Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160420


Dossier : IMM-2800-15

Référence : 2016 CF 441

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ZEF LESI, SANJA LESI ET SANY LESI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Les questions sous-jacentes dans le présent contrôle judiciaire découlent d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) rejetant la demande d’asile des demandeurs, concluant qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, et d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la CISR, qui a rejeté l’appel de la SPR en raison d’un manque de compétence. Plusieurs décisions mentionnées et abordées plus loin dans ce jugement et ces motifs peuvent être retenues dans le cadre de la demande.

[2]               Il s’agit de la troisième demande de contrôle judiciaire présentée par ces demandeurs à l’encontre des décisions de la SPR et de la SAR. Pour chacune des demandes de contrôle judiciaire, l’avocat était la même personne. Le défendeur soutient que cette demande constitue un abus de procédure de la Cour et que, de ce fait, il y a des raisons spéciales justifiant l’adjudication des dépens contre les demandeurs au sens de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, et potentiellement contre leur avocate.

[3]               La demande échoue pour ce qui est de toutes les décisions pouvant être à l’étude pour les motifs qui suivent.

II.                Contexte

[4]               Les demandeurs, à savoir le demandeur principal (DP) Zef Lesi, sa femme Sanja Lesi et leur enfant Sany Lesi, forment une famille. Ils sont tous des citoyens de la Croatie. Zef est de religion catholique et d’origine albanaise. Sanja a des origines croates et albanaises.

[5]               Ils sont arrivés au Canada le 27 octobre 2011 et à leur arrivée, ils ont déposé une demande d’asile fondée sur la race et la nationalité en vertu de l’article 96 de la LIPR. Ils ont également demandé l’asile en vertu de l’article 97 de la LIPR. Dans le cadre de leur demande, les demandeurs ont formulé les allégations suivantes :

A.                Le demandeur principal a été victime de persécutions toute sa vie en Croatie en raison de ses origines albanaises;

B.                 Le 4 septembre 2006, quatre hommes croates ont battu Sanja. Cette dernière est allée à l’hôpital, mais la police n’a rien fait parce qu’ils étaient albanais;

C.                 Le 24 septembre 2011, cinq hommes croates ont attaqué et roué de coups le demandeur principal. Il connaissait trois de ces hommes et l’un d’entre eux était agent de police. Il n’a pas signalé l’agression à la police parce que cela n’aurait rien changé;

D.                Le 28 septembre 2011, des individus se sont introduits dans la maison des demandeurs et ont écrit des injures racistes et des menaces de mort sur les murs. Cette fois encore, les demandeurs n’ont pas sollicité la protection de la police parce qu’ils pensaient que cela ne servirait à rien.

[6]               Leur demande a été instruite par la SPR en mars 2014. En avril 2014, la SPR a rejeté la demande des demandeurs en concluant que les demandeurs n’étaient pas crédibles et qu’elle ne croyait pas à leur récit pour les motifs suivants :

A.                La preuve documentaire ne faisait aucune mention de discrimination ou de persécution à l’égard des catholiques romains d’origine albanaise en Croatie;

B.                 Les demandeurs n’ont fourni aucune preuve objective à l’appui de leur crainte alléguée, surtout après que le demandeur principal a déclaré [traduction] « Nous avions quelques documents. Mais pas ici. » (Dossier certifié du tribunal, à la page 403), alors même qu’ils avaient trois ans pour rassembler ces documents;

C.                 Les demandeurs ont nui à leur crédibilité en ne sollicitant pas une protection dans d’autres pays sûrs à trois reprises. Par conséquent, leurs actions étaient incompatibles avec leurs craintes subjectives, surtout compte tenu du témoignage du demandeur principal selon lequel les demandeurs craignaient constamment pour leur vie en Croatie;

D.                Les demandeurs n’ont fourni aucune preuve corroborante telle que des rapports de police ou médicaux à l’égard des trois incidents allégués de persécution;

E.                 Le propre témoignage des demandeurs en ce qui a trait à l’éducation, à l’accès aux soins de santé et à l’emploi en Croatie ne soutient pas l’allégation selon laquelle ils subissaient un degré de discrimination assimilable à de la persécution en Croatie; et

F.                  La preuve documentaire objective indique que la Croatie est un État démocratique, que les relations ethniques étaient stables dans l’ensemble en dépit de quelques cas de violence à l’égard des minorités ethniques, notamment les Serbes et les Roms. La SPR a estimé que cette preuve contredisait la crainte subjective des demandeurs, et elle a également appuyé la conclusion selon laquelle, même si les demandeurs avaient des craintes subjectives véritables, ces dernières n’étaient pas objectivement fondées.

[7]               La SPR a également soutenu que même si les demandeurs étaient crédibles, elle rejetterait la revendication quant à la question de la protection de l’État. La SPR a conclu que l’allégation des demandeurs selon laquelle cela n’aurait servi à rien de demander la protection de la police, sans fournir des éléments de preuve objectifs corroborant l’allégation mis à part une interaction négative avec la police, ne constitue pas une preuve claire et convaincante pouvant réfuter la présomption de la protection de l’État.

