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Date : 20160504


Dossier : T-2296-14

Référence : 2016 CF 495

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2016

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

ANDRÉ ROBILLARD

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, monsieur André Robillard, aura soixante-dix ans dans quelques semaines. Son lourd passé criminel et ses nombreuses années d’incarcération dans les pénitenciers de ce pays ont cristallisé une grande inadaptation. Il n’empêche, le demandeur s’est efforcé au cours des dernières années de se doter d’outils l’ayant amené à adopter un comportement plus social. Mais voilà, une étiquette douloureuse lui colle encore à la peau. Depuis les années soixante-dix, en fait. À vingt-cinq ans, il est devenu le plus jeune « repris de justice » du Canada. La désignation juridique de « repris de justice », dans la langue de Molière, est certes plus neutre qu’une traduction littérale de l’expression anglaise « habitual criminal ». Pourtant, pour le commun des mortels, c’est cette deuxième désignation qui s’attachera toujours à la personne du demandeur. Un titre lourd à porter. Surtout pour un homme vieillissant qui dit s’être réhabilité et ne représenter aucun danger pour la société. Un alcoolique également, comme tant d’autres délinquants. Un criminel, oui, mais pas un délinquant dangereux, dit-il. Il a bien commis certains crimes violents, mais c’était à une autre époque. Vrai, en 1987, il a tué un homme qui l’avait agressé dans un bar, mais il a terminé de purger sa peine pour cet homicide involontaire. Il a soldé sa « dette » envers la société et il dit avoir depuis vaincu son pire ennemi : lui-même. Sa sobriété, son éloignement de l’alcool, c’est ce qui rend le demandeur libre et lui redonne sa liberté. Mais cette liberté reconquise au gré de tant d’efforts reste très fragile, car le demandeur n’est pas pour autant libéré de la sentence de détention préventive que lui vaut sa désignation de repris de justice en 1972. Voilà pourquoi, en 2005, il a demandé au gouverneur général de lui accorder une remise de cette peine indéterminée dont la continuation lui occasionne maints tracas et préjudices. Neuf ans plus tard, il s’est fait dire « non » par l’honorable Steven Blaney, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [Ministre]. Et, c’est cette décision qu’il s’agit aujourd’hui de réviser.

[2]               Dans une lettre datée du 9 septembre 2014, adressée au présent procureur du demandeur, Me Pierre Tabah, un représentant de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [CLCC], Monsieur Pierre Richard Fidelia, explique ainsi les motifs du refus ministériel :

La présente fait suite à la demande de monsieur Robillard pour une remise de peine en vertu de la prérogative royale de clémence et la demande d’obtenir la communication de la recommandation faite par la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC).

Comme vous le savez, conformément au principe selon lequel l’indépendance du pouvoir judiciaire doit être respectée, une remise de peine ne peut être octroyée que s’il est prouvé qu’il y a une erreur de droit, une grande injustice par exemple, la modification d’une loi qui aurait des conséquences accidentelles et inattendues sur une personne reconnue coupable et qui s’est vu imposer une peine ou un châtiment trop sévère qui serait disproportionné par rapport à la nature et la gravité des infractions commises, mais aussi qui serait plus sévère que pour d’autres personnes dans une situation analogue.

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a ordonné à la CLCC de vous informer que monsieur Robillard ne rencontre pas les critères pouvant justifier un exercice de clémence et en conséquence, une enquête ne sera pas instituée dans son cas. Il n’a pas fourni la preuve qu’il fait l’objet d’une injustice ou d’un châtiment qui serait trop sévère ou disproportionné par rapport à la nature et à la gravité des infractions commises. Il a aussi ordonné de vous annoncer qu’il n’approuve pas que la recommandation concernant le bien-fondé de la demande d’exercice de la prérogative royale de clémence soit divulguée dans le présent cas.

[3]               C’est un non catégorique que le demandeur n’accepte tout simplement pas, parce que, dit-il, la CLCC et le Ministre n’ont pas agi de façon équitable et n’ont pas sérieusement étudié sa demande de clémence, tandis que le refus ministériel est déraisonnable et que la recommandation de la CLCC ne lui a pas été préalablement communiquée. De son côté, le Procureur général du Canada [défendeur] soutient la légalité et la raisonnabilité de la décision ministérielle contestée, ainsi que la légalité du processus d’examen par la CLCC.

[4]               La norme de contrôle applicable à l’examen du mérite de la décision contestée est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Bilodeau c Canada (Ministère de la Justice), 2011 CF 886 au para 64 [Bilodeau]; McArthur v Ontario (Attorney General), 2012 ONSC 5773 au para 22; Walchuk c Canada (Ministre de la justice), 2013 CF 958 au para 21). S’agissant de vérifier si l’obligation d’agir équitablement a été respectée, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique (Bilodeau au para 63), tout en gardant à l’esprit que l’étendue de l’obligation d’équité procédurale est variable et est tributaire du contexte particulier de chaque cas (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC) au para 21 [Baker]).

[5]               Mais qu’il s’agisse du respect de l’équité procédurale ou de la raisonnabilité du refus ministériel, l’examen de la Cour ne peut s’effectuer dans un vacuum. Heureusement, la règle 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles] permet à toute partie dans un contrôle judiciaire de demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents qu’elle ne possède pas, mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande. D’autre part, la règle 318 prévoit que si l’office fédéral ou une partie s’opposent à la demande de transmission, la Cour peut donner des directives sur la façon de procéder et ordonner la production, en tout ou en partie, des documents demandés.

[6]               Le 2 décembre 2014, suite à la requête formulée par le demandeur dans son avis de demande, la CLCC a produit une copie de sa recommandation – sans qu’il n’y ait, cette fois, d’objection à sa divulgation de la part du Ministre. Le 9 mars 2015, suite à la requête parallèle du défendeur, la CLCC a également produit – à l’exception des documents protégés par le secret professionnel – l’ensemble du dossier de la CLCC ayant trait à la demande de clémence incluant : la décision du Ministre prise le 29 août 2014 et communiquée à la CLCC le 9 septembre 2014; la recommandation de la CLCC; le fichier criminel du défendeur; ainsi que les décisions et les autres documents extrinsèques non produits avec la demande de clémence ayant été consultés par la CLCC aux fins de la recommandation.

[7]               En l’espèce, le refus ministériel fait suite à une recommandation négative du 18 mars 2014 de la CLCC – qui n’a pas été divulguée au demandeur ou à son procureur avant la prise de la décision contestée. Cette non-divulgation soulève deux questions distinctes. Primo, un bris matériel à l’équité procédurale a-t-il été commis? Secondo, au niveau de l’examen de la raisonnabilité de la décision ministérielle, faut-il s’en tenir aux seuls motifs mentionnés dans la lettre du 9 septembre 2014 de monsieur Fidelia, ou ceux-ci peuvent-ils être complétés par un examen de la recommandation en cause et d’autres éléments extrinsèques n’ayant pas été préalablement communiqués au demandeur ou à son procureur?

[8]               Il y a lieu d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. D’une part, il y a eu des bris matériels sérieux à l’équité procédurale. D’autre part, le défendeur ne peut aujourd’hui s’appuyer sur la recommandation de la CLCC pour justifier la raisonnabilité du refus ministériel. Pour une meilleure compréhension du résultat final, je disposerai du même coup des diverses prétentions des parties, et ce, après avoir dressé le portrait général du présent litige, ainsi que le cadre juridique complexe dans lequel il prend assise.

« REPRIS DE JUSTICE » : UN STATUT EN VOIE D’EXTINCTION

[9]               C’est une affaire déjà entendue. Il y a, au départ, cette idée que le « criminel d’habitude » est une espèce particulière de délinquant qui, par déterminisme social ou un choix de vie volontairement assumé, est devenu un incorrigible récidiviste, obligeant la société à le mettre en quarantaine, comme pour se prémunir d’un corps malade et contagieux. Commençons donc par un rappel des critères et des effets juridiques d’une désignation d’un individu à titre de « repris de justice ». Adopté à l’origine en 1947 (SC 1947, c 55, art 18), puis modifié à plusieurs reprises par la suite (SC 1953-54, c 51, art 660; SC 1960-61, c 43, art 33; 1968‑69, c 38, art 77), l’ancien article 688 du Code criminel, LRC 1985, c C-46 [Code criminel] permettait à la Cour supérieure de juridiction criminelle, sur demande, de déclarer un accusé un « repris de justice » (en anglais, « habitual criminal ») et de prononcer une sentence de détention préventive dans l’intérêt de la protection du public (ancien article 687). Il fallait que l’accusé, depuis qu’il avait atteint l’âge de 18 ans, ait été trouvé coupable, dans au moins trois occasions distinctes et séparées, d’un acte criminel punissable par une peine d’emprisonnement de cinq ans ou plus, alors qu’il persistait à mener une vie criminelle.

[10]           Mais la théorie darwiniste sur le phénomène criminel – justifiant la mise au rancart des criminels d’habitude – a depuis longtemps cédé le pas à sa compréhension sociologique. Car, le crime prend le plus souvent racine dans l’échec d’adaptation sociale d’individus dont la conduite déviante peut être corrigée par une réévaluation des valeurs. Si l’occasion fait le larron, il y a néanmoins encore place à la réhabilitation d’un bon nombre de ces individus asociaux qui sont considérés comme une « nuisance publique ». Qu’on en juge, la catégorie criminelle de « repris de justice » a été abrogée au Canada (LC 1976‑77, c 53, article 14). Mais force est de reconnaître qu’une minorité d’individus dangereux ne s’amenderont jamais. Le risque est trop grand pour remettre ces délinquants en liberté, même conditionnelle, d’où la nécessité de les détenir de façon préventive dans un pénitencier, même après qu’ils auront purgé la peine pour laquelle ils ont été incarcérés en premier lieu. Au Canada, depuis 1977, seuls les « délinquants dangereux » (en anglais « dangerous offenders ») peuvent se voir imposer une sentence de détention préventive, la peine indéterminée par excellence.

[11]           Bien évidemment, il faut maintenant se référer aux critères de l’article 687 du Code criminel. Comme le souligne la Cour suprême dans R c Lyons, 1987 CanLII 25 (SCC) au para 43 [Lyons] :

En premier lieu, ces dispositions s'appliquent uniquement aux personnes reconnues coupables de "sévices graves à la personne" au sens de l'art. 687. Chacune de ces infractions se rapporte à une conduite ayant pour effet d'exposer d'autres personnes à un grand danger physique ou de leur occasionner un préjudice psychologique grave. Il est révélateur à ce propos que lesdites infractions entraînent une peine maximale obligatoire d'au moins dix ans d'emprisonnement. En deuxième lieu, on doit convaincre la cour que l'infraction dont la personne a été reconnue coupable n'est pas un acte isolé, mais qu'elle fait partie d'un comportement général caractérisé par la violence, par l'agressivité ou la brutalité, ou par l'incapacité à contrôler les impulsions sexuelles. En troisième lieu, on doit établir qu'il est fort probable que ce type de comportement se poursuivra et causera le genre de souffrances contre lesquelles la disposition en cause cherche à offrir une protection, c'est‑à‑dire les actes constituant une conduite qui met en danger la vie, la sécurité ou le bien‑être physique d'autrui ou, dans le cas des infractions sexuelles, une conduite qui cause des sévices ou d'autres maux à autrui. De plus, chaque alinéa de l'art. 687 contient sous une forme ou une autre une exigence explicite que la cour soit convaincue qu'il s'agit d'un type de comportement qui est essentiellement ou pathologiquement irréductible. […]

[Soulignements ajoutés]

[12]           C’est un cadre de référence qui se suffit à lui-même. Mais que sont donc devenus les « anciens » repris de justice? Ont-ils automatiquement été convertis en « délinquants dangereux »?

