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Date : 20160516


Dossier : T-309-15

Référence : 2016 CF 547

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2016

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

AFD PETROLEUM LTD.

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse est une société implantée en Alberta qui fournit du carburant, des lubrifiants et des systèmes de stockage en vrac à des clients situés partout au Canada et dans certaines régions des États-Unis.

[2]               Le 31 décembre 2013, la demanderesse a demandé que sa déclaration de revenus des sociétés de 2012 soit modifiée de façon à inclure une demande pour les dépenses de recherche scientifique et développement expérimental [RS&DE]. La demanderesse a produit un formulaire T661 et les annexes connexes relativement à la demande de RS&DE pour les dépenses engagées pour concevoir un mécanisme de ravitaillement en carburant portatif destiné à l’équipement de fracturation. La demanderesse a déclaré ces dépenses, dont le total était d’environ 357 000 $, afin d’obtenir une déduction de son revenu de 2012 en vertu de l’article 37 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) [la LIR].

[3]               L’Agence du revenu du Canada a cependant constaté que le formulaire T661 tel qu’il a été produit n’avait pas été dûment rempli, car même si la demanderesse avait présenté la demande le dernier jour où elle pouvait la déposer, l’ARC n’a reçu que deux des sept pages que la partie 2 du formulaire comprenait alors. Par conséquent, dans une lettre, datée du 22 janvier 2014, l’ARC a rejeté la demande de la demanderesse relativement à un redressement de sa déclaration de revenus de 2012 pour demander un crédit d’impôt à l’investissement pour la RS&DE, car les renseignements prescrits n’ont pas été déposés dans les 12 mois suivants la date limite pour produire la déclaration de revenus T2. Après que des communications entre des représentants de l’ARC et les comptables de la demanderesse n’ont pas permis d’infirmer ce refus, l’avocat de la demanderesse a envoyé une lettre datée du 30 octobre 2014 à l’ARC, remettant en question la position de celle-ci et faisant valoir que le formulaire avait été dûment produit. L’avocat de la demanderesse a affirmé qu’en dépit du fait que le formulaire n’a pas été entièrement rempli, tous les renseignements requis étaient néanmoins inclus dans le formulaire, si on l’examine dans son ensemble, et le dépôt ne doit être ni vicié ni nié.

[4]               L’ARC a répondu dans une lettre, datée du 30 janvier 2015, en concluant que les renseignements prescrits demandés dans la partie 2 du formulaire n’avaient pas tous été fournis. L’ARC a justifié cette conclusion par le fait que la description de la demanderesse des activités de développement de son mécanisme de ravitaillement en carburant à la ligne 240 des pages du formulaire que la demanderesse avait présenté ne comprenaient pas les renseignements qui auraient dû être fournis en réponse aux questions des lignes 244 et 242 du formulaire. Les lignes 244 et 242 portaient sur les obstacles et les incertitudes technologiques auxquels la demanderesse était confrontée et sur les travaux effectués pour les surmonter afin de réaliser les avancements technologiques décrits à la ligne 240. L’ARC a donc conclu en indiquant [traduction] « nous ne pouvons pas considérer la demande [pour la RS&DE] comme étant complète ».

[5]               La demanderesse sollicite maintenant, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, mod. [la LCF], un contrôle judiciaire du rejet par l’ARC de sa demande de RS&DE pour son année d’imposition 2012.

I.                   Questions en litige

[6]               La présente demande soulève les questions suivantes :

1)                  La Cour fédérale est-elle à juste titre saisie de l’affaire?

2)                  Dans l’affirmative, quelle est la norme de contrôle appropriée?

3)                  La décision de l’ARC était-elle tellement déraisonnable qu’elle devrait être annulée?

4)                  La décision de l’ARC était-elle inéquitable sur le plan procédural au point qu’elle devrait être annulée?

