ce qui a amené la SPR à sa conclusion. Le processus décisionnel manque de transparence et il est inintelligible pour ce qui est de cette conclusion. Ce n’est pas raisonnable.

(3)               Crédibilité

[41]           La SPR a indiqué que la crédibilité était l’une des questions déterminantes. En plus de ne mener aucune analyse de discrimination par rapport à persécution, la SPR n’a donné aucune conclusion concrète en matière de crédibilité pour ou contre les demandeurs, si ce n’est qu’ils sont des Roms et que leurs enfants fréquentaient une école spéciale, quoique la SPR ait rejeté la lettre tardive de preuve. Comme il a déjà été énoncé, la SPR a semé le doute sur divers aspects des éléments de preuve des demandeurs, mais elle n’a tiré aucune conclusion distincte relativement à la crédibilité. Les motifs de la décision ne sont pas transparents ni intelligibles pour ce qui est de la crédibilité étant donné que l’on ne sait pas ce que signifient les observations au sujet du « doute » ni s’ils ont fait partie du processus réel de prise de décision. Il n’est pas possible non plus de dire quelle question ou quelles questions de crédibilité, s’il y a lieu, ont été jugées déterminantes.

C.                 Conclusion

[42]           La SPR a cerné les trois questions en litige – crédibilité, discrimination par rapport à persécution et protection de l’État – comme déterminantes. Compte tenu du nombre d’aspects de la décision qui sont soit non transparents, soit inintelligibles, conjugués à l’application du mauvais critère relatif à la protection de l’État, la décision doit être infirmée. Il est impossible de suivre le raisonnement pour conclure comment ou pourquoi la SPR est parvenue à ces conclusions. Les critères de l’arrêt Dunsmuir n’ont pas été satisfaits. La décision doit être annulée et renvoyée pour nouvel examen par un tribunal constitué différemment.

[43]           Compte tenu de la présente disposition, il n’existe aucune question sérieuse d’importance générale pour le système juridique à certifier.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.               La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un tribunal constitué différemment.

2.               Aucune question sérieuse d’importance générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3346-11

 

INTITULÉ :

RADEK BALAZ, BOZENA KRISTOFOVA, KAROLINA BALAZOVA et LAURA BALAZOVA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 SEPTEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 AVRIL 2016

COMPARUTIONS :

Rocco Galati

 

Pour les demandeurs

 

Marie-Louise Wcisco

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rocco Galati Law Firm

Société professionnelle

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général

du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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