[13]           Évidemment, la réponse est non. Car, il aurait fallu résoudre un problème d’application rétroactive de la loi. Or, comme nous l’avons vu, les conditions de désignation d’une personne comme délinquant dangereux sont plus exigeantes que ne pouvaient l’être celles visant un repris de justice. Il n’empêche, malgré l’abrogation de l’ancien article 688 du Code criminel, un repris de justice demeure néanmoins soumis encore aujourd’hui aux conséquences légales et humaines de cette désignation, qui a, en effet, un caractère indélébile et perpétuel. C’est donc dire que la condamnation du demandeur à une sentence de détention préventive en 1972 – il y a tout près de quarante-cinq ans de cela – continuera de le suivre jusqu’à la mort.

[14]           Le demandeur est l’un des derniers repris de justice au Canada, mais au début des années quatre-vingt, on en comptait un peu plus de quatre-vingt-dix. Un évènement externe allait cependant changer la donne de manière fondamentale : l’entrée en vigueur, en 1982, de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte]. Si, au nom de la souveraineté parlementaire, les élus pouvaient autrefois, sans examen possible par les tribunaux judiciaires, voter des lois pénales visant l’éradication ou la non propagation du fléau social qu’est la criminalité, il fallait maintenant composer avec le régime de protection individuelle décrété par la Charte. Car, celle-ci garantit les droits et libertés qui y sont énoncés; lesquels ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique (article 1 de la Charte).

[15]           On aura donc tôt fait de se demander si la continuation – sans aménagement juridique quelconque – d’un régime de détention préventive visant les repris de justice était compatible avec la Charte, et pourrait survivre à une attaque constitutionnelle. Ainsi, en décembre 1982, dans un rapport de près de deux cents pages (Michael Jackson, Sentences That Never End: The Report on the Habitual Criminal Study, Vancouver, University of British Columbia, 1982), le professeur Michael Jackson de l’Université de la Colombie-Britannique notait que le Parlement, en amendant l’article 678 du Code criminel en 1977 « [traduction] avait clairement indiqué que, désormais, seules les personnes qui étaient dangereuses devraient être condamnées à la détention préventive », et qu’après 1977, « [traduction] le fait qu’une personne avait commis un certain nombre d’infractions non dangereuses et vivait continuellement dans la criminalité, bien qu’étant pertinent pour la fixation de la peine relativement à une infraction commise par cette même personne, ne serait pas suffisant pour la condamnation à la détention préventive pour une durée indéterminée » (pages 21­22). Faisant écho au fait qu’en 1969, le comité présidé par le juge Ouimet avait lui-même conclu que « [traduction] la législation sur les repris de justice au Canada visait à tort les graves nuisances sociales au lieu des criminels dangereux », le professeur Jackson notait au sujet des dix-huit repris de justice qu’il avait rencontrés en 1980 que « [traduction] [t]reize des 18 repris de justice, soit 72 %, ont davantage été qualifiés par les responsables de la libération conditionnelle de délinquants constituant une nuisance que de délinquants dangereux » (pages 27­28). Disons immédiatement que le cas du demandeur n’a été étudié par le professeur Jackson, qui concluait à ce chapitre que bien que « [traduction] aucun des hommes dans l’étude ne peut être considéré comme délinquant dangereux et si certains d’entre eux présentent un faible risque de récidive criminelle, certains peuvent commettre d’autres infractions » (page 50). Et, ce dernier de conclure, après une analyse de la jurisprudence, que « [traduction] l’application continue de la détention préventive pour les hommes ciblés par l’étude constitue une violation de l’article 12 de la Charte des droits et libertés » (page 63). Mais qu’en diraient eux-mêmes les tribunaux?

[16]           En juillet 1983, dans l’affaire Re Mitchell and the Queen (1983), 6 CCC (3d) 183 (Ont H Ct J) [Mitchell], il y a eu ce prononcé – désormais célèbre – rendu par la Haute Cour de Justice de l’Ontario. Le juge Allen Linden affirme sans ambages que la continuation de la détention préventive des repris de justice peut, dans certains cas particuliers, constituer un « traitement ou une peine cruels et inusités » au sens de l’article 12 de la Charte : [traduction] « […] Je considère que la détention continue du demandeur, dans la mesure où ce dernier ne représente rien de plus qu’une nuisance publique et non un danger pour le public, répond au critère de la disproportion exagérée […] [et] je conclus qu’elle pourrait donner droit à réparation au sens du paragraphe 24(1) de la Charte […] » (page 219). En l’occurrence, en ajournant la demande d’habeas corpus, le juge Linden informe les parties que la Haute Cour de Justice de l’Ontario devra ordonner la libération du demandeur Mitchell, si au mérite, la Couronne n’est pas en mesure de satisfaire la Cour que ce dernier représente toujours un danger pour le public au sens des nouvelles dispositions du Code criminel visant les délinquants dangereux.

[17]           De fait, en octobre 1983, le juge Linden ordonnait la libération immédiate du demandeur Mitchell, celui-ci ne devant plus être assujetti à la sentence de détention préventive qui lui avait été imposée en 1970. Cette première analyse judiciaire força bien entendu la réflexion du côté gouvernemental. Peu de temps après, la Commission d’enquête sur les repris de justice, présidée par l’honorable juge Stewart M. Leggatt [Commission Leggatt], est mandatée par le Solliciteur général et le ministre de la Justice pour réviser les dossiers des repris de justice afin de déterminer si chacun des individus concernés représentait un danger pour la sécurité d’autrui, à la lumière des nouveaux critères et de la philosophie générale énoncés à la partie XXI du Code criminel relativement aux délinquants dangereux. Le rapport de la Commission Leggatt a été publié en 1984 (Canada, Commission d’enquête sur les repris de justice au Canada, Rapport de la Commission d’enquête sur les repris de justice au Canada, Ottawa, Gouvernement du Canada, 1984, l’honorable juge Stuart M. Leggatt [Rapport Leggatt; Rapport de la Commission]).

[18]           Le juge Leggatt a classé les repris de justice en trois catégories :

a)                  Ceux qui ne sauraient être déclarés délinquants dangereux et qui ne présentaient pas de risque pour la sécurité d’autrui selon les principes énoncés à la partie XXI du Code criminel. Soixante-treize personnes faisaient partie de cette catégorie;

b)                  Ceux dont le casier judiciaire ne permettait pas de les faire déclarer délinquants dangereux, mais qui présentaient un danger pour la sécurité d’autrui. Neuf personnes faisaient partie de cette catégorie;

c)                  Ceux qui étaient susceptibles d’être déclarés dangereux et qui présentaient un risque pour la sécurité d’autrui. Cinq personnes faisaient partie de cette catégorie.

[19]           La possibilité de réadaptation et le degré de dangerosité du délinquant se retrouvent au cœur de la justification de la continuation dans le temps d’une peine de détention préventive. Mais comment apprécier sa dangerosité? La Commission Leggatt estime que « le système judiciaire aussi bien que celui des libérations conditionnelles a jusqu’à maintenant surestimé la capacité des psychiatres et des psychologues de prévoir la dangerosité » (page 94). Des éléments plus objectifs doivent être considérés, tels que le comportement passé et l’âge du délinquant, et d’autres facteurs externes, tels que l’alcool et les drogues, qui augmentent les risques de récidive.


[20]           Aussi, le juge Leggatt note-t-il à ce sujet aux pages 94 et 95 du Rapport de la Commission :

Pour apprécier les cas qui nous intéressent, je me suis fondé non seulement sur les critères énoncés à la Partie XXI du Code criminel, mais aussi sur le bon sens. J’estime que rien ne permet mieux de se prononcer sur la dangerosité d’une personne que le comportement passé de celle-ci. La Commission d’enquête s’est donc particulièrement attachée à connaître les antécédents de chacun des repris de justice, afin de voir si ceux-ci ne révèlent pas l’existence d’un danger.

Les experts s’entendent pour reconnaître que la dangerosité et la propension au crime d’une personne diminuent au fur et à mesure qu’une personne vieillit ou que ses capacités physiques faiblissent. Je me suis donc beaucoup intéressé à l’incidence que le vieillissement avait eue sur l’attitude et sur le comportement des individus en cause. En troisième lieu, j’ai aussi accordé une valeur particulière aux facteurs externes ayant influencé le comportement, tels que la drogue, l’alcool ou les troubles mentaux, afin de voir si l’intéressé était parvenu à surmonter ses problèmes dans les domaines en question.

Il importe de noter que bon nombre des repris de justice sont alcooliques. Cette maladie explique en grande partie leurs incessants démêlés avec la justice. En effet, il est fréquemment fait interdiction au libéré conditionnel de consommer de l’alcool. Si plusieurs repris de justice ont réussi à respecter cette obligation et à traverser sans incident leur période de libération conditionnelle, nombreux sont ceux qui n’y sont pas parvenus. Ces derniers se sont tôt ou tard retrouvés en prison par suite de la révocation de leur libération conditionnelle.

Et si les conditions mises à la libération conditionnelle des repris de justice visent à éviter que le comportement de ceux-ci mette la population en danger, une obligation de sobriété est tout à fait indiquée si l’intéressé est connu pour commettre des actes dangereux ou susceptibles de l’être lorsqu’il a consommé de l’alcool. […]

[Soulignements dans l’original]

[21]           De fait, selon le Rapport de la Commission, « l’abus de l’alcool ou de la drogue, quand ce n’était pas les deux à la fois, avait joué un grand rôle dans les activités criminelles d’au moins cinquante-trois des [cas étudiés] » (page 9). En l’espèce, « la meilleure façon de pronostiquer la dangerosité est d’examiner les antécédents et le casier judiciaire de l’individu », tandis que « [l]’âge du sujet joue en faveur du détenu dans la plupart de cas, de même que le temps écoulé depuis la dernière infraction criminelle comportant un élément ou une possibilité de violence » (pages 12-13). Pour un nombre réduit de ces délinquants, le juge Leggatt a recommandé de ne pas prendre de mesures de clémence avant l’expiration de la période qu’il a précisée. C’est le cas du demandeur. Nous y reviendrons plus loin. D’un autre côté, le juge Leggatt a recommandé la remise en liberté automatique et immédiate de la majorité des repris de justice.

[22]           Mais voici le problème : que faire des sentences de détention préventive légalement imposées par les tribunaux? Faudra-t-il que tous et chacun des repris de justice dont la remise en liberté a été recommandée par le juge Leggatt fassent comme le demandeur Mitchell et déposent des demandes d’habeas corpus pour faire réviser la légalité de la continuation de leur sentence de détention préventive? À ce chapitre, la Commission Leggatt propose une solution pratique, plus économique et moins hasardeuse que le dépôt d’un projet de loi devant le Parlement. Elle considère que « le pouvoir de pardon constitue le meilleur moyen pour prendre des mesures de clémence en faveur des repris de justice dont le cas le justifie ». Et ce, explique‑t‑elle, parce que « [l]e pardon donne en outre la latitude nécessaire pour tenir compte du degré de réadaptation sociale atteint par chacun des repris de justice » (page 138). Pour le juge Leggatt, c’est une évidence : l’exercice de la prérogative de clémence n’est nullement restreint par les lettres patentes constituant la charge de gouverneur général du Canada (page 125), tandis qu’au Canada « le pouvoir de pardon a été utilisé en faveur de personnes condamnées pour la plus grave des infractions prévues au Code criminel, le meurtre » (page 136). [Soulignements dans l’original]

[23]           Mais, au fait, qu’est-ce que la clémence royale?

