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Date : 20160422


Dossier : IMM-4451-15

Référence : 2016 CF 462

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 avril 2016

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

AHMEDNOOR FARAH HUSIAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur sollicite un contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle la SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger.

I.                   Faits

A.                Contexte

[2]               Le demandeur affirme être un citoyen de la Somalie et un membre du clan Reer Hamar et du sous-clan Dhabarweyne. Il dit craindre les membres du clan rival Habir Gedir ainsi que les Al-Shabaab qui auraient tué l’un de ses frères. La SPR et la SAR ont jugé que le demandeur n’a pas établi son identité et ont rejeté sa demande d’asile au Canada.

[3]               La SPR a conclu que le demandeur n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était un Reer Hamar de la Somalie. Mme Jamad Dhafe, prétendument grande tante du demandeur, a témoigné en tant que témoin de l’identité. Elle a été jugée non crédible parce que ses déclarations contredisaient celles du demandeur sur de nombreux points. Le demandeur a également témoigné à l’audience, mais a été jugé non crédible sur le plan de son appartenance à un clan. La SPR n’était pas satisfaite de ses réponses à des questions factuelles sur les Reer Hamar et n’a pas accepté son explication quant au fait qu’il savait très peu sur le clan.

[4]               En appel, la SAR a confirmé la décision de la SPR. Ce faisant, elle a refusé d’admettre le témoignage de Mme Amina Iman Farah, prétendument cousine au deuxième degré du demandeur, car ce n’était pas une nouvelle preuve et aurait dû être présenté plus tôt.

[5]               Le juge Roger Hughes a accueilli la demande de contrôle judiciaire de cette décision sur la foi que la SAR avait fait de nouvelles conclusions sur la crédibilité sans donner avis aux parties ou leur offrir la possibilité de présenter des observations (Husian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684).

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[6]               La SAR, lors de son réexamen de l’appel, a jugé que le demandeur avait omis de fournir de la preuve convaincante indiquant qu’il était un ressortissant de la Somalie, ou de tout autre pays, et a confirmé la décision de la SPR. Ses principales conclusions sont résumées au paragraphe 63 de ses motifs : [traduction]

[63]      La SAR a examiné les observations de l’appelant ainsi que tous les éléments de preuve de la présente demande. La SAR a constaté ce qui suit :

•           L’appelant a omis de fournir un témoignage personnel crédible permettant de vérifier son identité en tant que ressortissant de la Somalie.

•           L’appelant a pu résider en Somalie à un certain moment de sa vie. L’un des déposants a déclaré qu’il avait eu connaissance du père de l’appelant à Mogadiscio, mais n’a indiqué aucune date. La SAR fait remarquer que le document FDA de l’appelant indique [sic] que son père a disparu en 1992. L’appelant n’a fourni aucune preuve justificative convaincante quant à la date de sa dernière présence en Somalie.

•           L’appelant était incapable de fournir des preuves convaincantes indiquant qu’il est un ressortissant de la Somalie ou de tout autre pays.

•           La SAR constate que l’appelant a fourni des éléments de preuve et de l’information pour corroborer le fait qu’il parle la langue somalienne et qu’il a une association avec les Reer Hamar et le clan Dhabarwyene [sic]. La SAR fait remarquer que ces caractéristiques peuvent être acquises par une personne qui a un parent d’origine somalienne, [sic], mais cela ne permet pas d’identifier cette personne comme une ressortissante somalienne.

[7]               La SAR a d’abord examiné les nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur. Elle a principalement considéré les nouveaux éléments de preuve comme étant recevables, mais peu utiles pour établir l’identité du demandeur en tant que ressortissant somalien.

[8]               Elle a refusé d’accorder au demandeur une prolongation du délai pour déposer d’autres observations. Elle a fait remarquer que le demandeur avait déposé son dossier d’appel à temps et a indiqué qu’il n’a pas suivi le processus formel de demande de prorogation de délai ou de dépôt de documents en retard, le cas échéant.

[9]               Elle a examiné le dossier et a conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité. Premièrement, elle a écouté l’enregistrement audio de l’audience de la SPR et a constaté que le témoignage du demandeur était parfois vague et changeant. Elle n’était pas satisfaite de ses réponses à plusieurs questions et estimait qu’il aurait dû avoir une meilleure connaissance du patrimoine de son prétendu clan et d’autres clans de la région. Deuxièmement, elle a examiné les affidavits d’Ahmed et d’Ali précités et leur a accordé peu de poids comme preuve de la nationalité du demandeur.

[10]           Enfin, elle a refusé d’accorder l’audience demandée par le demandeur. Elle a constaté que les paragraphes 110(3), (4) et (6) de la LIPR prévoient des audiences lorsqu’il y a de nouveaux éléments de preuve qui soulèvent un problème grave en ce qui concerne la crédibilité du demandeur, qui est au cœur de sa décision, et qui justifierait l’accueil ou le rejet de la demande d’asile.

