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Date : 20160509


Dossier : IMM-4315-15

Référence : 2016 CF 507

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

MAZEN FARHA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente est une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) à l’encontre d’une décision rendue par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR ou le commissaire) rejetant la demande du demandeur et concluant qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi.

[2]               La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est né en Palestine et possède un passeport délivré par les autorités palestiniennes.

[4]               En 1993, grâce à un parrainage, le demandeur a fait son entrée aux États-Unis et est devenu un résident permanent de ce pays.

[5]               En juin 1999, le demandeur a été reconnu coupable de vol; en juin 2003, de possession d’arme à feu; en décembre 2005, de conduite avec facultés affaiblies; en décembre 2009, encore une fois de possession d’arme à feu.

[6]               En 2011, comme résultat de sa criminalité, le demandeur a été expulsé des États-Unis vers la Jordanie, où il est resté pendant trois mois.

[7]               À ce moment, le demandeur a quitté la Jordanie et a tenté d’entrer au Canada par le biais de l’aéroport de Montréal, où il n’a pas demandé l’asile. On lui a refusé l’entrée au Canada et il a été immédiatement expulsé vers la Jordanie. À son retour en Jordanie, les autorités de ce pays ont envoyé le demandeur en Cisjordanie, où il a demeuré pendant 10 jours, avant de revenir au Canada.

[8]               Le 26 juin 2012, le demandeur est entré au Canada à l’aéroport de Toronto avec un passeport palestinien. Il a été placé en détention sur-le-champ.

[9]               Le 26 juillet 2012, le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur a été déposé auprès de la SPR.

[10]           En août 2012, le demandeur a retenu les services de M. Prescod – un conseiller en immigration détenant un permis du Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada [CRCIC] – pour le représenter en matière d’immigration.

[11]           Le 11 septembre 2015, le demandeur, représenté par M. Prescod, a assisté à son audience. Au cours de cette audience, le commissaire a rendu une décision verbale rejetant la demande d’asile du demandeur.

[12]           Le 13 novembre 2015, l’avocat actuel du demandeur a transmis à M. Prescod une demande pour obtenir des réponses au sujet de sérieuses préoccupations concernant la qualité de la représentation que le bureau de M. Prescod a offerte au demandeur dans le cadre de sa demande d’asile.

[13]           Le 19 novembre 2015, l’avocat du demandeur a déposé, au nom du demandeur, une plainte officielle auprès du CRCIC.

II.                Décision contestée

[14]           Le commissaire a déterminé que le demandeur n’était pas un témoin crédible, principalement en raison de l’invraisemblance et de la pauvreté des détails concernant les événements décrits, ainsi que du manque de preuve documentaire pour établir les conditions alléguées à l’intérieur du pays ou corroborer les événements avancés.

III.             Question en litige

[15]           Le demandeur a soulevé la seule question à trancher, qui est à savoir si on lui a refusé l’équité procédurale en raison de la négligence professionnelle alléguée de son conseiller en immigration.

IV.             Norme de contrôle

[16]           La norme de contrôle qui s’applique dans le cas d’un déni de justice allégué en raison d’une négligence professionnelle est celle de la décision correcte. Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, paragraphe 43; Memari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196, paragraphes 30 et 32 [Memari].

V.                Analyse

A.                Le demandeur a-t-il été privé d’une équité procédurale dans le cadre de sa demande d’asile en raison de la négligence professionnelle alléguée de son conseiller en immigration?

[17]           Il est bien reconnu en droit que le demandeur a le fardeau de démontrer que l’incompétence de son avocat a entraîné la privation d’une équité procédurale. Pour établir une atteinte à l’équité procédurale résultant de l’incompétence de son représentant, le demandeur doit satisfaire aux exigences des trois volets du critère suivant :

1. les actes ou omissions allégués du représentant relèvent de l’incompétence;

2. il y a eu déni de justice dans le sens où, n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que l’issue de l’audience initiale ait été différente;

3. le représentant doit être avisé et doit bénéficier d’une occasion raisonnable de répondre.

Voir : Yang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1189, au paragraphe 16; Guadron c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092, au paragraphe 11; Pathinathar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1225, au paragraphe 25; Nagy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 640, au paragraphe 25.

[18]           Le troisième volet du critère ne sera pas abordé puisque le défendeur concède que ce volet a été rempli et que la preuve au dossier confirme que le représentant a reçu l’avis requis.

(1)               Examen du travail

[19]           En ce qui concerne le premier volet du critère, examen du travail, les reproches doivent être « clairs et précis » (Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1305, au paragraphe 64).

[20]           À cet égard, le demandeur soumet que les actes et omissions de M. Prescod démontrent une négligence et une incompétence de sa part. À l’appui de sa demande, le demandeur affirme que M. Prescod ne l’a pas préparé adéquatement pour l’audience. Le demandeur a plutôt eu deux rencontres d’environ 25 minutes chacune avec l’associé de M. Prescod, et il n’est pas clair si cet associé avait une formation juridique.

[21]           De plus, le demandeur prétend qu’il a fait part à M. Prescod de ses préoccupations quant à la qualité du contenu de son FRP et que M. Prescod l’a rassuré à ce sujet en lui disant que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié communiquerait avec lui (M. Prescod) si le document avait besoin d’être révisé. En outre, le demandeur soutient que M. Prescod l’a informé qu’il n’avait pas à soumettre de documents additionnels puisque le bureau de M. Prescod soumettrait les documents requis à sa place.

