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Date : 20160427


Dossier : T‑1276‑15

Référence : 2016 CF 475

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2016

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

STU PEARCE

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Stu Pearce (le demandeur) interjette appel de l’ordonnance en date du 14 octobre 2015 par laquelle le protonotaire Morneau a accueilli la requête de Sa Majesté la Reine (la défenderesse) tendant à faire radier la déclaration délivrée le 30 juillet 2015 et a radié cette déclaration sans autorisation de la modifier.

[2]               M. Pearce réside à Port Aux Basques (Terre‑Neuve‑et‑Labrador). Il a introduit le 30 juillet 2015 la présente action, où il demande les mesures de réparation suivantes :

[TRADUCTION]

a)    Une ordonnance enjoignant à la défenderesse d’honorer ses obligations envers le demandeur, entre autres celles que prévoit l’article 7 de la Charte des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.).

b)    Une ordonnance enjoignant à la défenderesse de rendre au demandeur la garde et le contrôle de sa valeur mobilière, et déclarant que c’est le demandeur, et non le détenteur inscrit par présomption, qui a « qualité pour voter, recevoir des avis ainsi que des intérêts, dividendes ou autres paiements [afférents à] la valeur mobilière ». [Les passages en italiques sont extraits du paragraphe 93(1) de la Loi sur les banques.]

c)    Une ordonnance enjoignant à la défenderesse de rendre au demandeur la garde et le contrôle de son patrimoine, soit la partie restante du Trésor public qui représente les « intérêts, dividendes et autres paiements [afférents à] la valeur mobilière [dudit demandeur] ».

d)   Une ordonnance enjoignant à la défenderesse de payer au demandeur des dommages-intérêts simples de 50 000 000,00 $.

e)   Une ordonnance enjoignant à la défenderesse de payer au demandeur des dommages-intérêts punitifs de 50 000 000,00 $.

f)   Une ordonnance prescrivant de cesser de faire obstacle à l’exercice par le demandeur de ses droits individuels et de ses libertés fondamentales en lui permettant d’utiliser des billets à ordre sans empêchement de la part des représentants de la défenderesse ou de la banque de celle‑ci.

g)   Une ordonnance enjoignant à la défenderesse de protéger les droits du demandeur, entre autres ceux que prévoit l’article 7 de la Charte, aux termes duquel « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne », et déclarant que ledit demandeur, en tant qu’être humain, a droit à la sécurité de sa personne et que nul ne peut le priver de ce droit.

[3]               La défenderesse a déposé son avis de requête le 31 août 2015, en en demandant l’examen sur pièces écrites en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles). Elle y invoquait les alinéas 221(1)a) et 221(1)c) des Règles. Le protonotaire a accueilli cette requête au motif que la déclaration attaquée ne révèle aucune cause d’action valable, et qu’elle est scandaleuse, frivole et vexatoire.

[4]               Le demandeur a interjeté appel contre cette ordonnance par avis de requête en date du 25 octobre 2015, où il expose les motifs d’appels suivants :

[TRADUCTION]

[…]

8. La Loi sur les Cours fédérales, notamment par ses articles 3 et 4 et son paragraphe 20(2), confirme que les Cours fédérales sont revêtues d’une compétence en droit et d’une compétence en equity. Or la radiation de la déclaration du demandeur était un acte absolument inéquitable, et lorsque le droit et l’equity entrent en conflit, c’est cette dernière qui doit l’emporter.

9. L’ordonnance du protonotaire « Morneau » est inéquitable au motif que la déclaration du demandeur, en réalité, invoque des faits substantiels et révèle plusieurs causes d’action valables. Le demandeur n’est pas avocat, de sorte qu’on ne peut exiger de lui la même connaissance des « formes » qu’on exigerait d’un homme de loi, et si la déclaration présente un quelconque défaut de forme, on devrait en autoriser la modification plutôt que de la radier.