[8]               Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR. La SAR a rejeté l’appel pour défaut de compétence. La SAR a expliqué que la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, L.C. 2010, ch. 8, telle que modifiée par la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17, prévoit que la décision rendue par la SPR à l’égard d’une demande de protection des réfugiés déférée à la SPR avant le 15 août 2012 ne peut pas faire l’objet d’un appel auprès de la SAR. Dans sa décision, la SAR fait remarquer que les demandes d’asile des demandeurs avaient été renvoyées à la SPR le 27 octobre 2011.

[9]               Les demandeurs ont déposé une demande de contrôle judiciaire (IMM-4247-14) devant notre Cour et ont désigné les décisions de la SPR et de la SAR (la première demande). Ils ont ensuite déposé une requête visant à obtenir une prorogation de délai pour le dépôt de leur dossier de demande.

[10]           Le 12 août 2014, le juge Michel Shore a rejeté la requête en prorogation du délai applicable au dépôt du dossier de demande au motif que l’intention de continuer à poursuivre l’affaire n’avait pas été prouvée (la décision du juge Shore).

[11]           Le 30 septembre 2014, un agent du greffe de la Cour a certifié que le juge en chef Paul Crampton avait ordonné, le 28 août 2014, que la demande d’autorisation soit rejetée en raison du défaut de présenter le dossier de la demande (la décision du juge Crampton).

[12]           Le 3 décembre 2014, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a accordé aux demandeurs un report du renvoi jusqu’au 3 juillet 2015 pour que l’enfant mineur puisse terminer son année scolaire (l’avis d’expulsion).

[13]           Le 27 février 2015, les demandeurs ont déposé une deuxième demande de contrôle judiciaire devant notre Cour (IMM-975-15) et ont désigné (1) l’avis d’expulsion prenant effet en juillet 2015; et (2) les décisions de la SAR et de la SPR mentionnées ci-dessus (la deuxième demande). Les demandeurs ont notamment demandé (1) une ordonnance accordant le sursis d’expulsion; (2) que l’ordonnance précédente de rejet du contrôle judiciaire soit annulée et qu’il soit donné suite au contrôle judiciaire; et (3) qu’une évaluation des risques avant renvoi (ERAR) leur soit accordée.

[14]           Le 2 mars 2015, les demandeurs ont présenté une requête sollicitant le sursis de leur renvoi en Croatie prévu pour le 3 juillet 2015 et la réouverture de la première demande.

[15]           Le 28 avril 2015, la juge Sandra Simpson a rejeté la demande d’autorisation et la requête en sursis au motif que la requête en sursis était prématurée et que la Cour n’avait pas compétence pour rouvrir la première demande (la décision de la juge Simpson).

[16]           Le 8 juin 2015, les demandeurs ont sollicité un nouveau report de leur renvoi compte tenu de la grossesse de Mme Lesi et de l’intérêt supérieur de l’enfant des demandeurs, Sany Lesi. Le 11 juin 2015, un agent d’exécution de l’ASFC a rejeté la demande de report de la mesure de renvoi étant donné qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments justifiant un report de l’exécution de renvoi du Canada (la décision de l’ASFC).

[17]           Le 16 juin 2015, les demandeurs ont déposé une troisième demande de contrôle judiciaire auprès de notre Cour (IMM-2800-15) [la troisième demande]. Les demandeurs ont déclaré avoir demandé le contrôle judiciaire de (1) l’avis d’expulsion prenant effet le 29 juin 2015 et des (2) décisions de la SAR et de la SPR.

[18]           Le 16 juin 2015, les demandeurs ont présenté une requête pour obtenir le sursis de leur renvoi prévu pour le 29 juin 2015.

[19]           Le 26 juin 2015, le juge René LeBlanc a accueilli la requête des demandeurs concernant le sursis de leur renvoi en Croatie prévu pour le 29 juin 2015 jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de l’ASFC (ordonnance de sursis du juge LeBlanc).

[20]           Le 22 octobre 2015, le juge LeBlanc a autorisé le contrôle judiciaire de la décision de la SPR aux fins de la troisième demande (l’ordonnance du juge LeBlanc relative à la demande d’autorisation).

III.             Questions en litige

[21]           La présente demande soulève les questions suivantes :

A.                 Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.                 Quel est l’effet de l’ordonnance du juge LeBlanc relative à la demande d’autorisation compte tenu des précédentes décisions du juge Shore, du juge en chef Crampton et de la juge Simpson?

C.                 Quelle décision est examinée par notre Cour?

D.                 L’avis d’expulsion est-il susceptible de contrôle?

E.                 Est-ce que l’ordonnance de sursis du juge LeBlanc et l’ordonnance du juge LeBlanc relative à la demande d’autorisation (les ordonnances du juge LeBlanc) ont rendu théorique le contrôle judiciaire de la décision de l’ASFC?

F.                  La décision de la SAR était-elle fondée en droit?

G.                 La décision de la SPR était-elle raisonnable?

H.                Est-ce que cette troisième demande constitue un abus de procédure et permet d’invoquer des raisons spéciales aux fins de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés pour justifier l’adjudication de dépens à l’encontre des demandeurs et de leur avocate?

