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Date : 20160427


Dossier : IMM-4854-15

Référence : 2016 CF 473

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2016

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

SELVARATNAM RAMASAMY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) contestant la décision rendue le 15 septembre 2015 par un agent d’immigration supérieur (l’agent) concernant l’examen des risques avant renvoi (ERAR), dans laquelle il détermine que le demandeur ne ferait pas l’objet de persécution, de risque de torture, de menace à sa vie, de risque de traitements ou de peines cruels et inusités s’il était expulsé vers le Sri Lanka.

I.                   Les faits

[2]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule et de foi hindoue.

[3]               Il allègue les faits suivants à l’appui de sa demande :

En novembre 2010, le demandeur a été enlevé par des militants qui le soupçonnaient d’avoir été blessé en combattant pour les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) parce qu’il marchait à l’aide d’une canne. Les militants l’ont gardé prisonnier pendant dix jours avant de le relâcher après que ses beaux-parents ont payé une rançon. En décembre 2010, le demandeur a été arrêté par des soldats en uniforme, qui l’ont questionné au sujet de sa blessure et qu’ils l’ont battu. En mai 2011, il a été enlevé de nouveau par des militants, puis a été relâché après six jours et le paiement d’une rançon de 50 000 roupies. Par la suite, le demandeur a décidé de quitter le Sri Lanka afin de ne pas mettre la vie de sa femme et de ses trois jeunes enfants encore plus en danger.

[4]               Le 14 août 2011, le demandeur est arrivé au Canada, où il a revendiqué le statut de réfugié. Sa demande a été rejetée le 5 octobre 2012. Sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a également été rejetée en 2013.

[5]               Le demandeur a déposé une demande d’ERAR en octobre 2013 et une demande de visa de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire  en avril 2014. Ces deux demandes ont été rejetées le 6 novembre 2014.

[6]               Le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision d’ERAR. De plus, il a déposé une requête pour obtenir la suspension de l’exécution de sa mesure de renvoi en attendant l’issue de sa demande. La requête a fait l’objet d’un désistement après l’annulation de la mesure de renvoi suivant une demande du Comité des droits de l’homme des Nations Unies. L’autorisation a été accordée en mars 2015.

[7]               En avril 2015, l’épouse du demandeur a reçu la visite d’officiers militaires du renseignement, qui lui ont demandé à quel moment le demandeur était censé revenir au Sri Lanka, puis lui ont extorqué 25 000 roupies.

[8]               En mai 2015, le défendeur a accepté un réexamen de la demande d’ERAR. La demande d’ERAR a encore une fois été rejetée en septembre 2015.

II.                Décision

[9]               L’agent a tout d’abord souligné que la crédibilité avait été la question déterminante soumise à la SPR et que le tribunal n’a pas conclu que les allégations du demandeur étaient véridiques en raison des nombreuses invraisemblances des éléments avancés et le fait qu’il avait été en mesure de quitter le Sri Lanka en utilisant son propre passeport.

[10]           L’agent a réexaminé les nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur. Dans un premier temps, l’agent a examiné deux plaintes de 2011 soumises à la Commission des droits de la personne du Sri Lanka et à la Croix rouge du Sri Lanka. Il a déterminé que ces plaintes ne satisfaisaient pas au critère de nouveaux éléments de preuve parce qu’ils étaient raisonnablement accessibles au moment de l’audience de la SPR et que, dans les faits, l’avocat du demandeur connaissait l’existence de ces documents à ce moment et qu’il avait décidé de ne pas les soumettre à la SPR. L’agent a également déterminé que l’affidavit d’avril 2015 du demandeur décrivant les événements et une lettre de son épouse confirmant ces mêmes événements ne satisfaisaient pas au critère de nouveaux éléments de preuve parce qu’ils relataient essentiellement les mêmes faits déjà présentés à la SPR.

[11]           L’agent a alors évalué les éléments de preuve en fonction des conditions du pays, mais a déterminé que ces éléments étaient de nature générale et qu’ils ne pouvaient être liés aux circonstances personnelles du demandeur. L’agent a également donné peu de poids aux deux lettres des représentants du Sri Lanka. En effet, il a statué que même si ces lettres corroboraient les événements décrits par le demandeur et son épouse, ces événements ont été relatés aux auteurs des lettres par un tiers et n’ont pas fait l’objet d’une vérification indépendante.

