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Date : 20160420


Dossier : IMM-4468-15

Référence : 2016 CF 442

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

GEETA RANI KALSI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) à l’encontre d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR ou la Commission). La SAI a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse de la décision de l’agent des visas (l’agent) au motif que la demanderesse et son conjoint se sont mariés principalement dans le but d’obtenir un statut ou des privilèges sous le régime de la LIPR en vertu de l’alinéa 4(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR).

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la SAI a erré de façon déraisonnable et la demande est accueillie.

I.                   Contexte

[3]               La demanderesse, Geeta Rani Kalsi, est née en Inde en 1968 et est aujourd’hui résidente permanente du Canada. Elle a été atteinte de polio durant son enfance, menant à une paralysie résiduelle post-polio. Elle a besoin d’un fauteuil roulant pour assurer sa mobilité.

[4]               La demanderesse est arrivée au Canada en 2006 avec ses parents, parrainés par son frère. Elle habite chez son frère, qui a modifié sa résidence pour accommoder les besoins physiques particuliers de la demanderesse, et dépend de lui. Son frère a également assuré un soutien financier à la demanderesse depuis son arrivée au Canada.

[5]               La demanderesse a rencontré son époux, Balbir Singh Dilhon, un citoyen de l’Inde, à la suite d’une annonce de recherche d’un époux publiée par sa sœur dans un journal de l’Inde. Ils se sont rencontrés le 21 janvier 2011, en Inde, il l’a demandée en mariage le 1er février 2011 et ils se sont mariés le 25 février 2011. Ils ont vécu ensemble en Inde jusqu’au retour de la demanderesse au Canada, le 6 juin 2011.

[6]               La demanderesse a témoigné devant la SAI qu’elle avait l’intention de demeurer en Inde et d’y vivre après son mariage, mais qu’elle avait ensuite réalisé que la vie y était trop difficile pour elle en tant que personne handicapée. Elle est revenue au Canada et a déposé, en juillet 2012, une demande de parrainage pour son époux et les deux enfants adultes d’un précédent mariage de ce dernier en vue de leur immigration au Canada en vertu du processus de parrainage d’un époux.

[7]               En mai 2013, l’agent a interrogé l’époux afin d’examiner des préoccupations concernant le mariage. Les notes d’entrevue indiquent que l’agent n’a pas jugé l’époux crédible et franc et qu’il a conclu que le mariage avait été contracté de mauvaise foi dans le but de permettre l’immigration au Canada de l’époux et de ses enfants.

[8]               Le 30 mai 2013, l’agent a rejeté la demande, concluant, en vertu du paragraphe 4(1) du RIPR que le mariage avec la demanderesse n’était pas authentique et que les parties avaient contracté le mariage dans le but principal d’obtenir la résidence permanente au Canada. L’agent a conclu que l’époux ne pouvait pas être un membre de la catégorie du regroupement familial au sens de l’alinéa 117(1)a) du RIPR.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[9]               La SAI a rejeté l’appel de la décision de l’agent en vertu de l’alinéa 4(1)a) du RIPR, concluant que ni la demanderesse ni son époux n’étaient crédibles ou francs dans leur intention en contractant ce mariage. Ayant déterminé que la demanderesse avait contracté le mariage dans le but principal de permettre l’immigration au Canada de son époux, la SAI a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’évaluer la bonne foi du mariage.

[10]           La détermination de la SAI selon laquelle le mariage avait été conclu dans le but principal d’obtenir un statut ou un privilège sous le régime de la LIPR était le résultat d’un certain nombre de préoccupations de vraisemblance et de crédibilité au regard de la preuve présentée par la demanderesse et son époux.

III.             Questions en litige et analyse

A.                Questions en litige

[11]           La demanderesse soulève des questions de pouvoirs et d’interprétation du paragraphe 4(1) du RIPR, de partialité et de défaut de tenir compte d’éléments de preuve pertinents.

[12]           Je suis d’avis que le défaut par la SAI de tenir compte d’éléments de preuve directement pertinents quoique contradictoires est une erreur susceptible de révision contrôlable et déterminative pour la demande. Je n’ai pas besoin d’examiner les autres questions soulevées sauf pour souligner que les arguments de pouvoirs et d’interprétation avancés par la demanderesse ont tous deux fait l’objet d’examen et d’orientation judiciaires dans le passé (Gill v. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1522, 13 Imm LR (4th) 153; Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1077, 467 FTR 153; Burton c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 345 [Burton]).

