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Date : 20160405


Dossier : T-1613-15

Référence : 2016 CF 375

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 5 avril 2016

En présence de monsieur le juge Diner

Dossier : T-1613-15

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

MONSURAT ADEDOLAPO BALOGUN

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS :

I.                   CONTEXTE

[1]               Il s’agit d’un contrôle judiciaire d’une décision d’un juge de la citoyenneté [le juge] datée du 26 août 2015. Le juge, par cette décision, a conclu que la défenderesse satisfaisait aux exigences de résidence en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 [la Loi] et a approuvé sa demande de citoyenneté.

[2]               En bref, la défenderesse est une ingénieure pétrolière du Nigeria et une résidente permanente du Canada. Elle a présenté sa demande de citoyenneté le 14 avril 2014. Sa demande comportait des absences et des incohérences. Celles-ci ont été signalées dans le modèle pour la préparation et l’analyse du dossier (MPAD) préparé par un agent de la citoyenneté le 18 février 2015. En se fondant sur cette analyse du MPAD et sur les diverses préoccupations soulevées au sujet de la période de résidence de la défenderesse, de son travail, de ses voyages et de ses antécédents médicaux, le juge a tenu une longue audience (l’audience) le 11 août 2015.

[3]               En définitive, le juge a conclu que la défenderesse avait fourni suffisamment d’observations eu égard aux préoccupations relatives à sa résidence. À l’audience et dans un affidavit subséquent, la défenderesse a abordé les questions soulevées par le juge, notamment : ses raisons de séjourner aux États-Unis; son permis de travail L-1 de la « catégorie des personnes mutées à l’intérieur d’une société », son congé de maternité et sa démission subséquente de son emploi aux États-Unis; le fait qu’elle ait voyagé au départ d’aéroports américains; et la naissance de ses enfants aux États-Unis. Elle a également expliqué certaines questions connexes telles que les visas canadiens qu’elle avait obtenus; des détails au sujet de son passeport nigérian; et une divergence entre le questionnaire sur la résidence qu’elle a rempli et les timbres d’entrée au Canada dans son passeport. La défenderesse a également abordé les questions soulevées par l’historique de ses réclamations au Régime d’assurance-maladie de l’Ontario (le RAMO) et les diverses périodes de non-utilisation; son historique de carte de résidente permanente; la réception d’un diplôme d’un établissement de la Colombie-Britannique lorsqu’elle prétendait vivre en Ontario; et ses arrangements de résidence à Brampton, en Ontario, avec sa famille élargie avant d’y acheter une maison. Enfin, elle a fourni des explications sur la situation relative à l’emploi de son mari, un citoyen canadien, et la capacité de ce dernier d’effectuer du télétravail comme gestionnaire de projets informatiques.

II.                ANALYSE

[4]               La décision d’un juge de la citoyenneté quant à savoir si la condition de résidence est satisfaite doit être contrôlée selon la norme du caractère raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Abdulghafoor), 2015 CF 1020, au paragraphe 15; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Matar, 2015 CF 669, au paragraphe 11; Hussein c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 88, au paragraphe 10). Par conséquent, il convient que notre Cour fasse preuve de déférence pour aborder cette décision, et gardant à l’esprit les recommandations qui découlent de ces décisions, la Cour est d’avis que le demandeur n’a pas réussi à la convaincre que la décision du juge doit être modifiée.

[5]               Les juges de la citoyenneté sont les principaux arbitres des questions ayant trait à la crédibilité dans le cadre des audiences relatives à la citoyenneté. Notre Cour n’est pas le Bureau de la citoyenneté et doit donc faire preuve de déférence lorsque des questions de crédibilité sont en cause. Cette retenue est justifiée puisque les juges de la citoyenneté évaluent la crédibilité grâce à une audience, et notre Cour n’a malheureusement pas de transcription ou de dossier écrit de cette audience. Comme le juge Rennie – alors membre de notre Cour – l’a affirmé dans Martinez-Caro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 640, au paragraphe 46 :

Il ne fait aucun doute que les juges de la citoyenneté sont les mieux placés pour juger des faits et évaluer la crédibilité. Ils sont les mieux placés pour tirer une conclusion de fait quant à savoir si a été établie, à titre de question préliminaire, l’existence d’une « résidence ». C’est aussi eux, assurément, qui peuvent le mieux juger s’il y a situation d’urgence et s’il faut recommander la prise des mesures prévues au paragraphe 5(4) de la Loi. Ce sont là des questions de preuve qui nécessitent que soient produits et évalués des éléments de preuve et que soient entendus des témoignages. C’est à ce titre qu’il y a lieu de faire preuve de déférence.

[6]               Le juge a en l’espèce interrogé la défenderesse pendant « une longue période », a déterminé que la crédibilité constituait un « enjeu majeur », a déclaré que la défenderesse était crédible et a finalement conclu qu’elle satisfaisait au critère quantitatif de résidence. Les décisions relatives à la crédibilité, surtout lorsqu’il y a témoignage de vive voix, imposent invariablement un degré accru de déférence. Je ne vois aucune raison d’écarter cet axiome bien établi.