10. On a « examiné et radié » la déclaration sans donner au demandeur la possibilité d’exposer, entre autres, ses arguments sur le « fond » (cause d’action) de celle‑ci, l’avocate de la défenderesse, Me SARAH DRODGE ayant écrit dans sa lettre au demandeur en date du 15 septembre 2015 : « En outre, il n’y a aucune raison d’autoriser le demandeur à produire des éléments de preuve en réponse à la requête de la défenderesse tendant à faire radier la déclaration. »

11. L’avocate a ainsi bâillonné le demandeur et lui a dénié l’« accès aux tribunaux », ce qui constitue une « entrave à la justice ».

12. Maxime : « L’équité ne souffre pas qu’un tort ne puisse être réparé. »

13. La décision du protonotaire Morneau vise à priver le demandeur de ses droits et libertés fondamentaux, notamment en lui déniant l’accès à un tribunal judiciaire pour obtenir réparation, en violation de l’article 24 de la Charte.

14. Les actes du protonotaire « Morneau » discréditent l’administration de la justice et suscitent une crainte raisonnable de partialité de sa part.

15. Les actes du protonotaire « Morneau » « entravent le cours de la justice ».

16. La cause d’action fondamentale que révèle la déclaration du demandeur peut se résumer comme suit :

a. Il n’est pas contestable que le territoire considéré, ainsi que ses richesses et ressources naturelles, appartiennent, pour ne parler qu’en son nom, au demandeur (la Loi royale établit ce fait).

b. Il n’est pas non plus contestable que le demandeur ne possède ni ne contrôle ces ressources, et que la défenderesse les possède et les contrôle.

c. Il n’est pas contestable que la défenderesse doit par conséquent gérer ces ressources pour le compte du demandeur, ce qui constitue une fiducie, dont la défenderesse est le fiduciaire et le demandeur, le bénéficiaire.

d. Il ne fait non plus aucun doute que la défenderesse vend ces ressources, en tire de l’argent (sous forme de redevances) et garde cet argent.

e. C’est là un grave, très grave problème : n’avons-nous pas affaire ici à une activité criminelle, qu’on pourrait qualifier d’enrichissement injustifié ou de vol?

17. De quelque manière qu’on le désigne, ce bref résumé révèle le fondement de l’action du demandeur, et l’on ne peut contester que celui‑ci a en fait une cause d’action valable contre la défenderesse.

18. La défenderesse, sciemment ou non, a changé la présentation du nom du demandeur tel qu’il figurait dans l’intitulé de la déclaration de celui‑ci, où il était écrit en majuscules et minuscules (« Stu Pearce »), en l’écrivant TOUT EN MAJUSCULES (« STU PEARCE »).

19. Or cet acte fait passer le demandeur du statut d’être humain à celui de personne artificielle et a pour autre conséquence que le for devient fixé par la loi.

20. Le demandeur s’est montré patient et a accordé à la Cour suffisamment de temps pour faire preuve de justice et d’équité, mais elle a manqué à ce devoir.

21. Le demandeur revendique la fiducie susdite.

22. Par conséquent, le demandeur, en tant que personne physique (être humain) douée de pleine capacité et que bénéficiaire de la fiducie, demande qu’il plaise à la Cour de sceller le présent dossier, afin qu’il soit porté, pour examen selon la seule equity, en référé devant la Haute Cour de chancellerie, où la défenderesse, représentée par un délégué compétent tel que le tuteur et curateur public, fournira en tant que fiduciaire une comptabilisation complète de la valeur de la fiducie privée considérée, ainsi que de toutes les autres fiducies constituées au nom du demandeur depuis, notamment, le 24 février 1954 (soit la date de l’enregistrement de la naissance du demandeur).

[5]               Le demandeur a présenté au soutien de son avis de requête un dossier de requête daté du 26 octobre 2015. Il a en outre déposé le 12 janvier 2016 un dossier de requête supplémentaire, qui comprenait un affidavit signé par lui le 8 janvier 2016.