II.                Analyse

A.                La Cour fédérale est-elle à juste titre saisie de l’affaire?

[7]               Il est nécessaire de déterminer si la Cour a compétence pour entendre cette affaire parce qu’elle est indirectement soulevée par l’argument de la demanderesse selon lequel, en rejetant le formulaire au motif qu’il est incomplet, l’ARC a fait indûment passer le statut de la demande de RS&DE de la demanderesse à une « non-production » qui n’a pas été évaluée sur le fond et qui ne peut donc pas faire l’objet d’un appel à la Cour canadienne de l’impôt. Bien que le défendeur ne conteste pas le fait que cette affaire ne peut pas faire l’objet d’un appel à la Cour de l’impôt, il déclare qu’au moment où la demanderesse a produit le formulaire, elle n’avait aucun un droit d’opposition ou d’appel puisque la période d’opposition pour l’année d’imposition 2012 de la demanderesse avait déjà expiré.

[8]               Pour traiter cette question, je commence par faire remarquer que le paragraphe 12(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985) ch. T-2, confère à la Cour canadienne de l’impôt une « compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels [...] sur les questions découlant de l’application de [diverses lois, y compris] [...] la Loi de l’impôt sur le revenu [...] dans la mesure où ces lois prévoient un droit de renvoi ou d’appel devant elle ». Cette cour a également compétence exclusive pour entendre et trancher des questions qui sont portées devant elle en vertu de l’article 173 ou 174 de la LIR (au paragraphe 12(3) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt).

[9]               En outre, le paragraphe 18.5 de la LCF prive la Cour fédérale de sa compétence de droit administratif à l’égard de toute question que pourrait régler un appel devant la Cour de l’impôt (voir l’arrêt Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp., 2014 CAF 140, au paragraphe 21, 241 ACWS (3d) 487 [Sifto]). Par conséquent, même si la Cour fédérale a de larges pouvoirs en matière de contrôle judiciaire, elle ne peut pas intervenir dans les questions portées en appel devant la Cour de l’impôt à juste titre (voir l’arrêt Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, au paragraphe 27, [2014] 2 RFC 557 [JP Morgan].

[10]           Lorsqu’elle est confrontée à une demande de contrôle judiciaire concernant des questions soulevées relativement à la LIR, la Cour doit analyser la demande « globalement, pour en comprendre la nature essentielle, plutôt que de s’attacher aux questions de forme » (arrêt Sifto, au paragraphe 25). Elle doit également être attentive aux « plaideurs habiles » qui peuvent « faire paraître des questions relevant de la Cour canadienne de l’impôt comme s’il s’agissait de questions de droit administratif alors qu’il n’en est rien » (arrêt JP Morgan, au paragraphe 49). En outre, il est clair que la compétence de la Cour fédérale comprend le contrôle judiciaire de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre du Revenu national [le ministre] dans la mesure où la question n’est pas autrement susceptible d’appel (voir l’arrêt Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, au paragraphe 8, [2007] 2 RCS 793).

[11]           Pour saisir la Cour fédérale à juste titre, la demanderesse doit : 1) montrer qu’une procédure en contrôle judiciaire doit être possible sous le régime des articles 18 et 18.1 de la LCF; 2) « énoncer un motif de contrôle connu en droit administratif ou susceptible d’être reconnu en droit administratif » (arrêt JP Morgan, aux paragraphes 68 à 70). Dans l’arrêt JP Morgan, la Cour d’appel fédérale a déterminé (au paragraphe 70) trois motifs de contrôle judiciaire connus en droit administratif, à savoir : a) l’absence de compétence, b) l’irrecevabilité quant à la procédure, c) l’irrecevabilité quant au fond (c.-à-d. une décision qui n’est pas raisonnable).

[12]            Les articles 18 et 18.1 de la LCF traitent de la compétence de la Cour fédérale ainsi que des délais et recours accessibles en ce qui a trait à une demande de contrôle judiciaire. En l’espèce, la demanderesse a respecté les délais prescrits concernant sa demande de contrôle judiciaire et demande un recours relevant de la compétence de la Cour, afin que la décision de l’ARC, datée du 30 janvier 2015, soit annulée. Par conséquent, sa demande de contrôle judiciaire satisfait à la première exigence émanant de l’arrêt JP Morgan (aux paragraphes 68 et 69; Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, aux paragraphes 24 à 29, [2013] 3 RFC 605).