IV.             Analyse

A.                Norme de contrôle

[22]            À l’exception de la décision de la SAR, les décisions susceptibles de viser la troisième demande portent sur des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit auxquelles s’applique la norme de la décision raisonnable [Alhayek c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1126, aux paragraphes 49 et 50, 418 FTR 144]. Quant à elle, la décision contestée de la SAR soulève une véritable question de compétence à laquelle la norme de contrôle de la décision correcte s’applique (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 59 [Dunsmuir]).

B.                 L’ordonnance du juge LeBlanc relative à la demande d’autorisation

[23]           Les circonstances qui se posent dans la troisième demande sont analogues à celles constatées dans la décision Guzman v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2002 FCT 15, au paragraphe 5, 215 FTR 299 [Guzman]. Guzman portait sur la seconde demande du demandeur en contrôle judiciaire de la décision du représentant du ministre qui concluait que le demandeur représentait un danger pour le public. La première demande avait été rejetée; toutefois, le juge Lemieux avait autorisé le dépôt d’une seconde demande. Le défendeur avait exigé que le juge Marc Nadon rejette la seconde demande en invoquant l’abus de procédure et l’autorité de la chose jugée. Le juge Nadon a admis que la seconde demande de contrôle judiciaire était identique à la première, faisant remarquer ce qui suit aux paragraphes 4 à 5 et 7 : [traduction]

[4]        Je commence par la proposition selon laquelle le juge Lemieux n’aurait pas dû autoriser le demandeur à déposer une seconde demande de contrôle judiciaire. Cette proposition est, à mon avis, clairement soutenue par la jurisprudence [Non souligné dans l’original.], et en particulier, par le jugement de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Metodieva v. Canada (1998), 132 N.R. 38. Dans Metodieva, la demanderesse, dont la première demande d’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié avait été rejetée par le juge Hugessen le 18 décembre 1990, a déposé une seconde demande d’autorisation le 15 mai 1991 au sujet de la même décision. Le juge Décary, qui a écrit les motifs de la Cour d’appel, a fait référence, à la page 43, à un passage de la décision du juge en chef Jackett dans Lamptey-Drake v. M.E.I., [1980] 1 F.C. 64, dans laquelle le juge en chef a déclaré ce qui suit à la page 67 :

[…] Après avoir examiné et rejeté une demande d’autorisation de faire appel, le tribunal n’a, à mon avis, pas compétence pour instruire une autre demande d’autorisation de faire appel dans la même affaire.

[5]        Après avoir cité Lamptey-Drake, précité, le juge Décary a ajouté ceci à la page 43 :

[6] [...] La demanderesse cherche à obtenir indirectement, par rapport à l’ordonnance du 18 décembre 1990, ce qu’elle n’a pas pu obtenir directement au moyen de la procédure prescrite par les Règles. Je ne saurais consentir à un tel développement, lequel est tout à fait contraire à la règle de la chose jugée et à la stabilité du processus judiciaire.

[…]

[7]        Enfin, à la page 43 de ses motifs, le juge Décary précise que la Cour n’a pas compétence pour statuer sur la seconde demande d’autorisation :

[7]        Il m’apparaît important de préciser que la Cour n’a pas compétence pour décider de nouveau de la question, et ce, quelle que soit la raison pour laquelle la première demande d’autorisation avait été rejetée. En l’espèce, l’ordonnance du 18 décembre 1990 se lisait comme suit : « The application, being unsupported by any affidavit or other material, is dismissed » [...]

[24]           Malgré le désaccord du juge Nadon avec l’autorisation octroyée par le juge Lemieux pour le dépôt de la seconde demande, le juge Nadon conclut qu’il n’est pas en mesure de faire abstraction de la décision ultérieure d’accorder l’autorisation et de rejeter la demande de contrôle judiciaire pour le motif qu’il y a chose jugée, il déclare aux paragraphes 8, 10, 11 et 16 :

[traduction] [8]       Par conséquent, il me semble, respectueusement, qu’il ne peut pas être sérieusement contesté que la seconde demande d’autorisation du demandeur aurait dû être rejetée. Cependant, mon collègue, le juge Lemieux, a octroyé au demandeur l’autorisation de déposer une seconde demande.

[…]

[10]      Le fait est que le juge Lemieux a autorisé le demandeur à déposer une seconde demande de contrôle judiciaire. Il m’est désormais loisible de ne pas tenir compte de sa décision et de rejeter la demande de contrôle judiciaire en invoquant l’abus de procédure et l’autorité de la chose jugée? À mon avis, ce n’est pas le cas... il y avait chose jugée, à mon avis, quant à savoir si le demandeur aurait dû être autorisé à déposer une seconde demande de contrôle judiciaire. Bien qu’il soit clair, à mon avis, que l’autorisation n’aurait pas dû être accordée, elle l’a été. Étant donné qu’il ne peut pas être fait appel d’une décision octroyant ou refusant une autorisation, la décision du juge Lemieux est définitive [Non souligné dans l’original.]

