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Date : 20160414


Dossier : IMM-4245-15

Référence : 2016 CF 406

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 14 avril 2016

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

ZHONG SUI, XINYA YANG, XUHONG YANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), à l’encontre d’une décision rendue le 25 août 2015 par un commissaire de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, rejetant l’appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR, respectivement.

II.                Les faits

[2]               La demanderesse principale, Mme Zhong, et ses deux enfants mineurs, XinYa Yang et Xuhong Yang, sont des citoyens de Chine. La demanderesse principale (parfois simplement désignée aux présentes la demanderesse) dit pratiquer le Falun Gong en Chine depuis 2007, comme moyen de soulager des douleurs à l’estomac qui étaient réfractaires au traitement médical. Elle soutient également avoir été arrêtée par les services de sécurité en novembre 2007 pour avoir enseigné la pratique du Falun Gong, et avoir été torturée durant son incarcération. Elle a finalement été relâchée, mais a de nouveau été arrêtée en 2013 pour pratiquer le Falun Gong. Elle soutient avoir été incarcérée pendant deux mois, période durant laquelle elle dit avoir été agressée sexuellement et s’être fait voler ses biens personnels. En 2007, l’avocat de la demanderesse aurait prétendument interjeté appel de sa détention et son mari aurait déposé une plainte auprès de l’administration municipale. La demanderesse soutient également qu’après son arrestation en 2013 des membres de sa famille ont interjeté appel auprès des tribunaux locaux et des amis et que des membres de sa famille ont manifesté en sa faveur devant l’hôtel de ville.

[3]               Elle allègue en outre que l’administration municipale a publié, en 2014, une liste de personnes soupçonnées d’être des agitateurs en prévision d’une conférence qui devait se tenir. Ayant appris que son nom figurait sur cette liste et craignant d’être arrêtée et torturée, la demanderesse dit avoir obtenu un visa et s’être rendue en Europe en juin 2014. À son retour en Chine, elle a obtenu un visa pour les États-Unis où elle s’est rendue avec ses enfants. Elle est par la suite arrivée au Canada où elle a présenté une demande d’asile.

[4]               La SPR a entendu la demande d’asile durant une audience de deux jours et a rendu sa décision le 29 mai 2015. La SPR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible et a rejeté la demande d’asile. La SAR a confirmé la décision de la SPR le 25 août 2015.

III.             Décision de la SAR

[5]               Conformément à la décision rendue par monsieur le juge Michael Phelan dans l’affaire Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799 [Huruglica] aux paragraphes 54 et 55, la SAR a mené sa propre évaluation de la décision de la SPR et en est arrivée à sa propre conclusion selon laquelle la demanderesse n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger. La SAR a fait preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR concernant la crédibilité de la demanderesse, ainsi que des autres questions pour lesquelles la SPR jouissait d’un avantage particulier pour tirer ses conclusions.

[6]               Il convient de souligner que la Cour d’appel fédérale (CAF) vient de rendre sa décision dans l’appel de la décision du juge Phelan dans Huruglica : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica (CAF)]. La décision de la Cour d’appel fédérale est examinée ultérieurement dans ces motifs.

[7]               En ce qui a trait au bien-fondé de l’appel de la demanderesse, la SAR a estimé que les documents corroborants étaient insuffisants. La SAR a notamment souligné l’absence de preuve médicale fournie par la demanderesse pour attester du traitement du problème de santé qui, a-t-elle allégué, l’avait amenée à la pratique du Falun Gong. De l’avis de la SAR, la demanderesse aurait dû avoir un carnet médical, puisqu’elle prétendait avoir reçu des traitements pour sa maladie et que, selon la preuve documentaire, les hôpitaux et cliniques en Chine remettent de tels carnets aux patients. La demanderesse a fait valoir que rien ne laissait croire qu’elle aurait dû avoir un carnet médical. La SAR a souligné que la demanderesse avait déclaré, durant son témoignage, avoir des documents médicaux. La demanderesse a également déclaré qu’elle ne savait que des documents médicaux seraient exigés comme éléments de preuve. La SAR n’a toutefois pas accepté ce motif pour expliquer l’absence de documents médicaux, car la demanderesse a été représentée durant tout le processus par un avocat compétent et que la pertinence de tels documents ne faisait aucun doute.

