Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160516


Dossier : IMM-1913-15

Référence : 2016 CF 545

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 16 mai 2016

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

RAJ KAMAL CLARE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               M. Raj Kamal Clare, un citoyen de l’Inde, a obtenu le statut d’immigrant au Canada, en 2004. Peu après, il a été arrêté aux États-Unis dans le cadre d’une opération de trafic de stupéfiants. En 2011, il a été condamné aux États-Unis de complot d’importation de marijuana. Après avoir purgé sa peine de deux ans, il a été expulsé vers l’Inde.

[2]               M. Raj est revenu au Canada en 2014. Il a fait l’objet d’un rapport produit en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) (pour les dispositions citées, voir l’annexe). Le rapport indiquait qu’il était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité, selon l’alinéa 36(1)b) de la LIPR, citant sa condamnation aux États-Unis pour complot d’importation de marijuana. En conclusion, il a précisé que l’infraction des États-Unis équivalait à l’infraction d’importation et d’exportation d’une substance contrôlée aux termes du paragraphe 6(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19 (LRCDAS), qui est passible d’une peine maximale d’emprisonnement à vie.

[3]               D’après le rapport, le ministre a renvoyé la question à la Section de l’immigration (SI), en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR, pour tenir une audience sur la question de son interdiction de territoire au Canada. Avant que l’audience ait eu lieu, M. Clare a reçu un avis de modification du rapport. La version révisée avait remplacé le renvoi au paragraphe 6(1) de la LRCDAS par celui de l’alinéa 465(1)c) du Code criminel, LRC 1985, ch. C-46, une disposition qui établit la responsabilité d’une personne qui fait partie d’un complot en vue de commettre un crime. La version révisée n’a pas défini le crime sous-jacent, mais l’avis indiquait bien que la modification n’avait aucune incidence sur le fond du rapport et qu’un nouveau renvoi à la SI était inutile.

[4]               Lors de l’audience de la SI, le rapport modifié a été présenté à M. Clare et son avocat a déclaré qu’il était prêt à procéder à l’audition. Toutefois, M. Clare a déposé une requête préliminaire faisant valoir que le renvoi en vertu du paragraphe 44(2) était vicié parce qu’il citait à tort l’alinéa 36(1)a) de la LIPR plutôt que l’alinéa pertinent, à savoir l’alinéa 36(1)b). La SI a constaté que l’erreur était tout simplement typographique et qu’elle n’avait aucune incidence sur la validité du renvoi.

[5]               M. Clare a également fait valoir que le rapport lui-même qui est visé au paragraphe 44(1) était vicié parce qu’il citait tout simplement une disposition générale relativement à la responsabilité pour complot et avait omis de définir la nature du complot présumé. La SI a constaté que le rapport aurait dû inclure un renvoi au paragraphe 6(1) de la LRCDAS et au paragraphe 465(1) du Code criminel afin de bien définir l’infraction équivalente au Canada. Cependant, elle a constaté que l’erreur n’était pas grave compte tenu du contexte général. En outre, elle a constaté que la modification ne constituait pas un manquement aux principes de justice naturelle.

[6]               M. Clare conteste ces conclusions dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Il me demande d’annuler la décision de la SI d’émettre une ordonnance d’expulsion à son encontre et d’ordonner qu’un autre tribunal réexamine son cas.

[7]               Je ne peux trouver aucun motif d’infirmer la décision de la SI et je dois, donc, rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. La dépendance de la SI à l’égard du rapport modifié n’était pas déraisonnable et n’a causé aucune iniquité à M. Clare.

[8]               Deux questions sont soulevées :

1.                  La dépendance de la SI à l’égard du rapport modifié était-elle déraisonnable?

2.                  La SI a-t-elle manqué aux principes de justice naturelle en admettant le rapport modifié?

II.                Première question en litige – la dépendance de la SI à l’égard du rapport modifié était-elle déraisonnable?

[9]               Le ministre soulève une question préliminaire en ce qui concerne la demande, en faisant valoir que M. Clare tente de se livrer à une contestation indirecte inadmissible des décisions du ministre par l’intermédiaire de cette demande de contrôle judiciaire de la décision de la SI. Selon le ministre, afin de remettre en question le bien-fondé du rapport visé au paragraphe 44(1) et le renvoi en vertu du paragraphe 44(2), M. Clare a dû demander un contrôle judiciaire de ces deux décisions séparément en plus de la présente demande. Le ministre souligne la décision de la Cour dans l’arrêt Collins c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CanLII 16327 (CF) aux pages 2 et 3, où le juge Hansen a déclaré, dans une remarque incidente, que le demandeur, dans ce cas, avait tenté de se livrer à une attaque indirecte de la validité du rapport par le biais d’un contrôle judiciaire de la décision de la SI.

[10]           Je ne suis pas d’accord. Même s’il était loisible à M. Clare de demander un contrôle judiciaire de ces autres décisions, il n’était pas nécessaire de le faire dans le but de contester la décision de la SI relativement à l’interdiction de territoire. La Cour peut évaluer le caractère raisonnable de cette décision en se référant aux événements antérieurs – le rapport visé au paragraphe 44(1) et le renvoi en vertu du paragraphe 44(2) – sans qu’il y ait nécessairement des contestations distinctes de ces décisions. Dans certains cas, des demandeurs ont contesté plusieurs décisions dans le cadre de demandes distinctes, mais je ne les interprète pas comme exigeant que les demandeurs le fassent dans le but de contester la décision de la SI relativement à l’interdiction de territoire (par exemple, Hernandez c. Canada, 2007 CF 725). En outre, même si la Cour a conclu, dans la décision Collins, que le demandeur dans cette affaire-là aurait dû déposer une demande distincte pour contester le rapport et le renvoi, j’estime que, dans les circonstances de la présente affaire, il n’était pas nécessaire pour le demandeur de le faire.