[11]      Je suis conforté dans cette opinion par la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Solliciteur général) c. Bubla, [1995] 2 C.F. 680.

[…]

[16]      Le juge Strayer précise en termes sans équivoque qu’un juge de la Section de première instance ne peut pas réexaminer une décision prise par un autre juge de la Section de première instance. Le juge Strayer indique également en termes clairs et non ambigus que l’audition d’une demande de contrôle judiciaire ne peut pas faire office d’appel déguisé de la décision autorisant le dépôt de cette demande de contrôle judiciaire. La décision de la Cour d’appel dans Bubla, précité, m’amène à la conclusion que je ne peux pas examiner ou annuler, directement ou indirectement, la décision rendue par le juge Lemieux d’autoriser le demandeur à déposer cette demande de contrôle judiciaire [Non souligné dans l’original.]

[25]           Comme ce fut le cas dans Guzman, je suis d’avis que la troisième demande n’aurait pas dû être autorisée, du moins dans la mesure où elle visait à réexaminer la décision de la SPR ou celle de la SAR. À mon avis, ces questions étaient chose jugée, un point de vue qui transparaît dans la décision de la juge Simpson. Cependant, comme ce fut le cas dans Guzman, mon désaccord avec la décision d’accorder l’autorisation, une décision qui, selon moi, est née de la nature répétitive et du manque de clarté de la troisième demande, ne justifie pas le refus d’examiner la demande de contrôle judiciaire, l’autorisation ayant été accordée [Pascale c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 881, aux paragraphes 41 à 44, 394 FTR 208].

C.                 Quelles décisions font l’objet d’un examen?

[26]           La Cour doit déterminer quelle décision elle examine dans ce contrôle judiciaire. Les multiples décisions, le manque de clarté dans la troisième demande et le contenu des ordonnances du juge LeBlanc génèrent un certain nombre de possibilités.

(1)               Les ordonnances du juge LeBlanc

[27]           Dans son ordonnance de sursis, le juge LeBlanc stipule que [traduction] « le renvoi des demandeurs en Croatie, prévu pour le 29 juin 2015, est suspendu jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de l’Agence des services frontaliers du Canada, datée du 11 juin 2015, de pas de reporter le renvoi. » Cependant, l’ordonnance du juge LeBlanc relative à la demande d’autorisation fait référence à [traduction] « une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 24 avril 2014. » Les ordonnances du juge LeBlanc laissent la porte ouverte à la possibilité que la Cour puisse examiner (1) la décision de l’ASFC et (2) la décision de la SPR.

(2)               Avis de demande pour la troisième demande (IMM-2800-15)

[28]           Dans le cadre de cette troisième demande, les demandeurs déclarent ce qui suit :

[traduction] Le demandeur sollicite l’autorisation de la Cour de présenter une demande de contrôle judiciaire de :

[traduction] L’avis d’expulsion devant prendre effet le 29 juin 2015; et [Non souligné dans l’original.]

Une demande présentée à la Section d’appel de l’immigration pour qu’elle examine la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 24 avril 2014 (la décision) et signifiée le 28 avril 2014, qui a rejeté la demande des demandeurs d’être considérés comme des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes ayant besoin de protection en vertu des articles 96 et 97 de la Loi. L’affaire a été portée devant la SAR et la décision a été rejetée pour défaut de compétence, les parties étant entrées au Canada en 2011, soit avant la date limite définie par l’article 36. La décision a été signifiée le 27 mai 2014 au demandeur principal avant que la mise en état de l’appel soit autorisée, conformément à la directive écrite donnée par l’agent de gestion de cas de la SAR en date du 13 mai 2014.

[29]           Le langage employé pour identifier les décisions de la SAR et de la SPR est presque identique à celui utilisé dans les première et deuxième demandes.

[30]           Les demandeurs cherchent à obtenir la réparation suivante, qui est identique à celle recherchée dans la deuxième demande :

1.                   Que l’ordonnance sursoyant à l’expulsion des demandeurs soit accordée;

2.                  Que l’ordonnance précédente de rejet du contrôle judiciaire soit annulée et qu’il soit donné suite au contrôle judiciaire conformément à l’avis de demande déposé en temps opportun;

3.                  Que les demandeurs bénéficient d’une évaluation préalable des risques avant leur renvoi conformément à l’équité et que l’occasion leur soit donnée d’être entendus sur le fond de nouveaux éléments de preuve;

4.                  Que la Cour proroge le délai dans le cas où cela serait nécessaire pour accorder la réparation demandée; et

5.                   Que toute réparation que la Cour estime juste soit accordée.

[31]           Pour compliquer l’affaire encore davantage, les demandeurs, dans la troisième demande, désignent la SAR en tant que destinataire de l’avis de demande, mais font référence aux numéros de dossier de la SPR. L’exposé des arguments des demandeurs est tout aussi confus, car il désigne la troisième demande comme étant celle faite à la « Section d’appel de l’immigration pour l’examen de la décision de la Section de la protection des réfugiés » au paragraphe 1 et il désigne la décision de la SPR comme étant celle à l’étude au paragraphe 6.