[13]           Le deuxième volet du critère de l’arrêt JP Morgan soulève la question de savoir si la demande énonce un motif de contrôle connu en droit administratif ou qui est susceptible d’être reconnu en droit administratif. En l’espèce, la demanderesse soulève une question d’irrecevabilité quant à la procédure, à savoir le caractère déraisonnable de la décision du ministre, selon laquelle il ne pouvait pas accepter le dépôt de son formulaire T661 incomplet parce que les renseignements prescrits n’ont pas tous été fournis. Une allégation selon laquelle le ministre a mal exercé son pouvoir discrétionnaire en rejetant le formulaire au motif qu’il était incomplet est inhérente à la question en litige. La demanderesse soulève aussi une question d’équité procédurale ou d’irrecevabilité quant à la procédure, affirmant que parce que l’ARC a jugé que le formulaire tel qu’il a été produit était incomplet et inacceptable, elle a été arbitrairement privée de son droit d’opposition auprès du chef des appels de l’ARC et a, par la suite, interjeté appel à la Cour de l’impôt pour faire évaluer le bien-fondé de sa demande de RS&DE. Ces questions en litige, à leur tour, soulèvent la question de savoir si elles portent sur un moyen recevable en droit administratif qui peut être introduit devant la Cour.

[14]           Les questions soulevées par la demanderesse ne relèvent pas clairement ou manifestement de l’un des principes dûment énoncés de la compétence et des pouvoirs de la Cour de l’impôt prévus aux articles 12 et 13 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt; la présente demande ne mentionne pas non plus expressément une question en litige découlant de la LIR.

[15]           Les demandes de RS&DE sont régies par l’article 37 de la LIR. L’expression « Crédit d’impôt pour des activités de recherche scientifique et de développement expérimental inutilisé » est définie au paragraphe 248(1) de la LIR. L’article 37 ne traite pas précisément des appels lorsque les demandes de RS&DE sont refusées. En règle générale, le refus d’une demande de RS&DE peut faire l’objet d’un appel à la Cour de l’impôt après que la déclaration d’impôt sur le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition a fait l’objet d’une cotisation du ministre, comme cela a été le cas dans des décisions comme la décision 1726437 Ontario Inc. (AirMax Technologies) c. La Reine, 2012 CCI 376, 221 ACWS (3d) 1039; Hypercube Inc. c. La Reine, 2015 CCI 65, 250 ACWS (3d) 530; CSIS EHR (Electronic Health Record) Inc. c. La Reine, 2015 CCI 263, 258 ACWS (3d) 840. De tels cas, cependant, portent sur la question de savoir si une demande de RS&DE a été dûment refusée parce qu’elle ne répondait pas aux exigences d’une demande de RS&DE, comme l’existence d’un risque ou d’une incertitude d’ordre technique, la formulation d’hypothèses visant précisément à réduire ou éliminer cette incertitude technologique et l’adoption de procédures en accord avec les principes établis et les objectifs de la méthode scientifique.

[16]           En l’espèce, la demande de RS&DE de la demanderesse pour son année d’imposition 2012 n’a pas du tout été examinée sur le fond ni évaluée par le ministre, sauf dans la mesure où elle n’a pas été admise comme faisant partie intégrante de la déclaration de revenus de la demanderesse pour 2012 parce qu’elle était, de l’avis du ministre, incomplète et ne présentait pas tous les renseignements prescrits demandés dans le formulaire T661. En outre, lorsque la demanderesse a produit le formulaire, elle n’avait aucun droit d’opposition ou d’appel parce que le délai d’opposition pour son année d’imposition 2012 avait expiré, nonobstant le fait que le délai au cours duquel la demanderesse pouvait déposer le formulaire n’avait pas expiré. En outre, la demanderesse ne pouvait pas demander au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de renoncer à l’exigence relative aux renseignements prescrits en vertu du paragraphe 220(2.1) de la LIR parce que le paragraphe 220(2.2) retire explicitement ce pouvoir discrétionnaire au ministre à l’égard des demandes de RS&DE qui ne sont pas déposées dans les 12 mois suivants la date limite de dépôt d’un contribuable pour l’année.

