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Date : 20160513


Dossier : IMM-2817-15

Référence : 2016 CF 531

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

EUGÈNE MWALUMBA MATA MAZIMA

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur se pourvoit, aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la « Loi »), d’une décision d’une agente d’immigration (l’Agente), datée du 1er juin 2015, confirmant celle, prononcée par un autre agent le 31 mars 2014, lui refusant le statut de résident permanent au motif qu’il est interdit de territoire suivant l’alinéa 35(1)(a) de la Loi, lequel stipule que le fait de, notamment, commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, ch 24, emporte une telle interdiction.

[2]               Plus particulièrement, l’Agente s’est dite satisfaite qu’il existait des raisons sérieuses de penser que le demandeur, entre 2001 et 2004, alors qu’il était à l’emploi du chef d’État-major des Forces armées de la République démocratique du Congo (les FAC), l’amiral Baudoin Liwanga Mata Nyamunyobo (l’amiral Liwanga), avait volontairement contribué de manière significative et consciente, au dessein criminel de l’État-major des FAC et de l’amiral Liwanga dans la perpétration de crimes internationaux.

[3]               Le demandeur soutient que la décision de l’Agente est entachée d’accrocs aux règles de l’équité procédurale qui auraient entravé son droit de présenter une « défense pleine et entière » et qu’elle repose, à tout événement, sur une lecture erronée de l’arrêt Ezokala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 RCS 678 [Ezokola], qui, prononcé après que la décision initiale rejetant sa demande de résidence permanente ait été rendue, a servi de justification pour un nouvel examen, celui dont la Cour est saisie en l’instance, de ladite demande.

[4]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Contexte

[5]               Le demandeur est originaire de la République démocratique du Congo (la RDC).  Entre 2001 et 2007, il occupe différents postes au sein de l’appareil gouvernemental de son pays.  En particulier, en 2001, à la fin de ses études universitaires, il obtient, par l’entremise de l’amiral Liwanga, qui est un de ses cousins et qui est alors le chef d’État-major des FAC, le poste de responsable du service informatique de l’État-major.  Il devient également le secrétaire de l’amiral Liwanga.  En 2004, dans la foulée du licenciement de l’amiral Liwanga, il quitte lui aussi ses fonctions.  Il se replace au ministère des Affaires étrangères à Kinshasa dans un poste de chargé d’études en nouvelles technologies.

[6]               Il est acquis qu’entre 2001 et 2005 sévit en RDC une guerre civile dont on reconnaît qu’elle a été marquée par une violence sans bornes et par des violations des droits humains commises tant par des factions rebelles que par des troupes des FAC.

[7]               Au terme de la guerre civile et suite aux élections législatives et présidentielles qui se tiennent en 2006, le demandeur est relocalisé à l’Ambassade de la RDC en Algérie.  En juillet 2007, soit quelque temps après son entrée en fonction, la chargée de l’Ambassade commence à le soupçonner d’appartenir à un parti d’opposition pour la refondation du Congo.  Le demandeur apprend plus tard que son rapatriement est exigé pour qu’il soit remis au service de renseignements.  Sa situation précaire auprès de son gouvernement se dégrade d’un cran lorsque son demi-frère agresse physiquement un proche du président Joseph Kabila lors de la 62e assemblée générale des Nations Unies qui se tient à New York à l’automne 2007.

[8]               Le demandeur décide alors de quitter l’Algérie en compagnie de son épouse et de ses deux enfants.  À la fin novembre 2007, la famille se rend au Canada et y demande l’asile aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.  Le 8 avril 2011, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) juge bien fondée la demande d’asile de l’épouse et des deux enfants.  Toutefois, elle rejette celle du demandeur, étant d’avis qu’il y a de sérieuses raisons de croire que celui-ci a été complice de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre commis par des factions des FAC et qu’il se trouve dès lors exclu, par le jeu de l’article 98 de la Loi et de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut de réfugiés (la Convention), de la définition de réfugié et de personne à protéger aux fins de la Loi.