[8]               De même, la demanderesse n’a présenté aucun document attestant de ses arrestations et détentions. Elle soutient avoir été détenue en vertu de mesures extrajudiciaires sans documentation, mais cet argument n’a pas convaincu la SAR. La SAR a en effet conclu que, bien que certains éléments de preuve indiquent que la police agit parfois en marge de la loi, aucun élément de preuve ne montre (comme l’a affirmé la demanderesse) que la police agit toujours de la sorte envers les adeptes du Falun Gong. La SAR estime que la demanderesse aurait dû être en mesure de fournir certains documents attestant de ses arrestations, sinon de la police tout au moins de son avocat ayant déposé un appel en son nom, ou de son mari qui aurait écrit au maire de la ville, selon le témoignage de la demanderesse.

[9]               La SAR partage également les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité de la demanderesse pour manque de connaissance de la pratique du Falun Gong. Bien que la SAR reconnaisse que la jurisprudence de la Cour fédérale met en garde contre la détermination de l’identité religieuse d’un demandeur d’asile à partir de ses connaissances de la religion, elle note par ailleurs que la jurisprudence reconnaît que la connaissance constitue un volet important du Falun Gong. La SAR a donc jugé qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne qui prétend être une adepte du Falun Gong depuis 2007, et avoir enseigné cette pratique à d’autres, soit en mesure de démontrer un niveau de connaissance qui corresponde à l’expérience alléguée de cette pratique. Or la SAR a estimé que la demanderesse n’avait pas démontré ce niveau de connaissance, ni n’avait offert de motif raisonnable pour expliquer son incapacité à le faire. La SAR a donc conclu que ce manque de connaissance minait l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle pratiquait le Falun Gong.

[10]           La SAR partage également les conclusions défavorables de la SPR concernant le manque de crédibilité de la demanderesse, parce que celle-ci n’a pas présenté de demande d’asile durant son voyage en Europe en juin 2014 et qu’elle est ensuite retournée en Chine. La SPR a rejeté les motifs invoqués par la demanderesse pour expliquer le fait qu’elle n’ait pas présenté de demande d’asile en Europe (elle craignait que ses enfants soient privés de leur mère), car elle a estimé que la demanderesse était une personne avertie qui aurait dû savoir qu’elle pouvait présenter une demande d’asile en Europe, mais qui a plutôt pris le risque d’être arrêtée en retournant en Chine. La SAR a toutefois souscrit à cette évaluation du niveau de connaissance de la demanderesse, pour des motifs différents de ceux invoqués par la SPR. La SAR a ainsi fait valoir que la demanderesse avait rempli son formulaire Fondement de la demande d’asile sans l’aide d’un avocat, qu’elle avait obtenu un visa pour aller aux États-Unis – ce qui a nécessité une entrevue en personne – et qu’elle a réussi à convaincre un agent qu’elle avait l’intention de retourner en Chine alors qu’il n’en était rien. Plus important encore, la SAR a conclu que, quel que soit le niveau de connaissance de la demanderesse, le fait qu’elle n’ait pas présenté de demande d’asile en Europe et qu’elle ait décidé de retourner en Chine même si elle risquait prétendument d’être arrêtée minait à la fois sa crainte subjective et la crédibilité de son allégation voulant qu’elle soit recherchée aux fins d’une arrestation en Chine.

[11]           Le dernier argument invoqué par la SAR pour confirmer la décision de la SPR était le manque de crédibilité de la demanderesse lorsque celle-ci a déclaré avoir pu quitter la Chine en utilisant son propre passeport, alors qu’elle prétendait être recherchée par les autorités et figurer sur une liste de personnes à arrêter. La SAR n’a pas été convaincue par l’argument de la demanderesse qui a déclaré avoir réussi cela en faisant appel à un passeur et en profitant de la corruption généralisée au sein des fonctionnaires chinois. La SAR a conclu que la preuve documentaire indiquait que les agents de sécurité chinois avaient suffisamment de ressources à leur disposition pour arrêter les personnes recherchées qui tentaient de quitter le pays ou d’y entrer, et qu’il est fort peu probable que la demanderesse aurait réussi à contourner tous les contrôles de sécurité mis en place. La SAR a conclu que le fait que la demanderesse puisse sortir de Chine et y entrer en utilisant son propre passeport porte à croire que la demanderesse n’était pas véritablement recherchée par les autorités.

