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Date : 20160506


Dossier : IMM-4835-15

Référence : 2016 CF 513

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2016

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

BINAY CHHETRY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un agent des visas (« l’agent des visas ») datée du 24 août 2015 qui a conclu que le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) pour fausses déclarations et qui a refusé sa demande de résidence permanente au Canada.

Contexte

[2]               Le demandeur est citoyen du Népal. En octobre 2014, il a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie de l’immigration économique, au titre de la classification des travailleurs qualifiés, professeurs et chargés de cours au niveau universitaire. Pour présenter sa demande, il a été représenté par Everest Immigration & Legal Services Inc., un consultant en immigration inscrit (« consultant en immigration »).

[3]               Le 10 avril 2015, l’ambassade du Canada en Pologne a transmis par courriel au demandeur une (« lettre relative à l’équité procédurale ») l’avisant que des renseignements de source ouverte donnaient à penser qu’il avait travaillé chez Jet Airways jusqu’en 2012. Si avérée, cette information serait en contradiction avec l’information d’emploi qu’il a fournie dans son formulaire de demande qui indiquait que : de septembre 2012 à la date de sa demande, il était chargé de cours au Nona Koirala Media College; d’avril 2011 à août 2012, il était précepteur à la Birat Victoria Memorial Higher Secondary School; et, entre janvier 2007 et août 2010, il était responsable des relations publiques et rédacteur pour Zen Nepal Tours. Sur la foi de ces renseignements, l’auteur du courriel déclarait qu’il croyait que le demandeur avait délibérément fait de fausses déclarations, et informait le demandeur qu’il envisageait donc de faire une recommandation selon laquelle le demandeur serait déclaré interdit de territoire. Le demandeur avait 30 jours pour répondre à ces préoccupations.

[4]               Le 20 avril 2015, le consultant en immigration a répondu par une lettre expliquant les raisons du manque d’information d’emploi et y a joint les formulaires d’immigration mis à jour. Le consultant en immigration a déclaré que les erreurs importantes dans les formulaires initialement présentés étaient le fait d’erreurs administratives involontaires ou accidentelles commises par ses employés de bureau. Le consultant en immigration ajoutait que le demandeur avait travaillé simultanément à Jet Airways comme adjoint au Service à la clientèle et à Zen Nepal Tours. En août 2010, il quitte les deux postes pour travailler sur un bateau de croisière en Italie; il est de retour en avril 2011 et commence à travailler comme précepteur. Le consultant en immigration a expliqué que la mention relative à Jet Airways sur la page Facebook du demandeur, que le consultant en immigration croyait être l’information de source ouverte en question dans la lettre relative à l’équité procédurale, n’était pas exacte. Le consultant en immigration ajoutait que le demandeur n’avait rien à voir avec les erreurs, et qu’il n’y avait eu aucune tentative de déformer les faits. Des éléments de preuve documentaire visant à confirmer ces explications ont été fournis.

[5]               Dans une entrée du 19 mai 2015 dans le système mondial de gestion des cas (« SMGC »), un agent de traitement a noté que le consultant en immigration avait fourni un nouvel historique personnel dans ses observations du 20 avril 2015 selon lesquelles le demandeur a travaillé chez Jet Airways de mars 2008 à août 2010, et sur un bateau de croisière d’août 2010 à mars 2011. Toutefois, l’agent de traitement a constaté que le contrat de travail du demandeur avec Jet Airways stipulait la date de début du 23 septembre 2008, que le contrat avait une durée de cinq ans et que le demandeur n’avait fourni aucun élément de preuve quant à la durée de son emploi. Il a en outre constaté que les renseignements fournis étaient en conflit avec l’information mise à jour à l’Annexe A, intitulée Antécédents/Déclaration. En se fondant sur cette divergence, l’agent de traitement a conclu que le demandeur avait fait une fausse déclaration portant sur des faits importants, et a recommandé qu’il soit déclaré interdit de territoire.

[6]               Dans une entrée dans le SMGC datée du 21 août 2015, l’agent des visas a noté que, après l’examen de la demande, la vérification de l’emploi et l’analyse des notes de l’agent de traitement et de la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, il était raisonnable de conclure que le demandeur n’avait pas l’expérience d’emploi alléguée et que cela a pu entraîner une erreur dans le nombre de points attribués dans l’évaluation de sa demande. Une lettre de refus a été envoyée au demandeur le 24 août 2105 indiquant qu’il avait fourni une déclaration inexacte concernant ses périodes d’emploi, une conclusion dégagée des renseignements de source ouverte et de la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. La demande a été rejetée et le demandeur a été interdit de territoire.