PRÉROGATIVE ROYALE ET DEMANDE DE PARDON

[24]           Les termes « pardon » et « clémence royale » sont souvent associés, mais attention : il y a Pardon et pardon. Il ne faut surtout pas confondre l’exercice de la clémence royale avec le pouvoir statutaire accordé à la CLCC en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, LRC 1985, c C‑47 d’ordonner que le casier judiciaire d’un requérant soit suspendu, et qui est conditionnel à l’expiration légale de la peine en question. On parle de dix ans pour une infraction qui a fait l’objet d’une poursuite par voie de mise en accusation, ou de cinq ans pour une infraction qui est punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Et, cette suspension du casier judiciaire – on disait « pardon » antérieurement – peut être révoquée par la CLCC, si la personne est condamnée par la suite pour une infraction visée ou a cessé de bien se conduire.

[25]           Au contraire, la clémence royale est cette faculté extraordinaire de Sa Majesté d’accorder – durant le temps que la sentence a encore plein effet – une remise de peine à toute personne ayant été condamnée par un tribunal – peu importe l’ignominie ou la gravité du crime commis. C’est un relent de l’ancien pouvoir absolu des monarques britanniques de gracier leurs sujets. Lorsqu’une remise de peine est ainsi accordée au nom de Sa Majesté – et c’est ce qui distingue la clémence royale d’un pardon ordinaire – le casier judiciaire du délinquant n’est pas suspendu : la condamnation passée subsiste. D’un autre côté, le délinquant est libéré totalement et pour toujours des effets de cette condamnation. En ce sens, la remise de peine recherchée par le demandeur aura un caractère irrévocable : ce n’est sera pas un pardon conditionnel. Aussi bien dire que ce genre de remède est exceptionnel.

[26]           Reprenons. Dans une monarchie parlementaire moderne, la prérogative royale de clémence est exercée par le gouvernement démocratiquement élu par la population. Or, la clémence royale comportait historiquement deux volets et pouvait viser deux objectifs distincts : premièrement, faire montre de compassion en libérant un individu du plein effet de sa peine, et deuxièmement, rectifier des erreurs judiciaires telles les condamnations erronées (Hinse c Canada (Procureur général), 2015 CSC 35 au para 28 [Hinse]). Ces deux composantes se sont perpétuées au Canada.

[27]           S’agissant de la correction des erreurs judiciaires, le Parlement a depuis adopté des dispositions législatives – l’ancien article 690 du Code criminel, et depuis 2002, les nouveaux articles 696.1 à 696.6 – du Code criminel autorisant le ministre de la Justice à ordonner un nouveau procès ou de renvoyer la cause devant une cour d’appel. Ce mécanisme de révision est ouvert à toute personne qui a été condamnée pour une infraction à une loi fédérale ou à ses règlements ou qui a été déclarée délinquant dangereux ou délinquant à contrôler en application de la Partie XXIV, si toutes les voies de recours relativement à la condamnation ou à la déclaration ont été épuisées. Un repris de justice ne peut toutefois se prévaloir de ces dispositions qui ne contiennent aucune mesure transitoire. Avant 1994, le ministère de la Justice traitait les demandes qui lui été adressées en vertu de l’article 690 « selon une approche plus ou moins improvisée » (Hinse au para 62). Le ministre de la Justice doit désormais examiner les demandes de clémence qui sont faites en vertu de l’article 696.1 conformément au Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre (erreurs judiciaires), DORS/2002-416 (article 696.2 du Code criminel).

[28]           Mais c’est plutôt du premier volet de l’exercice de la prérogative royale de clémence – plus large et moins défini – dont il est question dans le présent dossier, puisqu’il est d’ores et déjà acquis que la désignation judiciaire du demandeur comme repris de justice en 1972 était parfaitement légale à l’époque et fondée sur la preuve au dossier. On parle donc aujourd’hui d’accorder au demandeur une « remise de peine », ce que permet explicitement le paragraphe 748(1) du Code criminel, qui prévoit que « Sa Majesté peut accorder la clémence royale à une personne condamnée à l’emprisonnement sous le régime d’une loi fédérale, même si cette personne est emprisonnée pour omission de payer une somme d’argent à une autre personne ». Cela étant dit, le Code criminel « n’a pas pour effet de limiter, de quelque manière, la prérogative royale de clémence que possède Sa Majesté » (article 749 du Code criminel).

[29]           Nous l’avons déjà dit plus haut : la désignation antérieure d’un individu comme « repris de justice » n’en fait pas pour autant aujourd’hui un « délinquant dangereux » au sens de l’article 687 du Code criminel. D’autre part, selon la preuve au dossier de la Cour, plusieurs remises de peine ont été accordées dans le passé à des repris de justice qui ne présentaient pas un danger pour la sécurité du public. Le Ministre ne peut donc feindre d’ignorer le caractère propitiatoire des remarques ayant été formulées en 1984 par le juge Leggatt au sujet de l’importance du facteur de non-dangerosité du repris de justice qui adresse à Sa Majesté une demande de clémence. Légalement parlant, c’est bien entendu le gouverneur en conseil, qui, au nom de Sa Majesté, accordera une remise de peine. Toutefois, en pratique, le gouverneur en conseil n’agira qu’après avoir reçu l’avis favorable du Ministre ou d’au moins un autre ministre, de sorte que toutes les recommandations positives de clémence royale sont acheminées au Cabinet.

[30]           Dans les années 1980, l’exercice de la prérogative royale passait à travers un mécanisme interne de révision ministérielle. Dans une note interne du 21 mars 1988 ayant été considérée par la CLCC et produite au dossier de la Cour en vertu de la règle 318, le sous-ministre John C. Tait résume pour le bénéfice du Solliciteur général de l’époque, l’honorable James Kelleher, la démarche à suivre en pareil cas. Il s’agit de se concentrer sur le danger pour la sécurité du public que le repris de justice peut encore représenter :

[traduction] Si vous considérez que ces cas ne devraient pas faire l’objet d’une recommandation visant le relèvement du statut de repris de justice, les détenus en question continueront d’être admissibles à la libération conditionnelle, et bien sûr peuvent contester leur incarcération/supervision continue par voie de procédure judiciaire ou peuvent demander l’exercice de la prérogative royale de clémence à tout moment.

Selon moi, il est important de garder à l’esprit qu’en formulant votre recommandation, il ne s’agit pas de savoir si l’un de ces détenus récidive, mais de savoir s’il pouvait mettre en danger la sécurité personnelle du public. Le maintien de son statut de récidiviste signifie qu’il est soumis à libération conditionnelle à vie (ou garde à vue). Pour ceux qui, dans ce dernier groupe, sont en liberté conditionnelle depuis plusieurs années maintenant, la suppression du statut de repris de justice revient essentiellement à supprimer le « filet de sécurité ». D’autre part, en l’absence de preuve de la dangerosité, on peut dire que ce filet de sécurité est inutile et est une punition cruelle et inhabituelle. Si les repris de justice graciés venaient à enfreindre la loi maintenant, on pourrait affirmer qu’ils feraient face au processus normal de la loi.

[Soulignements ajoutés]

[31]           Rappelons que le Solliciteur général du Canada était notamment responsable de l’administration du système pénitentiaire et de la CLCC. Or, la fonction a été abolie en 2005. Les demandes de clémence en vertu de la prérogative royale sont maintenant traitées par le Ministre (auparavant le ministre de Sécurité publique). Or, l’article 110 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [Loi sur le système correctionnel] précise que « [l]a Commission procède ou fait procéder aux enquêtes dont la charge le ministre quant aux recours en grâce qui lui sont adressés. » C’est ce qui explique l’implication de la CLCC dans le présent dossier. Une parenthèse doit être faite ici : en principe, le Ministre – dont l’expertise dans ce domaine n’est pas contestée – aurait pu lui-même procéder à un « examen préliminaire » de la requête en clémence du demandeur, mais il a plutôt choisi de référer celle-ci à la CLCC. Cette dernière, comme nous le verrons plus loin, est revenue au Ministre neuf ans plus tard. À ce chapitre, la CLCC a conclu que le demandeur « n’a pas soumis une preuve qui, à prime abord, justifierait de procéder plus loin ». Le Ministre, s’il était d’accord avec la recommandation de la CLCC, n’avait qu’à  signer la note de service du 18 mars 2014, « pour indiquer qu’une enquête en vue d’un exercice de la [prérogative royale de clémence] ne soit pas instituée dans ce cas ».

[32]           En effet, il revient depuis 1958 à la CLCC de tenir une telle enquête en vue de l’exercice de la prérogative royale sur ordonnance du Ministre. La CLCC a ainsi pris la relève de l’ancien Service des pardons, qui était appelé à enquêter au nom du Ministre les demandes de clémence avant l’adoption de la Loi sur la libération conditionnelle des détenus, SC 1958, c 38, elle-même remplacée par la Loi sur le système correctionnel en 1992. Selon le Rapport Fauteux, complété en 1956 (Canada, Comité institué pour faire enquête sur les principes et les méthodes suivis au Service des pardons du Ministère de la Justice du Canada, Rapport d’un comité institué pour faire enquête sur les principes et les méthodes suivis au Service des pardons du Ministère de la Justice du Canada, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 1956), le Service des pardons aurait autrefois enquêté de manière habituelle sur des demandes de remise de peine d’emprisonnement par le biais de la prérogative royale, notamment au motif que la peine infligée était trop sévère. Cette pratique aurait cependant cessée en 1925 (à la page 38).

[33]           Les Directives ministérielles sur la prérogative royale de clémence, qui ont été publiées et diffusées sur le site web de la CLCC (http://www.pbc-clcc.gc.ca/prdons/rpmm-fra.shtml) [Directives] ont aujourd’hui pour objet d’aider la CLCC à évaluer le bien-fondé des demandes de clémence et à déterminer si elle doit ou non recommander au Ministre l’exercice de la prérogative royale. S’agissant de formuler une recommandation concernant une remise de peine, dans la note interne du 18 mars 2014 produite en vertu de la règle 318, la première vice-présidente de la CLCC, Madame Marie-France Pelletier, avise le Ministre :

Un critère établi en vertu de la PRC stipule que conformément au principe selon lequel l’indépendance du pouvoir doit être respectée, une remise de peine ne peut être octroyée que s’il est prouvé qu’il y a eu erreur de droit, une grande injustice par exemple, la modification d’une loi qui aurait des conséquences accidentelles et inattendues sur une personne reconnue coupable et qui s’est vu imposer une peine, ou un châtiment trop sévère qui serait disproportionnée par rapport à la nature et la gravité des infractions commises, mais aussi qui serait plus sévère que pour d’autres personnes dans une situation analogue.

[34]           Cependant, dans la recommandation à l'étude, la vice-présidente précise toutefois que « la [CLCC] considère que d’autres facteurs doivent être pris en compte pour formuler une recommandation dans le cas de monsieur Robillard ». [Soulignements ajoutés]. Bien que cela ne soit pas dit explicitement dans la recommandation, la Cour comprend que ces « autres facteurs » sont : la dangerosité du demandeur; la problématique criminelle reliée à l’alcool; les possibilités de libération conditionnelle; et le fait que le demandeur doit assumer aujourd’hui les conséquences de ses actions passées et les inconvénients qui représentent pour lui le fait d’avoir été déclaré un repris de justice en 1972 (voir le paragraphe 53 des présents motifs). Aussi, le caractère exceptionnel du recours en grâce doit-il tenir compte de la problématique particulière du demandeur. Bien entendu, le Ministre n’est pas lié par une recommandation – positive ou négative – de la CLCC. Car, il est de l’essence de la prérogative royale, que son exercice ne soit pas limité (article 749 du Code criminel).

