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Date : 20160510


Dossier : T-881-15

Référence : 2016 CF 526

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2016

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

JASON JANE LIPSKAIA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par le directeur de la Division des enquêtes de la Direction générale de l’intégrité du Programme de passeport de Citoyenneté et Immigration Canada [Programme de passeport], datée du 28 avril 2015, de révoquer son passeport et de lui refuser l’accès aux services de passeport jusqu’au 11 octobre 2018. Le directeur a conclu qu’il y avait suffisamment de renseignements pour déterminer, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur avait obtenu son passeport en fournissant des renseignements faux ou trompeurs et qu’il était accusé d’avoir commis un acte criminel.

[2]               Pour les motifs établis ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

I.                   Contexte

[3]               Le 6 novembre 2014, un enquêteur en chef du Programme de passeport a envoyé au demandeur une lettre l’informant qu’il faisait l’objet d’une enquête, car il y avait des raisons de croire qu’il avait fourni des renseignements faux ou trompeurs en vue de se procurer un passeport canadien sous le nom d’emprunt de Jason Jane Lipskaia. La lettre a informé le demandeur que l’enquête du Programme de passeport avait révélé les renseignements suivants :

a)                  Le 5 novembre 2011, le Programme de passeport a reçu des renseignements de Service Alberta indiquant que le demandeur avait usurpé l’identité de Jason Jane Lipskaia et avait réussi à obtenir une carte d’identité de l’Alberta. En raison de l’obtention de ces renseignements, une enquête a été entreprise par le Programme de passeport en vue de confirmer la véritable identité du demandeur.

b)                  Les vérifications effectuées dans les dossiers du Programme de passeport ont indiqué qu’un passeport avait été délivré au nom de Jason Jane Lipskaia, le 19 novembre 2008, et que le demandeur avait mentionné John Charles Wiese en tant que garant et Randall Robert Wiese comme référence afin d’authentifier son identité.

c)                  Une demande de renouvellement du passeport de 2008 au nom de Jason Jane Lipskaia a été présentée par le demandeur, le 10 octobre 2013. À l’appui de cette demande, le passeport délivré en 2008 a été fourni. Un nouveau passeport a été délivré au demandeur le 11 octobre 2013 et a été reçu le 15 octobre 2013.

d)                 Des vérifications dans la base de données du Programme de passeport ont indiqué que le demandeur avait obtenu deux passeports au nom de Randall Robert Wiese : l’un délivré le 23 mai 1991 et l’autre, le 3 avril 1997. Dans les deux cas, les demandes mentionnaient John C. Wiese, père, en tant que personne avec qui communiquer en cas d’urgence.

e)                  Le 28 novembre 2011, le Programme de passeport a tenté d’envoyer du courrier au demandeur, mais n’a pas été en mesure de le livrer à l’adresse indiquée dans la demande de passeport de 2008 au nom de Jason Jane Lipskaia. Le Programme de passeport a ainsi suspendu son enquête.

f)                   D’autres vérifications ont été menées auprès de partenaires externes. Ces vérifications ont conduit le Programme de passeport à déterminer qu’il était fort probable que le véritable nom du demandeur était Randall Robert Wiese. Par conséquent, le 3 décembre 2013, le Programme de passeport a invalidé le passeport qui avait été délivré au demandeur en 2013. Cette invalidation a donné lieu à la saisie du passeport, le 10 août 2014, à l’aéroport international Pierre Elliot Trudeau.

g)                  L’évaluation du Programme de passeport, selon la prépondérance des probabilités et après examen des renseignements, était que le demandeur avait fourni des renseignements faux ou trompeurs dans le but de se procurer un passeport sous le nom d’emprunt de Jason Jane Lipskaia, portant sa photographie.

h)                  Le détachement municipal de Fort Saskatchewan (Alberta) de la Gendarmerie royale du Canada [GRC] a informé le Programme Passeport que le demandeur avait été accusé d’avoir commis un acte criminel aux termes du paragraphe 145(3) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 [Code criminel], et qu’un mandat d’arrêt avait été délivré par la province de l’Alberta au nom du demandeur, le 2 juillet 2014.