[9]               Le demandeur se voit par la suite autorisé par la Cour à contester la décision de la SPR.  À peu près au même moment, l’épouse du demandeur dépose, en son nom et celui de son époux, une demande de résidence permanente.  Le 6 juin 2012, la Cour rejette, sur le fond, la demande de contrôle judiciaire du demandeur, statuant que même si la SPR n’en avait la preuve directe, il n’était pas déraisonnable de sa part « de conclure que le demandeur a mis la main à la roue et a participé consciemment aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre commis par les FAC au cours de ses opérations militaires » (Mata Mazima c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 698, au para 33, 412 FTR 277 [Mata Mazima]).

[10]           Sous le coup d’une mesure d’expulsion, le demandeur, dans le mois qui suit la décision de la Cour, demande une évaluation de risque avant renvoi.  Celle-ci est rejetée le 12 octobre 2012.  Le demandeur n’en demande pas la révision judiciaire.

[11]           Le 29 novembre 2012, la demande de résidence permanente présentée par l’épouse du demandeur est approuvée en principe.  Toutefois, le 31 mars 2014, ladite demande est rejetée en ce qui a trait au demandeur, celui-ci étant jugé interdit de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)(a) de la Loi.  L’agent qui rend la décision accepte par la suite de reconsidérer sa décision à la lumière de l’arrêt Ezokola.  Le dossier est éventuellement transféré à l’Agente qui, procédant à reconsidérer ladite décision, en vient elle aussi, comme on l’a vu, à la conclusion que le demandeur est interdit de territoire, et donc, que le statut de résident permanent, tel que le stipule le paragraphe 21(1) de la Loi, ne peut lui être octroyé.

[12]           Rappelant que la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas directement commis de crimes contre l’humanité mais qu’il en avait plutôt été complice, l’Agente statue qu’il lui faut dès lors déterminer « si le demandeur a volontairement apporté une contribution consciente et significative au crime ou au dessein criminel du groupe qui aurait commis de tels crimes ».  À cette fin, elle s’emploie à analyser le dossier à partir des six facteurs identifiés par l’arrêt Ezokola, à savoir (i) la taille et la nature de l’organisation; (ii) la section de l’organisation à laquelle le demandeur était le plus directement associé; (iii) les fonctions et les activités du demandeur au sein de cette organisation; (iv) le poste ou le grade du demandeur au sein de l’organisation; (v) la durée de l’appartenance du demandeur à l’organisation, en particulier après avoir pris connaissance des crimes ou du dessein criminel du groupe; et (vi) le mode de recrutement du demandeur et la possibilité qu’il a eue de quitter l’organisation.

[13]           Aux fins de cette analyse, l’Agente s’estime liée, par l’effet de l’article 15 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), par les conclusions de fait ayant mené la SPR à conclure que le demandeur est visé, sur la base qu’il a commis un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, par la section F de l’article premier de la Convention.

[14]           L’Agente en arrive aux conclusions suivantes :

a)      L’organisation qui employait le demandeur à une certaine époque – les FAC – s’est rendue coupable, à cette époque, en compagnie de milices au service du gouvernement, de multiples violations de droits humains se présentant sous forme d’arrestations arbitraires, de tortures, d’exécutions extrajudiciaires, de viols et de purges ethniques;

b)      Le demandeur est plus particulièrement à l’emploi de l’État-major des FAC et de son chef, l’amiral Liwanga dont il existait des raisons sérieuses de penser « qu’il donnait son accord aux alliances entre les FAC et les milices et entérinait les chefs de guerre ayant perpétré des crimes, crimes décrits à l’article 7 du Statut de Rome. »;

c)      À la lumière des conclusions de fait tirées par la SPR au sujet des fonctions qu’il exerce au sein de l’État-major des FAC, le demandeur, même si celui-ci n’est qu’un employé civil, est la personne responsable du réseau informatique au sein de cette organisation, sa tâche consistant, à ce titre, à créer un réseau local permettant de relier, sur le plan informatique, l’État-major avec les autres départements des FAC à travers le pays;

d)     Bien que, toujours suivant les conclusions de fait de la SPR, le demandeur ait été au courant des exactions commises par les services secrets, certains bataillons et les rebelles et, dès lors, conscient de certains débordements des troupes congolaises, il continue néanmoins à travailler pour l’État-major pendant trois ans et s’il a fini par quitter son poste au sein de cette organisation, ce n’est pas pour des raisons morales ou idéologiques, mais bien parce qu’il réussit un concours pour un poste au sein du ministère des Affaires étrangères; et

e)      C’est volontairement que le demandeur choisit de travailler pour l’État-major des FAC et, plus particulièrement, pour l’amiral Liwanga, et de rester en poste pendant plusieurs années tout en sachant que des exactions sont commises par les FAC dont l’amiral Liwanga est, à cette époque, le chef suprême.