[17]           Dans ces conditions et compte tenu des questions soulevées par les arguments recevables en droit administratif de la demanderesse, j’en conclus que la Cour a compétence pour entendre et trancher la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse. Vu les faits de la présente affaire, il n’y a aucun appel particulier interjeté auprès de la Cour de l’impôt et l’article 18.5 de la LCF ne s’applique pas. Par conséquent, je vais maintenant déterminer la norme de contrôle que la Cour devrait adopter pour examiner la décision et son acceptabilité sur le plan de la procédure ou du fond.

B.                 Quelle est la norme de contrôle appropriée?

[18]           Bien qu’aucune partie n’ait directement abordé cette question dans ses mémoires écrits, la demanderesse a fait valoir, au cours des plaidoiries, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte parce que la question de savoir si sa demande de RS&DE a été dûment déposée est une question de droit au vu de l’article 32 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21. Pour sa part, le défendeur a déclaré, à l’audition de la présente affaire, que la norme de contrôle pertinente, compte tenu de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], est celle du caractère raisonnable et que la Cour devrait faire preuve de déférence à l’égard de la décision de l’ARC.

[19]           Lorsqu’une instance antérieure a déterminé la norme de contrôle applicable, la cour de révision peut adopter cette norme (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 62). Cependant, il y a une absence de jurisprudence pertinente sur la norme de contrôle appropriée à l’égard de la décision examinée et des circonstances dans lesquelles elle a été rendue. Aucune des deux parties n’a présenté de jurisprudence existante pour établir la norme de contrôle appropriée. En l’absence de toute question de droit qui se trouve au cœur du système juridique, le point de départ de l’évaluation de la norme de contrôle appropriée est le caractère raisonnable plutôt que la décision correcte.

[20]           La décision, en l’espèce, touche l’interprétation de la loi constitutive de l’ARC, à savoir la LIR, et la politique connexe, à savoir la Politique sur les exigences de production pour la RS&DE [la Politique]. Par conséquent, une norme du caractère raisonnable s’applique de façon présomptive : arrêt Alberta (Information & Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 30, [2011] 3 RCS 654 [Alberta Teachers]. Le décideur possède une expertise en la matière et, par conséquent, a droit à la déférence (arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 68 et 124; arrêt Alberta Teachers, au paragraphe 39). La décision ne dépasse pas l’expertise du décideur (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 70) et ne comporte aucune question de droit qui se trouve au cœur du système juridique. Ceci étant et comme il n’y a aucune raison impérieuse de réfuter la présomption selon laquelle une norme du caractère raisonnable s’applique, j’en conclus que la décision de l’ARC en l’espèce doit être examinée selon une norme déférente du caractère raisonnable.

[21]           Par conséquent, la Cour ne devrait pas intervenir si la décision est intelligible, transparente, justifiable et défendable au regard des faits et du droit : arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47. Les critères sont satisfaits « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708.

[22]           Quant à la question de l’équité procédurale ou de l’irrecevabilité sur le plan de la procédure soulevée par la demanderesse, la Cour suprême a déclaré récemment que la décision correcte continue d’être la norme de contrôle à l’égard des questions d’équité procédurale (voir l’arrêt Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502). Par conséquent, en ce qui concerne cette question en litige, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte (même si, entre parenthèses, il convient de faire remarquer que, dans l’arrêt Maritime Broadcasting System Limited c. La guilde canadienne des médias, 2014 CAF 59, aux paragraphes 46 à 63, 373 DLR (4th) 167, la Cour d’appel fédérale a reconnu que certaines questions d’équité procédurale pourraient commander l’application de la norme du caractère raisonnable plutôt que celle de la décision correcte).

C.                 La décision de l’ARC était-elle tellement déraisonnable qu’elle devrait être annulée?

[23]           La demanderesse fait valoir que l’ARC s’est indûment appuyée sur la Politique et aurait dû s’appuyer sur l’article 32 de la Loi d’interprétation qui prévoit ce qui suit :

32 L’emploi de formulaires, modèles ou imprimés se présentant différemment de la présentation prescrite n’a pas pour effet de les invalider, à condition que les différences ne portent pas sur le fond ni ne visent à induire en erreur.