[4]               La lettre du 6 novembre 2014 a également invité le demandeur à présenter des renseignements qui contrediraient ou invalideraient les renseignements qui lui avaient été présentés, à défaut de quoi son dossier serait transmis à un décideur, qui déterminerait si les renseignements au dossier étaient suffisants, selon la prépondérance des probabilités, pour révoquer son passeport aux termes des alinéas 10(2)d) et 9(1)b) et du paragraphe 10(1) du Décret sur les passeports canadiens, TR/81-86 [DPC], et pour imposer une période de refus des services de passeport aux termes de l’article 10.2 du DPC.

[5]               Dans une lettre datée du 17 décembre 2014, le représentant du demandeur a affirmé que ce dernier était Jason Jane Lipskaia. À l’appui de cette déclaration, le représentant du demandeur a fourni les documents suivants à titre de pièces : 1) une copie d’une ordonnance du juge Lee de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, émise le 7 août 2008, ordonnant que la demande du demandeur visant l’enregistrement différé d’une naissance soit acceptée par le directeur du Bureau de l’état civil; 2) un enregistrement différé de naissance délivré au nom de Jason Jane Lipskaia; 3) une déclaration solennelle de Jason Jane Lipskaia à l’appui d’un enregistrement différé de naissance. Le représentant du demandeur a également affirmé que son autre client, John Charles Wiese, avait [traduction] « signé en tant que garant » parce qu’il connaissait le demandeur.

[6]               Dans une lettre datée du 23 janvier 2015, un enquêteur principal du Programme de passeport a informé le demandeur que les renseignements fournis par son représentant avaient été examinés et qu’il a été noté que les renseignements du père, qui figurent sur l’acte de naissance délivré au nom du demandeur, étaient incomplets. Seul un nom de famille figurait sur l’acte de naissance; son prénom et son lieu de naissance étaient inconnus. La lettre a également informé le demandeur que le Programme de passeport avait examiné les antécédents de passeport du demandeur et qu’il est apparu que ce dernier avait obtenu deux passeports canadiens au nom de Randall Robert Wiese en 1991 et 1997. D’autres vérifications auprès de partenaires externes ont indiqué qu’il était plus probable que l’identité du demandeur était Randall Robert Wiese, et non Jason Jane Lipskaia. L’enquêteur principal a conclu que les prétentions du demandeur n’avaient pas apporté de nouveaux renseignements et n’avaient pas réussi à invalider les conclusions de fait qui figurent dans la lettre du 6 novembre 2014. Il a indiqué qu’un décideur du Programme de passeport déterminerait si les renseignements au dossier, y compris les déclarations du demandeur, étaient suffisants pour révoquer son passeport aux termes des alinéas 10(2)d) et 9(1)b) ainsi que du paragraphe 10(1) du DPC. Le demandeur a été informé que la durée maximale du refus des services de passeport était de cinq ans à compter de la date de l’incident ou des renseignements menant à la décision.

[7]               Dans une décision datée du 28 avril 2015, adressée à Randall Robert Wiese, mais envoyée à l’adresse du demandeur et à son représentant, le directeur du Programme de passeport a révoqué le passeport délivré au demandeur en 2013 et a imposé une période de refus de services de passeport jusqu’au 11 octobre 2018. Sur la foi des mêmes renseignements et pour les mêmes motifs que ceux qui étaient énoncés dans les lettres du 6 novembre 2014 et du 23 janvier 2015, le directeur a déterminé qu’il y avait suffisamment de renseignements pour étayer une conclusion selon laquelle Randall Robert Wiese avait obtenu le passeport délivré en 2013 sous le nom d’emprunt de Jason Jane Lipskaia au moyen de renseignements faux ou trompeurs et qu’il était accusé d’avoir commis un acte criminel.

[8]               C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

II.                Analyse

[9]               Le 2 juillet 2013, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] est devenu responsable du Programme de passeport, et l’entité connue sous le nom de Passeport Canada a cessé d’exister. Le pouvoir du ministre à l’égard de l’émission, de la révocation et de la récupération des passeports ainsi que du refus des services de passeport, est énoncé dans le DPC, qui a été créé par le gouverneur en conseil exerçant la prérogative royale de Sa Majesté la Reine du chef du Canada concernant les passeports.

