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Date : 20160513


Dossier : IMM-4470-15

Référence : 2016 CF 540

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

LI JUN YU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS 

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a confirmé la décision d’un agent des visas (l’agent). L’agent a rejeté la demande parrainée de résidence permanente au Canada de Min Teng de la Chine, au motif que le mariage contracté par le demandeur et Mme Teng n’est pas authentique ou visait une fin d’immigration en vertu du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

II.                Contexte

[2]               Le demandeur est un homme de 26 ans né dans la Province du Fujian en Chine. Il est devenu résident permanent en août 1998 et a obtenu la citoyenneté canadienne en 2003 ou vers 2003.

[3]               En octobre 2009, le demandeur est allé en Chine avec sa mère qui lui a présenté plusieurs femmes différentes. L’une de ces femmes était Min Teng. En juillet 2011, elle a épousé le demandeur.

[4]               En septembre 2012, le demandeur a présenté une demande de parrainage conjugal. Ils ont été interrogés par l’agent au Consulat général du Canada à Hong Kong en avril 2013. La demande de parrainage du demandeur a été rejetée peu après.

[5]               Le 31 août 2015, la SAI a rejeté l’appel du demandeur de la décision de l’agent d’immigration de refuser la demande de parrainage de Mme Teng.

[6]               La SAI a conclu qu’il y avait des contradictions notables et des incohérences suivantes dans le témoignage du couple :

a)      Le demandeur a témoigné qu’il a dactylographié le questionnaire de demande de parrainage conjugal de son épouse. Dans le questionnaire, il disait que leurs mères respectives avaient été voisines, et que Mme Teng et lui étaient nés dans la même ville. Toutefois, en contre-interrogatoire, le demandeur a nié qu’il avait connu Mme Teng quand elle était enfant. Il a déclaré que Mme Teng avait été élevée par ses grands-parents maternels. Il a finalement admis avoir vu Mme Teng dans le village quand il était enfant, mais a maintenu qu’il ne l’avait jamais rencontrée.

b)      Dans son témoignage, Mme Teng a déclaré qu’elle avait toujours vécu chez ses parents biologiques qui l’avaient élevée, et qu’elle n’avait jamais été voisine des parents du demandeur. Ces déclarations ont été contredites par la mère du demandeur, qui a affirmé que Mme Teng vivait avec ses parents adoptifs.

c)      Mme Teng a écrit dans un addenda à sa demande de parrainage qu’elle avait rencontré le demandeur pour la première fois à la maison de sa tante. Ce récit a été contredit par la mère du demandeur qui a mentionné la résidence de quelqu’un d’autre comme lieu de la première rencontre. Cette personne ne vivait même pas dans le même village que la tante de Mme Teng.

d)     La SAI a fait remarquer que le couple s’était contredit concernant ce que Mme Teng avait fait depuis 2010. Mme Teng avait dit à l’agent qu’elle avait interrompu ses études en 2010 afin de rester à la maison et prendre soin de sa grand-mère. Le demandeur a affirmé que sa femme travaillait dans un dépanneur avant la mort de sa grand-mère.

[7]               La SAI a également conclu que les notes de l’agent, en tant qu’évaluateur neutre, versées au Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI), constituaient une source fiable concernant les explications de Mme Teng sur le fait qu’elle avait apporté les résultats de test d’ADN de ses parents à l’entrevue. Les notes de l’agent versées au STIDI indiquent que Mme Teng avait pris la peine d’obtenir un rapport d’ADN afin de prouver sa relation avec ses parents biologiques et qu’ils puissent venir la rejoindre au Canada. L’agent a interprété cette déclaration comme un indicateur que le mariage était conclu principalement à des fins d’immigration. Mme Teng et le demandeur ont nié cette version des faits. Le demandeur a fait valoir que sa femme avait dit à l’agent qu’elle avait apporté les résultats d’ADN pour faciliter une vérification des antécédents des membres de sa famille afin que ses parents puissent lui rendre visite au Canada. Le demandeur nie que Mme Teng ait dit à l’agent qu’elle voulait parrainer ses parents. La SAI a conclu que ces versions incohérentes des faits soutenaient sa conclusion que le mariage avait été conclu principalement pour que Mme Teng obtienne un statut au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

[8]               En outre, la SAI a conclu qu’il n’était pas plausible que le demandeur et Mme Teng ne se soient pas parlé au cours de la première rencontre tout en étant assis dans la même pièce.