Dispositions législatives pertinentes

Visa et documents

Application before entering Canada

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

Obligation du demandeur

Obligation — answer truthfully

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

16 (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

Question en litige et norme de contrôle

[7]               La seule question en l’espèce consiste à déterminer si la décision de l’agent des visas était raisonnable.

[8]               Notre Cour a déjà conclu que la norme de la raisonnabilité s’applique à l’évaluation d’un agent des visas visant à savoir si un demandeur a fait une fausse déclaration importante, comme décrit à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR (Oloumi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428, au paragraphe 12 [Oloumi]; Goburdhun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au paragraphe 19 [Goburdhun]; Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 377, au paragraphe 12 [Singh]). Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

Analyse

Position du demandeur

[9]               Le demandeur soutient que, alors que l’alinéa 40(1)a) de la LIPR impose un devoir de franchise qui exige la divulgation de faits importants, il y a toutefois une exception si les demandeurs peuvent montrer qu’ils croyaient honnêtement et raisonnablement ne pas dissimuler des renseignements importants (Medel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1990] 2 CF 345 [Medel]; Tofangchi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 427 [Tofangchi]). En l’espèce, le demandeur n’a pas sciemment fait de fausses déclarations concernant ses antécédents professionnels. Il a fourni les détails de ses antécédents professionnels pertinents à la catégorie dans laquelle il a présenté une demande, soit professeur/chargé de cours. À cet égard, il a suivi les conseils du consultant en immigration qui lui a conseillé d’omettre l’information d’emploi non pertinente. Et, bien que le demandeur ait examiné et signé la demande, il a honnêtement et raisonnablement cru que l’omission n’était pas une fausse déclaration parce que l’information n’était pas pertinente à la classification dans laquelle il présentait une demande. En outre, il n’avait aucune obligation de divulguer tous les renseignements susceptibles d’être pertinents (Baro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299). Et, bien qu’il n’ait pas cru faire une erreur, il a expliqué la divergence lorsque la préoccupation a été soulevée par l’agent de traitement.

[10]           Le demandeur fait également valoir qu’il ne devrait pas être pénalisé pour l’incompétence de son consultant en immigration. En outre, puisqu’il n’a pas mentionné sa page Facebook dans sa demande, il était déraisonnable de s’attendre de lui qu’il en assure l’exactitude de l’information, et que l’agent des visas l’utilise pour discréditer les antécédents professionnels établis par ses dossiers d’emploi.

[11]           De plus, les renseignements omis n’étaient pas importants puisqu’ils n’ont pas eu d’incidence sur le processus (Goburdhun, au paragraphe 37). Ils ne risquaient pas d’entraîner des erreurs dans l’administration de la LIPR parce que la demande était complète et aurait pu être traitée sans l’expérience d’emploi supplémentaire qui était non pertinente et étrangère à la demande.

[12]           Enfin, le demandeur souligne, entre autres, que la lettre du 20 avril 2015 attestant la durée de son emploi chez Jet Airways, et fournie en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, est signée par la même personne qui a signé son contrat de travail et confirme qu’il a travaillé pour Jet Airways du 23 mars 2008 au 15 août 2010. En outre, bien que le contrat stipule qu’il était valable pour une durée de cinq ans, le demandeur a démissionné en 2010, comme permis en vertu du contrat. Et, en août 2010, il a commencé à travailler avec MSC International en tant que serveur sur un bateau de croisière. Le demandeur fait valoir que cet élément de preuve explique l’écart dans son historique d’emploi, mais n’a pas été pris en compte par l’agent des visas.

Position du défendeur

[13]           Le défendeur fait valoir qu’une grande partie de la réponse du demandeur, en réplique aux observations écrites du défendeur, était inappropriée et qu’une lettre datée du 20 janvier 2016, d’un directeur adjoint de Jet Airways, jointe à la réplique, n’a pas été correctement déposée comme pièce au dossier et n’a pas été soumise à l’agent des visas. En outre, les allégations du demandeur fondées sur l’incompétence de son consultant en immigration ne respectent pas le Protocole procédural de la Cour fédérale, daté du 7 mars 2014, concernant les allégations de conduite fautive formulées contre un ancien conseiller ou contre d’autres représentants en matière d’immigration.