[15]           Au terme de l’analyse de ces facteurs, l’Agente se dit satisfaite que les fonctions qu’exerce alors le demandeur auprès de l’État-major des FAC et de l’amiral Liwanga, en permettant que des informations pertinentes aux différents départements des FAC soient acheminées grâce au système informatique dont il était le responsable, sont suffisamment significatives pour conclure à sa complicité consciente et volontaire au dessein criminel des FAC et plus spécifiquement de l’État-major et de l’amiral Liwanga.

[16]           Comme je l’ai déjà mentionné, le demandeur estime avoir été privé du droit de présenter une « défense pleine et entière » devant l’Agente, principalement en se voyant refuser la communication de documents que l’Agente a ultimement pris en compte mais qui n’étaient pas déjà au dossier au moment de la considération initiale de la demande de résidence permanente.  Il soutient également que l’analyse à laquelle s’est livrée l’Agente, en plus de comporter des erreurs de fait, n’est pas conforme aux enseignements de l’arrêt Ezokola.

III.             Analyse

A.                Il n’y a pas eu manquement aux règles de l’équité procédurale

[17]           Il est bien établi que les questions d’équité procédurale doivent être examinées par la Cour suivant la norme de la décision correcte (Gonzalez Gonzalez c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 153, au para 46; Lopez Arteaga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 778, au para 19, 436 FTR 281).

[18]           En l’espèce, le demandeur soutient qu’après avoir reçu l’assurance que le réexamen de la demande de résidence permanente serait fondé sur la preuve contenue au dossier de la demande d’asile et à celui ayant mené à la rédaction du rapport d’interdiction de territoire, l’Agente s’est appuyée, sans qu’ils lui soient divulgués au préalable, sur des éléments de preuve nouvelle pour rendre sa décision, à savoir (i) deux décisions du Tribunal international spécial pour la Sierra Léone prononcées en 2012 et 2013; (ii) les rapports de Human Rights Watch Reports pour les années 2002, 2003 et 2005; (iii) le rapport annuel du UK – Foreign & Commonwealth Office pour l’année 2006; (iv) l’article de la revue Courier international, publié en 2008, sur la guerre civile en RDC; et (v) divers documents émanant de l’Ambassade de la RDC à Alger, et diverses attestations d’études et de diplômes, dont un curriculum vitae, transmis par le demandeur aux autorités canadiennes.

[19]           L’Agente a-t-elle, ce faisant, portée atteinte aux règles de l’équité procédurale?  Je suis d’avis que non.

[20]           D’une part, il est bien établi qu’une procédure peut être équitable sur le plan procédural « sans qu'il soit toujours nécessaire de procéder à l'entière communication des documents et rapports sur lesquels le décideur s'est fondé » (Maghraoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 883, au para 22, 438 FTR 163 [Maghraoui]).  Il peut suffire, à cet égard, qu’on « communique à un demandeur les renseignements sur lesquels on s'appuie pour prendre une décision, de façon à ce qu'il puisse présenter sa version des faits et corriger les erreurs ou les malentendus qui auraient pu s'y glisser » et « de s'assurer que le demandeur a la possibilité de participer pleinement au processus décisionnel, en prenant connaissance des informations qui lui sont défavorables et en ayant l'occasion de présenter son point de vue » (Maghraoui, au para 22).

[21]           Il importe de rappeler ici que l’Agente n’avait à se prononcer ni sur la culpabilité ni sur l’innocence du demandeur.  Son rôle consistait plutôt à déterminer si le demandeur est interdit de territoire au sens de l’alinéa 35(1)(a) de la Loi et à le faire, suivant l’article 33 de la Loi, sur la base de motifs raisonnables de croire que les actes mentionnés audit alinéa sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.  En ce sens, comme cela fût jugé être le cas de la SPR dans Ezokola, l’exercice auquel elle devait se livrer ne saurait davantage être confondu avec un processus pénal ou criminel et partant avec l’obligation de divulgation propre à ce type de processus (Ezokola, aux para 37-39).