32 Where a form is prescribed, deviations from that form, not affecting the substance or calculated to mislead, do not invalidate the form used.

[24]           La demanderesse soutient que, compte tenu de l’arrêt Mitchell c. Canada, 2002 CAF 407, [2003] 2 CF 767 [Mitchell], la question n’est pas de savoir si une section particulière d’un formulaire a été remplie, mais plutôt si l’information qui a été fournie était suffisante lors de l’examen du formulaire tel qu’il a été produit dans son ensemble. Selon la demanderesse, le formulaire qu’elle a produit, dans ce cas, comportait à la ligne 240 les renseignements qui auraient autrement et normalement été inclus aux deux lignes manquantes et que, selon l’arrêt Mitchell, l’ARC ne peut pas prétendre que le formulaire n’était pas complet. La demanderesse affirme qu’aucun renseignement de base ne manquait sur le formulaire, tel qu’il a été produit, de manière à rendre impossible l’examen et l’évaluation par l’ARC de sa demande de RS&DE pour 2012; en tout état de cause, l’ARC avait accès à tous les renseignements manquants par l’intermédiaire de la demande de RS&DE pour 2013 de la demanderesse, portant sur le même projet.

[25]           L’invocation par la demanderesse de l’article 32 de la Loi d’interprétation et de l’arrêt Mitchell est erronée. L’article 32 de la Loi d’interprétation n’aide pas la demanderesse dans ce cas parce que la lettre du contribuable dans l’arrêt Mitchell, contrairement au formulaire produit par la demanderesse dans ce cas, comportait tous les renseignements prescrits et constituait donc une renonciation valide nonobstant le fait que le formulaire de renonciation prescrit n’avait pas été utilisé. En l’espèce, bien que la demanderesse ait présenté deux pages de la partie 2 du formulaire T661, l’ARC a constaté que le formulaire produit par la demanderesse n’était pas complet, car il ne comportait pas tous les renseignements prescrits demandés aux lignes 242 et 244. Cette décision de l’ARC soulève la question de savoir s’il y avait, cependant, des renseignements suffisants à la ligne 240 de telle sorte que sa décision – selon laquelle le formulaire était incomplet – était déraisonnable.

[26]           Malgré l’argument contraire de la demanderesse, les renseignements prescrits que celle-ci avait effectivement présentés à la ligne 240 du formulaire ne fournissent pas les renseignements prescrits tels que demandés aux lignes 242 et 244. Le fait est que les pages du formulaire comportant les lignes 242 et 244 n’ont pas été remplies du tout ni même soumises par la demanderesse et il ne semble y avoir aucune information à la ligne 240 qui fournit expressément les renseignements demandés et manquants. Il était raisonnable, à mon avis, pour l’ARC de conclure que cette information n’était pas indiquée et que la demande n’était, donc, pas complète. Plus précisément, la demanderesse n’a expressément identifié aucun renseignement dans le formulaire produit correspondant à ces deux sections manquantes des renseignements prescrits. La demanderesse interprète mal les renseignements manquants en les qualifiant simplement de [traduction] « deux lignes manquantes ». Les questions aux lignes 242 et 244 de la partie 2 du formulaire T661 prévoient des réponses de 350 à 700 mots au maximum, respectivement. Il ne s’agit pas ici, comme le voudrait la demanderesse, d’une simple question de deux lignes manquantes dans un formulaire prescrit.

[27]           Quant à l’argument de la demanderesse selon lequel l’information manquante a déjà été présentée à l’ARC dans sa demande de RS&DE de 2013 et aurait dû être utilisée aux fins de sa demande de 2012, la demanderesse ne cite aucune jurisprudence pour appuyer cet argument. En outre, rien dans la LIR n’exige que le ministre vérifie les documents déposés par un contribuable pour d’autres années d’imposition avant de déterminer si les renseignements prescrits pour une année d’imposition différente sont manquants dans un formulaire T661. Il est important que soient expressément demandés dans le formulaire T661 des renseignements uniquement liés à l’année d’imposition pour laquelle la demande de RS&DE est faite. Compte tenu de la possibilité que les obstacles et les incertitudes technologiques auxquels un contribuable est confronté et le travail qui a été effectué pour les surmonter au cours d’une année d’imposition pourraient facilement changer d’une année à l’autre, le ministre ne devrait pas être obligé d’admettre des renseignements provenant d’une autre demande de RS&DE pour déterminer si les renseignements prescrits ne figurent pas dans la demande pour l’année d’imposition en question.