CHEMINEMENT CRIMINEL DU DEMANDEUR ET TRAITEMENT DE LA DEMANDE DE REMISE DE PEINE

[35]           Voilà le portrait général : depuis sa première accusation en 1962 – lorsqu’il n’avait que seize ans – jusqu’à aujourd’hui, le demandeur a fait l’objet de cinquante-neuf condamnations, dont un homicide involontaire en 1988. Si le passé est garant de l’avenir, le jeune Robillard ne décevra pas. Pendant la période de dix ans suivant sa désignation comme repris de justice en 1972, s’accumuleront des condamnations pour lésions corporelles, possession d’arme, tentative d’évasion, séquestration, vol à main armée, évasion, tandis qu’en juillet 1979, le demandeur sera condamné à seize ans de prison aux États-Unis pour vol qualifié pendant qu’il est illégalement en liberté. Ce n’est pas peu, car pour ses congénères, même si le demandeur n’a pas encore tué – cela viendra en 1987 – c’est un homme dangereux qu’on respecte dans le milieu et qu’on craint dans la société parce qu’on sait qu’il peut tuer. Cela en fait-il pour autant un incorrigible récidiviste justifiant le maintien d’une sentence de détention préventive jusqu’à sa mort?

[36]           C’est ce que croyait le savant magistrat de la Cour des sessions de la paix, le juge Rhéal Brunet, qui, le 7 mars 1972, suite aux condamnations antérieures du demandeur, a déclaré ce dernier un « repris de justice » et l’a condamné à la détention préventive (peine indéterminée). Le demandeur n’a que vingt-cinq ans. Le magistrat est alors d’opinion que le demandeur « est un récidiviste incorrigible, et qu’il constitue une menace constante pour la société, d’où le danger actuel de le laisser en liberté ».

[37]           Douze ans plus tard, en février 1984, le cas du demandeur est examiné par la Commission Leggatt. Cela nous l’avons déjà dit. Le demandeur est dans la force de l’âge. Il a 37 ans. Or, en annexe au Rapport de la Commission, aux pages 520 à 530, le juge Leggatt considère que la continuation de la détention préventive du demandeur est justifiée à cause de sa dangerosité (passée ou potentielle) :

[traduction] DANGEROSITÉ

Depuis 1962, M. Robillard a pris activement part à des crimes graves. Sa période d’amendement et de réadaptation est seulement commencée depuis 1982, mais une période insuffisante de temps s’est écoulée pour savoir avec certitude si ce changement est permanent.

Je suis d’avis qu’il aurait été un candidat pour les procédures relatives à l’avis de danger au moment où l’on a constaté qu’il était un repris de justice, et d’avis qu’il demeure un candidat pour de telles procédures.

RELÈVEMENT

Pour le moment, je ne suis pas d’avis que M. Robillard soit un bon candidat pour le relèvement, mais s’il continue de faire du progrès, son cas devrait être réexaminé après quatre ans. La présente recommandation ne devrait aucunement empêcher les progrès qu’il a réalisés vers la libération conditionnelle.

[38]           Il y a donc plus de trente ans de cela, le juge Leggatt considérait qu’une remise de peine n’était pas justifiée dans le cas du demandeur. Mais pour autant, il ne croyait pas que ce dernier était un délinquant irrécupérable. Il fallait seulement voir et laisser faire le temps qui serait le meilleur juge des progrès vers la réhabilitation réalisés par le demandeur. Une révision administrative du dossier du demandeur serait de mise au bout de quatre ans, ce qui permettrait aux autorités ministérielles responsables d’évaluer la possibilité d’accorder une remise de peine.

[39]           Mais voilà, le 2 octobre 1987, pendant qu’il est en libération conditionnelle, le demandeur est arrêté et accusé de meurtre. Et, le 4 août 1988, le demandeur est déclaré coupable d’homicide involontaire et condamné à une peine d’emprisonnement de dix ans et quatre mois. Ce sera son dernier crime impliquant des sévices graves à la personne. Le demandeur a alors quarante-deux ans. Aujourd’hui, il clame haut et fort avoir compris la leçon. À la dure, il va dire. Doit-on pour autant le croire? En l’occurrence, tous les intervenants impliqués reconnaissent que la problématique criminelle du demandeur – incluant l’homicide involontaire – est en lien direct avec sa consommation incontrôlée d’alcool. Et, de fait, alors qu’il sera en liberté conditionnelle, le demandeur sera condamné à diverses infractions criminelles en rapport avec l’alcool (1995, 2003 et 2010). Mais un délinquant alcoolique ayant déjà commis des sévices graves contre la personne peut-il vraiment s’en sortir un jour?

[40]           C’est ce que croyaient le demandeur et plusieurs experts ayant suivi son évolution, il y a plus de dix ans passés. Et, également la CLCC, qui a libéré conditionnellement le demandeur à plusieurs reprises déjà afin qu’il puisse s’amender après avoir purgé diverses peines d’emprisonnement. En août 2005, le demandeur, par l’entremise de son ancienne avocate, Me Jacinthe Lanctôt, formule donc auprès de la gouverneure générale une demande de remise de sa sentence de détention préventive en vertu de la prérogative royale de clémence. Le demandeur a alors 59 ans. En plus de fournir une copie de son casier judiciaire, sont joints à la demande de clémence du demandeur :

a)         un document provenant de la section de la recherche du ministère de la Justice Canada concernant l’audience du demandeur devant la Commission Leggatt le 8 février 2014 (annexe 2);

b)         neuf rapports de suivis psychologiques et de thérapies reliées à la problématique d’alcool du demandeur (1976 à 2003) (annexe 3);

c)         dix rapports d’évaluations psychiatriques et psychiatriques et psychologiques (1981 à 2002) (annexe 4);

d)         deux rapports d’évaluation psychologique et un rapport d’évaluation psychiatrique et un rapport d’évaluation psychiatrique produits à la demande de l’avocate du demandeur (2004 et 2005) (annexe 5);

e)         le rapport intégral de la Commission Leggatt, incluant le jugement Mitchell (annexe 6);

f)         un extrait des politiques décisionnelles de la CLCC concernant les délinquants purgeant une peine d’une durée indéterminée – délinquants dangereux et délinquants sexuels dangereux (annexe 7);

g)         l’arrêt R c Smith, [1987] 1 RCS 1054 [Smith] (annexe 8);

h)         l’étude du professeur Michael Jackson, Sentences That Never End: The Report on the Habitual Criminal Study, Vancouver, University of British Columbia, 1982 (annexe 9);

i)          un calcul de sentence effectué par Suzanne Godin, chef régional de la gestion des peines du Québec (annexe 10);

j)          le jugement du juge Rhéal Brunet dans R c Robillard (7 mars 1972), Montréal 1453-70 (QCCSP), concernant la requête en détention préventive du demandeur (annexe 11);

k)         le jugement de la Cour d’appel du Québec dans Robillard c R, [1985] CA 691 [Robillard 1985] (annexe 12).

[41]           En substance, dans sa demande de clémence le demandeur ne prétend pas que sa désignation de repris de justice est la résultante d’une erreur judiciaire. Et, il reconnaît d’emblée que l'imposition d'une peine d'une durée indéterminée, en soi, ne viole pas l’article 12 de la Charte. Par contre, il invite les personnes chargées d’étudier sa demande de clémence à déterminer si la continuation de la sentence de détention préventive – sur laquelle la CLCC continue de prendre assise pour limiter sa liberté – est encore justifiée aujourd’hui, compte tenu de son degré de dangerosité, qui a drastiquement baissé depuis l’époque où il a été trouvé coupable d’homicide involontaire. Puisque la détention préventive est dorénavant imposée à un groupe précis de « délinquants dangereux » dont il ne fait pas légalement partie, la perpétuation de cette peine doit être qualifiée de « peine cruelle et inusitée » (Mitchell aux pages 8 et 11; R c Milne, [1987] 2 RCS 512 aux para 16-19; Smith au para 56). C’est l’un de ces cas exceptionnels, où l’exercice de la prérogative royale de clémence est requis, compte tenu du caractère disproportionné de la sentence de détention préventive et du fait que le demandeur ne présente objectivement aucun danger aujourd’hui pour le public.

[42]           Mais la demande de remise de peine insiste également sur des volets personnels et humains, invitant à la compassion de Sa Majesté. On parle de la perpétuation dans le temps de l’étiquette nauséabonde de « repris de justice », qui porte atteinte à la dignité humaine et lui cause un grave préjudice moral. Le demandeur veut également qu’on considère son âge et sa réhabilitation – dont les multiples traitements et thérapies pour vaincre son alcoolisme. Les psychologues et le psychiatre consultés dans leurs rapports à l’appui de la demande de clémence sont unanimes: « [l]e fait [que le demandeur] ait été déclaré repris de justice (criminel d’habitude) l’a longtemps influencé et amené à s’opposer de diverses manières, plus particulièrement par ses évasions, toujours sans violence » (Gilles Gadoua, psychologue, 25 octobre 2004); « [l]es premières années de liberté lui ont été difficiles puisqu’il devait prendre une distance d’avec la loi du milieu (qu’il avait sans doute bien intégrée), qu’il se sentait constamment jugé par la société, qu’il avait peu confiance en lui » (Johanne Bergeron, psychologue, 6 octobre 2004); « Monsieur Robillard vit difficilement son statut de criminel d’habitude et trouve qu’il paie de sa santé physique et psychologique » (Docteur Renée Fugère, psychiatre, 10 janvier 2005); « [c]et épuisement émotionnel et physique, ses humeurs reprécises majeures ont constitué pour lui une motivation un rappel pressant non seulement pour cesser toute consommation d’alcool, mais aussi pour qu’il prenne soin de lui avant tout » (Gilles Gadoua, psychologue, 25 octobre 2004).

[43]           On s’entend que sa désignation de « repris de justice » fait que le demandeur – même s’il a terminé de purger les autres peines pour lesquelles il a été condamné – est pratiquement en libération conditionnelle toute sa vie. Dans ce contexte, advenant le retrait de la sentence de détention préventive, combien de temps lui resterait-il à purger? En 1985, la Cour d’appel du Québec a statué que les sentences postérieures du demandeur peuvent être consécutives entre elles, mais concurrentes à la sentence de peine indéterminée (Robillard 1985). En 2005, le demandeur rêve tout haut et postule que s’il est libéré de sa sentence de détention préventive, dans cinq ou six ans il pourra avoir une perspective de terminaison de la peine fédérale pouvant rester à purger, tandis que « [c]ette lumière au bout du tunnel ne pourra qu’encourager [le demandeur] à continuer dans la voie actuelle de sa réhabilitation et à demeurer un citoyen respectueux des lois ». Cet optimisme se fonde sur les évaluations psychologiques et psychiatriques qui attestent de la faible dangerosité et du faible risque de récidive du demandeur : « le risque de récidive dans des délits orientés contre la personne semble faible à courte et à moyenne échéance » (Daniel Henroteaux, psychologue, 17 janvier 2002); « le sujet a su se maintenir loin de la criminalité violente qui le caractérisait il y a 15 ans […] le potentiel de passage à l’acte hostile demeure vraisemblablement faible » (Johanne Bergeron, psychologue, 30 septembre 2004); « [d]epuis 1988, bien que par certains manquements, cette adaptation en société ne fut pas sans écueil, il a su se tenir éloigné d’actes illicites graves qui auraient pu mettre la santé et sécurité d’autrui en danger comme en témoignage l’absence de récidive en matière criminelle outre les conduites avec facultés affaiblies » (Docteur Renée Fugère, psychiatre, 10 janvier 2005).