[9]               En raison des contradictions, incohérences et invraisemblances précitées, la SAI a confirmé la décision de l’agent et a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le mariage n’est pas authentique et que la raison principale de Mme Teng d’épouser le demandeur était d’acquérir un statut au Canada en vertu de la Loi.

[10]           Le demandeur fait valoir que la SAI a commis une erreur en se livrant à un examen microscopique de la preuve et en mettant l’accent sur des facteurs défavorables sans tenir compte de la preuve à l’appui d’une décision favorable. Le demandeur soutient également que la SAI a commis une erreur en appliquant ses propres présomptions culturelles pour déterminer ce qui constitue un comportement raisonnable.

III.             Question en litige et norme de contrôle

[11]           La question à trancher en l’espèce est de savoir si la SAI a commis une erreur susceptible de révision au sens du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.

[12]           Lors de l’examen des conclusions de fait dans le cadre de l’évaluation de l’authenticité d’un mariage, la norme de la raisonnabilité s’applique (Dudhnath c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 386, au paragraphe 15; Barm c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 893 [Barm], au paragraphe 11; Rosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 117, au paragraphe 23). Il convient que la Cour de révision fasse preuve d’une grande déférence à l’égard des conclusions de la SAI étant donné que la SAI est la mieux placée pour apprécier la crédibilité (Bielecki c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 442, au paragraphe 23).

IV.             Analyse

[13]           Comme indiqué ci-dessus, il est bien établi en droit que les conclusions de la SAI relatives à la crédibilité doivent faire l’objet d’un degré élevé de déférence. La SAI est la mieux placée pour apprécier la crédibilité puisqu’elle a la possibilité d’entendre et de voir le demandeur témoigner de vive voix au cours d’une audience (Barm, au paragraphe 11). Par conséquent, l’importance qu’il faut accorder à cette preuve est également une question sur laquelle elle a le pouvoir de se prononcer (Sanichara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1015, au paragraphe 20, 276 FTR 190 [Sanichara]. Tant et aussi longtemps que les conclusions et les inférences tirées par la SAI sont raisonnables au vu du dossier, il n’y a pas de raison de modifier sa décision (Sanichara, au paragraphe 20).

[14]           Il incombe à la SAI de déterminer l’incidence des contradictions sur la crédibilité générale du couple (Thach c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 658, au paragraphe 22 [Thach]). Comme l’a expliqué le juge Lagacé dans Thach :

[30] La SAI devait déterminer quels éléments de preuve elle devait admettre et ceux auxquels elle devait ajouter foi, et quels éléments de preuve elle devait rejeter et ne pas croire. C’est le choix que doit faire tout tribunal. Le rôle de la SAI était donc d’analyser, d’évaluer et de peser les éléments de preuve qui lui avaient été soumis. Il n’appartient pas à la Cour de refaire l’exercice en vue de substituer ses propres conclusions à celles de la SAI.

[31] Le demandeur maintient que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte de cet élément de preuve. Tout d’abord, il est bien établi en droit que, à moins d’une preuve évidente à l’effet contraire, la Cour est présumée avoir tenu compte de toute la preuve qui a été présentée (Buttar c. Canada (M.I.C.), 2006 CF 1281, aux paragraphes 29-30) […].