[12]           Par conséquent, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pouvant indiquer que depuis la décision de la SPR, de nouveaux risques ont fait surface concernant les conditions du pays ou les circonstances personnelles du demandeur.

III.             Questions en litige

[13]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas une audience?

3.                  L’agent a-t-il commis une erreur en évaluant l’ampleur du risque en vertu de l’article 97?

IV.             Arguments des parties

A.                Observations du demandeur

[14]           Le demandeur fait valoir que l’agent a commis une erreur en n’évaluant pas dans quelle mesure son profil le met à risque alors que les éléments qu’il a présentés dans son ERAR traitaient particulièrement de cette question. L’agent a appliqué le mauvais critère en vertu de l’article 97 de la Loi en déterminant que les éléments de preuve touchant les conditions du pays n’abordaient pas le « risque personnel » du demandeur. De plus, l’agent n’a pas reconnu que les documents objectifs fournis décrivaient un niveau de risque, pour le demandeur, encore plus élevé que celui décrit dans la décision de la SPR.

[15]           Enfin, le demandeur fait valoir que l’agent aurait dû tenir une audience sur les documents présentés afin de lui permettre de répondre aux conclusions d’invraisemblances présentes dans la décision de la SPR.

B.                 Observations du défendeur

[16]           Le défendeur souligne que la SPR a conclu que les allégations du demandeur n’étaient pas crédibles et que ce n’était pas le rôle de l’agent de tenir une audience pour entendre un appel de la décision de la SPR.

[17]           Bien qu’il soit vrai que les demandeurs d’asile tamouls ayant des liens perçus ou réels avec les TLET sont à risque au Sri Lanka, le défendeur affirme que le demandeur ne correspond pas à ce profil parce qu’il n’a pas établi de liens réels ou perçus avec les TLET. Par conséquent, la décision de l’agent était raisonnable.

V.                Analyse

A.                Norme de contrôle

[18]           La question à savoir si la décision de tenir une audience dans le cas d’une demande d’ERAR en est une d’équité procédurale ou de faits et de droit fait l’objet d’un certain débat au sein de la Cour. Dans Thiruchelvam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 913 [Thiruchelvam], au paragraphe 3, le juge Annis a souligné que la tendance dominante des dernières années à la Cour est d’examiner la question comme une question mixte de faits et de droit et d’appliquer la norme du caractère raisonnable. Je suis d’accord que la question visant à déterminer le droit à une audience en vertu des facteurs décrits à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés DORS/2002-227 [le Règlement] commande une analyse exhaustive de ces facteurs et, par conséquent, correspond mieux à une question mixte de faits et de droit.

[19]           La question de savoir si l’agent d’ERAR a appliqué le bon critère juridique est une question de droit qu’il convient de contrôler selon la norme de la décision correcte (Navaratnam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 244, au paragraphe 5 [Navaratnam]). Il est cependant bien établi que l’évaluation des éléments de preuve par un agent dans le contexte d’une demande d’ERAR est susceptible de révision en vertu de la norme de la décision raisonnable. La Cour doit intervenir uniquement si la décision n’est pas justifiée, transparente et intelligible, et si elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

B.                 L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas une audience?

[20]           Je suis d’avis que l’agent n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas une audience. Il est entendu que les audiences dans le contexte d’une demande d’ERAR sont des événements exceptionnels et ne peuvent être tenues que si toutes les conditions prévues à l’article 167 du Règlement sont remplies. Les conditions sont les suivantes :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[21]           Le demandeur énumère des éléments de preuve documentaire qui, selon lui, auraient dû donner doit à une audience. Cependant, il n’a pas abordé le fait que la majorité des éléments de preuve cités ont été jugés inadmissibles par l’agent parce que ces éléments ne satisfont pas aux exigences prévues à l’alinéa 113a) de la Loi. Par exemple, les lettres de l’épouse du demandeur et des députés ne faisaient que reprendre les faits déjà présentés à la SPR.