[44]           C’est monsieur Fidelia, Division de la clémence et des pardons, qui agira comme point de contact entre la CLCC et Me Lanctôt. Le 8 novembre 2005, monsieur Fidelia requiert la production d’une fiche de vérification des dossiers de la police locale et indique que « [l]orsque nous aurons reçu le document en question, la demande fera l’objet d’un examen afin de déterminer s’il y a lieu d’initier une enquête ». Monsieur Fidelia fait également savoir « qu’il est impératif que vous nous répondiez d’ici deux mois. Dans le cas contraire nous présumerons que vous n’avez plus l’intention de poursuivre avec votre demande [au nom de monsieur André Robillard] et nous fermerons le dossier ». [Soulignement ajouté].

[45]           Le document de police requis sera effectivement fourni à la CLCC le 28 novembre 2005. Mais cela ne fait pas bouger les choses pour autant. Près de deux ans et demi plus tard, le 27 mars 2008, Me Lanctôt revient à la charge et réitère sa demande antérieure que « l’étude du dossier soit complétée dans les meilleurs délais », étant donné que le demandeur « pourra avoir une perspective de terminaison de sa sentence avec une date précise qui si situerait quelque part en 2009/2010 ». Me Lanctôt formule également une demande d’audience devant la CLCC.

[46]           Le 23 avril 2008, monsieur Fidelia répond à Me Lanctôt que la tenue d’une audience « est bien inscrite dans le processus d’une demande de remise de peine, cependant, elle ne s’applique pas à l’étape de l’examen préliminaire », tandis que « au cours de l’examen préliminaire, la [CLCC] acceptera tous les documents supplémentaires que vous jugerez utiles pour la requête de votre client ». Du même coup, monsieur Fidelia fait savoir à Me Lanctôt que la CLCC « est en train de compléter l’examen préliminaire de la demande de clémence de votre client dans le but de déterminer s’il y a lieu d’initier une enquête », tout précisant que « si à la suite de l’examen préliminaire, le ministre de la Sécurité publique décide que la [CLCC] doit mener une enquête et que suite à l’enquête la [Commission] propose de recommander un refus de la clémence, votre client va être invité à faire des représentations orales ou écrites avec ou sans assistance ». [Soulignements ajoutés].

[47]           En fait, le seul élément qui semble alors retarder la complétion de l’examen préliminaire, c’est le calcul exact de la peine fédérale qui resterait à purger dans l’éventualité d’une remise de la peine à durée indéterminée. Monsieur Fidelia explique à Me Lanctôt dans sa lettre du 23 avril 2008 que la CLCC attend une réponse de Madame Suzanne Godin du Service correctionnel du Canada : « [n]ous espérons recevoir cette information bientôt, ce qui aidera à compléter l’examen préliminaire de la demande ». En juillet 2008, un premier calcul, sera fourni à la CLCC : la peine se terminerait le 24 avril 2031 – lorsque le demandeur aura atteint l’âge honorable de 84 ans! Mais madame Godin s’est trompée et n’a manifestement pas tenu compte de l’arrêt de la Cour d’appel dans Robillard, ce que Me Lanctôt aura tôt fait de rappeler à la CLCC qui avait connaissance de cet arrêt depuis au moins 2005 (annexe 12 de la demande de clémence). En octobre 2008, on procède donc à un nouveau calcul : la peine se terminerait plutôt le 31 juillet 2011. À moins que …

[48]           Le 17 octobre 2009, le demandeur est arrêté en état d’ébriété au volant d’un véhicule automobile. Et, oui, il était en libération conditionnelle. Il est inculpé de conduite avec facultés affaiblies et de refus de fournir un échantillon d’haleine. Le 19 janvier 2010, il est condamné à des peines concurrentes de 12 mois d’emprisonnement pour chaque chef d’accusation et il devra entretemps réintégrer le pénitencier suite à la révocation de sa libération conditionnelle. Ce seront les dernières condamnations du demandeur qui n’a pas récidivé depuis.

[49]           Le 29 septembre 2011, le demandeur recouvre une semi-liberté. À cette époque, selon les indications fournies à Me Lanctôt, une recommandation concernant la demande de clémence est (encore une fois, semble-t-il) en voie d’être finalisée par Monsieur Fidelia, qui devrait la transmettre à Madame Marie-France Pelletier, première vice-présidente de la CLCC. Le 11 octobre 2011, Me Lanctôt adresse donc une lettre à la première vice-présidente afin de recevoir copie de l’analyse et recommandation préparées par Monsieur Fidelia, ainsi que de la recommandation qu’elle soumettra elle-même, le cas échéant, au Ministre : « En effet, la complexité du dossier exige, au nom de l’équité procédurale, que nous puissions faire nos représentations à toutes les étapes de la procédure ». Du même coup, Me Lanctôt soumet « qu’une audience devant la [CLCC], permettrait davantage de démontrer en quoi une remise de peine en vertu de la Prérogative Royale de Clémence, s’avère être la mesure le plus appropriée dans les circonstances. »

[50]           Mais la requête de Me Lanctôt pour obtenir copie de la recommandation en question et la convocation d’une audience demeurera, encore une fois, lettre morte. Près de deux ans passent. Le 1er juillet 2013, Me Lanctôt s’enquiert des développements auprès de la première vice-présidente de la CLCC, en lui rappelant que lors d’une conversation avec Monsieur Fidelia, en août 2012, elle avait été informée que « l’examen préliminaire a été envoyé à la haute direction pour recommandation au Ministre de la Sécurité publique et au Gouverneur général ». Du même souffle, Me Lanctôt réitère sa requête écrite du 11 octobre 2011 « demandant accès aux recommandations dans le dossier, afin de nous permettre le cas échéant, de faire des représentations », et renouvelle encore une fois sa demande d’audience, tout en soumettant que « les délais pour l’étude [du dossier du demandeur] sont complètement déraisonnables et hautement préjudiciables puisque nous considérons que [le demandeur] devrait avoir déjà retrouvé sa pleine liberté depuis le 31 juillet 2011 ». Nouveau silence radio de la CLCC.

[51]           Le 14 mars 2014, Me Pierre Tabah, le nouveau procureur du demandeur, fait parvenir une mise en demeure à la CLCC, rappelant que près de neuf ans se sont écoulés depuis le moment où la demande de clémence a été faite.

[52]           Le 18 mars 2014, la première vice-présidente de la CLCC adresse au Ministre une note de service interne de sept pages (portant la mention « PROTÉGÉ B ») (document 36), qui contient la recommandation suivante :

J’ai examiné la requête et les renseignements soumis par monsieur Robillard par le biais de son avocate en rapport avec les critères et tenu compte des circonstances susmentionnées. Suite à un tel examen, je suis d’avis qu’il n’a pas soumis une preuve qui, à prime abord, justifierait de procéder plus loin. Si vous êtes d’accord, je vous demanderais de signer la note de service ci-jointe, pour indiquer qu’une enquête en vue d’un exercice de la PRC ne soit pas instituée dans ce cas.

[Soulignements ajoutés]

[53]           Excluons les commentaires généraux concernant l’historique, le genre de requête et le résumé des faits et motifs de clémence que l’on retrouve dans la note de service du 18 mars 2014 de la première vice-présidente. Le raisonnement de la CLCC pour recommander au Ministre de ne pas tenir d’enquête et de refuser la demande de clémence est cristallisé dans les trois paragraphes suivants :

Depuis la tenue de la Commission Leggatt en 1984 et jusqu’à ce jour, monsieur Robillard a été condamné pour homicide involontaire, vol ne dépassant pas $1,000 et pour cinq infractions de conduite automobile impliquant la consommation d’alcool. Son casier judiciaire comporte un vol qualifié, conduite avec facultés affaiblies, infractions liées aux narcotiques, proférer des menaces de mort ou de blessures corporelles, entrave à la justice et possession d’une arme dans un dessein dangereux qui ont donné lieu à des libérations, arrêts des procédures ou acquittement.

Bien qu’il ait été évoqué que la sentence de détention préventive soumettait monsieur Robillard à un traitement cruel et habituel ou encore à une punition qui était contraire aux principes de détermination des peines, la [CLCC] a pris en compte le fait que de nombreuses opportunités de révision ont été offertes aux individus purgeant une peine de détention préventive. Bien qu’une décision favorable n’ait pas été rendue dans le cas de monsieur Robillard, la [CLCC] estime également qu’il a subi et continue de subir les conséquences normales de ses propres gestes et condamnations. La documentation produite à l’appui de la demande de clémence précise que le statut de repris de justice se répercute sur la santé physique et mentale de monsieur Robillard. Néanmoins, la [CLCC] est d’avis qu’il ne fait ni l’objet d’une injustice ou d’un châtiment qui serait trop sévère ou disproportionné par rapport à la nature et à la gravité des infractions commises.

Eu égard à la nature des délits commis par monsieur Robillard; l’absence confirmée d’un style de vie pro-social et en plus que l’alcool a été un facteur non négligeable au niveau de ses antécédents criminels, nous recommandons, dans l’intérêt de la sécurité du public, qu’aucune enquête ne soit instituée en rapport avec cette demande de remise de peine.

[Soulignements ajoutés]

[54]           L’analyse et la recommandation de la CLCC ne sont pas communiquées au demandeur, mais son procureur est quand même avisé à l’époque que la recommandation de la CLCC – on ne dit pas si elle est positive ou négative – a été transmise au Ministre. D’autre part, dans une note de service séparée de deux pages (portant la mention « PROTÉGÉ B »), également datée du 18 mars 2014, la première vice-présidente rappelle au Ministre qu’« [i]l existe une obligation minimale d’équité procédurale envers les demandeurs de clémence », et prie le Ministre de noter que la CLCC « recommande la communication complète du dossier », tout en précisant que « [s]i vous donnez la directive de divulguer, une conséquence possible sera que la recommandation pourra devenir un document public ». [Soulignements ajoutés].

[55]           Le 26 juin 2014, une mise en demeure est adressée au Ministre par Me Tabah. On peut notamment lire :

Bien que nous ayons reçu la certitude que le dossier fut transféré pour étude par le Ministère de la Justice, nous sommes toujours sans accusé de réception, sans nouvelles sur les procédures à venir, sans indications sur le statut actuel du dossier et sans aucune indication sur l’identité des personnes qui traitent actuellement le dossier. Le dossier est donc au statu quo depuis maintenant de neuf (9) ans et Monsieur Robillard n’a toujours pas reçu une réponse claire à sa requête. Nous ne pouvons informer notre client sur le déroulement de son dossier puisque nous sommes nous-mêmes tenus dans le plus grand des secrets.

Puisque le dossier de Monsieur Robillard démontre que la peine qu’il a reçue à l’origine est maintenant disproportionnée par rapport à la dangerosité qu’il représente, il est normal que celui-ci attende une réponse positive, minimalement une réponse!

Nous pensions que le dossier était sur la voie d’être finalement traité lors de notre implication en début d’année, forcé de constater que le même scénario se reproduit et que nous sommes toujours dans le néant. Jusqu’à présent, les agissements des différents intervenants dans ce dossier sont inexplicables et contraires à tous nos principes fondamentaux de justice. Le préjudice que subit notre client est réel, mais la présente situation nous semble irréelle! La présente est donc une mise en demeure de nous donner une réponse formelle à nos questions, cela dans un délai de sept (7) jours de la réception des présentes. Ce court délai est en fonction de la non-collaboration observée dans ce dossier depuis le dépôt de la requête en 2005.

Advenant le refus de répondre aux présentes ou l’incapacité à répondre à notre demande dans les délais demandés, nous ne tarderons pas à présenter ce dossier devant un tribunal compétent pour entendre cette affaire.