[22]           Le bien-fondé de la plainte du demandeur au sujet de la représentation de M. Prescod est difficile à déterminer puisque ce dernier soutient avoir effectué des recherches, y compris celles faites par un étudiant, et qu’il n’a pas trouvé de documents à l’appui de la demande du demandeur, contrairement à ce qu’il a dit à l’agent au cours de l’audience. Cependant, cette affirmation semble exacte en raison de l’absence de tels documents dans la documentation associée aux conditions du pays. Je ne suis pas tenu de trancher cette question puisque je conclus que la demande doit être rejetée en vertu du deuxième volet du critère.

(2)               Appréciation du préjudice

[23]           En ce qui concerne le deuxième volet du critère, appréciation du préjudice, le juge Crampton a indiqué au paragraphe 36 de la cause Memari que le préjudice « doit prendre la forme d’un manquement à l’équité procédurale – la fiabilité de l’issue du procès ayant été compromise – ou toute autre forme évidente. »

[24]           Le demandeur soutient que n’eût été de l’incompétence (alléguée) de M. Prescod, il existe une probabilité raisonnable que le résultat de l’audience initiale ait été différent, étant donné que le manque de documents a été le fondement de la décision négative du commissaire.

[25]           Je suis en désaccord avec le demandeur sur le fait que le résultat aurait probablement été différent si le décideur avait eu en main les documents additionnels. La preuve documentaire additionnelle soumise à la Cour dans le présent dossier n’établit pas un risque objectif et, par conséquent, ne viendrait pas miner la confiance envers le résultat de la décision du commissaire.

[26]           Le demandeur a présenté un certain nombre de documents dans le dossier soumis à la Cour à l’appui de son affirmation voulant que le Hamas et le Fatah aient tenté de le recruter de force. Le demandeur avance que le document Recruiting and building rockets, Hamas determined to retain Gaza grip, daté du 15 octobre 2014, vient appuyer son affirmation que [traduction] « le Hamas utilise de plus en plus de moyens douteux pour obtenir du soutien, y compris par un recrutement forcé. » Cependant, le document décrit les difficultés financières du Hamas et ne fait référence d’aucune façon à du recrutement forcé.

[27]           Le demandeur utilise également un article diffusé par une agence de presse turque à l’appui de sa déclaration suivante [traduction] : « le Hamas a lancé une nouvelle campagne de recrutement dans la bande de Gaza ». La campagne de recrutement dont on parle dans cet article correspond à un processus d’inscription volontaire. Il indique que [traduction] « des feuillets publicitaires sont affichés aux murs de mosquées locales, invitant les jeunes à se joindre à l’armée populaire en préparation pour tout conflit éventuel avec Israël », et que le Hamas « ouvre la porte aux jeunes de Gaza; ceux qui veulent se joindre à nous savent où nous trouver [Non souligné dans l’original].»

[28]           Enfin, le document de réponse à la demande d’information daté du 31 juillet 2013, ne confirme pas que le Hamas s’engage dans un processus de recrutement forcé, tel que le prétend le demandeur. L’article indique seulement que certaines personnes font cette affirmation et qu’il existe peu de renseignements pour confirmer ou infirmer que les organisations mentionnées font du recrutement forcé. Au contraire, le document de réponse à la demande d’information signale que les forces israéliennes, et non pas le Hamas ou le Fatah, se livrent à certains types de recrutement forcé de collaborateurs et que les personnes réputées avoir collaboré avec Israël s’exposaient à de graves conséquences de la part du Hamas ou du Fatah. Cependant, le demandeur, qui est retourné en Palestine après avoir vécu aux États-Unis pendant deux décennies, ne correspond pas au profil de « collaborateur » décrit dans la documentation.

[29]           Le demandeur fait également valoir qu’il est clair que le manque de détails dans son exposé des faits du FRP a été un facteur important dans le rejet de sa demande. Le demandeur soutient que si on lui avait permis de réécrire son exposé des faits – lequel n’a pas été modifié conformément aux conseils de M. Prescod –, il aurait ajouté des détails comme la peur qu’il a ressentie lorsque le Hamas et le Fatah ont tenté de le recruter, et en tant que rapatrié en Palestine.

[30]           Le demandeur n’a fourni aucune preuve documentaire à la Cour qui aurait permis de renverser les conclusions du décideur voulant qu’il n’existe pas d’éléments de preuve corroborant l’un ou l’autre des événements allégués par le demandeur. De plus, les conclusions défavorables sur la crédibilité rendues par le décideur sont appuyées par le récit historique hautement improbable du demandeur. En l’espèce, il n’existe pas de probabilité raisonnable permettant de conclure que n’eût été de l’incompétence alléguée, l’audience initiale aurait donné un résultat différent.

VI.             Conclusion

[31]           En conséquence, la présente demande doit être rejetée, et aucune question n’est certifiée pour être portée en appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande, et aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4315-15

 

INTITULÉ :

MAZEN FARHA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Asiya Hirji

 

Pour le demandeur

 

Judy Michaely

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Asiya Hirji

Avocat

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP| Cabinet spécialisé en droit de l’immigration

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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