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Date : 20160506


Dossier : IMM-4307-15

Référence : 2016 CF 510

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

BABAR MIRZA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Babar Mirza, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 4 septembre 2015 d’un agent d’immigration principal [l’agent] qui a confirmé qu’il est interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) et a constaté qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour transmettre sa demande à la Direction générale du règlement des cas pour un nouvel examen d’une dispense à l’égard de l’interdiction de territoire.

[2]               Lors du contrôle judiciaire, le demandeur fait valoir que la décision n’est pas raisonnable et qu’il y a, en outre, un manquement à l’équité procédurale en raison d’une partialité institutionnelle sur le plan de la structure de prise de décision.

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’estime que la décision n’est pas raisonnable. Il n’est pas nécessaire de répondre à l’argument selon lequel le processus de prise de décision traduit une partialité institutionnelle.

I.                   Contexte

[4]               Le demandeur est un citoyen du Pakistan. Il est arrivé au Canada, le 27 octobre 1996, et a été accepté comme réfugié au sens de la Convention, le 28 janvier 1999. Sa demande de résidence permanente a été approuvée en principe, le 22 septembre 1999. Il a été interviewé par le Service canadien du renseignement de sécurité, le 11 octobre 2000. Le demandeur semble ne pas avoir été mis au courant de l’état d’avancement de sa demande de résidence permanente entre 2000 et 2010.

[5]               Le 14 avril 2010, le demandeur a reçu une lettre de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) indiquant qu’il est probablement interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi en raison de son appartenance au Muttahida Qaumi Movement [MQM]. Le 28 avril 2010, il a été interviewé par CIC. Il a alors fait valoir qu’il serait déraisonnable de conclure qu’il est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) et a demandé à CIC d’examiner des motifs d’ordre humanitaire de lui accorder le statut de résident permanent.

[6]               Le 23 mars 2011, un agent de CIC a conclu que le demandeur est interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)f). La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée.

[7]               Le 18 juin 2011, le demandeur a demandé une dispense ministérielle. Cette demande est toujours en suspens.

[8]               Le demandeur a de nouveau présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, conformément à l’article 25 de la Loi, peu avant que la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, L.C. 2013, ch. 16, entre en vigueur, et ce, dans le but de conserver son admissibilité à la dérogation pour motifs d’ordre humanitaire, mais n’a pas fait des observations détaillées. La demande a été rejetée le 25 octobre 2013, tout comme sa demande de réexamen.

[9]               La demande initiale de résidence permanente que le demandeur avait présentée en 1999 sur la foi de son statut de réfugié a été, plus tard, transférée au Bureau de réduction de l’arriéré de Vancouver. Le demandeur a été avisé le 28 mars 2014 et a fait d’autres observations le 16 juin 2014 et le 10 mars 2015. Sa demande n’était pas frappée de prescription en vertu de la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers parce qu’il avait d’abord demandé une dérogation pour motifs d’ordre humanitaire en 2010.

[10]           La décision prise à l’égard de cette demande de dérogation pour motifs d’ordre humanitaire fait l’objet d’un contrôle judiciaire.

[11]           Dans diverses demandes du demandeur, il a fourni des renseignements sur son engagement auprès du MQM, du Muttahida Qaumi Movement-Altaf [MQM-A] et du All Pakistan Muttahida Students Organization [APMSO] entre 1990 et 1996. Il n’a pas nié en être membre, mais a fait remarquer qu’il s’y était joint à l’âge de 14 ans et que sa participation y était limitée. Il a également fait remarquer qu’il n’était pas au courant de la violence de l’organisation, bien qu’il ait été victime de violence en travaillant au cours de la campagne électorale de 1993.

[12]           Il n’y a aucune preuve indiquant que le demandeur a eu un quelconque engagement auprès du MQM/MQM-A après son arrivée au Canada en 1996 ou des antécédents criminels au Canada ou ailleurs. Le demandeur a été employé tout au long de sa présence au Canada et travaille actuellement en tant qu’opérateur d’équipement lourd. Il est marié à sa conjointe depuis plus de dix ans. Ils ont deux enfants et le demandeur a la garde de son fils d’une relation précédente. Le demandeur a également une famille élargie à Calgary.