[12]           Pour les motifs précités, la SAR a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir qu’elle était exposée à une possibilité sérieuse de persécution au sens de la Convention ou, selon la prépondérance des probabilités, à une menace à sa vie, à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque de torture si elle retournait en Chine. Ayant déterminé que la demanderesse n’était pas exposée à un risque de persécution, la SAR a par ailleurs conclu que ses enfants mineurs n’étaient pas non plus menacés de persécution et qu’ils ne constituaient donc pas des personnes à protéger. En conséquence, la SAR a confirmé la décision de la SPR et rejeté l’appel de la demanderesse.

IV.             Question en litige

[13]           La seule question en litige en l’espèce est de déterminer si la SAR a commis une erreur susceptible de révision dans sa décision.

V.                Norme de contrôle

A.                La norme de contrôle de la Cour

[14]           Dans la plupart des affaires, la Cour doit appliquer la norme de la décision raisonnable pour la révision des décisions de la SAR : voir Huruglica (CAF), au paragraphe 35. Cependant, la demanderesse fait valoir que certains aspects de la décision de la SAR auraient dû être examinés en regard de la norme de la décision correcte à cause de l’absence d’équité procédurale, mais je n’ai constaté aucune erreur à cet égard.

B.                 La norme de contrôle de la SAR

[15]           Aucune partie n’a fait d’observations concernant à la norme en regard de laquelle la SAR doit revoir les décisions de la SPR. Comme je l’ai indiqué précédemment, la SAR a suivi la norme définie par le juge Phelan dans l’affaire Huruglica, une décision qui a récemment été examinée par la Cour d’appel fédérale. Madame la juge Johanne Gauthier, se prononçant au nom de la Cour d’appel fédérale, a conclu que la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte, bien que la SAR puisse s’en remettre aux conclusions de fait ou aux conclusions mixtes de fait et de droit de la SPR si cette dernière jouit d’un avantage certain : Huruglica (CAF), aux paragraphes 70 et 103.

[16]           Même si la Cour d’appel fédérale a quelque peu modifié l’approche prise par le juge Phelan dans l’affaire Huruglica sur laquelle s’est fondée la SAR en l’espèce, je suis d’avis que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de révision en précisant et en exerçant son rôle dans l’appel de la décision de la SPR.

VI.             Analyse

[17]           Il est important de préciser qu’il s’agit en l’espèce de la révision de la décision de la SAR, et non de la décision de la SPR. La demanderesse allègue, à juste titre, qu’il faut se concentrer sur les conclusions et les motifs de la SAR.

[18]           Comme je l’ai mentionné précédemment, la SAR a conclu que la crédibilité de la demanderesse était mise en doute par cinq éléments précis de sa demande d’asile :

  1. Absence de dossiers médicaux corroborant l’allégation selon laquelle la demanderesse s’était mise à la pratique du Falun Gong pour soulager des douleurs qui s’étaient manifestées durant sa première grossesse et que la médecine conventionnelle n’arrivait pas à traiter;
  2. Absence d’éléments de preuve pour corroborer ses allégations d’arrestation et de détention par les autorités en 2007 et en 2013 pour avoir enseigné le Falun Gong;
  3. Absence de connaissances fondamentales du Falun Gong correspondant à sa présumée expérience;
  4. Décisions de la demanderesse (i) de ne pas présenter de demande d’asile durant son voyage en Europe en 2014 puis (ii) de retourner en Chine en dépit du fait qu’elle disait être menacée d’arrestation;
  5. Possibilité pour la demanderesse de quitter la Chine (même avec l’aide d’un passeur) en utilisant son propre passeport malgré les présumées menaces d’arrestation.

[19]           Chacune de ces questions est examinée tour à tour ci-après.

A.                Documentation médicale

[20]           À l’appui de son argument invoqué à l’encontre de ce volet de la décision de la SAR, la demanderesse a fait valoir (comme elle l’a fait devant la SAR) que rien ne portait à croire qu’elle avait un carnet médical. Bien que la demanderesse ait en fait reconnu devant la SPR qu’elle avait un carnet médical en Chine, elle soutient que l’expression « carnet médical » est une erreur de traduction et qu’il faudrait plutôt parler simplement de dossier médical.

