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Date : 20160513


Dossier : IMM-4696-15

Référence : 2016 CF 542

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

DARSHAN SINGH BRAR

SANDEEP KAUR BRAR

JASVEER KAUR BRAR

AJAYPAL SINGH BRAR

RAMANDEEP KAUR BRAR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS 

I.                   Le contexte

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) visant à faire annuler la décision du 13 octobre 2015 d’un agent (l’agent) du Haut-commissariat du Canada de New Delhi, en Inde. L’agent a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs sous la catégorie du regroupement familial au motif que les demandeurs ont fait de fausses déclarations concernant des faits importants ayant trait à des accusations et des poursuites criminelles contre l’un des demandeurs. Par conséquent, l’agent les a déclarés interdits de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

[2]               Les demandeurs, une famille de cinq personnes, sont tous citoyens de l’Inde. Darshan Singh Brar est le demandeur principal (DP). Son fils Ajaypal Singh Brar, né en 1988, a été inclus comme personne à charge à la demande de résidence permanente sous la catégorie du regroupement familial.

[3]               Le 28 décembre 2013, cinq accusations criminelles ont été portées contre Ajaypal Singh Brar et d’autres personnes en Inde.

[4]               Ajaypal et la plaignante dans l’affaire criminelle ont conclu ce qu’il est convenu d’appeler un compromis ou une transaction pénale (le compromis) le 18 janvier 2014. Le compromis a été avalisé par la Cour en Inde le 22 février 2014. Ajaypal a été acquitté relativement à quatre chefs d’accusation et condamné relativement à un cinquième.

[5]               À la suite du dépôt des accusations, mais avant que le compromis soit avalisé par la Cour, les autorités canadiennes de l’immigration ont demandé au demandeur principal de mettre à jour les formulaires relatifs à la demande de résidence permanente. Le 26 janvier 2014, malgré les circonstances décrites ci-dessus, le demandeur principal et Ajaypal ont répondu « Non » à la question écrite suivante :

6. Est-ce que vous-même, ou si vous êtes le requérant principal, l’un des membres de votre famille nommés sur la demande de résidence permanente au Canada :

[…]

b) avez déjà été déclaré coupable ou êtes présentement accusé ou poursuivi, ou encore avez été complice d’un crime ou d’une infraction, ou avez fait l’objet de poursuites au criminel dans un pays?

[6]               Une lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée aux demandeurs concernant une possible fausse déclaration dans leur demande en vertu de l’alinéa 40(1)a). Les demandeurs ont répondu. L’agent a ensuite conclu que les demandeurs avaient fait de fausses déclarations et que les présentations erronées des demandeurs auraient pu amener une erreur dans l’application de la LIPR. L’agent a conclu que les demandeurs étaient interdits de territoire au Canada.

II.                Questions en litige

[7]               La seule question que la Cour doit trancher en l’espèce est de savoir si l’agent a raisonnablement conclu que les demandeurs ont fait une fausse déclaration dans leur demande au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR en répondant  « NON »  à la question mentionnée ci-dessus le 26 janvier 2014. Dans leurs observations écrites, les demandeurs ont également soulevé la question de la brièveté des motifs de l’agent, mais ont abandonné cet argument dans leur plaidoirie.

III.             Analyse

[8]               Il n’y a aucun litige entre les parties sur la question de déterminer que la norme de la raisonnabilité s’applique au contrôle judiciaire de la décision de l’agent selon laquelle une fausse déclaration a été faite en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR (Goburdhun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au paragraphe 19, 439 FTR 210 [Goburdhun]; Lambert c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 38, au paragraphe 11).

[9]               L’alinéa 40(1)a) de la LIPR prévoit ce qui suit :

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[10]           Pour conclure qu’un demandeur est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a), un agent doit être convaincu que (1) le demandeur a directement ou indirectement fait une présentation erronée des faits et (2) que la présentation erronée pourrait entraîner une erreur dans l’administration de la LIPR (Bellido c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452, au paragraphe 27, 138 ACWS (3d) 728; LBJ c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 942, au paragraphe 19, 205 ACWS (3d) 507).

[11]           Les principes généraux découlant de la jurisprudence de notre Cour sur l’alinéa 40(1)a) sont résumés par la juge Cecily Strickland dans Goburdhun au paragraphe 28 :

[28]      Dans le jugement Oloumi, précité, la juge Tremblay-Lamar énonce les principes généraux découlant du traitement par la Cour fédérale de l’article 40 de la LIPR; les voici résumés ci‑après ainsi que d’autres principes semblables tirés de la jurisprudence :

- il convient d’interpréter l’alinéa 40(1)a) de manière large afin de faire ressortir l’objet qui le sous-tend : Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 512, au paragraphe 25 [Khan]);

- l’article 40 est libellé de manière large en vue d’englober les fausses déclarations, même si elles ont été faites par une tierce partie, à l’insu du demandeur (Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 942, au paragraphe 35 [Jiang]; Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, aux paragraphes 55 et 56 [Wang]);

- l’exception à cette règle est assez étroite et ne s’applique qu’aux circonstances véritablement exceptionnelles où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une fausse déclaration sur un fait important et où il ne s’agissait pas d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté (Medel, précité);

- l’article 40 a pour objectif de dissuader un demandeur de faire une fausse déclaration et de préserver l’intégrité du processus d’immigration. Pour atteindre cet objectif, le fardeau de vérifier l’intégralité et l’exactitude de la demande incombe au demandeur (Jiang, précité, au paragraphe 35;Wang, précité, aux paragraphes 55-56);