[14]           Le défendeur soutient que la fausse déclaration du demandeur n’était pas honnête et raisonnable parce que son explication – qu’il a omis de l’information qu’il croyait ne pas être pertinente – n’avait pas été communiquée à l’agent des visas. L’explication donnée était plutôt que des erreurs administratives avaient été commises par les employés du consultant en immigration. L’agent des visas ne peut pas évaluer une explication qu’il n’a jamais reçue. En outre, la fausse déclaration n’était pas simplement une omission. L’agent des visas a constaté que même les renseignements mis à jour n’étaient pas fiables, parce qu’ils étaient contradictoires en soi. En outre, le formulaire de demande donne comme instruction aux candidats de tenir compte de leurs activités au cours des dix dernières années et de fournir des lettres de recommandation de tous les employeurs au cours de cette période. Par conséquent, le demandeur n’a pas pu interpréter cela comme une autorisation d’omettre l’expérience récente d’emploi qu’il jugeait non pertinente et, si cela avait été le cas, il aurait également omis son poste chez Zen Nepal Tours, qui était également non pertinent à sa demande. Enfin, même si l’explication du demandeur était acceptée, il demeurerait interdit de territoire, car l’alinéa 40(1)a) de la LIPR n’exige pas qu’un demandeur ait une connaissance subjective de la fausse déclaration (Tofangchi). L’exception étroite dans Tofangchi ne s’applique pas en l’espèce.

[15]           Concernant l’importance de la fausse déclaration, le défendeur soutient que le demandeur se méprend sur les motifs de l’agent des visas. L’agent des visas a constaté qu’il avait fait des fausses déclarations sur tout son historique d’emploi, pas seulement au sujet de son emploi chez Jet Airways. La préoccupation initiale de l’agent des visas provient du fait que le seul emploi inscrit sur sa page Facebook était son emploi chez Jet Airways. Lorsqu’il a été confronté à ce fait, le demandeur a fourni des renseignements contradictoires sur sa période d’emploi chez Jet Airways. En outre, le lien d’emploi avec Jet Airways se terminait en 2013, alors qu’il travaillait prétendument comme chargé de cours dans un collège. En se fondant sur ces faits, et vu que le demandeur n’a pas pu offrir une explication raisonnable de l’omission initiale, l’agent des visas a conclu que le demandeur avait fait de fausses déclarations dans son historique d’emploi et qu’il ne cumule pas l’expérience d’emploi qu’il prétend avoir. Le défendeur fait valoir que cela aurait pu conduire l’agent des visas à attribuer des points non mérités, conduisant à une erreur dans l’application de la LIPR.

Analyse

[16]           Il est d’abord nécessaire d’aborder le point préliminaire du défendeur selon lequel il y a un certain nombre d’irrégularités dans la réponse du demandeur. Je conviens avec le défendeur que les faits allégués qu’il a visés dans la réponse du demandeur ne sont étayés par aucun affidavit ou autre élément de preuve. Je ne leur accorde donc aucun poids. Je conviens également que la lettre du 20 janvier 2016 de Jet Airways, jointe à la réponse, n’a pas été communiquée à l’agent des visas et n’a pas été déposée à notre Cour au moyen d’un affidavit. Par conséquent, je ne lui accorde donc aucun poids. Il est bien établi en droit que le dossier soumis à notre Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire est généralement limité à celui qui a été soumis au décideur (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, au paragraphe 19).

[17]           Concernant la deuxième question préliminaire, le demandeur soutient que la Cour ne doit pas examiner les arguments que le demandeur invoque au sujet d’une faute ou de l’incompétence de son consultant en immigration. Je suis encore une fois d’accord avec le défendeur. En l’absence de toute preuve démontrant que le demandeur avait suivi le Protocole procédural, la Cour n’a pas suffisamment de renseignements au sujet de l’incompétence alléguée et le consultant en immigration n’a pas eu l’occasion de répondre (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 67; Rezko c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 6, aux paragraphes 6 à 9). En tout état de cause, tel que discuté ci-dessous, il incombe au demandeur de s’assurer de l’exhaustivité et de l’exactitude de sa demande.

[18]           Concernant le fond de l’affaire, dans le formulaire de demande, l’Annexe A, intitulée Antécédents/Déclaration, des instructions sont données aux demandeurs leur indiquant de fournir en détail leurs antécédents personnels des dix dernières années, y compris les emplois et les études, et de « ne pas laisser de période inexpliquée en fait de temps ». Dans l’annexe 3, Immigration économique – Travailleurs qualifiés – fédéral, dans la section de l’expérience professionnelle, les demandeurs doivent énumérer leurs occupations des dix années précédant la date de leur demande et préciser les dates d’emploi, la profession et d’autres renseignements. À mon avis, le demandeur a fait une fausse déclaration au sujet de son expérience professionnelle en omettant d’inscrire ses emplois chez Jet Airways et MSC International.