[22]           Il est vrai que l’agent ne mentionne pas la confirmation de résidence. Cependant, bien qu’il s’agisse d’un élément central pour la détermination de la crédibilité du demandeur, cet élément n’a pas satisfait à l’exigence de « nouvel » élément de preuve. La confirmation de résidence semble avoir été obtenue par le demi-frère du demandeur, qui a déclaré que le demandeur demeurait à une adresse particulière entre 2007 et 2009 et a demandé au secrétaire divisionnaire de confirmer cette information. Dans ses observations associées à l’ERAR, le demandeur explique qu’il n’a pu obtenir cette confirmation à temps pour l’audience de la SPR parce que son représentant ne lui a pas indiqué que ce document était nécessaire. L’alinéa 113a) de la Loi stipule :

113 Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

113 Consideration of an application for protection shall be as follows:

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

[23]           Comme dans le cas des plaintes liées aux droits de la personne, la confirmation de résidence aurait pu raisonnablement être disponible au moment de l’audience de la SPR. Cependant, cette confirmation de résidence n’a pas été présentée en raison d’un choix délibéré de la part du représentant du demandeur. Cette situation n’est pas couverte à l’alinéa 113a) de la Loi. Par conséquent, l’agent avait le droit de ne pas considérer cet élément de preuve dans sa décision.

[24]           Pour ce qui est des autres éléments de preuve, à savoir les lettres des députés du Sri Lanka, ils ne soulèvent pas une question importante en ce qui
concerne la crédibilité du demandeur.

[25]           L’agent n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas d’audience en l’espèce.

C.                 L’agent a-t-il commis une erreur en évaluant l’ampleur du risque en vertu de l’article 97?

[26]           Pour établir un risque de persécution, un demandeur n’a pas besoin de prouver qu’il coure ou courra lui-même un « risque personnel de préjudice «, mais peut simplement établir qu’il appartient à un groupe dont les membres subissent ou sont susceptibles de subir des actes de persécution (Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF n° 454 (CAF); Navaratnam, au paragraphe 12).

[27]           Dans sa décision, l’agent a indiqué ce qui suit :

[traduction] « Même si j’ai examiné tous ces documents dans le contexte d’une évaluation des conditions du pays, ceux-ci sont de nature générale et ne sont pas en lien direct avec les circonstances personnelles du demandeur. Les éléments de preuve attestant les conditions générales à l’intérieur d’un pays ne suffisent pas à prouver que le demandeur soit exposé de ce fait à un risque personnel de préjudice. »

[28]           Selon moi, les motifs invoqués par l’agent sont trop succincts pour permettre de déterminer s’il a utilisé un mauvais critère, ou s’il voulait dire que le demandeur ne correspondait pas au profil d’une personne pouvait être persécutée au Sri Lanka, à savoir un homme tamoul de la région du Nord ayant des liens réels ou perçus avec les TLET. Cependant, compte tenu de l’extrait de la décision citée ci-dessus et de la détérioration des conditions au Sri Lanka, je conclus que l’agent a utilisé le mauvais critère.

[29]           En outre, je suis d’accord avec le demandeur sur le fait que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte du changement survenu dans les conditions du pays depuis la décision de la SPR. L’agent a conclu dans les termes suivants : [TRADUCTION] « […] le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs pouvant indiquer que depuis la décision de la SPR, de nouveaux risques ont fait surface concernant les conditions du pays ou les circonstances personnelles du demandeur », ce qui est faux. Même si les risques allégués sont les mêmes que ceux présentés à la SPR, la récente preuve documentaire objective indique en détail comment les Tamouls qui n’ont pas d’affiliation confirmée avec les TLET risquent d’être placés en détention ou de subir des mauvais traitements s’ils retournent au Sri Lanka après le rejet d’une demande d’asile effectuée à l’étranger. En fait, la Cour a admis d’office que les conditions au Sri Lanka se sont détériorées depuis 2012 (Srignanavel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 584, au paragraphe 24 (juge Brown)). Le fait que l’agent se soit appuyé sur les conclusions de la SPR, lesquelles étaient fondées sur des renseignements désuets concernant les conditions prévalant au Sri Lanka, et qu’il n’ait pas examiné les documents plus récents constitue une erreur susceptible de révision.

[30]           Pour les motifs ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La question est renvoyée pour réexamen par un tribunal constitué différemment.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un tribunal constitué différemment. Aucune question n’est certifiée.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-4854-15

 

INTITULÉ :

SELVARATNAM RAMASAMY c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 AVRIL 2016

 

COMPARUTIONS :

Guillaume Bigaouette

 

Pour le défendeur

 

Arash Banakar

 

Pour le demandeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

Arash Banakar

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

 

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