[28]           Bref, la détermination de l’ARC, en l’espèce, selon laquelle le formulaire tel qu’il a été produit par la demanderesse ne pouvait pas être admis parce que les renseignements prescrits n’avaient pas tous été fournis était, par conséquent, raisonnable. Cette décision est justifiée et défendable en ce qui concerne les faits et le droit, et fait clairement partie des issues acceptables.

D.                La décision de l’ARC était-elle inéquitable sur le plan procédural au point qu’elle devrait être annulée?

[29]           La demanderesse soutient qu’en n’admettant pas le formulaire tel qu’il a été produit parce qu’il était incomplet, l’ARC a qualifié sa demande de RS&DE pour 2012 de défaut de production et celle-ci ne peut donc pas être portée en appel à la Cour de l’impôt. Elle affirme que l’ARC doit examiner minutieusement le formulaire et, si l’information est insuffisante, elle peut procéder à un examen afin de déterminer si la demande doit être accueillie. Selon la demanderesse, il arrive souvent qu’une demande de RS&DE soit d’abord refusée et que de plus amples renseignements soient fournis pour répondre aux questions ou préoccupations du ministre; si la demande est à nouveau rejetée, elle peut alors faire l’objet d’un appel à la Cour de l’impôt. La demanderesse fait valoir qu’il s’agit d’une privation arbitraire de ses droits.

[30]           En revanche, le défendeur fait valoir que la demanderesse avait des options qu’elle a choisi de ne pas exercer et que la conséquence de ne pas déposer un formulaire complet signifie que le ministre ne pouvait pas admettre la demande de RS&DE de la demanderesse pour 2012. Selon le défendeur, le ministre n’a privé la demanderesse d’aucun droit de procédure parce qu’elle aurait pu produire le formulaire lorsqu’elle a déposé sa déclaration d’impôt sur le revenu pour 2012 quelque 12 mois plus tôt et, après que cette déclaration a fait l’objet d’une cotisation, être alors en mesure de s’y opposer en vertu de l’article 165 de la LIR. Le défendeur souligne qu’au lieu de demander une modification de sa déclaration T2 de 2012, la demanderesse a plutôt préféré ajouter la demande de RS&DE le dernier jour où elle pouvait la déposer, après l’expiration de la période d’opposition pour son année d’imposition 2012.

[31]           Le défendeur souligne également que la demande de RS&DE de la demanderesse pour son année d’imposition 2012 a été faite par le biais d’une modification de son T2 et que le ministre ne peut être contraint de prendre en considération une telle demande. Comme indiqué par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Armstrong c. Canada, 2006 CAF 119, 147 ACWS (3d) 327 :

[8]        Une déclaration de revenu modifiée portant sur une année d’imposition qui a déjà été l’objet d’un avis de cotisation n’entraîne pas pour le ministre l’obligation de fixer l’impôt avec toute la diligence possible (paragraphe 152(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu), ni n’a pour effet de faire repartir de zéro l’un quelconque des délais de prescription qui commencent quand une déclaration de revenu relative à une année donnée est produite, puis qu’une cotisation est établie. Une déclaration de revenu modifiée est simplement une demande adressée au ministre pour qu’il établisse une nouvelle cotisation concernant cette annéelà. [Non souligné dans l’original.]