[32] En vérité, le demandeur a tenté, tant dans son mémoire que dans sa plaidoirie, de soumettre à l’attention de la Cour un grand nombre d’éléments de preuve, tels qu’une explication visant à excuser certaines contradictions dans son témoignage, dans le but d’annuler les conclusions tirées au sujet de la crédibilité des époux. Ce faisant, il incite plus ou moins la Cour, sur la foi de certains éléments de preuve, à substituer sa propre conclusion à celle de la SAI. Comme ce n’est pas son rôle, la Cour déclinera cette invitation.

[15]           Le rôle de la Cour dans un contrôle judiciaire est de considérer la question de savoir si la décision tient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Ainsi, s’agissant de la crédibilité, une décision de refuser une demande de parrainage est déraisonnable lorsque « l’agent a ignoré d’importants éléments de preuve d’une relation positive et authentique en se concentrant indument sur des incohérences mineures » (Amayeanvbo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 621, au paragraphe 45; Joseph c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1515, au paragraphe 21). En outre, quand une audience a été tenue, il faut faire preuve d’encore plus de retenue à l’égard des conclusions relatives à la crédibilité (Sanichara, au paragraphe 20).

[16]           Le demandeur a invoqué Apaza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 313, à l’appui de sa plaidoirie selon laquelle la SAI a commis une erreur en omettant de prendre en considération les éléments de preuve démontrant l’authenticité du mariage, soit le nombre de voyages du demandeur en Chine et le fait que le couple a cohabité au cours de ces voyages. Le demandeur a également invoqué Siev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 736, pour soutenir que la SAI a commis une erreur en omettant de se renseigner sur les relations sexuelles et personnelles du couple. J’ai noté que le commissaire de la SAI s’est effectivement renseigné sur les relations sexuelles et personnelles du couple, comme il ressort de la transcription de l’entrevue au dossier; à mon avis, les prétentions du demandeur invitent simplement la Cour à examiner les nombreux éléments de preuve afin de substituer sa propre conclusion à celle de la SAI. En résumé, le demandeur demande simplement à la Cour de soupeser de nouveau la preuve. Ce n’est pas là le rôle de la Cour. Puisque le demandeur n’a pas établi la preuve manifeste que la SAI a fait fi des éléments de preuve déposés par le demandeur, je n’ai aucun autre choix que de conclure que la décision de la SAI s’inscrit dans la gamme des issues raisonnables défendables en fait et en droit.

[17]           En outre, étant donné les nombreuses contradictions et incohérences, il était raisonnablement loisible à la SAI de conclure que le mariage n’est pas authentique et qu’il a été contracté principalement à des fins d’immigration en vertu de la Loi. La demanderesse, Mme Teng, et sa mère, se contredisent sur plusieurs points relatifs à la façon dont le couple s’est rencontré. Le couple s’est également contredit au sujet de leurs antécédents professionnels et de leur scolarisation. En outre, trois récits différents sur l’identité des personnes qui ont élevé l’épouse du demandeur ont été fournis à l’agent. Contrairement aux prétentions du demandeur, les faits du présent litige se distinguent de RKL c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, 228 FTR 43 [RKL] et d’Amayeanvbo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 621, car les contradictions de l’espèce ne sont pas mineures.

[18]           Dans RKL, le juge Martineau a mis en garde la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de ne pas être portée à appliquer une logique et un raisonnement nord-américains au comportement d’un demandeur, car [traduction] « il faut considérer son âge, son bagage culturel et ses précédentes expériences sociales » (au paragraphe 12). De même, il est bien établi en droit que le fardeau de la preuve incombe à la partie demanderesse. Étant donné que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve sur les normes culturelles régissant les premières rencontres entre partenaires potentiels en Chine, je ne suis pas convaincu que la SAI a commis une erreur à cet égard.

[19]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4470-15

INTITULÉ :

LI JUN YU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 mars 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

Le 13 mai 2016

COMPARUTIONS :

Subuhi Siddiqui

Pour le demandeur

John Locar

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Niren and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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