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Date : 20160510


Dossier : IMM-5358-15

Référence : 2016 CF 519

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

DRITAN MUHAMETI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

A.                Nature de la demande

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) visant à faire annuler la décision du 20 octobre 2015 de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SPR avait rejeté la demande de statut de réfugié du demandeur après avoir jugé que celui-ci n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

[2]               La demande est accueillie pour les motifs exposés ci-après.

B.                 Les faits

[3]               Le demandeur, Dritan Muhameti, est un citoyen de l’Albanie qui est arrivé au Canada, le 13 juin 2012, et a demandé l’asile le 15 juin 2012 au motif qu’il était confronté à une persécution découlant de querelles meurtrières entre sa famille et la famille Muska en Albanie.

[4]               Il a affirmé que sa famille a perdu de vastes étendues de terres aux communistes qui sont arrivés au pouvoir, en Albanie, après la Seconde Guerre mondiale. Après la chute du communisme, la famille n’a pu reprendre qu’une petite partie de leurs terres perdues. Ils ont appris que la plus grande partie de leurs terres avait été indûment rendue à la famille Muska qui avait payé des pots-de-vin à des fonctionnaires. Il y avait une animosité de longue date entre la famille du demandeur et la famille Muska.

[5]               Le conflit de longue date a été relancé à la suite de tentatives de développer des terres appartenant à la famille du demandeur. Le conflit a donné lieu au passage à tabac du frère du demandeur, Fatos, par la police, une force où les membres de la famille Muska occupent des postes d’influence. Le demandeur a ensuite été battu dans la rue, un incident observé par la police. Cet incident a conduit à son tour le frère, Fatos, à poignarder un Muska, puis fuir.

[6]               À la suite de cet incident, la police, y compris les membres de la famille Muska, a défoncé la porte de la demeure de la famille du demandeur, à la recherche de Fatos. Ne trouvant pas Fatos, les policiers ont battu le demandeur.

[7]               Les Muska ont ensuite déclaré une vendetta et la famille du demandeur s’est isolée. La police, y compris les membres de la famille Muska, est allée chez le demandeur plusieurs fois et a battu le demandeur et son père en les accusant de cacher Fatos. Le demandeur s’est échappé en Grèce, puis au Canada.

C.                 Décision faisant l’objet du contrôle

[8]               La SPR a conclu que les affirmations du demandeur étaient crédibles à une exception près qui, selon sa conclusion, n’était pas un facteur déterminant de la demande. Cependant, la SPR a rejeté la demande du demandeur en concluant qu’il n’y avait aucun lien avec un motif de la Convention en vertu de l’article 96 et que le demandeur ne serait pas exposé à une menace pour la vie aux termes de l’article 97 de la LIPR.

[9]               La SPR a conclu que la victimisation d’une famille seule ne peut pas constituer le fondement de l’appartenance à un groupe social particulier et que les victimes de querelles meurtrières ne sont pas membres d’un groupe social particulier, car leur crainte est fondée sur la criminalité. De plus, il n’y avait aucun lien avec l’opinion politique, en vertu de l’article 96, car l’association historique de la famille Muska avec le Parti communiste et l’association de la famille du demandeur avec le Parti du Front National n’étaient pas à la source du conflit actuel.

[10]           La SPR a conclu que le demandeur n’est pas confronté à une éventuelle menace pour la vie, en faisant remarquer, au paragraphe 21 de la décision, que les Muska et les policiers ont continuellement battu le demandeur et les membres de sa famille plus d’une douzaine de fois, en entrant dans la maison du demandeur contrairement au Kanun, mais n’ont jamais tué l’un d’entre eux :  

[traduction] Si les Muska étaient prêts à enfreindre le Kanun en s’introduisant dans la maison familiale, ils auraient pu assouvir leur vengeance en tuant un membre de la famille du demandeur. Comme ils ne l’ont pas fait au cours des 13 dernières fois, je ne pense pas qu’ils le feraient à l’avenir. J’estime que les Muska ne sont pas prêts à aller plus loin que cette agression, donc il n’y a aucune menace pour la vie du demandeur, selon la prépondérance des probabilités. Leur comportement passé ne démontre pas qu’ils iraient jusqu’au meurtre.