II.                La décision faisant l’objet du contrôle

[13]           L’agent a pris note des aveux du demandeur sur son adhésion et sa participation au MQM/MQM-A. Le demandeur a décrit dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu’il s’était joint à un rassemblement du MQM en janvier 1990 et qu’il était devenu un membre en règle du MQM en septembre 1991. Le demandeur a raconté un incident qui avait eu lieu quand il a échappé à une tentative de fusillade en avril 1992. Il a également raconté qu’il avait été arrêté, détenu et battu en juin 1992. Il a déclaré qu’il avait été attaqué et menacé quand il avait travaillé dans le cadre de la campagne électorale d’octobre 1993. Il avait assisté à une réunion clandestine et avait été arrêté en avril 1994, mais avait été libéré contre le paiement d’un pot-de-vin. L’agent a fait remarquer que le demandeur avait poursuivi une association apparemment volontaire avec le MQM-A après avoir appris que son implication était dangereuse.

[14]           Il a fait remarquer quelques variations du compte rendu du demandeur concernant son adhésion, entre sa demande et son entretien. Le demandeur a expliqué que la description de son adhésion sur son FRP visait sa demande d’asile. L’agent a fait remarquer que le demandeur avait déclaré qu’il était devenu membre à l’âge de 14 ans, pensait que les organisations aidaient les pauvres et n’était pas trop sûr de l’objectif ou du mandat du MQM, mais n’était pas au courant de la violence de ce dernier.

[15]           L’agent a examiné les antécédents du MQM, du MQM-A et de l’APMSO, en faisant remarquer que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, l’Agence des services frontaliers du Canada, CIC et la Cour fédérale ont tous constaté qu’il y a des motifs raisonnables de croire que le MQM-A et l’APMSO sont ou étaient des organisations qui se livrent au terrorisme.

[16]           L’agent a conclu que l’association volontaire du demandeur avec le MQM-A dans des « circonstances dangereuses » constituait une appartenance à l’organisation et qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur est souscrit comme il est décrit l’alinéa 34(1)f).

[17]           En ce qui concerne la demande du demandeur d’une dérogation à la conclusion d’interdiction de territoire et la tâche de l’agent d’examiner si les motifs d’ordre humanitaire justifient un examen par un décideur d’échelon supérieur, à savoir la Direction générale du règlement des cas, l’agent a fait remarquer les antécédents du demandeur en matière d’emploi et de famille, sa déclaration de remords pour avoir été un membre du MQM une fois qu’il a pris connaissance de ses activités et l’absence de toute implication depuis son arrivée au Canada, en 1996.

[18]           En ce qui concerne les difficultés présumées, l’agent a fait remarquer les observations du demandeur selon lesquelles le fait de ne pas avoir le statut de résident permanent l’a laissé dans un état d’incertitude et que le stress qui en résulte avait un effet sur sa famille, mais a constaté que le risque de renvoi du Canada était spéculatif parce que le demandeur est un réfugié au sens de la Convention et n’est visé par aucune mesure de renvoi. Par conséquent, l’agent n’a pas tenu compte des arguments relatifs à l’effet d’une éventuelle séparation de sa famille. L’agent a admis que cela cause au demandeur une « douleur émotionnelle » et qu’il pourrait éprouver plus de certitude s’il était un résident permanent. Il a constaté que cette incertitude n’a aucun effet sur les enfants du demandeur. De même, il a accordé peu de poids à l’intérêt supérieur des enfants du demandeur parce que ce dernier resterait avec ses enfants quel que soit son statut.

[19]           Il a déclaré qu’il avait accordé plus de poids à la longue association volontaire du demandeur avec le MQM-A ou son adhésion à celui-ci et a constaté qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur est une personne visée à l’alinéa 34(1)f), ajoutant que « c’est un motif d’interdiction de territoire très grave ». Il a constaté que les motifs d’ordre humanitaire « faibles » qui sont en faveur du demandeur ne justifient pas un examen par la Direction générale du règlement des cas.

III.             Questions en litige

[20]           Le demandeur soutient que la décision n’est ni raisonnable ni équitable sur le plan de la procédure.

[21]           Quant à savoir si la décision est raisonnable, le demandeur soulève trois questions :

                    L’agent a-t-il commis une erreur lors de son examen du critère qui permet de déterminer si des facteurs d’ordre humanitaire justifient l’examen d’une dérogation à l’égard de l’interdiction de territoire par la Direction générale du règlement des cas; en d’autres termes, l’agent doit-il transmettre la demande à la Direction générale du règlement des cas?