[22]           Je rappelle aussi que le présent recours concerne la reconsidération d’une décision déclarant le demandeur interdit de territoire, reconsidération menée à partir du test établi par l’arrêt Ezokola, rendu postérieurement à la déclaration initiale d’interdiction de territoire, portant sur la distinction à faire entre la complicité par association et la complicité coupable requise pour priver un acteur secondaire dans la commission d’un crime contre l’humanité ou d’un crime de guerre, de la protection à titre de réfugié.  Cette déclaration initiale d’interdiction de territoire faisait elle-même suite aux conclusions de la SPR, convaincue qu’il s’était rendu complice de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre commis par des factions des FAC, voulant que le demandeur soit exclu de la définition de réfugié et de personne à protéger aux fins des articles 96 et 97 de la Loi.  Au moment, donc, de la reconsidération, par l’Agente, de la déclaration initiale d’interdiction de territoire, le demandeur connaissait bien – ou se devait de bien connaître – ce qui lui était reproché.  D’ailleurs, l’Agente l’avait avisé que ses préoccupations étaient les mêmes que celles ayant présidé à la décision de la SPR et à la déclaration d’interdiction de territoire et qu’elle s’en remettrait aux mêmes renseignements que ceux se trouvant devant ces deux décideurs.

[23]           Cet exercice de reconsidération consistait en somme à revoir les faits, tels que révélés devant la SPR et l’agent ayant en premier lieu prononcé l’interdiction de territoire, à l’aulne des enseignements de la Cour suprême dans Ezokola.  Même si le fardeau reposait toujours sur les épaules du défendeur, on ne peut raisonnablement soutenir, dans ces circonstances, qu’il y avait là matière à surprises pour le demandeur et que celui-ci n’était pas en mesure de participer pleinement au processus décisionnel.

[24]           D’autre part, je ne saurais davantage conclure que les documents qui n’ont pas été communiqués au demandeur constituent de la preuve extrinsèque sujette à une obligation de divulgation préalable.  D’abord, le demandeur ne peut sérieusement prétendre qu’il ignorait le contenu de documents qu’il a lui-même transmis aux autorités canadiennes, soit les articles, lettres et mémos émanant de l’ambassade de la RDC en Algérie, de même que ses attestations de diplômes d’études et son curriculum vitae.

[25]           Quant aux autres documents visés par les récriminations du demandeur, il est bien établi que les documents accessibles au public ne constituent pas de la preuve extrinsèque sujette à divulgation, s’ils ne sont pas nouveaux et s’ils ne font pas état de changements dans la situation générale du pays d’origine susceptibles d’avoir une incidence sur l’issue du dossier (Holder c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 337, au para 28; Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461, aux para 27-28).

[26]           En l’espèce, les rapports de Human Rights pour les années 2002, 2003, et 2005 sont des documents publics, ne sont pas nouveaux et la SPR y référait déjà au paragraphe 21 de ses motifs.  Quant à l’article de la revue Courrier international publié en 2008 sur la guerre en RDC et au rapport annuel sur les droits de la personne du UK-Foreign & Commonwealth Office pour l’année 2006, ils sont tous deux accessibles au public, ne sont pas nouveaux et on ne m’a pas démontré qu’ils font état de changements dans la situation générale en RDC qui auraient été susceptibles d’avoir une incidence sur l’issue du dossier, bien au contraire (Copie certifiée du tribunal, p. 52-57 et 88-89).

[27]           Finalement, dans Ezokola, la Cour suprême a réitéré l’importance d’interpréter le droit interne conformément aux principes du droit coutumier international et aux obligations conventionnelles du Canada.  À cette fin, rappelle-t-elle, « les sources internationales comme la jurisprudence récente des tribunaux pénaux internationaux revêtent une grande importance pour les besoins de l’analyse » (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40, au para 82, [2005] 2 RCS 100; Ezokola, au para 51).  Il ne fait donc aucun doute qu’il était tout à fait indiqué pour l’Agente d’intégrer à son analyse une décision rendue en mai 2012 par le Tribunal international spécial pour la Sierra Léone (avec un renvoi à une décision prononcée par ce même tribunal en septembre 2013) illustrant certains modes de complicité contributive à la commission de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre.