[19]           Le demandeur soutient, en substance, qu’il n’a fait aucune fausse déclaration puisque ces emplois n’étaient pas pertinents et que, même s’il y avait eu fausse déclaration, elle ferait l’objet de l’exception à l’obligation de communiquer des faits importants établie dans Medel, puisqu’il croyait honnêtement et raisonnablement ne pas dissimuler des renseignements importants.

[20]           Cependant, comme j’ai déjà conclu dans Goburdhun, l’exception de Medel est étroite et exige une « ignorance subjective » de l’information importante (Mohammed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [1997] 3 CF 299; Singh aux paragraphes 39 et 40).

[21]           Il ne s’agit pas d’une circonstance où le demandeur n’était pas au courant de l’information qui n’avait pas été divulguée, le demandeur connaissait clairement tous les détails de son propre historique d’emploi. Le demandeur allègue plutôt qu’il ne croyait pas que les renseignements omis, soit ses emplois chez Jet Airways et MSC International, constituaient des faits importants dans le cadre de sa demande. Sur ce point, je ferai d’abord remarquer que lorsqu’il répond à la lettre relative à l’équité procédurale, le consultant en immigration attribue les omissions à des erreurs administratives de ses employés. Il n’a pas indiqué la nature de ces erreurs, ou que l’information a été omise parce que les employés ont jugé qu’elle n’était pas pertinente. Par conséquent, je conviens avec le défendeur que l’agent des visas ne peut être blâmé pour ne pas avoir considéré une explication qu’on ne lui a pas communiquée.

[22]           En outre, l’allégation du demandeur selon laquelle il s’en remettait à son consultant en immigration ne lui est d’aucun secours. Comme je l’ai noté dans Goburdhun :

[32]      Dans l’affaire Haque, précitée, les demandeurs ont aussi soutenu que leurs fausses déclarations n’étaient pas délibérées et ils ont voulu faire porter le blâme au consultant qui aurait mal rempli la demande. Le juge Mosley a rejeté cet argument et déclaré ceci :

[15]      […] mais il a signé cette demande, et il ne peut être libéré de sa responsabilité personnelle de veiller à ce que les renseignements fournis soient exacts et complets. Le juge Mainville a succinctement exprimé ce principe au paragraphe 31 de la décision Cao, précitée :

La demanderesse principale a signé sa demande de résidence temporaire et elle doit donc être tenue personnellement responsable des renseignements qui y sont fournis. C’est aussi simple que cela.

[23]           Le demandeur a choisi en l’espèce de s’en remettre à un consultant et ne conteste pas qu’il a signé la demande lui-même et qu’il était au courant de son contenu. Il lui incombait donc d’en vérifier l’exactitude et l’exhaustivité (Haque c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 315, aux paragraphes 15 et 16 [Haque]; Tofangchi, aux paragraphes 41 et 42).

[24]           En tout état de cause, ce n’est pas le rôle du demandeur de déterminer ce qui est ou n’est pas pertinent à sa demande. Comme l’a déclaré le juge Mosley dans l’arrêt Singh :

[32]      Toutefois, la décision ne porte pas vraiment sur la culpabilité. Elle intéresse l’intégrité du processus de traitement des visas et ce qu’il faut pour maintenir cette intégrité. Pour dire les choses franchement, il n’appartient pas au demandeur, pas plus qu’à tout autre demandeur de visa, de décider de ce qui est pertinent. Les demandeurs sont tenus de faire une divulgation complète, et l’agent qui examine la demande a pour rôle de décider ce qui est pertinent et quel poids doit être accordé aux faits particuliers qui sont communiqués. Le système ne pourrait tout simplement pas fonctionner si les demandeurs, dignes de foi ou non, pouvaient décider de ce qui est pertinent dans leur demande. Si le demandeur a fait une divulgation complète et croit que le refus de sa demande de visa était déraisonnable, il bénéficie d’un recours devant la Cour. Toutefois, le problème que posent les présentations erronées est qu’elles empêchent les agents qui se sont vu conférer le pouvoir décisionnel par le Parlement de prendre des décisions tenant compte de tous les faits. C’est précisément le problème qui se pose dans la présente demande.