[6]               La défenderesse a déposé un dossier de requête en réponse le 5 novembre 2015 et un dossier de requête en réponse supplémentaire le 18 janvier 2016. L’audience s’est tenue à St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador) le 20 janvier 2016.

[7]               La défenderesse fait valoir que le demandeur n’a établi aucune erreur de droit de la part du protonotaire ni aucune erreur au motif de laquelle le présent appel pourrait être accueilli. Elle excipe en outre du dépassement du délai d’appel.

[8]               La défenderesse soutient que l’appel n’a pas été déposé dans le délai prescrit par les Règles, soit dans les dix jours suivant la date de l’ordonnance attaquée. En effet, explique‑t‑elle, l’ordonnance du protonotaire est datée du 14 octobre 2015, et le demandeur a déposé son avis de requête le 26 du même mois. La défenderesse soulève cette exception aussi bien dans sa réponse écrite à la requête du demandeur que dans ses conclusions orales.

[9]               À mon sens, cet argument ne peut prospérer. La requête a été portée devant le protonotaire pour examen sur pièces écrites, c’est‑à‑dire sous le régime de l’article 369 des Règles. Il a rendu son ordonnance le 14 octobre 2015 et, selon le dossier A, le texte de cette ordonnance a été expédié en courrier recommandé ce même jour. Le dossier ne contient aucun élément, tel qu’un accusé de réception, qui établirait la date où le demandeur a reçu cet envoi.

[10]           Bien évidemment, le délai dont le demandeur disposait pour former son appel n’a pas commencé à courir avant qu’il ne reçût le texte de l’ordonnance. La Cour d’appel de Terre‑Neuve a examiné cette question dans l’arrêt City of St. John’s c. F.W. Woolworth Co. Limited (1980), 130 D.L.R. (3d) 171.

[11]           Aucun élément du dossier n’établit que le demandeur aurait déposé son avis d’appel hors délai.

[12]           Au début de l’audience, le demandeur a prié la Cour de l’assermenter. La Cour a rejeté cette requête, au motif qu’elle était saisie d’un appel formé contre l’ordonnance d’un protonotaire et que le paragraphe 221(2) des Règles interdisait au demandeur, qui n’était pas représenté, de produire des éléments de preuve.

[13]           Au cours de l’audience, le demandeur a sollicité l’autorisation de déposer une [TRADUCTION] « plainte à la chancellerie ». La Cour a aussi rejeté cette requête, au motif qu’aucun nouvel élément de preuve n’est admissible dans le cadre d’un appel.

[14]           Le demandeur a aussi sollicité une ordonnance scellant le dossier. La Cour a également rejeté cette requête, au motif que rien ne justifiait cette mesure et que ladite requête allait à l’encontre du principe, fondamental en droit canadien, des audiences publiques et de la publicité des débats.

[15]           En outre, le demandeur avait informé la Cour qu’il prévoyait de former une requête tendant à faire exclure de l’audience l’avocate de la défenderesse. Il n’a cependant présenté aucune requête de cette nature. En tout état de cause, la défenderesse avait le droit de se faire représenter par un avocat de son choix, et il n’existait aucun motif manifeste d’accueillir une telle requête.

[16]           La Cour, par application de l’article 119 des Règles, a autorisé le demandeur à agir seul. Celui‑ci a demandé qualité pour agir au nom de M. James H. Ford, le demandeur au dossier T‑1275‑15. La Cour a aussi rejeté cette requête, au motif que les Règles ne disposent pas qu’une partie non représentée puisse agir pour le compte d’une autre partie non représentée. Cependant, la Cour a invité M. Ford à s’exprimer et lui a demandé s’il estimait que les moyens avancés par le demandeur s’appliqueraient aussi à son appel, les contenus des deux appels étant pratiquement identiques. La Cour a aussi accordé à M. Ford la possibilité de parler en son propre nom.