III.             Questions en litige

1.                   La décision de la SAR quant à l’identité du demandeur était-elle raisonnable?

2.                   La décision de la SAR de ne pas tenir une audience était-elle raisonnable?

3.                   La SAR a-t-elle manqué aux principes de justice naturelle ou d’équité procédurale?

IV.             Norme de contrôle

[11]           La décision de la SAR quant à l’identité du demandeur doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable et, par conséquent, son évaluation de la preuve a droit à la déférence (Ibrahim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 11, au paragraphe 12).

[12]           La norme de contrôle de la décision de ne pas tenir une audience est celle du caractère raisonnable, car elle touche à l’interprétation par la SAR de sa loi constitutive (Balde c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 624, au paragraphe 21).

[13]           Les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79).

V.                Analyse

A.                Observations du demandeur

[14]           Le demandeur fait valoir que la constatation de la SAR, selon laquelle il n’a pas prouvé sa nationalité somalienne, ne concordait pas avec la preuve qui était devant elle. Son argument est double. Premièrement, le demandeur laisse entendre que la SAR a accepté ou était disposée à accepter qu’il était un Reer Hamar et que son père était un ressortissant somalien. Deuxièmement, la loi sur la citoyenneté de la Somalie stipule que les personnes ayant l’une de ces caractéristiques sont des ressortissants somaliens. Le demandeur laisse entendre que cette erreur est due au fait que la SAR n’a pris en considération l’ensemble du cartable national de documentation sur la Somalie, qui comprenait la loi sur la citoyenneté de la Somalie (Myle c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1073, au paragraphe 20).

[15]           En ce qui concerne les conclusions de fait de la SAR, le demandeur souligne qu’elle a constaté (1) qu’il avait un père somalien, (2) qu’il était un Reer Hamar ethnique qui avait vécu en Somalie et (3) qu’il n’y avait aucune preuve indiquant qu’il avait un statut dans tout autre pays. Ces faits établissent que le demandeur est un citoyen de la Somalie. À titre subsidiaire, ils établissent qu’il a le droit de demander la nationalité somalienne, donc sa demande d’asile doit être évaluée par rapport à la Somalie (Pavlov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 602).

[16]           Le demandeur soutient, en outre, que le contexte sous-jacent de la loi sur la citoyenneté somalienne est une raison pour lui donner une vaste portée et reconnaître en tant que Somaliens ceux qui sont d’origine somalienne. Il laisse entendre également que son interprétation des motifs de la SAR – que celle-ci a reconnu que son père était somalien et qu’il était d’origine somalienne – est préférable, car elle est cohérente.

B.                 Observations du défendeur

[17]           Le défendeur soutient que la SAR n’a pas conclu que le père du demandeur était un ressortissant somalien. La SAR a raisonnablement constaté qu’Ibrahim Mahi Ahmed n’avait aucune connaissance directe ou convaincante de l’existence ou de l’identité du demandeur en Somalie et elle a pleinement tenu compte du fait que M. Ahmed prétendait connaître l’oncle et le père du demandeur et avait affirmé savoir que l’homme qu’il croyait être le père du demandeur avait des enfants. Le défendeur soutient également que la SAR a constaté que le demandeur « aurait pu » vivre en Somalie, non pas qu’il y avait effectivement vécu.

C.                 Analyse

[18]           À mon avis, la SAR a commis une erreur en se penchant sur les nouveaux éléments de preuve par affidavit présentés par le demandeur. La SAR a admis deux affidavits qui indiquaient que le demandeur était un membre du clan Reer Hamar et du sous-clan Dhabarweyne. J’estime que les conclusions de la SAR relativement à ces affidavits étaient capricieuses et non étayées par les faits.

[19]           Le premier déposant, M. Ahmed, est un membre du sous-clan Dhabarweyne qui prétendait connaître l’oncle et le père du demandeur. La SAR a estimé que son affidavit ne constituait pas une preuve de la nationalité du demandeur parce que les deux hommes ne s’étaient jamais rencontrés en Somalie. Ce dont la SAR n’a pas tenu compte, c’était le fait qu’ils s’étaient rencontrés à Toronto et que le demandeur lui avait parlé de son père et de son oncle. Cette conversation avait convaincu M. Ahmed que le demandeur était en effet celui qu’il prétendait être. Ce serait pure spéculation d’approuver l’analyse de la SAR sur la foi que M. Ahmed ou le demandeur auraient pu mentir ou se tromper.

[20]           Le second déposant, M. Ali, est un ancien conseiller en matière d’établissement qui, pendant de nombreuses années, a travaillé en étroite collaboration avec la collectivité somalienne à Toronto et a fourni des déclarations déposées à l’appui de l’identité qui ont été acceptées et invoquées par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans son affidavit, M. Ali déclare qu’il a interrogé le demandeur et estime qu’il est membre du clan Reer Hamar et du sous-clan Dhabarweyne, compte tenu des connaissances du demandeur sur son clan et de sa description de ses relations familiales et de la région où il a vécu. La SAR a accordé peu de poids à l’affidavit parce qu’elle a jugé que M. Ali avait fourni des détails insuffisants concernant les questions qu’il avait posées au demandeur. Si tel était le cas, alors une audience aurait dû être accordée.

