Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160430


Dossier : IMM-1760-16

Référence : 2016 CF 496

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2016

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

BABUBHAI VENIDA PATEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Le demandeur, Babubhai Venida Patel, demande un sursis de la mesure de renvoi qu’il a reçue le 15 avril 2016. Ledit renvoi est prévu pour le 2 mai 2016. La demande de sursis appuie une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, sous forme de bref de mandamus, visant l’absence de décision de la part du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à l’égard de la demande de longue date du demandeur cherchant à obtenir que le ministre le déclare non interdit de territoire dans ce pays, ce que l’on qualifie de dispense ministérielle.

[2]               Après avoir plaidé coupable en avril 2003 à une accusation de tentative de faire passer clandestinement une personne aux États-Unis, qui serait un parent éloigné selon sa prétention, il a été condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis de neuf mois, assortie d’une ordonnance de probation de deux ans. Il a purgé sa peine.

[3]               Après être arrivé de l’Inde en 1998 à titre d’immigrant permanent, il a été déclaré interdit de territoire au Canada compte tenu de sa condamnation pour grande criminalité et criminalité organisée, selon un rapport obtenu en vertu des articles 36 et 37 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). L’arrestation et la condamnation du demandeur étaient liées à ce que l’on a décrit comme une [traduction] « vaste opération organisée de passage de clandestins de l’Asie du Sud, venant de l’Inde et du Pakistan » (rapport de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] relatif à une demande de dispense en vertu du paragraphe 37(2) de la LIPR). Toutefois, la condamnation ne concernait que l’aide apportée par le demandeur à une personne, un parent éloigné. La peine prononcée illustre bien la gravité de l’infraction en l’espèce.

[4]               De toute évidence, le demandeur a demandé une dispense ministérielle. Pour des motifs qui demeurent obscurs, le cas de M. Patel, qui semble simple de prime abord, n’a jamais été réglé par le ministre responsable. Il appert du dossier devant notre Cour qu’une recommandation initiale positive est demeurée sans réponse pendant près de 10 ans (processus enclenché en octobre 2003).

[5]               La bureaucratie a peut-être changé d’idée après la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Agraira, 2011 CAF 103, comme en témoigne un projet de recommandation comportant une recommandation négative.

[6]               Après la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Agraira, 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 599, l’avocat de M. Patel a de nouveau demandé que la question soit traitée. Il a cherché à bénéficier de l’interprétation donnée par cette cour aux dispositions de la LIPR. Il semble qu’une demande de dispense ministérielle ait été présentée en vertu de l’alinéa 37(2)a) de la LIPR, le 7 mars 2013. Entre-temps, il y avait eu en vain des demandes pour que la question soit traitée.

[7]               Comme mentionné précédemment, M. Patel a été officiellement avisé le 15 avril 2016 qu’il devait quitter le Canada le 2 mai 2016. Ayant prévu l’ordonnance de renvoi, il a demandé un report administratif le 10 avril. Le demandeur a reçu la décision de l’agent chargé du renvoi le 28 avril 2016. Aucune explication relative au refus d’accorder le sursis administratif n’a été fournie.

[8]               Les demandes de sursis sont régies par le critère tripartite bien connu établi dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 :

(a)    Existe-t-il une question sérieuse à juger dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente?

(b)   Le demandeur subira-t-il un préjudice irréparable?

(c)    De quel côté penche la prépondérance des inconvénients?

[9]               Le défendeur s’est plaint de la présentation tardive de la demande de sursis, compte tenu que le demandeur a reçu, le 15 avril, l’avis officiel de son départ, prévu le 2 mai. Malheureusement, cette fois-ci, le gouvernement est en grande partie l’artisan de son propre malheur. Il a choisi de répondre à la demande de report 18 jours après sa présentation, et ce, par une lettre comportant trois lignes. Quoi qu’il en soit, le défendeur a présenté des observations écrites, ce qui est tout à l’honneur de l’avocat du gouvernement, lesquelles ont été complétées par une plaidoirie fort valable.

[10]           M. Patel a 59 ans. Il vit au Canada avec sa famille depuis près de 20 ans. Il a créé son propre emploi. La seule tâche à son dossier semble être sa condamnation pour laquelle il a été déclaré interdit de territoire par effet de la loi. Il a demandé une dispense ministérielle qui a été en instance pendant presque 10 ans.

[11]           Malgré une demande de dispense ministérielle qui a fait l’objet d’une recommandation positive, le gouvernement veut que M. Patel soit renvoyé du Canada à court terme, parce que, notamment, les titres de voyage expirent le 22 mai.

[12]           Le gouvernement n’a pas contesté l’un ou l’autre des éléments du critère tripartite. Nous nous sommes concentrés sur les questions du préjudice irréparable et de la prépondérance des inconvénients.

[13]           À mon avis, une attention réelle doit être accordée au préjudice irréparable. Il est clair que l’intérêt public milite en faveur du renvoi des personnes sans statut. Cependant, l’autre plateau de la balance, en l’espèce, est occupé par des facteurs qui favorisent nettement le demandeur. Il a des enfants et un petit-enfant qui sont citoyens canadiens; il subvient aux besoins de son épouse qui a fait la même chose à son égard; il y a une seule tâche, qui semble relativement secondaire, à un bilan très positif depuis qu’il s’est joint à la société canadienne il y a 18 ans; il demande une dispense ministérielle depuis 13 ans sans obtenir de réponse. La prépondérance penche en faveur du demandeur.

[14]           Un préjudice irréparable, comme il est entendu en matière d’immigration, serait rarement subi si le demandeur était renvoyé avant que l’on statue sur une demande de contrôle judiciaire.

[15]           J’ai certes conscience qu’un simple inconvénient ne constitue pas un préjudice irréparable. Il a été dit que l’évaluation du préjudice irréparable est fortement axée sur les faits (Selliah c. Canada (MCI), 2004 CAF 261).

[16]           La Cour doit conclure dans les circonstances inhabituelles de l’espèce qu’un préjudice irréparable, lequel constitue un préjudice auquel on ne peut remédier et où la preuve est crédible et le préjudice est concret, a été démontré selon la balance des probabilités.

[17]           En raison d’un manque de diligence à rendre une décision quant à l’octroi d’une dispense ministérielle dans une affaire relativement simple, M. Patel s’est trouvé dans l’incertitude pendant de nombreuses années. Il est maintenant âgé de 60 ans, il est décidément établi au Canada avec sa famille et il s’est engagé dans la vie citoyenne par la création d’entreprises. Il devra être séparé de sa famille et des entreprises qu’il a établies dans ce pays. Il est sans doute tard dans la vie pour repartir à zéro dans un pays que l’on a quitté il y a 20 ans. Il est question ici de bien plus qu’une rupture des relations personnelles : il s’agit d’une vie bâtie dans ce pays au prix de nombreux renoncements qui est détruite parce qu’une décision sur une question plutôt simple, l’accueil d’une dispense ministérielle, dans des circonstances aussi peu controversées que celle en l’espèce, n’a pas été rendue.

[18]           Il n’existe bien sûr aucune garantie que la dispense ministérielle sera accordée. Cependant, les circonstances à ce stade sont telles qu’il convient d’accorder le recours demandé et de suspendre le renvoi du demandeur jusqu’à ce que sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (sous forme de bref de mandamus) soit entendue.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de sursis de l’ordonnance de renvoi, censée être exécutée le 2 mai 2016, soit accueillie.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1760-16

 

INTITULÉ :

BABUBHAI VENIDA PATEL c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 avril 2016

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

Ian Sonshine

 

Pour le demandeur

 

Monmi Goswami

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Niron and Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.