[17]           Dans ses conclusions aussi bien orales qu’écrites, le demandeur a affirmé invoquer la compétence en equity de notre Cour à l’égard de son action contre Sa Majesté sur le fondement d’une fiducie constituée entre lui et cette dernière, lui-même possédant les ressources naturelles terrestres que gère la défenderesse. Selon le demandeur, Sa Majesté détient ainsi en fiducie ses biens à lui, dont elle doit rendre compte de la gestion.

[18]           Dans ses conclusions sur la compétence en equity de notre Cour, le demandeur se réfère à maintes reprises à la Judicature Act (loi sur l’organisation judiciaire) de Terre‑Neuve, R.S.N.L. 1990, ch. J‑4, en particulier à ses dispositions relatives à la compétence de la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador pour prononcer des mesures de réparation en equity.

[19]           En réponse, la défenderesse a soutenu que le demandeur n’avait montré dans l’ordonnance du protonotaire aucune erreur propre à justifier l’intervention de notre Cour.

[20]           Le protonotaire a qualifié le demandeur de plaideur présentant une [TRADUCTION] « argumentation commerciale pseudojuridique organisée » (ACPO). Le demandeur a déclaré dans sa plaidoirie ne pas savoir ce que signifie cette expression.

[21]           Le demandeur a reconnu avoir reçu le dossier de requête de la défenderesse. Or ce dossier comprend un mémoire des faits et du droit où il est fait mention des plaideurs du type « ACPO », catégorie décrite de manière détaillée dans la décision Meads c. Meads, [2013] 3 W.W.R. 419.

[22]           On peut lire au paragraphe 4 de la décision Meads, précitée, qu’appartient au type ACPO le plaideur qui exprime :

[TRADUCTION]

un rejet général de l’autorité judiciaire et étatique […] Les prétentions et moyens de cette nature sont avancés dans toutes sortes d’instances et devant des tribunaux judiciaires et administratifs de tous niveaux. Les plaideurs de cette catégorie se caractérisent par :

1. un ensemble particulier de stratégies (qui varie quelque peu selon le groupe);

2. des formalités et un langage particuliers dénués de pertinence, mais qu’eux-mêmes semblent croire (ou présentent comme) pertinents;

3. l’origine commerciale de leurs idées et de leurs moyens de preuve.

Les plaideurs de cette catégorie partagent une autre caractéristique importante : ils n’honorent leurs obligations civiques, réglementaires, contractuelles, familiales, fiduciaires, pénales et en equity que si cela les arrange. Et en général, cela ne les arrange pas.

[23]           Le juge saisi d’un appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit intervenir que si la question soulevée dans la requête est susceptible d’avoir une influence déterminante sur l’issue du principal, ou si cette ordonnance est entachée d’erreur flagrante, au sens où le protonotaire aurait exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d’un principe erroné ou d’une mauvaise appréciation des faits; voir Merck & Co. c. Apotex Inc. (2003), 315 N.R. 175.

[24]           Dans la présente espèce, l’ordonnance attaquée a pour effet le rejet de l’action du demandeur. Par conséquent, elle revêt un caractère définitif et peut faire l’objet d’un examen de novo; voir les décisions R. c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 R.C.F. 425, et Sauvé c. Canada, 2011 CF 1074.

[25]           Le protonotaire a rendu l’ordonnance attaquée en réponse à une requête qu’il a examinée sous le régime des alinéas 221(1)a) et 221(1)c) des Règles. Puisque j’instruis le présent appel de novo, je dois étudier les motifs sur lesquels la défenderesse a fondé à l’origine sa requête en radiation de la déclaration du demandeur.