[11]           La décision est muette sur le risque de traitements cruels ou inusités auxquels le demandeur pourrait être confronté à son retour en Albanie, ainsi que l’accessibilité à la protection de l’État dans ce pays.

II.                Questions en litige et analyse

[12]           La seule question que je dois trancher dans la présente demande est de savoir si la SPR a appliqué le bon critère en examinant la question de la protection en vertu de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR. La norme de contrôle de la décision correcte s’applique (Parmanathan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 338, au paragraphe 11, Paz Ospina c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 681, aux paragraphes 19 et 25, 2 Imm LR (4th) 73).

[13]           Les parties ne contestent pas le fait que la SPR a raisonnablement conclu que la demande du demandeur n’a pas démontré un lien avec un motif quelconque de la Convention en vertu de l’article 96 de la LIPR. La question était de savoir si le demandeur avait établi qu’il serait confronté à une menace pour la vie ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités en cas de retour en Albanie, en vertu de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR.

[14]           Les parties ne contestent également pas que l’analyse par la SPR des risques visés à l’alinéa 97(1)b) était limitée à une menace pour la vie.

[15]           Le demandeur fait valoir que le défaut de la SPR d’examiner la question des peines ou traitements cruels et inusités est une erreur de droit.

[16]           Le défendeur adopte la nouvelle position selon laquelle la SPR n’avait aucune obligation d’examiner quoi que ce soit de plus que la menace pour la vie, car la question des traitements ou peines cruels et inusités ne doit être prise en compte que dans une analyse visée par l’alinéa 97(1)b) lorsque la conduite est provoquée ou tolérée par les fonctionnaires agissant à titre officiel. Dans ce cas, la SPR a expressément conclu, au paragraphe 18 de sa décision, que les policiers impliqués dans la persécution présumée du demandeur étaient « [traduction] des fonctionnaires voyous qui ont abusé de leur pouvoir pour des raisons qui leur sont propres ». Le défendeur ne cite aucune loi à l’appui de cette interprétation de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR.

[17]           Les arguments du défendeur ne m’ont pas convaincu du tout. L’interprétation du risque de traitements ou de peines cruels et inusités en vertu de l’alinéa 97(1)b) comme quoi il faut que le risque découle de la conduite de l’État lui-même rendrait l’exigence, en vertu du sous-alinéa 97(1)b)(i), selon laquelle le demandeur ne peut ou, en raison de ce risque, ne veut pas se prévaloir de la protection de ce pays, redondante et dépourvue d’intérêt. La confrontation à un risque visé par l’alinéa 97(1)b) n’exige pas que le risque provienne des acteurs étatiques, mais plutôt que la personne sera confrontée à un tel risque si elle ne peut pas bénéficier d’une protection de l’État, en plus des autres exigences de cette disposition. En outre, la jurisprudence relative aux querelles meurtrières en Albanie que le demandeur a mentionnées montre qu’à la suite d’un constat de l’absence de lien avec un motif de la Convention en vertu de l’article 96, la détermination de l’existence d’un risque en vertu de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR exige souvent de trancher la question de la protection de l’État, et non pas de déterminer si le risque provient de la conduite de l’État (Murati c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1324, aux paragraphes 7, 24, 25 et 39, 384 FTR 1; Taho c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 718, aux paragraphes 18, 19, 43 et 44).

[18]           À la lumière de la conclusion de la SPR selon laquelle le récit du demandeur est crédible à une exception près, le fait que la SPR n’ait en aucune façon examiné la question du risque de traitements ou de peines cruels et inusités est une erreur susceptible de révision et, pour ce motif, l’affaire est renvoyée pour réexamen.

[19]           Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande et l’affaire est renvoyée pour réexamen à un tribunal constitué différemment. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-5358-15

 

INTITULÉ :

DRITAN MUHAMETI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Jeffrey L. Goldman

 

Pour le demandeur

 

Nicole Rahaman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey L. Goldman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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