[10]           Conformément à l’alinéa 10(2)d) du DPC, le ministre peut révoquer le passeport d’une personne qui l’a obtenu au moyen de renseignements faux ou trompeurs. Il peut également, conformément à l’alinéa 9(1)b) et au paragraphe 10(1) du DPC, révoquer le passeport d’un demandeur qui est accusé au Canada d’avoir commis un acte criminel. En outre, il est habilité, en vertu de l’article 10.2 du DPC, à imposer une période au cours de laquelle les services de passeport seront refusés lorsqu’il y a une décision de refuser ou de révoquer un passeport.

[11]           Dans la présente procédure, le demandeur allègue qu’il est Jason Jane Lipskaia. Le défendeur, d’autre part, affirme que le demandeur est en fait Randall Robert Wiese.

[12]           Bien que le demandeur ait soulevé un certain nombre de questions dans son avis de demande, questions qu’il n’a pas abordées dans ses observations écrites, le défendeur soutient que le demandeur a bénéficié de l’équité procédurale et que la décision de révoquer le passeport et de refuser les services de passeport pendant cinq ans était raisonnable.

[13]           Pour les motifs suivants, j’ai déterminé que la décision, datée du 28 avril 2015, de révoquer le passeport du demandeur et d’imposer un refus des services de passeport jusqu’au 11 octobre 2018 doit être annulée, car il y a eu un manquement à l’équité procédurale dans le cadre du processus suivi par le Programme de passeport dans le dossier du demandeur. Compte tenu de ma conclusion, je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si la décision de révoquer le passeport et de refuser les services de passeport était raisonnable.

[14]           La Cour a déjà déterminé que les questions d’équité procédurale doivent être examinées en fonction de la norme de la décision correcte (Gomravi c. Canada (Procureur général), 2015 CF 431, au paragraphe 23; Kamel c. Canada (Procureur général), 2008 CF 338, aux paragraphes 62 et 89 [Kamel]).

[15]           Dans la décision Kamel, le juge Noël a résumé les exigences de l’équité procédurale dans le contexte de la révocation d’un passeport et la suspension des services de passeport. Il a écrit au paragraphe 72 :

... [i]l suffit que l’enquête comporte la communication à l’intéressé des faits qui lui sont reprochés et de l’information colligée dans le cours de l’enquête, lui donne la possibilité d’y répondre pleinement et lui fasse savoir les objectifs de l’enquêteur; enfin, il faut que le décideur puisse disposer de tous les éléments pour prendre une décision éclairée.

[16]           Quelques années plus tard, dans la décision Abdi c. Canada (Procureur général), 2012 CF 642, la juge Gleason a fourni d’autres indications sur la portée de la divulgation requise pour atteindre le seuil de l’équité procédurale dans le contexte de la révocation d’un passeport. Au paragraphe 21, elle a déclaré ce qui suit :

L’avocat des demanderesses soutient qu’au nom de l’équité procédurale, il était nécessaire de remettre aux demanderesses une copie de l’ensemble du dossier dont disposait l’arbitre. Je ne crois pas que l’équité procédurale exige une telle communication dans le contexte des décisions prises par Passeport Canada en application du Décret. À mon avis, il faut plutôt s’assurer que tous les faits importants que la Section a découverts pendant son enquête sont divulgués aux parties concernées; de plus, tous les documents qui renferment des éléments qui appuient la position de la Section et qui sont fournis à l’arbitre doivent également être communiqués aux parties concernées. Enfin, celles‑ci doivent avoir l’entière possibilité de répondre avant que l’affaire soit renvoyée à l’arbitre.

[17]           Dans la décision Gomravi c. Canada (Procureur général), 2013 CF 1044, au paragraphe 32, la juge Mactavish a rappelé que l’obligation en matière d’équité en cas de révocation de passeport exige que tous les faits importants découverts par Passeport Canada, dans le cadre de son enquête, soient communiqués à la partie concernée, ce qui comprend à la fois les renseignements inculpatoires et disculpatoires. Elle a constaté que Passeport Canada avait manqué à l’équité procédurale, car il n’avait pas communiqué au demandeur l’analyse de comparaison faciale et un courriel de l’Agence des services frontaliers du Canada, à partir desquels il avait déterminé que le demandeur avait permis à une autre personne d’utiliser un passeport.