[26]           Les alinéas 221(1)a) et c) des Règles sont ainsi libellés :

221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

 

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

 

[27]           Le critère applicable à une requête en radiation d’un acte de procédure sur le fondement de l’alinéa 221(1)a) est le point de savoir s’il est « évident et manifeste » que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable; voir Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

[28]           Les allégations qui peuvent être prouvées doivent être acceptées comme vraies. Selon le paragraphe 24 de la décision Bérubé c. Canada (2009), 348 F.T.R. 246, la déclaration, pour être dite révéler une cause d’action valable, doit :

i.          alléguer des faits susceptibles de donner lieu à une cause d’action;

ii.         indiquer la nature de l’action qui doit se fonder sur ces faits;

iii.        préciser la réparation demandée, qui doit pouvoir découler de l’action et que la Cour doit être compétente pour accorder.

[29]           Le demandeur se plaint pour l’essentiel dans sa déclaration que la défenderesse a violé ses droits fondamentaux. Il soutient ainsi que la défenderesse a violé son droit à la sécurité de sa personne, son droit à des conditions de vie acceptables, son droit à la libre expression et sa liberté, plus précisément son droit de gagner sa vie par son travail. À cet égard, le demandeur invoque l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (la Charte); le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, (1976) 993 R.T.N.U. 13; et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171.

[30]           Le demandeur affirme en outre que la défenderesse a qualité de fiduciaire et de détenteur inscrit par présomption pour l’application de la Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46. Il soutient à ce propos que la défenderesse détient illicitement une valeur lui appartenant.

[31]           Dans le raisonnement qui l’a conduit à radier la déclaration sans accorder l’autorisation de la modifier, le protonotaire a correctement suivi les principes et la jurisprudence applicables. Comme le présent appel demande un examen de novo, c’est‑à‑dire me permet de trancher moi‑même les questions en litige, je suivrai et appliquerai les mêmes principes et la même jurisprudence que le protonotaire, en particulier la décision Meads, précitée, de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta.

[32]           Les prétentions du demandeur fondées sur la Charte ne révèlent en elles-mêmes aucune cause d’action valable. Le demandeur n’a pas établi un fondement factuel ou un contexte suffisants pour prononcer sur les moyens qu’il fait valoir.

[33]           Le demandeur paraît contester en général l’application à sa personne de lois non précisées. Par conséquent, son action semble relever de la catégorie des [TRADUCTION] « litiges communs du type ACPO » définie au paragraphe 379 de la décision Meads, précitée.

[34]           Les moyens que le demandeur fonde sur la Judicature Act sont dénués de pertinence. Cette loi régit la Cour suprême de Terre‑Neuve : elle n’est pas d’application aux instances portées devant la Cour fédérale. Comme l’a fait observer l’avocate de la défenderesse, le demandeur a choisi de porter son action devant notre Cour. Il aurait pu tout aussi bien la porter devant la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador – où cependant le seul fait d’invoquer la Judicature Act ne lui aurait pas garanti l’autorisation de la poursuivre.

[35]           Comme l’a fait remarquer le demandeur, notre Cour est effectivement revêtue d’une compétence en equity par l’article 3 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, libellé comme suit :

3 La Section d’appel, aussi appelée la Cour d’appel ou la Cour d’appel fédérale, est maintenue et dénommée « Cour d’appel fédérale « en français et « Federal Court of Appeal « en anglais. Elle est maintenue à titre de tribunal additionnel de droit, d’equity et d’amirauté du Canada, propre à améliorer l’application du droit canadien, et continue d’être une cour supérieure d’archives ayant compétence en matière civile et pénale.

3. The division of the Federal Court of Canada called the Federal Court — Appeal Division is continued under the name “Federal Court of Appeal” in English and “Cour d’appel fédérale” in French. It is continued as an additional court of law, equity and admiralty in and for Canada, for the better administration of the laws of Canada and as a superior court of record having civil and criminal jurisdiction.