                    L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation de la preuve relative à l’interdiction de territoire?

                    L’agent a-t-il commis une erreur lors de son examen de l’incidence du statut d’immigration du demandeur?

[22]           Quant à savoir si la décision est équitable sur le plan de la procédure, le demandeur fait valoir que la structure du processus de prise de décision permettant de déterminer s’il faut accorder une dérogation à l’égard de l’interdiction de territoire pour motifs d’ordre humanitaire démontre une partialité institutionnelle. Le demandeur fait valoir que si le critère appliqué par l’agent afin de déterminer s’il faut transmettre la demande pour un nouvel examen d’une dérogation pour des motifs d’ordre humanitaire est plus onéreux que le libellé du manuel Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (IP 5) (le manuel) le laisse entendre, qui se réfère à la conviction de l’agent que les facteurs d’ordre humanitaire « peuvent justifier une dérogation », la structure est viciée parce qu’elle nie tout examen par un décideur d’échelon supérieur et par le ministre. Le demandeur fait valoir que cela équivaudrait à un manquement à l’équité procédurale.

IV.             Norme de contrôle

[23]           La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent concernant une demande pour motifs d’ordre humanitaire est celle du caractère raisonnable : Kisana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, aux paragraphes 18 et 20, [2010] 1 RCF 360; Figueroa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 673 au paragraphe 24, [2014] ACF no 702 (QL) [Figueroa].

[24]           La norme de la décision porte sur « l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi que sur « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). La Cour ne réévaluera pas la preuve et ne changera pas la décision.

[25]           Une question d’équité procédurale, en l’espèce l’allégation de partialité institutionnelle, doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 SCR 339).

[26]           Que l’agent ait appliqué le bon critère pour déterminer s’il faut transmettre la demande à la Direction générale du règlement des cas soulève une éventuelle erreur de droit. Il convient de faire la distinction entre la question de savoir si le critère juridique approprié a été appliqué, lequel est examiné selon la norme de la décision correcte, et qui n’appelle aucune retenue particulière, et la question de savoir si le décideur a appliqué le bon critère aux faits particuliers, ce qui constitue une question mixte de faits et de droit examinée selon la norme du caractère raisonnable et il convient de faire preuve de déférence à cet égard (Dunsmuir, au paragraphe 53).

V.                La décision est-elle raisonnable?

L’agent a-t-il commis une erreur lors de son examen du critère qui permet de déterminer si des facteurs d’ordre humanitaire justifient l’examen d’une dérogation à l’égard de l’interdiction de territoire par la Direction générale du règlement des cas; en d’autres termes, l’agent doit-il transmettre la demande à la Direction générale du règlement des cas?

[27]           Le demandeur soutient que le manuel qui régit les dérogations à l’égard de l’interdiction de territoire pour motifs d’ordre humanitaire, qui s’applique aux décideurs délégués, énonce clairement que lorsque l’agent n’a pas le pouvoir d’accorder la dérogation, comme dans le cas présent, il doit transmettre la demande à un décideur délégué (la Direction générale du règlement des cas) si l’agent « estime que les facteurs d’ordre humanitaire pourraient justifier une dérogation ».

[28]           Il soutient que l’emploi du conditionnel « pourrait » signale un seuil inférieur à des motifs raisonnables et probables ou une probabilité raisonnable et comprendrait des circonstances où certains facteurs d’ordre humanitaire sont présents et un décideur délégué pourrait éventuellement accorder une dérogation. Il reconnaît qu’un certain équilibrage est nécessaire à cette évaluation.

[29]           Il ajoute que, puisque l’agent ne peut pas approuver la dérogation, mais ne peut que refuser la demande ou la renvoyer à la Direction générale du règlement des cas, qui ne peut alors que la rejeter ou la renvoyer au ministre, le seuil du « pourrait » doit être un seuil bas. Sinon, aucune demande qui pourrait avoir gain de cause n’atteindrait le ministre pour examen.

[30]           Le défendeur soutient que l’agent est chargé de procéder à une analyse plus complète des motifs d’ordre humanitaire, ce qui nécessite un équilibre entre les facteurs d’ordre humanitaire et la conclusion de l’interdiction de territoire. Bien que le manuel emploie le conditionnel « pourrait », les lignes directrices ne constituent pas des dispositions législatives. Le défendeur ajoute que la décision de l’agent est susceptible de révision selon la norme du caractère raisonnable; il existe un éventail d’issues raisonnables et il convient de faire preuve de déférence à l’égard de l’agent.