[32]           L’avis de demande pour la troisième demande peut être interprété comme une demande faite à la Cour pour qu’elle examine (1) l’avis d’expulsion; (2) la décision de la juge Simpson et la décision du juge en chef Crampton de rejeter les demandes de contrôle judiciaire de la décision de la SAR; (3) la décision de la SAR; et (4) la décision de la SPR. À aucun moment les demandeurs ne précisent qu’ils sollicitent une exemption de l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS 98-106 [Règles des Cours fédérales].

[33]           Bien que les documents produits par les demandeurs et les ordonnances du juge LeBlanc désignent la décision de la SPR, ils désignent de manière contradictoire d’autres décisions que la Cour devrait examiner. Afin de statuer de manière claire et définitive sur les questions éventuellement soulevées dans la troisième demande, je vais aborder chacune des décisions qui sont susceptibles de toucher la troisième demande, vaste et non structurée soit-elle, déposée par le demandeur et qui s’inscrivent dans le cadre des ordonnances du juge Leblanc.

(3)               L’avis d’expulsion/la convocation à se présenter

[34]           Comme le fait valoir le défendeur et comme en témoigne la décision de la juge Simpson, un avis d’expulsion est une communication à des fins informatives qu’on appelle aussi convocation à se présenter. Il ne s’agit donc pas d’une décision et il ne fait pas l’objet d’un contrôle judiciaire [Bergman v. Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2010 FC 1129, au paragraphe 18, 194 ACWS (3d) 1223].

D.                La décision de l’ASFC (refus du 11 juin 2015 de reporter le renvoi)

[35]           Bien que l’ordonnance de sursis du juge LeBlanc a sursis au renvoi des demandeurs en Croatie « jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de l’Agence des services frontaliers du Canada, datée du 11 juin 2015, de pas de reporter le renvoi », je suis d’avis que l’ordonnance du juge LeBlanc relative à la demande d’autorisation, conjuguée au passage du temps, a eu pour effet de rendre discutable le contrôle judiciaire de la décision de l’ASFC.

[36]           Dans Baron c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, 309 DLR (4th) 411 [Baron], le juge Nadon, s’exprimant au nom de la majorité, a conclu que l’octroi d’un sursis de renvoi ayant pour effet l’expiration de la date du renvoi ne rendait pas toujours théorique une demande de contrôle judiciaire d’une décision de ne pas reporter le renvoi. Le juge Nadon a en outre conclu aux paragraphes 29 à 31 que la question de savoir si une telle demande était théorique en raison de l’expiration de la date de renvoi dépendait de la bonne caractérisation du litige qui existe entre les parties :

[29]      Je suis tout à fait d’accord avec les parties pour dire que la réponse à la question du caractère théorique dépend de la qualification donnée au litige qui existe entre elles. À cet égard, les parties reconnaissent implicitement que si la juge a correctement cerné le litige, soit « la question de savoir si un demandeur doit être renvoyé, et est tenu de partir, à la date prévue de son renvoi » (paragraphe 45 de ses motifs), la demande de contrôle judiciaire est théorique. Elles soutiennent toutefois que le litige entre les parties visait en fait la question de savoir si les appelants doivent être renvoyés avant que ne soit tranchée leur demande CH. Au paragraphe 33 de son mémoire des faits et du droit, l’intimé formule comme suit sa thèse :

[33]      Toutefois, la façon correcte de décrire le litige est qu’il s’agit de décider si le demandeur doit être renvoyé avant que ne se produise un fait déterminé, comme la décision tranchant la demande CH en instance. Ce n’est donc pas le fait que la date prévue pour le renvoi soit passée qui rend la demande de contrôle judiciaire théorique, mais la survenance du fait en question. Répondre à la question de savoir si le renvoi peut être concrètement exécuté avant que ne se produise le fait en question s’accorde parfaitement avec la mission que l’article 48 de la LIPR confie à l’agent d’exécution, soit d’exécuter la mesure de renvoi dès que les circonstances le permettent. Voilà la description du litige que la juge de première instance aurait dû retenir. Elle a commis une erreur en ne l’adoptant pas.

[30]      Comme la demande CH des appelants n’avait pas encore été jugée au moment de l’audience qui s’est déroulée devant la juge de première instance [et je n’ai pas connaissance qu’elle l’ait été depuis que la juge Dawson a rendu sa décision], les parties sont d’avis qu’il existe toujours un litige entre elles, de sorte que le débat n’est pas théorique.

[31]      À mon avis, les parties ont correctement décrit la nature du litige qui existe entre elles. Leur position trouve appui dans les motifs du juge suppléant Strayer dans la décision Amsterdam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 244, dans laquelle il a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’exécution avait refusé de reporter l’exécution de la mesure de renvoi du Canada prise contre le demandeur. Malgré le fait qu’il était d’avis que, vu l’ensemble des faits dont il disposait, la demande de contrôle judiciaire était théorique, le juge Strayer a néanmoins exercé son pouvoir discrétionnaire pour statuer sur le fond de la demande.