[25]           Les candidats sont tenus de fournir tous les renseignements qu’on exige d’eux. S’ils choisissent de ne pas le faire, ils s’exposent au risque de voir leur demande rejetée. En me fondant sur ce qui précède, je conclus qu’il y a eu fausse déclaration et que les circonstances ne sont pas visées par l’exception de Medel.

[26]           Toutefois, pour les motifs qui suivent, j’estime que le traitement de l’agent des visas des éléments de preuve soumis par le demandeur en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale était déraisonnable.

[27]           Il est bien établi que les notes du SMGC font partie des motifs justifiant les décisions des agents des visas (Singh, au paragraphe 52). Dans les notes du SMGC relatives à la présente affaire, l’agent des visas déclare qu’après avoir examiné la documentation, l’information et les documents de travail soumis avec la demande, ainsi que les notes de l’agent de traitement et la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, « la réponse du client n’a pas dissipé mes préoccupations ». Cela a conduit l’agent des visas à conclure que le demandeur n’avait pas l’expérience d’emploi qu’il affirmait avoir. Bien que les notes du SMGC soient brèves, il semble que cela repose, au moins en partie, sur le constat de l’agent de traitement que le contrat avec Jet Airways était valable pour cinq ans et qu’aucun élément de preuve sur la durée d’emploi du demandeur n’ait été fourni. Ainsi, il y avait une perception de conflit entre les dates indiquées dans le contrat de Jet Airways et les dates fournies par le demandeur pour ses autres périodes d’emploi.

[28]           À cet égard, le défendeur soutient que le contrat expirait en 2013, alors que le demandeur allègue avoir été chargé de cours à cette époque, et que cette contradiction remet en question tout l’historique d’emploi déclaré par le demandeur. Je constate cependant que le contrat prévoit une possibilité de démission ou de résiliation avec un préavis d’un mois. En outre, en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, le demandeur a déposé une lettre datée du 20 avril 2015, signée par le directeur adjoint de Jet Airways, précisant qu’il a occupé un poste d’adjoint au Service à la clientèle du 23 mars 2008 au 15 août 2010. Comme le souligne le demandeur, le même directeur avait signé son contrat de travail initial en 2008. Malgré cela, l’agent de traitement a conclu « qu’aucune preuve n’a été fournie quant à la durée de l’emploi » et que les éléments de preuve présentés en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale sont en contradiction avec l’information fournie à l’annexe A. Cette constatation suggère soit que l’agent de traitement n’a pas vu la lettre du directeur adjoint qui précisait la période d’emploi du demandeur, soit qu’il n’en a pas tenu compte.

[29]           En outre, le nouvel historique personnel précisait que le demandeur avait été employé par Jet Airways de mars 2008 à août 2010 et qu’il avait travaillé sur un bateau de croisière d’août 2010 à mars 2011. La période de travail chez Jet Airways indiquée concorde avec la période d’emploi énoncée dans la lettre du directeur de Jet Airways, et une lettre du 22 juin 2010 de la compagnie de croisières atteste que le demandeur a commencé à y travailler le 22 août 2010. Le demandeur a également fourni des lettres et documents de chacun de ses autres employeurs corroborant les périodes pendant lesquelles il prétend avoir travaillé pour eux. L’agent des visas, qui a examiné les notes de l’agent de traitement ainsi que les autres renseignements notés, n’aborde ni cet élément de preuve ni la raison pour laquelle la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale n’a pas dissipé ses préoccupations.

[30]           De plus, une fausse déclaration doit porter sur des faits importants. Pour qu’un fait soit jugé important, il n’est pas nécessaire qu’il soit décisif ou déterminant, il suffit qu’il soit suffisamment important pour avoir une incidence sur le processus. Le libellé de l’article 40 confirme également qu’une fausse déclaration n’a pas à effectivement causer une erreur, il suffit qu’elle risque d’entraîner une erreur (Tofangchi, au paragraphe 26; Goburdhun, au paragraphe 37; Oloumi, aux paragraphes 22 et 25; Haque, au paragraphe 11; Mai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 101, au paragraphe 18; Nazim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 471).