[36]           Cependant, cette compétence ne s’exerce pas hors de tout contexte. Rappelons à ce propos les observations formulées au paragraphe 8 de la décision Garford Pty Ltd. c. Dywidag Systems International, Canada, Ltd (2010), 375 F.T. R. 7 (C.F.) :

[TRADUCTION] L’article 3 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, confère effectivement à notre Cour une certaine compétence en equity. Cette attribution de compétence permet à la Cour d’appliquer les règles de l’equity aux affaires sur lesquelles elle a par ailleurs compétence (par exemple en matière d’amirauté), mais ne lui confère pas une compétence générale pour examiner des moyens et réparations en equity dans une action civile fondée sur une cause d’action prévue par la loi. Voir Bédard c. Kellogg Canada Inc., [2007] A.C.F. no 714; 325 F.T.R. 79; 2007 CF 516.

[37]           La formulation d’une simple demande d’exercice de la compétence en equity ne suffit pas à établir une cause d’action. La déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d’action valable, et le protonotaire a eu raison de la radier. Le demandeur n’a établi aucune erreur de droit de la part du protonotaire; en conséquence, son appel est rejeté.

[38]           La défenderesse a aussi demandé la radiation de la déclaration sur le fondement de l’alinéa 222(1)c) des Règles, soutenant que ladite déclaration est scandaleuse, frivole et vexatoire.

[39]           La Cour, lorsqu’elle est saisie d’une requête en radiation ainsi motivée, est tenue de prendre en considération le bien-fondé de la demande; voir le paragraphe 12 de Blackshear c. Canada, 2010 CF 590.

[40]           Est vexatoire l’acte de procédure qui expose si peu de faits que le défendeur ne peut savoir comment y répondre; voir Kisikawpimootewin c. Canada, 2004 CF 1426.

[41]           Le juge Green, juge en chef de la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, a formulé au paragraphe 40 de l’arrêt Fiander c. Mills (2015), 1149 A.P.R. 80, les observations suivantes concernant les plaideurs du type ACPO :

[TRADUCTION] Pour revenir à la présente espèce, notre Cour a maintenant déclaré dénués de fondement dans le droit de son ressort les moyens supposant la faculté de se soustraire à l’application des lois, le fractionnement de la personnalité humaine au soutien de la prétention de ne pas être assujetti auxdites lois, ainsi que le recours fantaisiste à des arguments fondés sur des certificats de naissance pour affirmer des droits de propriété et avancer des conclusions y afférentes qui ne trouveraient autrement aucun appui rationnel dans la jurisprudence. Il sera donc à l’avenir permis aux tribunaux de première instance devant lesquels seront présentés de tels moyens et prétentions dans d’autres procédures de les considérer comme vexatoires et abusifs par présomption, et d’agir préventivement de manière à faire en sorte que les actions de cette nature n’encombrent pas le système judiciaire, au détriment et au préjudice pécuniaire de ceux qui devraient dans le cas contraire y répondre et les contester.

[42]           Je remarque que le demandeur a sollicité l’autorisation de représenter une personne partie à l’affaire tranchée par l’arrêt Fiander, précité. Cette requête a été rejetée. Toutefois, le fait que le demandeur soit mentionné nommément dans cette affaire donne à penser que les litiges et les plaideurs du type ACPO ne forment pas une notion entièrement inconnue pour lui.

[43]           Quoi qu’il en soit, l’arrêt Fiander, précité, vient au soutien de la conclusion que la déclaration du demandeur à la présente instance est vexatoire et scandaleuse, et doit être radiée sans autorisation de la modifier.

[44]           La défenderesse demande des dépens élevés relativement à la présente requête. Exerçant mon pouvoir discrétionnaire, je lui accorde des dépens de 750,00 $, honoraires, débours et TPS compris.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT. Le présent appel est rejeté, avec dépens en faveur de la défenderesse, lesquels sont fixés à 750,00 $, honoraires, débours et TPS compris.

« E. Heneghan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1276‑15

 

INTITULÉ :

STU PEARCE c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

ST. JOHN’S (terre‑neuve‑et‑Labrador)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JANVIER 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 AVRIL 2016

 

COMPARUTIONS :

STU PEARCE

 

POUR LE DEMANDEUR

(NON REPRÉSENTÉ)

 

SARAH DRODGE

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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