[28]           L’Agente devait-elle cependant en informer le demandeur avant qu’elle ne rende sa décision de manière à lui permettre de faire des représentations sur la portée de cette décision?  J’estime que non puisque cette jurisprudence, pertinente, en tant qu’outil d’interprétation du droit interne, aux fins de l’analyse à laquelle devait se livrer l’Agente, relève de la catégorie des « documents » que le demandeur, qui était représenté par avocat, pouvait raisonnablement anticipé et auxquels il pouvait raisonnablement avoir accès (Mehfooz v Canada (Citizenship and Immigration), 2016 FC 165, au para 13; Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 904, para 38).

[29]           Bref, le demandeur ne m’a pas convaincu qu’il a été victime en l’instance d’une atteinte aux règles de l’équité procédurale.

B.                 La décision de l’Agente possède les attributs de la raisonnabilité

[30]           Tel qu’indiqué précédemment, le demandeur avance deux arguments en lien avec le mérite même de la décision de l’Agente : il lui reproche, en premier lieu, deux erreurs de fait importantes qui auraient vicié l’ensemble de son analyse; en second lieu, il soutient que l’Agente aurait erré dans sa lecture de l’arrêt Ezokola et dans son application aux faits de l’espèce.

(1)               Les erreurs de fait

[31]           Le demandeur prétend, d’une part, qu’en statuant, lors de son examen de la taille et de la nature de l’organisation qui l’employait, qu’il a « travaillé pour les Forces armées de la RDC [FAC] et le ministère de la Défense, puis pour le ministère des Affaires étrangères », l’Agente a commis une erreur de fait importante puisque selon la preuve au dossier et les conclusions de fait tirées par la SPR, il était à l’emploi non pas des FAC, mais bien plutôt du Chef d’état-major, une entité nécessairement beaucoup plus restreinte.  Il soutient que cette erreur est importante puisqu’elle « pouvait potentiellement établir un lien entre le demandeur et des militaires responsables de crimes internationaux ».

[32]           Cet argument ne peut être retenu.  En effet, lorsque la décision de l’Agente est lue dans son ensemble, il est clair que celle-ci a bien compris que le demandeur exerçait ses fonctions pour le compte de l’État-major des FAC et de son chef, l’amiral Liwanga.  Il n’y a aucune ambiguïté à cet égard.  Par ailleurs, dans la mesure où l’État-major en fait partie intégrante et en constitue l’organe suprême de direction, dire qu’il était erroné de conclure que le demandeur « a travaillé pour les Forces armées de la RDC » défie le sens commun.

[33]           Le demandeur soutient, d’autre part, que l’Agente a eu tort d’écarter la déclaration solennelle d’un ancien collègue de travail au sein de l’État-major des FAC au motif que ce document n’est ni daté ni signé et qu’il n’était pas accompagné d’une enveloppe permettant de déterminer la date de sa réception ou encore le pays de provenance.  Ce document offre une description des fonctions du demandeur auprès de l’État-major des FAC.

[34]           Le demandeur estime que ce document, sur sa deuxième page, était bel et bien signé et daté.  Toutefois, cette seconde page n’apparaît pas au Dossier certifié du tribunal, laissant ainsi présumer que l’Agente avait devant elle un document incomplet et qu’il lui était dès lors possible de conclure comme elle l’a fait.

[35]           Il est bien établi que lorsqu’une conclusion de fait erronée est imputée à un décideur administratif, la Cour ne doit intervenir que si elle est convaincue que cette conclusion a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont disposait le décideur (alinéa 18.1(4)(d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7).  Je suis d’avis qu’à la lumière des éléments dont disposait l’Agente, il n’y pas lieu d’intervenir.  Quoi qu’il en soit, ce document, après en avoir pris connaissance, ne contient rien qui ait pu, selon moi, affecter matériellement la description des fonctions du demandeur, telle que révélée par la décision de l’Agente et, avant elle, par celle de la SPR.