L’agent n’a pas commis d’erreur en appliquant le critère; il doit procéder et a effectivement procédé à une analyse approfondie des motifs d’ordre humanitaire.

[31]           En règle générale, les questions relatives à l’application du bon critère juridique sont examinées selon la norme de la décision correcte. La question qui se pose en l’espèce est une question hybride qui est plus liée à la façon dont la décision a été rendue. De plus, le sens de ce qui « pourrait justifier une dérogation » n’est pas un facteur déterminant de la demande de contrôle judiciaire.

[32]           Le manuel invite l’agent à transmettre la demande pour un nouvel examen s’il estime que les facteurs d’ordre humanitaire « pourraient justifier une dérogation ». À mon avis, cela exige que l’agent procède à une évaluation approfondie de la demande et à établir un équilibre entre les différents facteurs. La simple possibilité qu’un autre décideur puisse adopter un autre point de vue sur la demande pour motifs d’ordre humanitaire ne se résume pas au critère; l’agent effectuant l’évaluation doit être convaincu qu’il existe suffisamment de motifs d’ordre humanitaire qui « pourraient », dans le sens d’une possibilité raisonnable (ou, au moins, plus qu’une simple possibilité), justifier la dérogation.

[33]           Dans le cas présent, l’agent a effectivement procédé à une évaluation des motifs d’ordre humanitaire et les a pesés par rapport à l’interdiction de territoire du demandeur. Il a conclu qu’il y avait des motifs d’ordre humanitaire « faibles » en faveur du demandeur, mais a constaté que ces motifs ne justifiaient pas un examen par la Direction générale du règlement des cas. Cependant, comme il est expliqué ci-dessous, l’agent a arrêté son opinion et a tiré ses conclusions sans procéder à une analyse complète de tous les éléments de preuve et à un examen nuancé des faits sous-jacents de la constatation de l’interdiction de territoire, au besoin.

L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation de la preuve relative à l’interdiction de territoire du demandeur?

[34]           Le demandeur ne conteste pas la conclusion selon laquelle il est interdit de territoire au Canada. Au contraire, il soutient que l’agent a commis une erreur en mettant l’accent sur le motif d’interdiction de territoire, estimant qu’il est grave, au lieu de se concentrer sur les faits qui sous-tendent cette constatation et la gravité de la conduite du demandeur. Il fait valoir que, comme établi dans l’arrêt Figueroa, au paragraphe 34, il doit y avoir un examen nuancé de la nature de l’adhésion du demandeur à l’organisation, pondéré au regard des facteurs d’ordre humanitaire.

[35]           Il soutient que l’agent n’a pas tenu compte de sa connaissance de l’objectif ou des activités de l’organisation, de son âge au moment où il s’y est joint ou de la nature de son activité en tant que membre.

[36]           Le défendeur fait valoir que les circonstances du demandeur diffèrent de celles de Figueroa, y compris la nature de l’organisation, la participation du demandeur et la force des facteurs d’ordre humanitaire. Quoi qu’il en soit, l’agent a tenu compte des nuances, en accord avec l’arrêt Figueroa; il a fait remarquer la nature de la participation continue du demandeur, en dépit des situations périlleuses, et les comptes rendus changeants de son activité.

L’agent a commis une erreur dans son évaluation de la preuve relative à l’interdiction de territoire.

[37]           La question est de savoir si l’agent a considéré la conclusion selon laquelle l’interdiction de territoire du demandeur au Canada en raison de son appartenance au MQM/MQM-A comme étant un facteur déterminant et s’il aurait dû se pencher sur la conduite du demandeur en tant que membre de l’organisation.

[38]           Bien que le défendeur soutienne que l’arrêt Figueroa se distingue par ses faits, cela est vrai pour la plupart des décisions qui touchent l’examen de plusieurs facteurs et l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Il serait rare de trouver des circonstances identiques. Bien que les faits diffèrent à certains égards et que, dans l’affaire Figueroa, la Cour examinait une décision de la Direction générale du règlement des cas, il y a beaucoup de points communs entre la situation du demandeur et celle de Figueroa.