Veuillez agir en conséquence.

[Soulignements dans l’original]

[56]           Le 29 août 2014, le Ministre prend une décision finale concernant le mérite de la demande de clémence. Sa décision n’est pas motivée, et dans le dossier certifié qui a été déposé à la Cour par la CLCC en vertu de la règle 318, la note de service du 18 mars 2014 (analyse et recommandation) n’a pas été signée par le Ministre et retournée à la CLCC. Par contre, le Ministre a retourné à la CLCC une lettre du 29 août 2014 (« PROTÉGÉ B »), adressée à la première vice-présidente, signée par le Ministre lui-même, avisant cette dernière : « JE NE SUIS PAS D’ACCORD à ce qu’une enquête en vue d’un exercice de la prérogative royale de clémence soit instituée dans ce cas » (document 43).

[57]           Du même coup, le Ministre a retourné à la CLCC une seconde lettre également datée du 29 août 2014 (« PROTÉGÉ B »), adressée à la première vice-présidente, signée par le Ministre lui-même, avisant cette dernière : « JE N’APPROUVE PAS que la recommandation concernant le bien-fondé de la demande d’exercice de la prérogative royale de clémence soit caviardée et divulguée dans le présent cas » (document 44).

[58]           Aucune lettre officielle de refus émanant du Ministre lui-même n’est directement adressée au demandeur ou à son procureur. Suivra la lettre de la CLCC, en date du 9 septembre 2014, adressée au procureur du demandeur, dans laquelle monsieur Fidelia fait part du refus ministériel et dont nous avons reproduit le contenu intégral au début de ces motifs (voir le paragraphe 2).

PORTÉE LIMITÉE DU PRÉSENT EXAMEN JUDICIAIRE

[59]           N’étant pas ignorant du fait qu’une peine « exagérément disproportionnée », qui est « excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine », de même qu’« odieuse ou intolérable » socialement, est contraire à l’article 12 de la Charte (Smith) – la Cour suprême du Canada vient encore de le rappeler dans R c Lloyd, 2016 CSC 13 au paragraphe 243 –, le demandeur voudrait faire cesser les souffrances que lui cause encore aujourd’hui sa désignation comme « repris de justice ». Et, en particulier, par le biais de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur sollicite un jugement de la Cour cassant et déclarant illégaux le refus ministériel et la recommandation négative. Il recherche l’émission d’une ordonnance forçant le Ministre à réviser sa demande de clémence, et à la CLCC de tenir une enquête, en conformité avec les lois et règlements applicables.

[60]           Mais attention : la compétence de la Cour fédérale en matière de recours extraordinaires visant un office fédéral ou le Procureur général du Canada est circonscrite statutairement par les alinéas a) et b) du paragraphe (1) de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [LCF]. Bien qu’elle ait compétence exclusive pour examiner la légalité de la décision finale rendue le 29 août 2014 par le Ministre, il reste que cette Cour n’est pas appelée aujourd’hui à statuer sur la légalité ou la raisonnabilité des conditions spéciales de libération conditionnelle que la CLCC a pu imposer par le passé au demandeur. Cette Cour n’a pas non plus à décider aujourd’hui si le demandeur, qui n’a jamais été formellement déclaré un « délinquant dangereux » par un tribunal compétent, est resté en prison bien au-delà du moment où il aurait pu obtenir sa libération conditionnelle, alors que la Cour suprême du Canada a déjà décidé dans un tel cas que la décision de la CLCC de garder le délinquant en prison peut fort bien violer l’article 12 de la Charte (Steele c Établissement Mountain, [1990] 2 RCS 1385 à la page 1412).

[61]           De plus, même si l’on convient que « [l]a détention d’un délinquant dangereux pendant une période indéterminée n’est justifiée que si elle vise effectivement à protéger le public » (R c Johnson, 2003 CSC 46 au para 20), et qu’on veuille appliquer le même raisonnement aux repris de justice qui n’ont pas bénéficié d’une remise de peine (Mitchell), il ne s’agit pas aujourd’hui de statuer sur la légalité de l’exécution de la sentence de détention préventive. Au passage, rappelons que le Parlement a délibérément omis la mention de l’habeas corpus au paragraphe 18(1) de la LCF, bien qu’il ait prévu explicitement au paragraphe 18(2) de la LCF, que la Cour fédérale a compétence exclusive pour notamment émettre un bref d’habeas corpus visant un membre des Forces canadiennes en poste à l’étranger. Quoique certains collègues de la Cour fédérale ont pu émettre des doutes à ce sujet (Warssama c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1311 (CanLII) aux para 35 à 36), il semble aujourd’hui acquis que les Cours supérieures des provinces ont non seulement compétence générale pour émettre un bref d’habeas corpus, mais qu’elles possèdent une compétence concurrente avec la Cour fédérale pour vérifier la légalité de toute décision des autorités pénitentiaires affectant la « liberté résiduelle » d’un détenu : R c Miller, [1985] 2 RCS 613; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 aux para 31-50). Voir également la récente décision de la Cour d’appel de l’Ontario, au même effet, mais dans le contexte de l’immigration : Chaudhary v Canada (Public Safety and Emergency and Preparedness, 2015 ONCA 700).

[62]           Aussi, qu’on le comprenne bien, même si les compétences de la Cour fédérale et des cours supérieures se chevauchent jusqu’à un certain point, il existe des différences fondamentales dans le traitement d’une demande de contrôle judiciaire et celui d’une demande d’habeas corpus. Premièrement, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, il incombe au demandeur de prouver que le décideur fédéral a commis une erreur révisable, alors que dans le cadre d’une demande d’habeas corpus, ce fardeau incombe aux autorités carcérales dès lors que le prisonnier a établi la privation de liberté et soulevé valablement un doute quant à la légalité de cette privation. Deuxièmement, en contrôle judiciaire, la Cour fédérale doit limiter son examen aux seules preuves qui étaient devant le décideur, tandis qu’à l’occasion d’un habeas corpus, des preuves extrinsèques peuvent être considérées. Troisièmement, en contrôle judiciaire, la Cour fédérale fera preuve de déférence à l’égard des questions relevant de l’expertise du décideur, tandis les cours supérieures entendant une demande d’habeas corpus examineront le bien-fondé de la détention sans égard à toute interprétation contraire du décideur. Quatrièmement, tandis que le contrôle judiciaire constitue un recours intrinsèquement discrétionnaire – la Cour peut refuser d’entendre l’affaire ou d’accorder le remède demandé – le bref d’habeas corpus est accordé d’office par les cours supérieures lorsque la personne en détention a prouvé la privation de liberté et soulevé valablement un doute quant à la légalité de la détention.

[63]           Ainsi donc, le jugement Mitchell et le rapport de la Commission Leggatt, bien loin de constituer des évènements isolés, ont eu une suite généreuse, si bien qu’un repris de justice qui n’a pas pu obtenir une remise de peine en vertu de l’exercice de la prérogative royale de clémence n’est pas sans recours judiciaire aujourd’hui pour faire examiner la légalité de la continuation de sa peine de détention préventive. Notamment, l’approche adoptée par le juge Linden, selon laquelle la détention continue peut devenir un traitement ou peine cruel et inusité aux termes de l’article 12 de la Charte n’a jamais été rejetée par les tribunaux. C’est notamment ce qu’affirme la Cour suprême du Canada dans Steele c Mountain Institution, [1990] 2 RCS 1385, aux pages 1405-1406. Elle semble d’ailleurs avoir été affirmée dans des décisions subséquentes comportant une trame factuelle similaire à celle qui nous concerne en l’espèce.

[64]           À ce chapitre, le premier critère d’examen semble bien être celui de la dangerosité du délinquant pour la sécurité du public. Par exemple, en 1995, la Cour d’appel de l’Ontario a accueilli l’appel d’un repris de justice ne posant aucun danger et a émis un bref d’habeas corpus ordonnant sa libération bien que, dans les faits, il n’était plus emprisonné et qu’il était en libération conditionnelle (Gallichon v Commission of Corrections and Attorney General for Ontario), [1995] OJ No 2744 (CA Ont)). Par contre, dans le cadre du présent dossier, il s’agit plus modestement d’examiner la légalité et la raisonnabilité d’une décision du Ministre ayant trait à l’exercice de la prérogative royale. Or, nous l’avons vu le Ministre exerce une discrétion qui peut faire appel à plusieurs facteurs, et ce, bien que dans le passé, la dangerosité a pu être un facteur déterminant dans les cas des repris de justice qui ont bénéficié d’une remise de peine à la suite des recommandations de la Commission Leggatt.

CARACTÈRE RÉVISABLE DE LA DÉCISION CONTESTÉE

[65]           Le demandeur fait valoir dans un premier temps que sa demande de clémence n’a pas été traitée dans un délai raisonnable, ce qui contrevient à l’équité procédurale et aux principes de justice fondamentale reconnus par l’article 7 de la Charte. En effet, neuf ans se sont écoulés avant que la décision contestée ne soit rendue en l’espèce. En l’absence d’explications raisonnables, un aussi long délai est « assimilable à un refus implicite d’exécuter l’obligation d’agir » (Ben-Musa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 764 (CanLII) au para 21).

[66]           De son côté, le défendeur prétend que le demandeur ne peut obtenir la clémence royale sur la base du seul écoulement du temps, alors que la Cour ne peut intervenir, tant bien même le long délai écoulé d’examen de la demande de clémence est injustifié et déraisonnable en l’espèce. Tout ce que peut faire la Cour, c’est casser la décision ministérielle et retourner le dossier au Ministre, si d’aventure, elle estime qu’il y a eu bris à l’équité procédurale ou que le refus ministériel est déraisonnable – ce que le défendeur n’est pas prêt à concéder aujourd’hui.

[67]           Soyons clairs. Dans le cas de la demande de clémence déposée en 2005, il n’y a jamais eu d’enquête formelle ayant été ordonnée par le Ministre en vue d’un exercice de la prérogative royale de clémence. Le délai écoulé dans ce dossier l’a été exclusivement pour ce qui a été qualifié par la CLCC « d’examen préliminaire ». Neuf ans pour statuer, sommairement et sans enquête, sur le bien-fondé de la demande de clémence, ce n’est pas sérieux! C’est même choquant. La CLCC et le Ministre n’ont aucune excuse légitime à offrir à la Cour pour ce délai excessif et déraisonnable. Voilà pourquoi, advenant le rejet de la demande de contrôle judiciaire, le défendeur dit aujourd’hui ne pas réclamer de frais contre le demandeur. Soit.

[68]           Si l’on accepte le raisonnement du défendeur, en se fondant sur l’article 110 de la Loi sur le système correctionnel, le demandeur aurait dû solliciter l’émission d’un bref de mandamus pour obliger la CLCC à émettre sa recommandation plus rapidement (Conille c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 9097 (CF)). Mais voilà, comme l’a fait valoir le défendeur, il est trop tard, puisque le Ministre a maintenant rendu une décision finale en 2014. D’un autre côté, la Cour n’a aucun pouvoir légal pour ordonner au gouverneur général en conseil – qui agit sur avis de Ministre – d’accorder la clémence royale au demandeur. Il faut donner raison sur ce dernier point au défendeur, mais je ne crois pas que cela suffit pour clore l’examen de la présente demande de contrôle judiciaire.

[69]           Car, qu’à cela ne tienne, le demandeur fait également valoir devant la Cour qu’il existe une crainte raisonnable de partialité du fait que la CLCC a été impliquée au niveau des demandes de libération conditionnelle du demandeur. Le demandeur soutient du même souffle également que le processus de renvoi de la demande de clémence à la CLCC pour examen et recommandation va à l’encontre des principes de justice fondamentale que garantit l’article 7 de la Charte. Le fait que ce soit le même organisme qui fournisse une recommandation au Ministre au sujet de la tenue d’une enquête formelle au sujet de la demande de remise de peine soulève donc un doute raisonnable quant à l’impartialité de la CLCC et la rigueur de son examen de la demande de remise de peine.