[11]           M. Clare soutient que la SI a commis une erreur en se fondant sur le rapport modifié parce que sa compétence découle d’un renvoi valide du ministre selon un rapport visé au paragraphe 44(1). En l’espèce, cependant, il n’y avait aucun renvoi du ministre fondé sur le rapport modifié, seul le renvoi initial qui comportait une description différente de l’infraction présumée équivalente au Canada. Le ministre n’a pas eu la possibilité de décider s’il fallait renvoyer la question à la SI sur la foi du rapport révisé. Par conséquent, déclare M. Clare, la SI s’est fiée de façon déraisonnable au rapport modifié.

[12]           Je ne suis pas d’accord.

[13]           Lorsqu’un rapport visé au paragraphe 44(1) est modifié, il ne doit pas être soumis au ministre pour une nouvelle décision concernant un renvoi à la SI, tant que la modification est généralement conforme à la description du comportement illégal présumé dans le rapport initial et indique une infraction qui est passible d’une peine d’emprisonnement maximale d’au moins 10 ans (Uppal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 338, au paragraphe 45). La question est de savoir si la modification est tellement importante qu’elle nécessite un nouvel examen par le ministre de la pertinence de renvoyer la question de l’interdiction de territoire à la SI. À mon avis, en examinant la modification dans ce contexte, il n’y aurait eu aucune confusion sur la foi de l’allégation d’interdiction de territoire.

[14]           M. Clare a été condamné aux États-Unis pour complot d’importation de stupéfiants. Le rapport d’origine visé au paragraphe 44(1) renvoyait à l’infraction canadienne de l’importation ou l’exportation de stupéfiants alors que le rapport modifié renvoyait à la responsabilité pour complot. Il ne fait aucun doute que le prétendu complot mentionné dans le rapport modifié était un complot d’importation de stupéfiants. Le rapport lui-même indiquait que la modification ne représentait pas un changement de fond du rapport d’origine. Dans ces circonstances, la SI s’est raisonnablement appuyée sur le rapport modifié parce qu’il n’y avait pas de changement de fond dans la description de l’infraction sur laquelle il était fondé. Je suis d’accord avec la SI qu’il aurait été préférable que la modification n’ait pas supprimé le renvoi au paragraphe 6(1) de la LRCDAS, mais, dans ces circonstances, il n’y aurait pas eu de confusion sur le fondement de l’allégation d’interdiction de territoire.

III.             Deuxième question en litige – la SI a-t-elle manqué aux principes de justice naturelle en admettant le rapport modifié?

[15]           M. Clare soutient qu’une personne dans sa situation est en droit d’être informée de l’infraction exacte sur laquelle une allégation d’interdiction de territoire est fondée afin qu’elle puisse y répondre de manière éclairée. En l’espèce, fait valoir M. Clare, le rapport modifié citait un fondement de responsabilité différent de l’original et a omis de préciser l’infraction sous-jacente à l’allégation de complot criminel.

[16]           À mon avis, M. Clare a été traité équitablement. Lui et son avocat ont été mis au courant de la modification du rapport au début de l’audience et ont accepté de poursuivre. En outre, par l’intermédiaire de son avocat, M. Clare a fait part à la SI de ses objections sur la modification et la SI y a répondu.

[17]           Bref, M. Clare a été informé des accusations portées contre lui, y compris le fond du rapport visé au paragraphe 44(1) et le renvoi du ministre, et on lui a donné une occasion raisonnable d’y répondre. Il a obtenu un traitement équitable.

IV.             Conclusion et dispositif

[18]           À mon avis, la SI a raisonnablement conclu que M. Clare était interdit de territoire au Canada sur la foi du rapport modifié visé au paragraphe 44(1) et du renvoi en vertu du paragraphe 44(2). En outre, la SI l’a traité équitablement en l’informant et en lui offrant une possibilité de faire des observations sur le rapport modifié. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question de portée générale n’est mentionnée.

« James W. O’Reilly »

Juge


Annexe

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Grande criminalité

Serious criminality

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36. (1) 36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

Constat de l’interdiction de territoire

Report on Inadmissibility

Rapport d’interdiction de territoire

Preparation of report

44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

Suivi

Referral or removal order

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, ch 19

Controlled Drugs and Substances Act, SC 1996, c 19

Importation et exportation

Importing and exporting

6. (1) Sauf dans les cas autorisés aux termes des règlements, l’importation et l’exportation de toute substance inscrite à l’une ou l’autre des annexes I à VI sont interdites.

6. (1) Except as authorized under the regulations, no person shall import into Canada or export from Canada a substance included in Schedule I, II, III, IV, V or VI.

Code criminel, LRC (1985), ch C-46

Criminal Code, RSC 1985, c C-46

Complot

Conspiracy

465. (1) Sauf disposition expressément contraire de la loi, les dispositions suivantes s’appliquent à l’égard des complots :

465. (1) Except where otherwise expressly provided by law, the following provisions apply in respect of conspiracy:

[…]

c) quiconque complote avec quelqu’un de commettre un acte criminel que ne vise pas l’alinéa a) ou b) est coupable d’un acte criminel et passible de la même peine que celle dont serait passible, sur déclaration de culpabilité, un prévenu coupable de cette infraction;

(c) every one who conspires with any one to commit an indictable offence not provided for in paragraph (a) or (b) is guilty of an indictable offence and liable to the same punishment as that to which an accused who is guilty of that offence would, on conviction, be liable;


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1913-15

 

INTITULÉ :

RAJ KAMAL CLARE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 janvier 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Max Berger

 

Pour le demandeur

 

Ada Mok

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Berger Professional Law Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.