- les demandeurs ont une obligation de franchise et doivent fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada (Bodine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848, au paragraphe 41; Baro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15);

- le demandeur étant tenu responsable du contenu de la demande qu’il signe, on ne peut considérer qu’il croyait raisonnablement ne pas avoir présenté faussement un fait d’importance s’il a omis de revoir sa demande et de vérifier qu’elle était complète et exacte avant de la signer (Haque, précité, au paragraphe 16; Cao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 450, au paragraphe 31 [Cao]);

- pour décider si une fausse déclaration est importante, il est nécessaire de tenir compte du libellé de la disposition ainsi que de l’objet qui la sous‑tend (Oloumi, précité, au paragraphe 22);

- une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante; il suffit qu’elle ait une incidence sur le processus amorcé (Oloumi, précité, au paragraphe 25);

- un demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités d’immigration avant l’examen final de la demande. L’analyse de la notion de fait important ne se limite pas à un moment particulier dans le traitement de la demande (Haque, précité, aux paragraphes 12 et 17; Khan, précité, aux paragraphes 25, 27 et 29; Shahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 423, au paragraphe 29 [Shahin]);

[12]           Les principes clés qui revêtent une importance particulière dans le contexte de la présente demande comprennent : (1) la large portée de la disposition; (2) que toute exception à la règle est étroite et s’applique uniquement aux circonstances extraordinaires; (3) un demandeur a une obligation de franchise et doit fournir des renseignements complets, honnêtes et véridiques en tout point lorsqu’il présente une demande d’entrée au Canada; (4) une présentation erronée n’a pas besoin d’être décisive ou déterminante; et (5) un demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités d’immigration avant l’examen final de la demande.

[13]           En réponse à la lettre relative à l’équité procédurale envoyée aux demandeurs par les autorités d’immigration canadiennes, Ajaypal déclare ce qui suit concernant sa réponse négative à la question relative aux condamnations ou poursuites criminelles :

[traduction] [P]arce que les deux parties dans l’affaire susmentionnée sont arrivées à un compromis dans ladite affaire et réglé le différend avec consentement mutuel avant la date de dépôt de l’acte d’accusation à la Cour par la police. Je déclare que je n’ai été reconnu coupable par aucun tribunal et ledit Premier rapport d’information (PRI) a été faussement déposé contre moi. C’est pourquoi j’ai coché « Non » sur le formulaire no IMM 5669. Je n’ai pas coché « Non » à la question no 6(b) volontairement et délibérément, mais je l’ai fait par ignorance.

[14]           La question à laquelle Ajaypal a répondu « Non » le 26 janvier 2014 englobe indubitablement un ensemble de circonstances beaucoup plus large que simplement le fait d’avoir été reconnu coupable ou non d’une infraction. Il n’y a aucun doute que les accusations étaient en instance à cette date. Le dossier démontre également que les accusations sont restées en instance jusqu’au 22 février 2014, date à laquelle le compromis a été soumis à la Cour de l’Inde et avalisé. Le 22 février 2014 les accusations n’étaient plus en instance, mais Ajaypal a été reconnu coupable d’une infraction, contrairement à ce qu’il a affirmé dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, soit « je n’ai pas été reconnu coupable ».

[15]           Les demandeurs font valoir que les certificats de police stipulant qu’aucune accusation criminelle n’était en instance contre Ajaypal le 7 mars 2014 démontrent qu’il n’y a pas eu fausse déclaration. Je ne suis pas d’accord. Tout ce que ces certificats démontrent est qu’à ces dates, il n’y avait aucune procédure en cours. Ils n’établissent pas qu’il n’y avait eu aucune procédure criminelle liée à des d’accusations criminelles impliquant Ajaypal au moment où il a signé le formulaire susmentionné le 26 janvier 2014, et ne sèment aucun doute que ce soit sur le fait qu’il a été déclaré coupable d’un chef d’accusation le 22 février 2014.

[16]           Dans les circonstances, je suis convaincu qu’il y avait un fondement raisonnable pour que l’agent puisse conclure que les demandeurs avaient omis de fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques, et en conséquence, il y a eu fausse déclaration. Je suis également convaincu qu’il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que la fausse déclaration était importante et aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR : les autorités d’immigration auraient pu traiter la demande d’Ajaypal sans procéder à une évaluation criminologique.

[17]           Les demandeurs font valoir que toute fausse déclaration a été corrigée par la réponse subséquente des demandeurs à la lettre relative à l’équité procédurale. Cet argument reflète une incompréhension fondamentale de l’objet de la lettre relative à l’équité procédurale. La lettre relative à l’équité procédurale n’est pas une possibilité pour un demandeur de réhabiliter sa crédibilité après avoir manqué à son obligation de franchise en vertu du paragraphe 16(1) de la LIPR. La lettre relative à l’équité procédurale est plutôt une occasion pour le demandeur de démontrer qu’il n’y a eu aucune fausse déclaration ni aucune réticence à dévoiler des faits importants qui auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Comme il est énoncé dans Goburdhun au paragraphe 28, un demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités d’immigration avant l’examen final de la demande.

IV.             Conclusion

[18]           Je suis convaincu que la décision de l’agent est justifiée, transparente et intelligible, et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47). La demande est en conséquence rejetée.

[19]           Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-4696-15

 

INTITULÉ :

DARSHAN SINGH BRAR, SANDEEP KAUR BRAR, JASVEER KAUR BRAR, AJAYPAL SINGH BRAR, RAMANDEEP KAUR BRAR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 mai 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Sherif Ashamalla

 

Pour les demandeurs

 

Brad Gotkin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sherif R. Ashamalla

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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