(2)               L’arrêt Ezokola

[36]           Le demandeur soutient que l’Agente a commis, dans la foulée de l’arrêt Ezokola, « des erreurs majeures dans les principes de droits (sic) à faire appliquer ».  Il prétend plus particulièrement que l’Agente a erré dans son identification du test de complicité applicable, a omis de préciser le mode de participation aux crimes en cause et de se prononcer sur l’intention coupable et a fait défaut d’identifier le groupe responsable des crimes auxquels on l’associe.  En d’autres termes, il clame qu’on l’a à toutes fins utiles interdit de territoire pour complicité par association, ce que l’arrêt Ezokola ne permet plus.

[37]           La question de savoir si l’Agente a interprété de façon erronée la notion de complicité, telle que la Cour suprême du Canada l’a redéfinie dans Ezokola, constitue une pure question de droit assujettie à la norme de la décision correcte (Mata Mazima, précité au para 17).  Par ailleurs, dans la mesure où l’Agente a interprété correctement cette notion, la question de savoir si elle l’a appliquée correctement aux faits de la présente affaire fait intervenir la norme déférente de la décision raisonnable, ce qui signifie que la Cour n’interviendra que si elle est d’avis que la conclusion tirée par l’Agente se situe hors du champ des issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Mata Mazima, précité au para 18; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47, [2008] 1 RCS 190).

[38]           L’alinéa 35(1)(a) de la Loi stipule qu’emporte interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux le fait de « commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre ».  L’article 4 de cette loi fait de la commission d’un crime contre l’humanité ou d’un crime de guerre un acte criminel en droit interne canadien.  Le « crime contre l’humanité » et le « crime de guerre » y sont définis comme suit :

(3) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

(3) The definitions in this subsection apply in this section.

« crime contre l’humanité » “crime against humanity

“crime against humanity” « crime contre l’humanité »

« crime contre l’humanité » Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain, d’une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d’autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l’humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel, ou en raison de son caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

“crime against humanity” means murder, extermination, enslavement, deportation, imprisonment, torture, sexual violence, persecution or any other inhumane act or omission that is committed against any civilian population or any identifiable group and that, at the time and in the place of its commission, constitutes a crime against humanity according to customary international law or conventional international law or by virtue of its being criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission.

« crime de guerre » “war crime

“war crime” « crime de guerre »

« crime de guerre » Fait — acte ou omission — commis au cours d’un conflit armé et constituant, au moment et au lieu de la perpétration, un crime de guerre selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel applicables à ces conflits, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

“war crime” means an act or omission committed during an armed conflict that, at the time and in the place of its commission, constitutes a war crime according to customary international law or conventional international law applicable to armed conflicts, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission.

[39]           Tel qu’indiqué précédemment, le rôle de l’agent d’immigration appelé à prononcer une interdiction de territoire fondée sur l’alinéa 35(1)(a) de la Loi n’est pas de conclure à la culpabilité ou à l’innocence de l’étranger visé mais bien d’être satisfait, suivant ce que stipule l’article 33 de la Loi, qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le crime reproché à l’étranger est survenu, survient ou peut survenir.

[40]           Dans Ezokola, la Cour suprême, tout en rappelant qu’en contexte international, les crimes les plus graves sont souvent commis à distance par une multitude d’acteurs et que la complicité en constitue une caractéristique fondamentale (au para 1), a effectivement resserré la notion de complicité en écartant la complicité par association des modes de participation à un crime international pouvant entraîner l’exclusion du régime de protection des réfugiés (au para 3).

[41]           Dans cette affaire, il s’agissait de déterminer si un haut fonctionnaire peut se voir refuser le droit d’asile au motif qu’il a exercé ses fonctions pour le compte d’un gouvernement s’étant livré à des crimes internationaux.  Plus particulièrement, la Cour était appelée à décider du degré de connaissance d’une activité criminelle et de participation à celle-ci justifiant le refus à l’acteur secondaire de la perpétration d’un crime international de la protection accordée aux réfugiés.  En d’autres termes, il lui fallait décider à quelles conditions la seule association devient complicité coupable (au para 4).