[70]           Le défendeur rétorque que le Ministre a le pouvoir légal de demander à la CLCC de faire enquête sur les demandes de grâce et que rien dans la preuve au dossier ne démontre ou ne permet à la Cour d’inférer que le Ministre et la CLCC n’avaient pas l’esprit ouvert. D’un autre côté, le demandeur sait depuis le début du processus que la CLCC fera une recommandation au Ministre – ce qui n’a jamais posé problème antérieurement – de sorte que le demandeur a aujourd’hui renoncé à soulever devant la Cour l’existence d’une crainte raisonnable de partialité (Bilodeau au para 117).

[71]           Il y a lieu de distinguer entre la partialité appréhendée d’un décideur sur le plan institutionnel et celle sur le plan individuel, c’est-à-dire dans un dossier en particulier. L’argument de partialité institutionnelle à l’endroit de la CLCC ne m’apparaît pas convaincant. L’article 110 de la Loi sur le système correctionnel permet explicitement au Ministre de demander à la CLCC de faire des enquêtes sur les recours en grâce. Je comprends que le demandeur veuille prétendre qu’un tel régime de délégation du pouvoir d’enquête – qui doit nécessairement comprendre celui de procéder à un examen préliminaire de la demande de clémence – viole l’article 7 de la Charte. Toutefois, avant que la Cour fédérale puisse déclarer une disposition législative inopérante en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch 3 (RU), encore faut-il qu’un avis de question constitutionnelle ait été signifié et déposé conformément à l’article 57 de la LCF. Ce n’est pas le cas en l’espèce. J’ajouterais ici que le seul fait que la CLCC soit chargée de la surveillance du demandeur ne permet pas à une personne bien informée de la situation de conclure qu’il existe en l’espèce une crainte raisonnable de partialité. Le Ministre est par ailleurs indépendant de la CLCC et il n’est pas obligé de suivre une recommandation formulée par celle-ci. D’ailleurs, depuis le début du processus d’examen, le demandeur sait que la CLCC examinera son dossier et fera une recommandation du Ministre. Le silence du demandeur constitue un acquiescement tacite à cette manière particulière d’agir.

[72]           Reste l’apparence de partialité ou d’un parti pris contre le demandeur pouvant résulter du comportement adopté dans le présent dossier par la CLCC ou le Ministre – ce dernier a permis ce laisser-faire administratif de la CLCC. Or, il est pour le moins troublant et choquant que la CLCC ait pris neuf ans à compléter son « examen préliminaire » et remettre sa recommandation au Ministre. Mauvaise foi? Parti pris? Refus implicite? Incurie administrative?

[73]           Le défendeur n’a soumis aucun affidavit de l’un des acteurs impliqués. L’absence d’explications et le mutisme dans lequel se sont terrés la CLCC et le Ministre autorisent la Cour à tirer des inférences négatives. D’ailleurs, dans ses communications avec Me Lanctôt, monsieur Fidelia a pu contribuer à alimenter les doutes légitimes que le demandeur pouvait avoir au sujet de l’intégrité et de la neutralité du processus d’examen de sa demande de clémence. La CLCC s’était-elle déjà fait une idée? Tout est question d’apparence... La CLCC connaissait déjà le demandeur et ses comparutions antérieures à l’occasion de ses demandes de libération conditionnelle semblent avoir joué un rôle important au niveau de l’évaluation du bien-fondé de sa demande de clémence. Dans son analyse du 18 mars 2014, la première vice-présidence se réfère à des faits importants qui ne sont pas mentionnés par Me Lanctôt dans sa demande de remise de peine : « En ce qui a trait à sa condamnation en 1988 pour homicide involontaire, Monsieur Robillard explique qu’il a été agressé dans un bar, puis il a quitté les lieux, il est revenu avec une arme à feu, la dispute a continué et il a tiré un coup de feu. Il dit qu’il voulait simplement intimider son assaillant et qu’il n’avait aucunement l’intention de le tirer ». Puis, la première vice-présidente explique qu’elle « a essayé en vain d’obtenir une transcription de la Cour des sessions de la paix de Montréal afin de prendre connaissance du ratio decidendi dans cette cause; cependant le dossier a été détruit » (à la page 503).

[74]           Or, nulle part dans son analyse, de la première vice-présidente ne mentionne avoir tenté d’obtenir des éclaircissements auprès du demandeur ou de Me Lanctôt, tandis qu’elle conclut à ce chapitre que « la transcription comportant des détails sur les circonstances atténuantes et aggravantes qui ont été considérées pour arriver à cette sentence aurait pu nous fournir des informations additionnelles ». Qui sait si le demandeur ou l’un de ces anciens procureurs n’avaient pas la transcription en question ou des explications utiles à fournir à la première vice-présidente? Or, comme le rappelle la Cour dans l’affaire Bilodeau au para 90, « certaines omissions peuvent être corrigées par le simple fait qu’un demandeur a eu l’opportunité de rectifier la situation par le biais de commentaires de manière à ce que le décideur prenne sa décision en connaissance de cause (Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 CF 574 aux para 56-57 ».

[75]           Donc, si la décision contestée du Ministre de rejeter sommairement la demande de clémence, sans ordonner la tenue d’une enquête, doit aujourd’hui être cassée, c’est également à cause de l’opacité et du manque total de transparence dans lequel a baigné l’ensemble du processus depuis le dépôt de la demande de clémence en 2005. Au point même, que l’on a refusé en 2014, sans justification valable et à l’encontre des principes d’équité procédurale, de divulguer la recommandation négative de la CLCC au principal intéressé, le demandeur. La Cour peine à voir pourquoi la CLCC et le Ministre ont refusé de faire preuve de transparence tout au long du processus, et ce, malgré les lettres ou mises en demeure que les procureurs du demandeur ont pu leur adresser. Tout cela respire la mauvaise foi et sent le parti pris. Était-il suffisant en 2015 pour faire amende honorable que, à la suite de l’institution de la présente demande de contrôle judiciaire, la recommandation et le dossier de la CLCC soient finalement produits à la Cour?

[76]           Je ne le crois pas. Le demandeur fait également valoir à ce chapitre que le Ministre n’a fourni aucun motif à l’appui du refus d’ordonner la tenue d’une enquête relativement à sa demande de remise de peine, ce qui constitue une violation de l’équité procédurale, tandis que le défendeur s’appuie sur la recommandation et le dossier de la CLCC pour soutenir le caractère raisonnable de la décision finale du Ministre. Or, la Cour suprême nous enseigne aujourd’hui que l’absence ou l’insuffisance de motifs ne devraient plus examinée sous l’angle de l’équité procédurale (Baker aux para 40-43), mais plutôt sous celui du caractère raisonnable de la décision contestée (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux para 9, 12 et 20 [Newfoundland]).

[77]           La décision ministérielle du 29 août 2014 n’est pas motivée. La lettre du 9 septembre 2014 de la CLCC, par son caractère générique, est nettement insuffisante. Reste l’analyse du 18 mars 2014 de la première vice-présidence de la CLCC. Mais on ne parle pas ici d’examiner la raisonnabilité d’une décision de la CLCC, en complétant les motifs fournis par le décideur avec les notes qu’il a pu lui-même laisser dans le dossier après avoir eu diverses communications avec une partie (Baker, par exemple). Le Ministre et la CLCC sont tous les deux indépendants. Le Ministre ne peut agir sous la dictée d’un tiers. Le pouvoir de la CLCC en est un exclusivement d’enquête et de recommandation. Or, rien n’indique au dossier de la Cour que le Ministre a personnellement examiné la demande de clémence et la documentation soumise par le demandeur. Le problème fondamental – et c’est une dimension qui n’a jamais été abordée dans l’arrêt Newfoundland –, c’est que le Ministre cherche à s’appuyer sur une recommandation négative de la CLCC, qui n’a jamais été auparavant divulguée au demandeur. Pour ce faire, il faudrait que le processus administratif ayant mené à la recommandation de la CLCC et à la décision du Ministre ait été équitable.

[78]           Ce n’est pas le cas en l’espèce, et ce, même si le contenu de l’équité procédurale peut être minimal. Bien qu’aucune procédure particulière d’examen (ou d’enquête) n’est prévue dans une loi ou un règlement, les Directives précisent néanmoins que « [l]a prérogative royale de clémence est exercée selon des principes généraux qui visent à assurer une démarche juste et équitable », et que « [l]orsqu’elle examine les demandes de clémence, mène des enquêtes et formule des recommandations, la [Commission] respecte les principes directeurs [qui sont mentionnés aux Directives]. » [Soulignements ajoutés]. Selon la preuve au dossier, les pratiques entourant l’examen de clémence ont pu varier d’une époque à l’autre, mais une chose n’a pas changé : la CLCC et le Ministre doivent agir équitablement.

[79]           Même si la clémence royale ne fait pas l’objet de droits, un requérant peut au minimum escompter que sa demande sera sérieusement étudiée par un décideur ayant l’esprit ouvert. L’examen de la demande de clémence doit être neutre et rigoureux, et la Cour doit considérer toutes les démarches faites même après la recommandation de la CLCC pour s’assurer que toute l’information pertinente soit recueillie et commentée avant la prise de décision finale par le Ministre. D’ailleurs, le défendeur n’a jamais soutenu devant cette Cour que le processus d’examen ou d’enquête d’une demande de clémence doit être gardé secret et que la CLCC peut fonder sa recommandation sur des éléments extrinsèques n’ayant jamais été communiqués au requérant dans le cadre de ce processus. Pour être plus précis, lorsque la décision finale du Ministre sur une demande de clémence est prise sur simple examen du dossier, un requérant doit pouvoir expliquer ou réfuter tout élément défavorable qui ne lui pas été déjà divulgué par la CLCC. Évidemment, le requérant doit également avoir la possibilité de commenter toute recommandation négative de la CLCC.

[80]           Il est notoire qu’une telle possibilité est offerte par exemple à un demandeur dans le cadre d’une plainte aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6. La procédure générale qui encadre ce processus est en sorte analogue à celui qui nous concerne en l’espèce : lorsqu’un demandeur dépose sa plainte, celle-ci est examinée par la Commission canadienne des droits de la personne [CCDP], qui détermine s’il y a lieu de porter la plainte devant le Tribunal canadien des droits de la personne. Cependant, avant de prendre une telle décision, la CCDP formule un rapport et permet aux parties de formuler des observations à son égard. Selon la jurisprudence de cette Cour (et de la Cour d’appel fédérale), il s’agit d’un manquement d’équité procédurale de ne pas permettre aux parties de le faire (Mercier c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 3 RCF 3 (CAF); voir aussi Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 RCS 879 aux pages 902-903).

[81]           Je n’ai donc aucune hésitation à conclure qu’il y a eu des manquements très graves à l’équité procédurale dans le présent dossier. Le Ministre a décidé de ne pas tenir d’enquête et de ne pas communiquer au demandeur la recommandation négative de la CLCC. Le refus ministériel se fonde notamment sur des éléments et des raisonnements critiquables ou contestés qui n’ont pas été divulgués au demandeur en temps utile. Le laxisme et le désintéressement dont ont fait preuve la CLCC et le Ministre, tout au long des neuf années durant lesquelles s’est étalé l’examen de la demande de clémence, sont criants et justifient un redressement judiciaire. Ce serait tourner le système en dérision que de permettre aujourd’hui au défendeur de s’appuyer sur la recommandation de la CLCC et des éléments d’un dossier gardé secret afin de justifier la raisonnabilité du refus ministériel.