B.                 Norme de contrôle

[13]           Les parties ne contestent pas que la norme de contrôle du caractère raisonnable s’applique aux décisions de la SAI sur les questions de fait ou lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés (Burton, aux paragraphes 13 et 15; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 51).

C.                 Traitement de la preuve par la SAI

[14]           La demanderesse soutient que la SAI a erré en ne tenant pas compte de preuves de l’authenticité du mariage, comme les efforts de communication des parties et le temps passé ensemble après le mariage. La demanderesse soutient de plus que la SAI a erré en ne jugeant pas plausible que la demanderesse ait eu l’intention de retourner vivre en Inde avec son époux après être venue au Canada en raison de la plus grande accessibilité pour les personnes handicapées. La demanderesse fait valoir que son témoignage selon lequel la situation chez son frère n’était pas bonne, que sa chambre était située dans la salle de séjour et que sa belle-sœur n’était pas heureuse qu’elle vive avec eux démontre pourquoi elle souhaitait quitter la maison de son frère pour retourner en Inde. Cet élément de preuve n’a pas été examiné par la SAI dans l’atteinte de sa conclusion d’invraisemblance.

[15]           Le défendeur est d’avis qu’il n’y a pas de raison de croire que la SAI se soit livrée à des spéculations en concluant qu’il était invraisemblable que la demanderesse ait eu l’intention de vivre en Inde avec son époux. Le défendeur soutient que cette conclusion est appuyée dans les motifs de la SAI et que rien ne porte à croire que des éléments de preuve n’ont pas été pris en considération. En tout respect, je ne suis pas de cet avis.

[16]           La demanderesse a fourni le témoignage suivant devant la SAI, un témoignage qui est à mon avis directement pertinent à la conclusion de la SAI selon laquelle il était invraisemblable que la demanderesse ait prévu vivre en Inde avec son époux (dossier certifié du tribunal, volume 2, aux pages 300 et 301) :

[traduction] AVOCAT :    Qu’est-ce qui vous a incité à vous marier à 45, 40 ans?

APPELANTE : Je vivais avec mes parents. D’abord, je vivais avec mes parents. C’était un environnement différent. Ensuite, je suis arrivée ici chez mon frère et ma belle-sœur, ce qui est différent. Alors je pensais que j’allais continuer d’être à leur charge toute ma vie. Alors j’ai pensé que j’avais besoin d’un compagnon, d’un partenaire de vie dans ma vie.

AVOCAT : Pouvez-vous expliquer de façon plus détaillée les problèmes auxquels vous vous attendiez ou auxquels vous étiez confrontée à ce moment, lorsque vous avez décidé de vous marier?

APPELANTE : Par exemple, je ne peux pas aller en haut; je ne peux pas monter l’escalier. Mon lit était dans la salle de séjour. Ma garbe-robe et mes autres choses étaient aussi dans la salle de séjour. Alors ma belle-sœur, elle était fâchée, vous savez, d’avoir transformé la salle de séjour en chambre. Alors lorsque ses amies venaient la visiter, elles formulaient en quelque sorte des critiques à mon endroit. C’est à ce moment que j’ai pensé que je devais quitter cet endroit [pas en gras dans l’original].

[17]           La demanderesse a aussi expliqué dans son témoignage qu’elle était d’abord venue au Canada parce que ses parents venaient au Canada pour vivre avec son frère. Elle a témoigné qu’elle serait restée seule, sans personne pour l’aider dans ses soins, si elle était restée en Inde (dossier certifié du tribunal, volume 2, à la page 322).

[18]           Le beau-père de l’époux, qui a témoigné devant la SAI, a corroboré l’expérience de la demanderesse avec sa famille à la page 370 du dossier certifié du tribunal, volume 2 : [traduction] « mon fils m’a dit qu’elle voulait venir ici, qu’elle ne voulait pas vivre au Canada. Je lui ai alors demandé pourquoi elle voulait quitter le Canada. Elle m’a dit qu’il y avait des problèmes dans la maison, sa belle-sœur, elles étaient en conflit. »

[19]           Enfin, on a demandé à la demanderesse si elle continuerait de vivre avec son frère si l’appel devant la SAI était rejeté. La demanderesse a répondu qu’elle n’avait pas fait de plans pour le cas où son appel devant la SAI ne serait pas accueilli et donc qu’elle continuerait à vivre avec son frère (dossier certifié du tribunal, volume 2, aux pages 327 et 328). Ceci pourrait être perçu comme une contradiction de son témoignage précédent. Cependant, comme les éléments de preuve précédents dans lesquels la demanderesse expliquait son intention de vivre en Inde et le témoignage corroborant du beau-père, la SAI n’en a pas tenu compte dans sa conclusion d’invraisemblance.