[42]           La SPR avait d’abord conclu au rejet de la demande d’asile au motif que, compte tenu de ses hautes fonctions, M. Ezokola détenait une « connaissance personnelle et consciente » des crimes de son gouvernement (au para 19).  La Cour fédérale a jugé que la SPR avait eu tort de conclure à la responsabilité de M. Ezokola sur le seul fondement du poste occupé au sein du gouvernement en l’absence de la preuve d’un lien personnel entre ce poste et l’armée ou la police de la RDC (au para 22).  Pour sa part, la Cour d’appel fédérale, bien qu’elle ait jugé la notion de complicité retenue par la Cour fédérale trop restrictive, a elle aussi écarté la décision de la SPR au motif que cette dernière n’avait pas appliqué le bon critère en matière de complicité en se penchant sur la « connaissance personnelle et consciente » de ce dernier des crimes commis par son gouvernement plutôt que sur sa « participation personnelle et consciente » à ces crimes (au para 27).

[43]           Après avoir passé en revue le droit international et l’expérience de certains états étrangers en matière de crimes internationaux, la Cour suprême a statué qu’une personne est inadmissible à la protection de réfugié pour cause de complicité dans la perpétration de tels crimes « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’elle a volontairement apporté une contribution consciente et significative aux crimes et au dessein criminel du groupe qui les aurait commis » (aux para 29 et 84).  La notion de complicité axée sur la contribution vient ainsi remplacer le critère fondé sur la « participation personnelle et consciente » retenu par la Cour d’appel fédérale, et exclure du champ de la complicité coupable la simple complicité par association ou l’acquiescement passif (au para 53).

[44]           Un individu peut ainsi être complice d’un crime auquel il n’a ni assisté ni contribué matériellement s’il est prouvé qu’il a consciemment contribué de manière à tout le moins significative au crime perpétré par le groupe ou à la réalisation de son dessein criminel (au para 77).  Cette contribution aux crimes commis n’a pas à être essentielle ou substantielle mais elle doit, pour être significative, être autre chose qu’une contribution infinitésimale (aux para 56-57).  Notamment, il n’est pas requis que la contribution vise la perpétration de crimes identifiables précis.  Il suffit qu’elle vise un dessein commun plus large, comme la réalisation de l’objectif d’une organisation par tous les moyens nécessaires, y compris la commission de crimes de guerre (au para 87).

[45]           Toujours selon l’affaire Ezokola, pour que la contribution soit consciente, la personne visée doit être au courant de la perpétration des crimes internationaux ou du dessein criminel de l’organisation à laquelle il appartient et doit au moins savoir que son comportement facilitera la perpétration des crimes ou la réalisation du dessein criminel (au para 89).  Une personne peut aussi être complice d’un crime international sans avoir la mens rea nécessaire à sa perpétration, la connaissance pouvant suffire pour déclarer engagée la responsabilité de celui qui a apporté sa contribution à un groupe de personnes agissant de concert dans la poursuite d’un dessein commun (au para 59).

[46]           Ultimement, il doit exister un lien entre le comportement de l’accusé et le comportement criminel du groupe, chaque cas devant être évalué suivant ses faits propres à partir d’une liste non exhaustive de facteurs servant à déterminer si une personne a ou non volontairement apporté une contribution significative et consciente à un crime ou à un dessein criminel, à savoir, tel qu’indiqué précédemment (i) la taille et la nature de l’organisation; (ii) la section de l’organisation à laquelle la personne visée était le plus directement associée; (iii) les fonctions de la personne au sein de l’organisation; (iv) son poste ou son grade au sein de l’organisation; (v) la durée de son appartenance à l’organisation, surtout après qu’elle ait pris connaissance des crimes commis ou du dessein criminel; et (vi) le mode de recrutement et la possibilité de quitter ou non l’organisation (aux para 57, 67 et 91).

[47]           À mon avis, une lecture attentive des motifs de l’Agente révèle que celle-ci a identifié correctement le test de complicité défini dans Ezokola.  À la page 9 de ses motifs (Dossier certifié du tribunal, p 11), l’Agente, en amorçant son analyse, précise, après avoir rappelé les conclusions de la SPR voulant que le demandeur n’ait pas commis directement des crimes de guerre mais qu’il en ait plutôt été complice, qu’il lui faut alors « déterminer si le demandeur a volontairement apporté une contribution consciente et significative au crime ou au dessein criminel du groupe qui aurait commis de tels crimes ».  Elle s’emploie par la suite à examiner les six facteurs précités, énoncés dans Ezokola.  Il n’y a ici ni erreur dans l’identification du test applicable ni erreur dans la démarche suivie pour déterminer s’il y a eu, aux fins de l’alinéa 35(1)(a) de la Loi, complicité coupable de la part du demandeur.