[37]           Dans ce cas, contrairement à Baron, le litige entre les parties était lié à la grossesse de Mme Lesi, qui devait accoucher approximativement le 13 octobre 2015, et aux risques que posaient les voyages en avion à la date prévue du renvoi, soit le 29 juin 2015, pour sa santé et celle de son enfant à naître. Dans son ordonnance de sursis, le juge LeBlanc a autorisé le sursis du renvoi jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur le contrôle judiciaire de la décision de l’ASFC de ne pas reporter le renvoi. L’ordonnance du juge LeBlanc relative à la demande d’autorisation a autorisé le 22 octobre 2015 que la décision de la SPR fasse l’objet d’un contrôle judiciaire. Cela a entraîné l’expiration des deux dates qui étaient en litige devant le juge LeBlanc dans le cadre de la requête en sursis, soit le 29 juin 2015 et le 13 octobre 2015. Ce contrôle judiciaire de la troisième demande a été instruit le 19 janvier 2016, plus de trois mois après la date d’accouchement prévue du 13 octobre 2015. Par conséquent, il n’y a aucun litige actuel entre les parties en ce qui concerne la décision de l’ASFC qui rend effectivement l’affaire théorique.

[38]           Même si le litige actuel entre les parties s’étendait au-delà du 13 octobre 2015, ce litige porte sur les décisions de la SPR et de la SAR qui sont toutes les deux identifiées dans la troisième demande. Par conséquent, le contrôle judiciaire de la décision de l’ASFC est théorique.

(1)               Décision de la SAR

[39]           La décision de la SAR reposait sur le paragraphe 36(1) de la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, L.C. 2010, ch. 8, telle que modifiée par l’article 68 de la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17, qui prévoit que la décision rendue par la SPR à l’égard d’une demande de protection des réfugiés déférée à la SPR avant la date d’entrée en vigueur de cet article ne peut pas faire l’objet d’un appel auprès de la SAR. Comme l’a souligné la SAR, cette disposition est entrée en vigueur le 15 août 2012 [Décret fixant au 15 août 2012 la date d’entrée en vigueur de certains articles de la loi, TR/2012-65, (2012), Gazette du Canada, Partie II, 1917] Les dispositions pertinentes sont les suivantes :

Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, L.C. 2010, ch. 8 :

36. (1) N’est pas susceptible d’appel devant la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés rendue avant la date d’entrée en vigueur du présent article.

36. (1) A decision made by the Refugee Protection Division before the day on which this section comes into force is not subject to appeal to the Refugee Appeal Division.

Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17, qui a modifié le paragraphe 36(1) de la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, L.C. 2010, ch. 8 :

68. Les articles 36 à 37.1 de la même loi sont remplacés par ce qui suit :

36. (1) N’est pas susceptible d’appel devant la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés à l’égard de toute demande d’asile qui lui a été déférée avant la date d’entrée en vigueur du présent article.

68. Sections 36 to 37.1 of the Act are replaced by the following:

36. (1) A decision made by the Refugee Protection Division in respect of a claim for refugee protection that was referred to that Division before the day on which this section comes into force is not subject to appeal to the Refugee Appeal Division.

Décret fixant au 15 août 2012 la date d’entrée en vigueur de certains articles de la loi, TR/2012-65, (2012), Gazette du Canada, Partie II, 1917 :

Sur recommandation du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et en vertu du paragraphe 42(1) de la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, chapitre 8 des Lois du Canada (2010), Son Excellence le Gouverneur général en conseil fixe au 15 août 2012 la date d’entrée en vigueur de l’article 2, du paragraphe 15(4) et de l’article 36 de cette loi.

His Excellency the Governor General in Council, on the recommendation of the Minister of Citizenship and Immigration, pursuant to subsection 42(1) of the Balanced Refugee Reform Act, chapter 8 of the Statutes of Canada, 2010, fixes August 15, 2012 as the day on which section 2, subsection 15(4) and section 36 of that Act come into force.

[40]           Le renvoi de la demande des demandeurs à la SPR a eu lieu le 27 octobre 2011 (dossier certifié du tribunal, à la page 58). La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour examiner l’appel des demandeurs à l’encontre de la décision de la SPR étant donné qu’il avait été renvoyé à la SPR avant le 15 août 2012.

(2)               Décision de la SPR

[41]           Les demandeurs font valoir que la SPR a commis une erreur (1) en ne tenant pas compte des éléments de preuve pertinents; (2) en ne fournissant pas de motifs suffisants du rejet des éléments de preuve; et (3) en procédant à une analyse erronée de la protection de l’État. Avec tout le respect que je dois aux demandeurs, je ne suis pas d’accord.

[42]           La SPR ne croyait pas au récit des demandeurs selon la prépondérance des probabilités en raison de multiples problèmes de crédibilité et elle a rejeté la demande sur la seule base de la crédibilité.