[20]           Dans Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, aux paragraphes 7 et 8, 208 FTR 267 (TD), le juge Muldoon a écrit :

[7]        Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur.

[8]        Dans le jugement Leung c. M.E.I., (1994), 81 F.T.R. 303 (C.F. 1re inst.), voici ce que le juge en chef adjoint Jerome déclare à la page 307 :

[14]      [...] Néanmoins, la Commission est clairement tenue de justifier ses conclusions sur la crédibilité en faisant expressément et clairement état des éléments de preuve.

[15]      Cette obligation devient particulièrement importante dans des cas tels que l’espèce où la Commission a fondé sa conclusion de non-crédibilité sur des « invraisemblances « présumées dans les histoires des demanderesses plutôt que sur des inconsistances [sic] et des contradictions internes dans leur récit ou dans leur comportement lors de leur témoignage. Les conclusions d’invraisemblance sont en soi des évaluations subjectives qui dépendent largement de l’idée que les membres individuels de la Commission se font de ce qui constitue un comportement sensé. En conséquence, on peut évaluer l’à-propos d’une décision particulière seulement si la décision de la Commission relève clairement tous les faits qui sous-tendent ses conclusions [...]. La Commission aura donc tort de ne pas faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient éventuellement réfuter ses conclusions d’invraisemblance. (Non souligné dans l’original)

[21]           Je reconnais que la SAI est un tribunal spécialisé et que la Cour lui doit déférence (Burton, au paragraphe 13). Cependant, comme il l’a été mentionné dans l’arrêt Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL) « (...) plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] ».

[22]           Dans ce cas, la SAI a fait défaut d’examiner directement des éléments de preuve pertinents et contradictoires liés à sa conclusion qu’il était invraisemblable que la demanderesse ait eu l’intention de rester en Inde après son mariage. Cette conclusion d’invraisemblance a été la première tirée par la SAI, qui y réfère tout au long de son analyse, et sans laquelle la décision peut tenir. Dans ces circonstances, le défaut d’examiner les éléments de preuve présentés ci-dessus constitue une erreur susceptible de révision.

IV.             Question certifiée

[23]           La demanderesse a proposé la question à certifier suivante :

Est-ce que l’alinéa 4(1)a) du RIPR exige qu’un décideur détermine si, au moment de s’engager dans une relation décrite dans cet alinéa, incluant le mariage, l’intention de l’une des parties ou des deux parties n’était pas d’entreprendre une relation de bonne foi, mais une imposture, un mariage de convenance ou une relation de mauvaise foi?

[24]           Le défendeur s’est opposé à cette demande. J’ai considéré les observations écrites des parties.

[25]           La Cour d’appel fédérale a énoncé le critère de la certification des questions aux fins d’un appel en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR, à plusieurs reprises (Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, aux paragraphes 10 à 12 et 36, Imm LR (3d) 167; Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9, 28 Imm LR (4th) 231). Ces arrêts établissent que notre Cour ne peut certifier une question en vertu de l’alinéa 74d) que si elle 1) est déterminante quant à l’issue de l’appel; 2) transcende les intérêts des parties au litige et porte sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En outre, la question doit découler de l’affaire elle-même.

[26]           En l’espèce, la décision a été rendue sur la base du défaut de la SAI d’examiner des éléments de preuve pertinents qui contredisaient directement l’une des conclusions fondamentales de la SAI, et non sur la base des questions recensées par la demanderesse dans la question proposée pour certification. Par conséquent, je refuse de certifier la question proposée par la demanderesse.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande et l’affaire est renvoyée pour réexamen à un autre commissaire.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-4468-15

 

INTITULÉ :

GEETA RANI KALSI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 mars 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 avril 2016

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton

 

Pour la demanderesse

 

John Provart

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ronald Poulton

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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