[39]           Dans l’arrêt Figueroa, le juge Mosley a fait remarquer que le manuel exige que l’agent examine toute nouvelle information ou preuve fournie par le demandeur relativement à son interdiction de territoire (au paragraphe 30). Il a précisé aux paragraphes 31, 32 et 34 que :

[31]      À cette fin, la ou le délégué du ministre doit faire deux choses : 1) examiner une conclusion d’interdiction de territoire antérieure à la lumière des observations présentées en vue de déterminer si la conclusion tient toujours; et 2) examiner la gravité de l’interdiction de territoire à la lumière des observations présentées. En l’espèce, la déléguée a omis d’examiner la gravité de l’interdiction de territoire de M. Figueroa à la lumière des observations présentées. La déléguée s’est plutôt contentée de confirmer l’interdiction de territoire au Canada de M. Figueroa aux termes de l’alinéa 34(1)f), se fondant sur le fait qu’il avait été membre du FMLN et que des composantes du FMLN avaient commis des actes terroristes pendant qu’il en était membre. C’est suffisant en soi pour rendre la décision déraisonnable.

[32]      La décision de la déléguée de rejeter la demande CH parce que l’interdiction de territoire de M. Figueroa était de nature grave est également déraisonnable, car elle ne tient pas compte de la nature du conflit et du rôle personnel joué par M. Figueroa à titre de défenseur des intérêts politiques non combattant. La conclusion selon laquelle l’interdiction de territoire de M. Figueroa était de nature grave ne constitue guère plus qu’une observation facile, à savoir qu’il est grave, en général, d’être interdit de territoire pour raison de sécurité. Ce n’est tout simplement pas suffisant.

[…]

[34]      Je conviens avec le demandeur que la déléguée a commis une erreur en omettant de tenir compte de cette situation dans son analyse. Il ne fallait pas simplement appliquer la formule convenant à une conclusion factuelle d’appartenance à une organisation aux termes de l’article 34, qui ne comporte pas de composante temporelle – c’est‑à‑dire que celui qui est membre un jour d’une organisation se livrant à des actes de terreur en est membre pour toujours. L’analyse exigeait plutôt un examen plus nuancé de la nature de cette appartenance et du poids à lui accorder par rapport aux lourds facteurs d’ordre humanitaire en vue de décider si la dispense était justifiée sous le régime de l’article 25.

[Non souligné dans l’original.]

[40]           En l’espèce, la décision de l’agent ne traduit pas un examen nuancé de la nature de l’adhésion du demandeur au MQM/MQM-A. L’agent a tout simplement confirmé la conclusion d’interdiction de territoire sur la foi de la reconnaissance par le demandeur de son adhésion en faisant remarquer qu’il s’agit d’un motif d’interdiction de territoire « très grave ».

[41]           Toutes les conclusions d’interdiction de territoire sont graves et ont des conséquences graves. Malgré la gravité d’une conclusion d’interdiction de territoire, la Loi prévoit une dérogation à l’égard des conséquences d’une telle conclusion. Comme le défendeur le fait remarquer, ce redressement est effectivement exceptionnel et peut-être rare. Bien qu’un examen attentif d’une demande visant un tel redressement exceptionnel soit nécessaire, il ne devrait pas être impossible à obtenir. L’agent était tenu d’examiner la participation ou les activités du demandeur en tant que membre de l’organisation afin de déterminer à quel point ces activités étaient graves, puis équilibrer cela avec les motifs d’ordre humanitaire pertinents.

[42]           Bien que l’agent ait récité les observations du demandeur, il n’a pas pleinement évalué les faits sous-jacents de la conclusion d’interdiction de territoire, y compris la nature ou le niveau de la participation du demandeur et sa connaissance de l’objectif de l’organisation. Par exemple, l’agent a fait remarquer que le demandeur avait 14 ans quand il s’est joint l’organisation, mais n’a pas examiné s’il était au courant des activités de l’organisation ou de quoi consistait l’adhésion à l’âge de 14 ans. L’agent a caractérisé la participation du demandeur comme étant « longue », mais n’a pas semblé tenir compte du fait qu’il s’était joint en 1990 ou en 1991, à l’âge de 14 ans, et qu’il est venu au Canada en 1996 et n’a pas eu aucun engagement depuis ce temps-là. L’agent a reconnu les descriptions données par le demandeur de son implication, bien qu’il y ait des comptes rendus changeants, mais sur le plan de l’examen de la nature de la participation du demandeur, il semble avoir oublié que le demandeur n’a pas participé à des affrontements violents et ne semble pas avoir fait plus pour l’organisation que de conduire les électeurs au bureau de vote.