[21]           Je n’accepte pas cet argument, car il n’existe tout simplement pas d’élément de preuve pour le corroborer.

[22]           Comme la demanderesse soutient s’être mise à la pratique du Falun Gong pour soulager des douleurs que le médecin n’arrivait pas à traiter, il était raisonnable pour la SAR de considérer que des éléments de preuve attestant de la consultation d’un médecin soient pertinents et de tirer une inférence négative de l’absence de cette preuve.

B.                 Documentation des arrestations et des détentions

[23]           La demanderesse soutient que la SAR s’est fondée sur de mauvais critères pour mettre en doute sa crédibilité, en s’attendant à ce qu’on lui fournisse la preuve que les arrestations de membres du Falun Gong n’étaient jamais documentées par les autorités chinoises. Je ne suis pas d’accord. Je préfère l’argument du défendeur qui soutient que la SAR ne s’est pas méprise sur les critères pour mettre en doute la crédibilité de la demanderesse, étant davantage préoccupée par le fait que la demanderesse n’avait fourni absolument aucune preuve de ses présumées arrestations et détentions. Ces éléments de preuve auraient pu venir non seulement des autorités chinoises, mais également de l’appel déposé en 2007 au nom de la demanderesse, ou encore de la lettre envoyée par le mari de la demanderesse au maire de la ville en 2007. Ils auraient également pu venir de l’appel interjeté à la suite des présumées arrestation et détention de la demanderesse en 2013.

[24]           La demanderesse soutient que l’inférence négative de la SAR au sujet de sa crédibilité était entièrement fondée sur le fait que la SAR s’attendait à ce qu’il existe de la documentation sur l’appel de 2007. Or de l’avis de la demanderesse, rien ne porte à croire qu’une telle documentation devrait exister. La demanderesse soutient également que la prise en compte de cette question par la SAR a créé une iniquité procédurale, car cette question a été soulevée pour la première fois par la SAR sans qu’il soit permis à la demanderesse de la commenter.

[25]           Je ne suis pas d’avis que l’inférence négative de la SAR quant à la crédibilité de la demanderesse repose sur des fondements aussi limités que le prétend la demanderesse. Sa plaidoirie repose sur le mot [traduction] « en conséquence » au paragraphe 23 de la décision de la SAR, la demanderesse faisant valoir que ce mot ne renvoie qu’à la phrase qui précède. Je n’interprète toutefois pas cette décision dans un sens aussi étroit et je suis plutôt d’avis que le terme « en conséquence » fait référence à l’ensemble de l’examen fait par la SAR de l’absence de preuve sur les arrestations et les détentions de la demanderesse.

[26]           J’estime qu’il est tout à fait raisonnable que la SAR tire une inférence négative de l’absence totale de preuve corroborante sur cette question.

C.                 Connaissance du Falun Gong

[27]           La SAR a admis la jurisprudence qui met en garde contre la détermination de l’identité religieuse d’une personne en se basant sur la connaissance, ou le manque de connaissance, qu’a la personne de cette religion. La SAR a évalué la crédibilité de la demanderesse qui affirmait pratiquer le Falun Gong, en cherchant à déterminer si celle-ci avait un niveau de connaissance fondamentale correspondant à sa présumée expérience. Il s’agit à mon avis d’une méthode raisonnable pour évaluer l’authenticité de l’adhésion de la demanderesse au mouvement Falun Gong.

[28]           La demanderesse a prétendu pratiquer, et même enseigner, le Falun Gong depuis 2007, mentionnant notamment posséder et avoir lu plusieurs ouvrages importants sur le sujet.

[29]           La demanderesse critique le fait que la SAR a pris acte, mais sans prendre position, de la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait su décrire la pratique du Falun Gong de manière spontanée. La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en omettant de fournir des exemples pour expliquer le manque de spontanéité allégué; elle soutient également qu’il y a eu, de la part de SAR, défaut d’exercer ses compétences ou de justifier une décision et donc manquement à la justice naturelle, car la SAR a omis de préciser qu’elle était parvenue à ses propres conclusions sans égard à l’erreur de la SPR. J’estime qu’il n’était pas nécessaire pour la SAR de statuer si la SPR avait ou non commis une erreur sur ce point, car la SAR avait, comme il se doit, entrepris sa propre évaluation indépendante de la preuve.