[18]           Dans le cas présent, malgré l’absence d’arguments du demandeur sur cette question, le défendeur a néanmoins soutenu dans ses observations écrites et orales qu’un examen du dossier indique qu’on avait communiqué au demandeur les motifs pour lesquels le ministre a proposé de révoquer le passeport, que le demandeur avait eu la possibilité de répondre aux résultats de l’enquête et que son représentant avait présenté des observations en réponse. Selon le défendeur, toutes les exigences relatives à l’équité procédurale ont été respectées.

[19]           Je ne suis pas d’accord. Même si les lettres du 6 novembre 2014 et du 23 janvier 2015 indiquent au demandeur les motifs pour lesquels le ministre a proposé de révoquer le passeport, elles ne divulguent pas les renseignements pertinents et les faits importants qui semblent avoir été examinés par le directeur du Programme de passeport pour rendre sa décision.

[20]           Le dossier certifié du tribunal [DCT] comporte plusieurs échanges de courriels entre le Programme de passeport, Service Alberta et la GRC qui se rapportent à la fois à Jason Jane Lipskaia et à Randall Robert Wiese. Le contenu de ces communications n’a pas été communiqué au demandeur.

[21]           En particulier, le DCT comporte les résultats d’une analyse de comparaison faciale fondée sur la photographie du demandeur. Les résultats de l’analyse de comparaison faciale comprennent des résultats relatifs aux passeports de 2008 et de 2013 délivrés à Jason Jane Lipskaia, mais ne comprennent pas les résultats relatifs aux deux passeports délivrés à Randall Robert Wiese en 1991 et 1997 (DCT, pages 222 à 232).

[22]           Le DCT comporte également un courriel de la GRC daté du 13 janvier 2015 qui indique que plusieurs pièces d’identité au nom de M. Lipskaia ont été saisies à la résidence de Randall Robert Wiese lors d’une recherche effectuée en 2013 et qu’il utilise aussi le pseudonyme Jason Sgfusion (DCT, page 113).

[23]           Par ailleurs, le DCT comprend un rapport d’enquête incomplet et non daté de l’unité des enquêtes spéciales du service de gouvernance et d’intégrité des programmes de Service Alberta concernant Randall Robert Wiese, également identifié par le rapport comme Jason Jane Lipskaia, qui est accusé et inculpé d’emploi d’un document contrefait, contrairement à l’alinéa 368(1)b) du Code criminel (DCT, pages 108 et 109). Selon les renseignements figurant dans le rapport d’enquête, les documents qui sont présumés avoir été forgés comportent un formulaire de demande d’une carte d’identité de l’Alberta, un permis d’exploitation de l’Alberta et une déclaration solennelle, le tout sous le nom de Jason Jane Lipskaia. Le rapport indique qu’en octobre 2010, un enquêteur de l’unité de la conformité des programmes et des enquêtes du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Technologie a communiqué avec Service Alberta concernant les actes suspects d’un client qui affirmait avoir effectué un changement de nom légal et voulait faire transférer son dossier scolaire de Randall Robert Wiese à Jason Jane Lipskaia, mais refusait de fournir la preuve d’un changement de nom. Le rapport indique, en outre, que dans les courriels échangés avec l’enquêteur, le client lui-même s’est présenté sous les deux noms. Après enquête, l’unité a découvert des documents de travail provenant d’une entreprise où un employé avait fait une demande en tant que Randall Robert Wiese, mais avait demandé à être payé au nom de Jason Jane Lipskaia. L’unité a également découvert qu’au moment où le permis d’exploitation de l’Alberta avait été délivré à Jason Jane Lipskaia en juin 2006, il y avait des certificats judiciaires en Alberta et en Colombie-Britannique qui interdisaient à Randall Robert Wiese de conduire un véhicule à moteur.

[24]           Le DCT comprend également un échange de courriels entre la GRC, Service Alberta et le Programme de passeport, entre le 13 et le 20 janvier 2015, faisant état que Randall Robert Wiese a plaidé coupable en cour provinciale à Edmonton d’avoir utilisé l’identité de Jason Jane Lipskaia (DCT, page 80). Cette allégation particulière est incompatible avec d’autres renseignements figurant dans le DCT, qui indiquent que l’inculpation pour laquelle on dit que Randall Robert Wiese avait plaidé coupable est l’un des méfaits relatifs à la destruction ou à l’endommagement de biens aux termes de l’alinéa 430(1)a) du Code criminel (DCT, page 96).