[43]           La SPR a raisonnablement tiré une conclusion négative en matière de crédibilité du fait que les demandeurs n’avaient pas demandé de protection au Royaume-Uni en 2006 alors qu’ils ont visité le pays pendant six mois et une nouvelle fois lorsque le demandeur principal n’a pas fourni d’explication raisonnable pour justifier le fait qu’il n’avait pas cherché la protection au Royaume-Uni en 2010 alors qu’il s’y trouvait pour assister à des funérailles [Sahin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 664, aux paragraphes 40 à 43]. La SPR a examiné l’absence de demande de protection alors que l’occasion avait été offerte dans le contexte du témoignage du demandeur principal qu’il craignait d’être persécuté à vie en Croatie.

[44]           En plus des problèmes de crédibilité qui découlent du fait que les demandeurs ont admis ne pas avoir demandé de protection au Royaume-Uni, les demandeurs ne produisent aucune preuve documentaire objective pour démontrer que les catholiques d’origine albanaise étaient persécutés en Croatie. À cet égard, la SPR fait remarquer que les demandeurs avaient eu environ trois ans pour rassembler et produire de la preuve documentaire à l’appui de leur demande. En outre, la SPR a tiré une conclusion négative à partir de l’incapacité des demandeurs à produire une preuve documentaire impartiale sous la forme d’un rapport de police ou d’un rapport médical pour corroborer les trois incidents majeurs de violence alléguée.

[45]           Les problèmes de crédibilité dans leur totalité ont fourni à la SPR un fondement rationnel pour conclure que les demandeurs n’éprouvaient pas de crainte véritable et subjective d’être persécutés en Croatie et pour donner peu de poids à la preuve documentaire que les demandeurs ont produite sous la forme de lettres et d’un rapport de diagnostic [Veloz Lopez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 972, aux paragraphes 31 et 32, 190 ACWS (3d) 236].

[46]           En dépit de sa conclusion selon laquelle la crédibilité constituait un facteur décisif de la demande, la SPR a ensuite abordé la question de la protection de l’État. Les demandeurs font valoir que l’analyse de la SPR était viciée étant donné que la SPR avait confondu les sérieux efforts déployés par l’État en matière de protection avec le caractère adéquat de la protection de l’État compte tenu des circonstances du demandeur. Là encore, je ne suis pas d’accord. La conclusion selon laquelle les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État se situe dans les issues possibles acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[47]           Les demandeurs ont déclaré qu’en septembre 2006, ils avaient sollicité l’aide de la police, mais que cette dernière n’était pas intervenue parce qu’ils étaient d’origine albanaise. Les demandeurs n’ont pas essayé de se plaindre de cette prétendue inaction de la police auprès du Bureau du Procureur et ils n’ont pas communiqué avec le Bureau de l’ombudsman national après sa création en 2009. La SPR a déterminé que cette unique interaction négative avec la police ne suffisait pas à réfuter la présomption de la protection de l’État dans une démocratie comme la Croatie [Ruszo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 51, 440 FTR 106]. Par conséquent, les demandeurs ne pouvaient pas se servir de cet incident unique comme d’une excuse pour ne pas communiquer avec la police ou d’autres autorités de l’État lors de la survenue d’autres incidents en 2011. Si les demandeurs peuvent être en désaccord avec cette conclusion et s’il est fort possible qu’ils puissent être en mesure d’avancer d’autres interprétations raisonnables de la preuve, leur désaccord ne rend pas la conclusion déraisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 47).

V.                Dépens

[48]           L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés prévoit qu’une demande d’autorisation, une demande de contrôle judiciaire ou un appel introduit en vertu des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés ne donnent pas lieu à des dépens, sauf s’il y a des « raisons spéciales ». Le terme « raisons spéciales » n’est pas défini et aucune définition n’a été établie dans la jurisprudence [Ndungu v. Canada (Citizenship and Immigration), 2011 FCA 208, au paragraphe 6, 423 NR 228 (Ndungu)]. La conclusion selon laquelle des raisons spéciales donnent lieu à des dépens en vertu de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés déclenche le pouvoir discrétionnaire de la Cour quant au montant et la répartition des dépens en vertu de l’article 400 des Règles des Cours fédérales [Almrei c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1002, aux paragraphes 64 et 65, 31 Imm LR (4th) 92 (Almrei)].

[49]           Le défendeur soutient que les actions des demandeurs dans le cadre du dépôt de la troisième demande d’autorisation, au sujet des mêmes questions que la Cour avait déjà rejetées à deux reprises, équivalent à un abus de procédure, ce qui donne lieu à des raisons spéciales pour l’octroi de dépens. À l’appui de cette position, le défendeur s’appuie sur la décision Coombs c. Canada (Revenu national), 2015 CF 869, au paragraphe 28, 254 ACWS (3d) 980, où le juge Denis Gascon est parvenu à la conclusion suivante : « L’abus de procédure est un principe de common law qui permet aux tribunaux de faire cesser des procédures devenues injustes ou oppressives. Il peut s’agir, par exemple, de situations où une partie remet essentiellement en litige le même différend quand des tentatives antérieures ont échoué. » Le défendeur fait en outre remarquer que le fait de déposer de nouveau une demande après qu’elle a été rejetée pour cause de retard a également été considéré comme un abus de procédure [Sauve c. Canada, 2002 CFPI 721, au paragraphe 20, 115 ACWS (3d) 205].