[30]           La demanderesse soutient que la SAR s’est basée en partie sur le fait que la demanderesse ne connaissait pas certains versets faisant partie intégrante de la pratique du Falun Gong. Elle souligne également que les parties avaient convenu que la SAR commettait une erreur en se fondant sur de telles connaissances. La demanderesse soutient avoir été privée de son droit à la justice naturelle parce que la SAR ne l’a pas informée de ce problème.

[31]           J’estime toutefois que l’erreur commise par la SAR, en se fondant sur le manque de connaissance de ces versets par la demanderesse, n’était pas déterminante. La SAR a en effet conclu au manque de crédibilité de la demanderesse sur cette question en se fondant sur d’autres éléments de preuve, ne faisant référence aux versets que dans un paragraphe ultérieur distinct commençant par [traduction] « en outre ».

[32]           Il ne fait aucun doute que la SAR a tenu compte de la situation personnelle de la demanderesse et savait que la demanderesse s’était d’abord tournée vers la pratique du Falun Gong comme moyen de soulager sa douleur. Je ne suis pas convaincu que la conclusion de la SAR mettant en doute la crédibilité de la demanderesse en raison de sa connaissance limitée du Falun Gong était déraisonnable.

D.                Défaut de présenter une demande d’asile en Europe et retour en Chine

[33]           Les arguments invoqués par la demanderesse sur cette question s’appuient sur le fait que la demanderesse dit avoir voyagé avec l’aide, et suivant les instructions, d’un passeur avisé dont le plan ultime était d’obtenir un visa pour les États-Unis pour la demanderesse et ses enfants. Son voyage en Europe et son retour en Chine faisaient partie de ce plan.

[34]           La demanderesse consacre beaucoup d’énergie à défendre un argument selon lequel la conclusion de la SAR concernant le niveau de connaissance de la demanderesse était erronée. Je suis d’avis que le fait que la SAR se soit fondée sur le niveau de connaissance de la demanderesse pour étayer sa décision n’est pas une question suffisamment importante pour qu’on s’en préoccupe. La SAR ne semble avoir fait référence au niveau de connaissance de la demanderesse que pour appuyer sa conclusion selon laquelle la demanderesse savait qu’elle pouvait présenter une demande d’asile en Europe et qu’elle pouvait être arrêtée à son retour en Chine. Je suis d’avis qu’il était loisible à la SAR de parvenir à cette conclusion.

[35]           La demanderesse soutient que c’est en pensant à ses enfants qu’elle a pris le risque de revenir en Chine, car elle ne voulait pas qu’ils soient privés de leur mère. Cependant, le fait que la demanderesse ait de son plein gré pris le risque d’être arrêtée et détenue durant une longue période (période durant laquelle ses enfants auraient réellement été privés de leur mère) semble être en contradiction avec les préoccupations exprimées par la demanderesse.

[36]           Je suis d’avis que la conclusion de la SAR concernant le manque de crédibilité de la demanderesse sur cette question était entièrement raisonnable.

E.                 Capacité de quitter la Chine sans être arrêtée

[37]           La demanderesse soutient que la conclusion de la SAR sur cette question laisse croire qu’il serait impossible pour toute personne visée par un mandat d’arrestation en Chine de quitter ce pays en utilisant son propre passeport. La demanderesse fait valoir que les éléments de preuve ne corroborent pas cette conclusion. La demanderesse cite également la jurisprudence selon laquelle une conclusion d’invraisemblance ne devrait s’appliquer que dans les cas les plus manifestes.

[38]           La demanderesse soutient que la SAR n’a pas tenu compte de la complexité du système utilisé par les passeurs pour contourner le bouclier d’or mis en place par les autorités frontalières pour repérer les personnes recherchées qui tentent de franchir la frontière. La demanderesse a mentionné des éléments de preuve établissant des liens entre les passeurs et le crime organisé, entre le crime organisé et le gouvernement, de même qu’entre le gouvernement et les agents de sécurité à la frontière.