[21]           La SAR a également omis d’examiner l’application des faits à la loi de la citoyenneté de la Somalie, la loi n° 28 du 22 décembre 1962 – Citoyenneté somalienne, qui stipule ce qui suit :

[TRADUCTION] Article 1. Acquisition de la citoyenneté

La citoyenneté somalienne peut être acquise par effet de la loi ou par attribution.

Article 2. Acquisition de la citoyenneté par effet de la loi

Toute personne :

a) dont le père est un citoyen somalien;

b) qui est un Somali résidant sur le territoire de la République fédérale de Somalie ou à l’étranger et déclare être prêt à renoncer à tout statut de citoyen ou de sujet à un pays étranger détient la citoyenneté somalienne par effet de la loi.

Article 3. Définition de « Somali »

Aux fins de la présente loi, toute personne qui par son origine, sa langue ou sa tradition appartient à la nation somalie sera considérée « Somali ».

 

Article 1. Acquisition of Citizenship

Somali citizenship may be acquired by operation of law or by grant.

Article 2. Acquisition of Citizenship by Operation of Law

Any person:

a) whose father is a Somali citizen;

b) who is a Somali residing in the territory of the Somali Republic or abroad and declares to be willing to renounce any status as citizen or subject of a foreign country shall be a Somali Citizen by operation of law.

Article 3. Definition of "Somali"

For the purpose of this law, any person who by origin, language or tradition belongs to the Somali Nation, shall be considered a "Somali".

[22]           La SAR a conclu que M. Ahmed connaissait un homme qu’il croyait être le père du demandeur quand il vivait à Mogadiscio. Si la SAR avait dûment tenu compte du fait que M. Ahmed et le demandeur s’étaient rencontrés en personne et avaient discuté de leurs connaissances mutuelles, elle aurait très bien pu juger que le père du demandeur était un Somalien. En outre, la SAR n’a pas tenu compte de l’importance du témoignage sous serment du demandeur à l’effet que son père avait disparu en Somalie, en 1992, au milieu de la guerre civile. Au paragraphe 63 de sa décision, précitée, la SAR a écrit ce qui suit :

[traduction] […] L’un des déposants a déclaré qu’il avait eu connaissance du père du demandeur à Mogadiscio, mais n’a indiqué aucune date. La SAR fait remarquer que le document FDA de l’appelant indique [sic] que son père a disparu en 1992. L’appelant n’a fourni aucune preuve justificative convaincante quant à la date de sa dernière présence en Somalie.

[23]           La SAR a accordé une grande importance aux dates auxquelles le demandeur et son père avaient résidé en Somalie, mais cela n’était pas déterminant pour l’application de l’article 2 de la loi sur la citoyenneté de la Somalie. Si le père du demandeur était un membre du clan Reer Hamar qui avait passé toute sa vie en Somalie jusqu’en 1992, alors il est difficile d’imaginer qu’il aurait pu être autre chose qu’un citoyen somalien.

[24]           La SAR a, en outre, omis d’examiner s’il y avait des éléments de preuve indiquant que le demandeur était un « Somalien ». L’article 3 de la loi sur la citoyenneté de la Somalie décrit un Somalien en termes généraux comme étant « toute personne qui par son origine, sa langue ou sa tradition appartient à la nation somalie ». La SAR a reconnu que le demandeur parlait la langue somalienne et qu’il « a un lien » avec le clan Reer Hamar et le sous-clan Dhabarweyne, des groupes historiquement liés à la ville de Mogadiscio. La SAR a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour identifier le demandeur comme un ressortissant somalien sans tenir compte des effets juridiques de son patrimoine somalien.

[25]           Les commentaires du juge Hughes dans l’arrêt Abdullahi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1164, au paragraphe 10, sont pertinents en l’espèce. J’estime que la SAR était trop critique envers la nouvelle preuve par affidavit fournie par le demandeur. Elle avait apparemment l’intention de trouver des failles dans tout ce qui était présenté plutôt que d’adopter un point de vue juste et raisonnable à l’égard des documents fournis. Ayant examiné la décision, je doute qu’il y ait une preuve que le demandeur aurait pu fournir pour convaincre la SAR de son identité en tant que ressortissant somalien.

[26]           Étant donné que les conclusions ci-dessus sont suffisantes pour renvoyer l’affaire à la SAR pour réexamen, il n’est pas nécessaire de déterminer s’il était raisonnable de ne pas tenir une audience ou si la SAR a manqué aux principes de la justice naturelle en refusant d’accorder au demandeur une prorogation du délai. Je suis convaincu que l’avocat du demandeur a fait bon usage des derniers mois et veillera à ce que ses observations soient présentées à la SAR en temps opportun.

[27]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la SAR pour nouvel examen conformément aux présents motifs. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire. L’affaire est renvoyée à la SAR pour nouvel examen conformément aux présents motifs. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-4451-15

 

INTITULÉ :

AHMEDNOOR FARAH HUSIAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia

 

Pour le demandeur

 

Nadine Silverman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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