[7]               En outre, comme l’a récemment écrit le juge Gascon dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Suleiman, 2015 CF 891, au paragraphe 23 [Suleiman] :

Un décideur tel qu’un juge de la citoyenneté est réputé avoir pris en considération tous les éléments de preuve au dossier [Hassan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1992] ACF no 946 (CAF), au paragraphe 3]. Le défaut de mentionner un élément de preuve ne signifie pas qu’il n’a pas été pris en compte ni qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise. En l’espèce, le juge a également eu l’occasion de tenir une longue audience avec M. Suleiman, pour laquelle il n’existe aucune transcription contredisant les éléments de preuve au dossier ou l’affidavit déposé par M. Suleiman. Dans sa décision, le juge de la citoyenneté a, de toute évidence, pris en considération le témoignage oral fourni par M. Suleiman.

[8]               Le juge Gascon a ensuite expliqué que, bien qu’il incombe aux demandeurs de citoyenneté de fournir des renseignements véridiques, exacts et complets et de s’abstenir de faire de fausses déclarations, cela ne signifie pas que des éléments probants soient requis pour chacun des éléments. C’est plutôt la responsabilité du juge, en tenant compte du contexte, de déterminer l’étendue et la nature de la preuve requise (Suleiman, au paragraphe 27; voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c. El Bousserghini, 2012 CF 88, au paragraphe 19).

[9]               En l’espèce, le juge a accepté le témoignage de la défenderesse et a écrit un ensemble d’énoncés de motifs. Ces motifs ne sont peut-être pas parfaits, mais ils sont plus que suffisants, et ce n’est pas le rôle de notre Cour d’empiéter sur ce champ de compétence. Ce n’est pas non plus le rôle de notre Cour de réévaluer cette preuve pour arriver à une conclusion différente (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Lee, 2013 CF 270, au paragraphe 48), en particulier lorsque cette conclusion repose sur les témoignages fournis au cours d’une longue audience dans laquelle le juge a particulièrement examiné un cahier de doléances énumérées par un agent de la citoyenneté dans un MPAD. En effet, le juge a même offert une occasion supplémentaire d’apporter des précisions après l’audience dont la défenderesse s’est elle-même prévalue au moyen d’un affidavit circonstancié, et par les observations de son avocat accompagnant l’affidavit. Comme le juge l’a écrit,

[traduction]

toutes les préoccupations précédemment énumérées ont été portées à l’attention de Mme Balogun et de son avocat au cours de l’audience du 11 août 2015. Ils ont abordé certaines de ces préoccupations au cours de l’audience et ont demandé un délai de quelques jours pour recueillir plus d’information et me la transmettre au cours des dix prochains jours... Mme Balogun a abordé mes préoccupations dans un affidavit et une lettre de présentation de son avocat.

(page 8 du dossier de la demanderesse)

[10]           Faire preuve de déférence ne signifie nullement qu’il faille accorder une immunité absolue au juge ni adhérer aveuglément à ses conclusions : lorsque les motifs sont insuffisants, inadaptés ou injustifiables et que l’issue n’appartient pas aux issues possibles acceptables, ils ne tiennent pas (voir, par exemple, Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Bayani, 2015 CF 670, au paragraphe 31 et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Saad, 2015 CF 245, aux paragraphes 22 et 23).

[11]           J’estime toutefois qu’en l’espèce le juge a amplement justifié sa conclusion selon laquelle les faits se distinguent de ces causes. La décision affiche tous les attributs de justification, de transparence, d’intelligibilité et de suffisance des motifs qui définissent le caractère raisonnable.

[12]           Je fais deux observations à titre de remarque incidente en guise de conclusion. Tout d’abord, puisqu’aucune transcription ni aucun enregistrement des audiences de citoyenneté n’ont été fournis à notre Cour, il est difficile d’évaluer la décision d’un juge de la citoyenneté lorsqu’elle repose sur la crédibilité d’un demandeur et les explications qu’il a apportées lors d’une audience.

[13]           En second lieu, en plus du matériel de l’audience, la défenderesse a présenté un affidavit supplémentaire pour les besoins de ce contrôle judiciaire, incorporant comme référence l’affidavit précédent. Le demandeur aurait pu contre‑interroger la défenderesse sur le matériel compris dans l’affidavit supplémentaire, mais a décidé de ne pas le faire. Plus tard, devant notre Cour, le demandeur a exprimé des doutes en raison du manque de documentation démontrant les liens de la défenderesse au Canada pendant une certaine partie de la période de résidence en cause. C’est cependant exactement le genre de préoccupation que le demandeur aurait dû demander à la défenderesse d’aborder en contre-interrogatoire.

[14]           Ce qui a été soumis à la Cour provenant de la procédure de demande de citoyenneté se résume à la décision du juge et au dossier papier qui comprend les notes du MPAD et les documents internes connexes, tels que le formulaire de rétroaction de la décision du juge. Un examen de ces documents, dans l’ensemble et dans leur contexte, montre que le juge a abordé les points de préoccupation soulevés par l’agent de la citoyenneté et a conclu que la demanderesse était crédible, le tout accompagné d’explications sur les points en litige. Vu la preuve, je ne vois aucun fondement permettant de m’immiscer dans la décision.

III.             CONCLUSION

[15]           Malgré les représentations habiles de l’avocat, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée et aucuns dépens ne seront adjugés en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                   La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                   Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

3.                   Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1613-15

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. MONSURAT ADEDOLAPO BALOGUN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 mars 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Diner

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

NUR MUHAMMED ALLY

 

Pour le demandeur

 

WARDA SHAZADI MEIGHEN

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Waldman and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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