[82]           Dans l’hypothèse où la Cour conclurait qu’il y a eu un bris à l’équité procédurale, le défendeur a soumis subsidiairement que la demande de clémence ne devrait pas être retournée pour redétermination par le Ministre parce que le résultat risque d’être le même (Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, 1994 CanLII 114 (CSC) aux pages 228-229). Bien entendu, le demandeur s’oppose à cette dialectique. Il soumet avoir déjà subi une grave injustice, tandis qu’une enquête neutre et rigoureuse n’a pas été menée par la CLCC ou le Ministre au sujet de sa demande de clémence en conformité de la loi et de ses droits constitutionnels.

[83]           Je suis d’accord avec le demandeur. L’injustice commise à l’endroit de ce dernier est flagrante et elle est grave. Le non-respect de l’équité procédurale a causé au demandeur un préjudice matériel important. Il est donc opportun de renvoyer la demande de clémence au Ministre pour redétermination après que le demandeur aura eu l’opportunité de compléter sa demande de clémence – près de onze ans se sont écoulés – et de soumettre au Ministre des représentations écrites au sujet de la recommandation de la CLCC de ne pas tenir d’enquête et de rejeter sommairement sa demande de clémence.

[84]           Au risque de me répéter, la question aujourd’hui n’est pas de savoir si, au bout du compte, la décision du Ministre constitue une issue acceptable, mais de se demander si le demandeur a vraiment eu l’opportunité de faire valoir son point de vue devant un décideur neutre et impartial. Un doute raisonnable se soulève en l’espèce. Dans l’exercice de ma discrétion, j’ai tenu également compte du fait que la CLCC a ajouté à la liste des critères mentionnés dans les Directives d’autres critères, dont certains potentiellement contestables, sans en aviser le demandeur et lui offrir la possibilité de les commenter. Par exemple, dans l’éventualité où le statut de repris de justice lui était retiré, la CLCC suggère dans son analyse que le demandeur demeure quand même inadmissible à présenter une demande de pardon au titre de la Loi sur le casier judiciaire compte tenu du fait qu’il a été condamné pour plus de trois infractions dont chacune a fait l’objet d’une poursuite par voie de mise en accusation avec une peine de deux ans d’emprisonnement ou plus. Lors des plaidoiries orales, le procureur du défendeur a repris le même discours. Mais ce n’est pas le point : il y a Pardon et pardon (voir les paragraphes 24 et 25 plus haut). Le demandeur ne recherche pas aujourd’hui la suspension, dans son casier judiciaire, des deux condamnations de 2010 reliées à sa consommation d’alcool. Il demande une remise de peine, car il ne veut tout simplement pas que perdure, jusqu’à sa mort, la sentence de détention préventive (peine indéterminée) qui lui a été imposée en 1972, voilà tout près de quarante-cinq ans de cela.

[85]           J’ai également tenu compte dans l’exercice de ma discrétion du fait que le demandeur a présenté à la Cour des arguments sérieux concernant le manque d’analyse ou les lacunes dans le raisonnement de la CLCC. On peut raisonnablement se demander si la CLCC pouvait, sans une véritable discussion de la preuve au dossier, simplement écarter sommairement les preuves contemporaines et objectives de la non-dangerosité du demandeur – dont l’absence de condamnation ou de poursuite pour des sévices graves à la personne depuis 1988 – pour s’en remettre tout simplement à un commentaire général formulé dans un rapport psychiatrique datant de janvier 1989 : « il faut aller au-delà d’une évaluation factuelle, puisque même s’il ne s’implique pas dans un agir négatif, cela ne signifie pas pour autant qu’il représentera un bon risque à l’extérieur ». Il m’apparaît évident que les nombreux experts ayant fourni des opinions postérieures de non-dangerosité (2002 à 2005) auraient certainement pu compléter ou clarifier ce dernier commentaire du psychiatre Alfred Thibault.

[86]           Du même coup, le demandeur conteste la base factuelle sur laquelle repose la recommandation de la CLCC, et qui s’appuie notamment sur le raisonnement lapidaire suivant :

Eu égard à la nature des délits commis par monsieur Robillard; l’absence confirmée d’un style de vie pro-social et en plus que l’alcool a été un facteur non négligeable au niveau de ses antécédents criminels, nous recommandons, dans l’intérêt de la sécurité du public, qu’aucune enquête ne soit instituée en rapport avec cette demande de remise de peine.

[87]           Or, selon le demandeur, cette analyse est biaisée et incomplète. La première vice-présidente n’a manifestement pas tenu compte de l’ensemble des preuves au dossier, puisque depuis plusieurs années, le demandeur a adopté un style de vie pro-social et qu’il a démontré cette capacité. Autrement, il n’aurait pas bénéficié de plusieurs libérations conditionnelles. Si l’alcool est un facteur de risque pour la sécurité du public, c’est au niveau des conditions de libération conditionnelle des condamnations de conduite en état d’ébriété que ce risque a été traité (incluant la suppression automatique du droit de conduire un véhicule automobile, le cas échéant). De plus, le demandeur fait valoir qu’il est sobre et participe au mouvement des Alcooliques Anonymes. Les raisonnements antinomiques et les conclusions de la première vice-présidence au niveau de l’intérêt de la sécurité du public ne tiennent pas la route selon le demandeur. Pour que justice soit faite, il est donc essentiel qu’une enquête soit tenue au sujet de la demande de clémence du demandeur.

[88]           Pour sa part, le défendeur maintient que la décision du Ministre de ne pas ordonner la tenue d’une enquête est raisonnable et peut s’appuyer sur les motifs que l’on retrouve dans l’analyse de la CLCC. De plus, les principes directeurs que l’on retrouve dans les Directives ont été manifestement considérés par la CLCC, même si ceux-ci n’ont pas été analysés séparément et que l’analyse elle-même de la preuve au dossier et de la situation personnelle du demandeur est très brève. Le défendeur rappelle à la Cour qu’il n’y a eu aucune erreur judiciaire et que la peine de détention préventive imposée en 1972 au demandeur n’était pas, à l’époque, disproportionnée par rapport à la nature et gravité des infractions ayant abouti à sa désignation de « repris de justice ». Le défendeur soumet que même si le demandeur n’a jamais été déclaré par un tribunal compétent un « délinquant dangereux », son cas est néanmoins comparable à celui d’un délinquant dangereux ayant commis des sévices graves à la personne. D’ailleurs, le juge Leggatt était d’avis que le demandeur satisfaisait à l’époque les critères de dangerosité pour être désigné délinquant dangereux. Or, bien qu’il avait fait des progrès, il se trouve que le demandeur a été condamné en 1988 pour homicide involontaire. Quant à la préoccupation à l’effet que la « dangerosité » du délinquant doit être un élément constant, le défendeur soumet que le processus actuel de libération conditionnelle offre une garantie suffisante que la peine de détention préventive à durée indéterminée du demandeur s’adaptera, dans le temps, à sa situation personnelle. Pour preuve, le demandeur a pu bénéficier de plusieurs libérations conditionnelles depuis sa désignation comme repris de justice.

[89]           Mais voilà, au risque de me répéter, le problème fondamental que la Cour a aujourd’hui avec toute l’argumentation du défendeur, c’est qu’elle suppose au départ que le demandeur a pu faire valoir son point de vue sur tous les aspects pertinents de l’analyse préjudicielle de la CLCC. Le Ministre est le décideur final et il devait examiner le bien-fondé de la demande de clémence avec un esprit ouvert et à la lumière de l’ensemble du dossier. On peut légitimement se demander, compte tenu du degré de dangerosité actuel, si la continuation de la sentence de détention préventive imposée en 1972 constitue un châtiment cruel ou une peine disproportionnée pouvant justifier la tenue d’une enquête par la CLCC en vue de l’exercice éventuel de la prérogative royale de clémence (R v Konechny (1983), 10 CCC (3d) 233 au para 12; R c Gamble, [1988] 2 RCS 595 au para 42). Le défendeur s’appuie également sur l’arrêt Doré c Barreau du Québec, [2012] 1 RCS 395 [Doré], pour suggérer qu’il n’y avait pas lieu de retourner le dossier au Ministre. Rappelons que dans Doré la Cour suprême du Canada a établi un cadre d’analyse permettant à une cour siégeant en révision judiciaire de décider si un décideur a exercé son pouvoir discrétionnaire conformément aux dispositions pertinentes de la Charte. Ainsi, dans Doré, l’approche fondée sur l’article 1 prise littéralement a été écartée au profit d’une « analyse robuste de la proportionnalité compatible avec les principes de droit administratif », comme l’a rappelé récemment la Cour suprême dans l’affaire École secondaire Loyola c Québec (Procureur général), 2015 CSC 12 au paragraphe 3. Mais puisque le demandeur n’a pas eu l’occasion, en temps utile, de soumettre au Ministre des représentations concernant au sujet de l’analyse de la CLCC, je ne peux, aujourd’hui, être satisfait que la décision ministérielle contestée est la résultante d’une « mise en balance proportionnée » du droit à une peine qui n’est pas cruelle ni inusitée au sens de l’article 12 de la Charte avec les objectifs de protection du public découlant de la peine de détention préventive qui a été imposée en 1972 au demandeur.

[90]           Du même coup, je rejette toute suggestion du demandeur d’émettre une ordonnance obligeant le Ministre à ordonner la tenue d’une enquête au sujet de l’exercice de la prérogative royale de clémence. Il appartient exclusivement au Ministre de déterminer si le demandeur est un candidat à la clémence royale et si la tenue d’une enquête est justifiée. Il ne s’agit pas de l’un de ces cas exceptionnels où la Cour devrait rendre une ordonnance impérative pour forcer le Ministre à agir d’une certaine façon (Lebon c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1500, confirmé par 2013 CAF 55). La bonne foi doit être présumée et rien n’indique que le nouvel examen de la demande de clémence ne saura pas neutre et rigoureux. Un délai de quatre-vingt-dix jours après le présent jugement sera accordé au Ministre pour décider si le demandeur rencontre les critères pouvant justifier un exercice de la prérogative royale de clémence, et si une enquête par la CLCC est ou non requise dans les circonstances. Compte tenu des longs délais écoulés (près de onze ans depuis la formulation de demande de clémence), ce dernier délai m’apparaît raisonnable en l’espèce.

CONCLUSION

[91]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est accordée. La décision rendue le 29 août 2014 par le Ministre est cassée. La demande de clémence est retournée pour examen et redétermination par le Ministre dans un délai de quatre-vingt-dix jours du jugement en conformité avec la loi et les présents motifs. Le Ministre devra permettre au demandeur de compléter sa demande et de faire des observations écrites au sujet de la recommandation de la CLCC de ne pas ordonner la tenue d’une enquête.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accordée. La décision rendue le 29 août 2014 par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [Ministre] est cassée. La demande de clémence est retournée pour examen et redétermination par le Ministre dans un délai de quatre-vingt-dix jours de ce jugement, en conformité avec la loi et les motifs de jugement de la Cour. Le Ministre devra permettre au demandeur de compléter sa demande et de faire des observations écrites au sujet de la recommandation de la Commission des libérations conditionnelles du Canada de ne pas ordonner la tenue d’une enquête.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2296-14

 

INTITULÉ :

ANDRÉ ROBILLARD c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 février 2016

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Pierre Tabbah

 

Pour le demandeur

Me Dominique Guimond

 

Pour le dÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Labelle, Côté, Tabah et Associés

St-Jérome (Québec)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le dÉFENDEUR

 

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