[39]           La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable de conclure qu’une personne visée par un mandat d’arrestation ne pouvait quitter la Chine en utilisant son propre passeport, et elle cite à l’appui les affaires Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 533 [Zhang] et Sun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 387 [Sun].

[40]           Le défendeur soutient que la SAR connaissait bien la preuve concernant le bouclier d’or, y compris l’usage répandu de ce système par les autorités frontalières à l’égard des voyageurs au départ et à l’arrivée, et son emploi pour repérer les membres du Falun Gong. La SAR était également au courant de la possibilité de soudoyer des fonctionnaires.

[41]           Le défendeur note que, selon le récit de la demanderesse, celle-ci a réussi à traverser la frontière en utilisant son propre passeport alors qu’elle était recherchée par la police, et ce, pas seulement une fois, mais trois fois, soit deux fois pour quitter le pays et une fois pour y revenir. La SAR a reconnu explicitement qu’il était possible pour un passeur d’échapper à certains contrôles de sécurité à la frontière. La SAR a toutefois trouvé très peu probable que la demanderesse ait pu échapper à plusieurs reprises à tous ces contrôles.

[42]           Pour répliquer aux décisions Zhang et Sun citées par les demandeurs, le défendeur fait valoir que les faits en l’espèce sont différents. Dans Zhang, la SPR avait fondé sa décision d’une manière déraisonnable sur la conclusion selon laquelle il aurait sans doute fallu verser des centaines de pots-de-vin pour contourner les contrôles de sécurité à la frontière. Quant à la décision Sun, elle était fondée sur des éléments de preuve de la situation en Chine qui sont aujourd’hui périmés. Dans l’affaire Sun, la décision de la SPR était fondée sur une Réponse à une demande d’information datée du 2 juillet 2009, alors que la décision de la SAR en l’espèce est basée sur deux Réponses à des demandes d’information datées des 6 et 7 mars 2014, soit près de cinq ans plus tard. Comme l’a déclaré le défendeur, les éléments de preuve les plus récents indiquent que les autorités chinoises ont élargi la portée et la complexité de leur système d’échange de l’information, ont resserré la sécurité aux aéroports et ont arrêté des personnes recherchées qui tentaient de fuir. Le défendeur cite également la récente décision rendue dans l’affaire Ma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 838 où, au paragraphe 53, la juge conclut que la SPR est parvenue à une conclusion raisonnable en déclarant qu’il était invraisemblable qu’une personne recherchée en vue d’être arrêtée puisse quitter la Chine sans se faire repérer en utilisant son propre passeport valide.

[43]           Le défendeur fait valoir que l’argument de la demanderesse sur cette question se résume à une contestation de l’évaluation faite par la SAR de la preuve. Je suis d’accord. La SAR était bien placée pour faire cette évaluation, y compris pour déterminer l’invraisemblance, ainsi que pour évaluer la crédibilité de la demanderesse sur cette question en se basant sur son manque de crédibilité sur les autres questions. De plus, la SAR a présenté des éléments de preuve pour expliquer sa conclusion concernant le caractère invraisemblable.

[44]           Je suis d’avis que la force des conclusions de la SAR sur les autres questions est telle que, même si sa conclusion concernant la capacité de la demanderesse de quitter la Chine sans être repérée était faible, je maintiendrais la décision de la SAR. Les conclusions de la SAR selon lesquelles la demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve pour corroborer (i) la présumée douleur qui l’a amenée à pratiquer le Falun Gong, (ii) les présumés pratique et enseignement du Falun Gong qui auraient mené à ses arrestations et détentions ou (iii) les présumées arrestations et détentions proprement dites, combinées au fait que la demanderesse a choisi de plein gré de s’exposer inutilement au risque d’être arrêtée en retournant en Chine, constituent des motifs impérieux et de loin suffisants pour appuyer la décision de la SAR.

VII.          Conclusion

[45]           Pour les motifs précités, je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée. Les parties ont convenu qu’il n’y avait aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4245-15

INTITULÉ :

ZHONG SUI, XINYA YANG, XUHONG YANG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 avril 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

DATE DES MOTIFS :

Le 14 avril 2016

COMPARUTIONS :

Jeffrey L. Goldman

Pour les demandeurs

Daniel Engel

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LEWIS & ASSOCIATES

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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