[50]           Le défendeur note des similitudes frappantes entre les trois demandes et il s’appuie sur la décision Johnson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1262, au paragraphe 26, 275 FTR 316, où la juge Eleanor Dawson a conclu ce qui suit : « On peut conclure à des raisons spéciales si une partie a inutilement ou de façon déraisonnable prolongé l’instance ou lorsqu’une partie a agi d’une manière qui peut être qualifiée d’inéquitable, d’oppressive, d’inappropriée ou de mauvaise foi. »

[51]           Les demandeurs soutiennent que la Cour fédérale a compétence pour entendre les questions touchant l’immigration et le statut de réfugié, et que, conformément au principe général énoncé à l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, il n’y a pas lieu d’accorder des dépens au défendeur en l’espèce. Toutefois, les demandeurs soutiennent que s’il y a lieu d’accorder des dépens, ces derniers devraient être accordés aux demandeurs compte tenu du retard et de la non-pertinence de la démarche du défendeur (Ndungu, au paragraphe 7).

[52]           Il aurait dû être évident, si ce n’est pour les demandeurs, du moins pour leur avocate, Mme Holly, que l’autorisation de contrôle judiciaire des décisions de la SAR et de la SPR avait été refusée non pas une fois, mais deux fois. Malgré les ordonnances rendues par la Cour dans la première demande (IMM-4247-14) et la deuxième demande (IMM-975-15), l’avocate des demandeurs a déposé la troisième demande en désignant ces mêmes décisions.

[53]           Lorsque le litige représente une tentative de remettre en litige une question que la Cour a déjà tranchée, la bonne administration de la justice est minée. Cela a été considéré comme un abus de procédure (Almrei, au paragraphe 45). Encore une fois, c’est la troisième fois que les demandeurs contestent les mêmes décisions de SAR et de la SPR; des demandes presque identiques ont été déposées dans chaque cas. En outre, c’est la deuxième fois que les demandeurs contestent la décision du juge en chef Crampton. La décision de la juge Simpson est également contestée dans la troisième demande nonobstant le fait que la décision indiquait clairement que la Cour n’a pas compétence.

[54]           Toutes ces circonstances pointent vers une conclusion possible qu’il y a des raisons spéciales justifiant l’adjudication de dépens à l’encontre des demandeurs conformément à l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés. De plus, l’avocate des demandeurs, Mme Holly, a présenté la troisième demande au nom de ses clients. Le défendeur a fait valoir que dans le cas où l’avocate a contribué directement à l’abus de procédure, les dépens pourraient être adjugés contre l’avocate elle-même, une possibilité envisagée par l’article 404 des Règles des Cours fédérales.

[55]           Mme Holly a été informée de la possibilité d’une adjudication de dépens payables par elle par les observations écrites du défendeur et à l’audition de cette affaire et elle a eu l’occasion de se faire entendre. Au cours de son argumentation, Mme Holly a précisé qu’elle n’avait pas agi de mauvaise foi et qu’elle avait tenté de défendre vigoureusement les intérêts de ses clients et qu’elle agissait bénévolement.

[56]           Dans les circonstances de l’espèce, je conclus que les actions susmentionnées des demandeurs et de leur avocate, bien qu’elles aient été entreprises de bonne foi, étaient inappropriées et inopportunes et qu’elles constituaient un abus de procédure susceptible de donner lieu à des raisons spéciales justifiant l’adjudication de dépens en vertu de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés. Si j’ai eu du mal à trancher la question des dépens dans ce cas, de telles ordonnances sont discrétionnaires et j’ai décidé de ne pas adjuger de dépens à l’encontre des demandeurs ou de leur avocate qui a agi bénévolement en l’espèce.

VI.             Conclusion

[57]      En résumé :

A.                L’avis d’expulsion ne constitue pas une « décision » et n’est pas sujet à une révision par la Cour.

B.                 La décision de la juge Simpson et la décision du juge en chef Crampton ne sont pas révisables par notre Cour pour les motifs exposés ci-dessus et les motifs qui figurent dans la décision de la juge Simpson;

C.                 Le contrôle judiciaire de la décision de l’ASFC est théorique;

D.                La décision de la SAR de rejeter l’appel interjeté par les demandeurs auprès de la SPR pour défaut de compétence était correcte en droit;

E.                 Je suis convaincu que la SPR n’a pas commis d’erreurs révisables en rejetant la demande des demandeurs; et

F.                  Il n’est pas adjugé de dépens en vertu de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés.

[57]           La demande est rejetée. Les parties n’ont pas relevé de questions aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande est rejetée.

2.      Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-2800-15

 

INTITULÉ :

ZEF LESI, SANJA LESI ET SANY LESI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 janvier 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE :

Le 20 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

Edith Holly

 

Pour les demandeurs

 

Helene Robertson

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edith Holly

Avocate

Ottawa (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.