[31]           En l’espèce, l’entrée dans le SMGC par l’agent des visas indique que les renseignements fournis par le demandeur auraient pu conduire à une erreur dans l’application de la LIPR. L’agent des visas a indiqué que les fausses déclarations du demandeur auraient pu amener un agent à croire que le demandeur satisfaisait aux exigences de la LIPR en matière d’emploi et lui valoir des points qu’il ne méritait pas. Cependant, contrairement à la conclusion de l’agent des visas, les éléments de preuve supplémentaires soumis par le demandeur et faisant l’objet de discussion ci-dessus démontrent que les emplois précédemment omis chez Jet Airways et la compagnie de croisières n’ont pas eu d’incidence sur l’expérience d’emploi de la demande originale. La lettre du consultant en immigration explique également que le demandeur avait travaillé concurremment chez Zen Nepal Tours et Jet Airways. On ne sait donc pas comment cet historique d’emploi entre en conflit avec les autres périodes d’emploi alléguées par le demandeur, ou quelle serait son incidence sur ses emplois allégués comme précepteur ou chargé de cours ayant débuté postérieurement à ces périodes d’emploi. Lorsque le défendeur s’est présenté devant notre Cour, il a fait valoir que le demandeur avait omis d’expliquer pourquoi la date de début de contrat ne correspondait pas à la date de début de l’emploi. Bien que cela soit possible, je ne peux conclure que ce fait à lui seul suffit à remettre en question tous les antécédents professionnels du demandeur, en particulier puisque l’agent des visas n’a pas mentionné la lettre du directeur adjoint de Jet Airways.

[32]           L’agent des visas n’a pas non plus contesté la crédibilité de la preuve documentaire du demandeur. La lettre relative à l’équité procédurale fait référence à une source d’information ouverte non précisée qui indiquait qu’il était employé par Jet Airways. Bien que l’agent de traitement n’ait pas précisé la source en question, le demandeur a supposé qu’il s’agissait de sa page Facebook. Les notes du SMGC du 10 avril 2015 indiquent que le seul emploi mentionné sur sa page Facebook est celui chez Jet Airways, qu’il a quitté en 2012. Une copie d’une page Facebook, datée du 10 avril 2015, figure au dossier certifié du tribunal, mais ne fait aucune mention des dates d’emploi chez Jet Airways. La réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité procédurale abordait cette préoccupation, confirmant qu’il avait travaillé chez Jet Airways, mais que la période d’emploi indiquée sur la page Facebook n’était pas exacte. Tel que noté ci-dessus, il a également fourni des éléments de preuve documentaire à l’appui de son historique d’emploi corrigé. À mon avis, la page Facebook d’un demandeur peut donner lieu à une préoccupation légitime quant à l’exactitude des renseignements fournis dans une demande. Cependant, quand cette préoccupation est exprimée au demandeur et que le demandeur fournit une explication étayée par une preuve documentaire de ses employeurs qui corrobore son emploi pendant les périodes alléguées, l’explication et les éléments de preuve doivent être considérés.

[33]           Comme le fait remarquer le demandeur, l’évaluation préliminaire de sa demande consignée dans les notes du SMGC semble indiquer que les emplois déclarés dans la demande initiale suffisent pour atteindre le minimum de points requis. Les éléments de preuve fournis en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale donnent à penser que ses emplois chez Jet Airways et MSC International n’ont pas eu d’incidence sur les périodes d’emploi se rapportant au travail du demandeur comme professeur/chargé de cours indiquées dans la demande originale. Il n’est donc pas évident de conclure que les fausses déclarations portaient sur des faits importants dans ces circonstances.

[34]           La difficulté réside en l’espèce dans le fait que ni la décision ni le dossier ne démontrent que la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité procédurale et l’évaluation des éléments de preuve supplémentaire ont été raisonnablement évaluées. L’apparente méprise ou l’ignorance de certains éléments de preuve par l’agent des visas semblent l’avoir conduit à croire qu’il y avait un conflit dans la documentation relative à l’historique d’emploi. Ces considérations, conjuguées à l’absence de motifs expliquant pourquoi les préoccupations de l’agent des visas n’ont pas été dissipées à la suite de la communication de l’explication et d’éléments de preuve par le demandeur, font ressortir la question de l’importance de l’omission, car on ne peut déterminer comment la fausse déclaration pourrait avoir une incidence sur le processus (Goburdhun, au paragraphe 37).

[35]           Pour ces motifs, la décision n’est pas raisonnable, car le processus et l’issue en cause cadrent mal avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité (Khosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration, 2009 CSC 12, au paragraphe 59; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16).


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4835-15

 

INTITULÉ :

BINAY CHHETRY c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 6 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

H.S. (Harry) Mann

 

Pour le demandeur

 

Mahan Keramati

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mann Law

Mississauga (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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