[32]           Le défendeur mentionne également l’arrêt Imperial Oil Limited v. The Queen, 2003 CCI 46, 120 ACWS (3d) 694, dans lequel la Cour de l’impôt a fait observer ce qui suit :

[38]      L’avocat de l’intimée affirme qu’un contribuable ne peut aucunement se protéger contre les erreurs qui se seraient glissées dans ses propres déclarations de revenus, sauf peut-être en comptant sur l’indulgence du ministre à accepter des déclarations modifiées et à établir une nouvelle cotisation de façon à permettre au contribuable de s’opposer si le ministre refuse de donner effet à la déclaration modifiée. Il n’existe aucun mécanisme obligeant le ministre à accepter une déclaration modifiée ou à y répondre s’il choisit de ne pas le faire. Je ne partage pas la foi de l’avocat en la magnanimité du ministre à satisfaire volontairement les demandes du contribuable de modifier ses déclarations de revenus. Le droit légal du contribuable à forcer le ministre à établir une nouvelle cotisation repose dans le processus d’opposition et d’appel. [Non souligné dans l’original.]

[33]           Dans les circonstances de l’espèce, la décision de l’ARC de ne pas admettre le formulaire T661, tel qu’il a été produit par la demanderesse, n’était pas inéquitable sur le plan de la procédure. Non seulement cette décision était raisonnable pour les motifs énoncés ci-dessus, mais elle n’a pas, comme le soutient la demanderesse, fait indûment passer le statut de la demande de RS&DE d’une demande susceptible d’appel à une non-production non susceptible d’appel. Le ministre n’a privé la demanderesse d’aucun droit de procédure, car elle aurait pu déposer le formulaire quelque 12 mois plus tôt, lorsqu’elle a produit sa déclaration d’impôt sur le revenu pour 2012.

[34]           Dans ce cas, la demanderesse, pour une raison quelconque, n’a pas suivi les conseils figurant au paragraphe 2.1 de la Politique, qui énonce en partie ce qui suit : « Bien que le demandeur dispose d’un délai additionnel de 12 mois après la date d’échéance de production de la déclaration de revenus pour l’année, on conseille au demandeur de produire le formulaire prescrit pour les dépenses de RS&DE au plus tard à la date d’échéance de production de la déclaration d’impôt sur le revenu ». La demanderesse semble également avoir ne pas avoir tenu compte de l’avertissement au paragraphe 7.2 de la Politique, qui énonce ce qui suit :

Si les formulaires prescrits sont produits au plus tard à la date limite de production pour la RS&DE (consultez la section 6.0), mais qu’ils ne contiennent pas tous les renseignements prescrits relativement à la totalité des dépenses demandées (consultez la section 4.1) ou relativement au montant du CII gagné au titre des dépenses (consultez la section 4.2), le demandeur ne sera pas considéré avoir satisfait aux exigences de production pour ces dépenses ou le CII. Si l’ARC examine les formulaires avant la date limite de production pour la RS&DE, l’ARC informera le demandeur de tout renseignement manquant, et celui-ci pourra fournir ces renseignements au plus tard à la date limite de production pour la RS&DE. Il revient au demandeur de produire les formulaires prescrits contenant les renseignements prescrits à temps. [En gras dans l’original.]

[35]           En ce qui concerne la présente question en litige, la décision de l’ARC n’était donc pas inéquitable sur le plan de la procédure et l’intervention de la Cour n’est pas nécessaire.

III.             Conclusion

[36]           Compte tenu de ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée.

[37]           Les dépens auxquels le défendeur a droit lui seront remboursés en fonction du montant convenu par les parties. Si les parties sont incapables de convenir du montant de ces dépens dans un délai de 15 jours suivant la date du présent jugement, l’une ou l’autre des parties sera libre de demander une taxation des dépens en conformité avec les Règles des Cours fédérales.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande présentée par la demanderesse en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, mod., est rejetée.

2.                  Les dépens du défendeur relativement à la présente demande lui seront remboursés en fonction du montant convenu par les parties. Si les parties sont incapables de convenir du montant de ces dépens dans un délai de 15 jours suivant la date du présent jugement, l’une ou l’autre des parties sera libre de demander une taxation des dépens en conformité avec les Règles des Cours fédérales.

« Keith M. Boswell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-309-15

 

INTITULÉ :

AFD PETROLEUM LTD. c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 février 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Jeff D. Pniowsky

 

Pour la demanderesse

 

Julien Bédard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thompson Dorfman Sweatman LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le défendeur

 

 

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