[25]           Aucun des renseignements susmentionnés n’a été fourni au demandeur avant que la décision du 28 avril 2015 soit rendue. Peu importe si l’information était déterminante dans la prise de décision définitive du directeur, à mon avis, elle était importante pour l’enquête et aurait pu être, dans le cas des résultats de l’analyse de comparaison faciale de novembre 2013, disculpatoire.

[26]           Je suis également intrigué par l’écart apparent entre l’infraction pour laquelle le passeport du demandeur a été révoqué et la prévalence d’autres actes criminels mentionnés dans le DCT, qui n’ont pas été portés à la connaissance du demandeur. Même si les lettres que le Programme de passeport a envoyées au demandeur mentionnent une inculpation visée par le paragraphe 145(3) du Code criminel (défaut de se conformer à une condition d’une promesse ou d’un engagement), le DCT se réfère largement à d’autres inculpations visées par le paragraphe 57(2) (fausse déclaration relativement à un passeport), le paragraphe 131(1) (parjure) et l’alinéa 368(1)b) (emploi, trafic ou possession d’un document contrefait) du Code criminel. Ni la lettre du 6 novembre 2014 ni celle du 23 janvier 2015 ne font allusion aux autres accusations devant les tribunaux de l’Alberta.

[27]           Compte tenu de la nature de l’information figurant dans le DCT, on aurait donné au demandeur la possibilité de connaître la cause à défendre, de répondre à l’information et de la contester. Ainsi, j’estime que le Programme de passeport a violé le droit du demandeur à l’équité procédurale.

[28]           Je reconnais que l’on pourrait être tenté de conclure que Randall Robert Wiese et Jason Jane Lipskaia sont, en fait, la même personne sur la foi des renseignements figurant dans le DCT, en plus des déclarations faites par le demandeur lors de l’audience quant à savoir s’il connaissait Randall Robert Wiese et pourquoi il a été mentionné comme une référence sur la demande de passeport de 2008. Toutefois, le demandeur avait droit à l’équité procédurale et il n’est pas loisible à la Cour de lui refuser ce droit. Il ne lui est également pas loisible de spéculer sur ce que le résultat aurait été si le demandeur avait été informé de l’information dont disposait le Programme de passeport.

III.             Conclusion

[29]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision datée du 28 avril 2015 est annulée. L’affaire est renvoyée pour réexamen par un autre décideur.

[30]           Lors de l’audience, j’ai soulevé la question de savoir si l’intitulé de la cause désignait le bon défendeur. L’avocat du défendeur a convenu que le bon défendeur en l’espèce est le procureur général du Canada aux termes des paragraphes 303(1) et 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. L’intitulé de la cause est modifié en conséquence.

[31]           J’ai également soulevé la question des dépens avec les parties. Le demandeur, qui s’est représenté lui-même, a informé la Cour de ses dépens et le défendeur a laissé la question à la discrétion de la Cour. Même si j’ai accueilli la demande de contrôle judiciaire au motif qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale, le demandeur n’a pas réussi à faire des observations significatives par rapport aux questions soulevées dans son avis de demande de contrôle judiciaire. Néanmoins, le défendeur a fourni à la Cour des observations sur les questions d’équité procédurale et le caractère raisonnable de la décision. Pour ce motif, j’ai décidé d’exercer mon pouvoir discrétionnaire dans ces circonstances et de ne pas accorder des dépens.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      L’intitulé de la cause visée par la demande de contrôle judiciaire est modifié de façon à supprimer Passeport Canada, Citoyenneté et Immigration Canada et l’Agence canadienne des services frontaliers en tant que défendeurs et nommer à leur place le procureur général du Canada en tant que défendeur.

2.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du directeur de la Division des enquêtes de la Direction générale de l’intégrité des programmes de Programme de passeport de Citoyenneté et Immigration Canada, datée du 28 avril 2015, est annulée.

3.      La question de la révocation du passeport du demandeur et le refus des services de passeport doit être renvoyée à Citoyenneté et Immigration Canada pour réexamen par un autre décideur.

4.      Chaque partie doit prendre en charge ses propres dépens.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-881-15

INTITULÉ :

JASON JANE LIPSKAIA c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 avril 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 10 MAI 2016

COMPARUTIONS :

Jason Jane Lipskaia

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Lynne Lazaroff

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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