L’agent a-t-il commis une erreur lors de son examen de l’incidence du statut d’immigration du demandeur?

[43]           Le demandeur soutient que l’évaluation par l’agent de l’incidence d’une décision négative était déraisonnable. Bien que l’agent ait reconnu que le demandeur se sentirait plus à l’aise s’il était résident permanent, il caractérise cela comme une question émotionnelle plutôt qu’une question juridique. L’agent n’a pas reconnu que l’absence de statut du demandeur, entre autres choses, exige qu’il obtienne des permis de travail et des documents de voyage, limite sa participation dans la société civile et a une incidence sur ses enfants et leur intérêt supérieur.

[44]           Le demandeur fait valoir également que l’agent n’a pas tenu compte du fait que si la situation du Pakistan change, il pourrait être confronté à un renvoi, malgré qu’on ait établi son statut de réfugié. Un changement de la situation du pays n’aurait probablement pas d’incidence si le demandeur était un résident permanent.

[45]           Le demandeur soutient que l’agent a minimisé de manière considérable l’incidence de la décision sur les enfants du demandeur en estimant qu’il n’y avait aucune perspective de renvoi et, par conséquent, aucun risque d’être séparé de sa famille.

[46]           Le défendeur soutient que l’agent ne peut être blâmé pour avoir évoqué l’effet émotionnel, étant donné que les arguments du demandeur relativement aux motifs d’ordre humanitaire et son affidavit mettaient l’accent sur son état émotionnel.

L’évaluation de l’incidence de la décision de l’agent n’était pas raisonnable.

[47]           L’agent semble avoir mal compris les arguments du demandeur relativement à l’incidence de rester sans statut au Canada, contrairement à l’obtention du statut de résident permanent, et l’incidence sur l’intérêt supérieur de ses enfants.

[48]           Les arguments du demandeur ont clairement soulevé la question de l’incidence émotionnelle de son absence de statut et des répercussions juridiques, et a plus particulièrement fait remarquer qu’il était nécessaire de renouveler les permis de travail, que sa capacité de voyager était restreinte et qu’il était confronté à d’autres obstacles. L’agent a mal interprété l’effet sur le demandeur de demander continuellement des permis de travail, des cartes d’assurance-maladie et des documents de voyage de réfugié en cas de besoin, de ne pas avoir la certitude que suscite le statut de résident permanent et de ne pas être sur le chemin du privilège de la citoyenneté.

[49]           Bien qu’il soit vrai que le demandeur n’est pas actuellement confronté au renvoi du Canada et que, si c’était le cas, il y aurait d’autres possibilités de contester son renvoi, cela n’atténue pas l’effet que son absence de statut à l’heure actuelle a sur elle ou n’y répond pas.

[50]           Pour terminer, les conclusions de l’agent selon lesquelles les facteurs d’ordre humanitaire ne justifient pas l’examen d’une dérogation à l’égard de l’interdiction de territoire par le décideur de l’échelon supérieur, la Direction générale du règlement des cas, ne sont pas raisonnables, car il n’a pas tenu compte ou a mal interprété les éléments de preuve pertinents et n’a pas procédé à l’examen nuancé de la nature de l’adhésion du demandeur à un groupe terroriste et de la façon dont cela devrait être équilibré par rapport aux facteurs d’ordre humanitaire pertinents.

VI.             Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale?

[51]           Il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir s’il y a eu une partialité institutionnelle découlant de la structure du processus de prise de décision, ce qui constitue un manquement à l’équité procédurale. Par conséquent, la question proposée à des fins de certification, relativement à l’allégation de partialité institutionnelle, ne doit pas être certifiée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La demande doit être renvoyée pour examen par un autre agent.

3.                  Aucune question n’est certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4307-15

INTITULÉ :

BABAR MIRZA c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 avril 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

DATE DES MOTIFS :

Le 6 mai 2016

COMPARUTIONS :

Laura Best

Pour le demandeur

Kim Sutcliffe

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Embarkation Law Group

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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