[48]           L’Agente fait bien référence, plus tôt dans sa décision, comme le souligne le demandeur, au « critère axé sur la contribution à la complicité » (Dossier certifié du tribunal, p 8).  Toutefois, cela relève davantage d’un mauvais choix de mots que d’une mauvaise compréhension du test de complicité élaboré dans Ezokola.  D’ailleurs, il suffit de lire le paragraphe en son entier, où l’Agente identifie les « composantes clés » dudit test, pour s’en convaincre.  Elle y parle du caractère volontaire de la contribution aux crimes ou au dessein criminel, de la contribution significative aux crimes de l’organisation ou au dessein criminel et de la contribution consciente aux crimes ou au dessein criminel.  Dans le paragraphe qui suit, l’Agente précise, après avoir fait le constat que des crimes contre l’humanité avaient été commis par l’État-major des FAC et son chef, l’amiral Liwanga, pour lequel travaillait le demandeur, qu’il lui fallait maintenant déterminer si le demandeur « a volontairement apporté une contribution consciente et significative aux crimes commis en RDC alors qu’il était employé de l’État-major congolais ».  Encore une fois, cette formulation du test est en tout point conforme à celle que l’on retrouve au paragraphe 91 dans Ezokola .

[49]           L’argument du demandeur sur ce point n’a donc aucun mérite.

[50]           Reste maintenant à déterminer si l’interdiction de territoire prononcée par l’Agente à partir du test élaboré dans Ezokola, est raisonnable dans les circonstances de la présente affaire.

[51]           Le demandeur soutient à cet égard, je le rappelle, que la décision de l’Agente est déraisonnable dans la mesure où l’Agente aurait fait défaut de préciser le mode de sa participation aux crimes en cause, de se prononcer sur son intention coupable et d’identifier le groupe responsable des crimes auxquels on l’associe.  Il en résulte, selon lui, qu’il a été interdit de territoire pour complicité par association, ce que l’arrêt Ezokola défend dorénavant.

[52]           Je ne peux souscrire à cet argument.  Pour prononcer l’interdiction de territoire, l’Agente devait être satisfaite que le demandeur avait volontairement apporté une contribution consciente et significative aux crimes de guerre commis reprochés à certaines factions des FAC alors qu’il était à l’emploi de l’État-major congolais.  Il est acquis, à cet effet, que pendant cette période, les FAC, ou du moins certaines factions d’entre elles, ont commis des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre sous forme d’arrestations arbitraires, de tortures, d’exécutions extrajudiciaires, de viols et de purges ethniques.  Il est acquis également que le demandeur avait connaissance, au moment où il était responsable du service informatique de l’État-major des FAC, des atrocités commises par certains membres des FAC (Mata Mazima, précité aux para 25 et 28).

[53]           À partir de cette toile de fond et de son examen des six facteurs de l’arrêt Ezokola, l’Agente a conclu au caractère :

a)      volontaire de la contribution du demandeur à la commission de ces crimes sur la base qu’il a librement choisi de travailler pour l’État-major des FAC et, plus particulièrement, pour l’amiral Liwanga, et de rester en poste pendant plusieurs années tout en sachant que des exactions sont commises par les FAC dont l’amiral Liwanga est, à cette époque, le chef suprême, poste qu’il quitte non pas pour des raisons morales ou idéologiques, mais bien parce qu’il réussit un concours pour un poste au sein du ministère des Affaires étrangères;

b)      conscient de ladite contribution sur la base que le demandeur est au fait des débordements de certaines factions des FAC pendant son séjour auprès de l’État-major des FAC et de l’amiral Liwanga et que le système informatique dont il est responsable assure la liaison, sur le plan informatique, entre les divers éléments des FAC à travers le pays et l’État-major, y compris l’amiral Liwanga dont il existait des raisons sérieuses de penser qu’il donnait son accord aux alliances entre les FAC et les milices pour la perpétration des crimes de guerre; et

c)      significatif de cette contribution, l’acheminement de messages, l’établissement de systèmes de communication et l’aide apportée à l’établissement d’un réseau d’échange d’informations et de liaison étant tous considérés, par la jurisprudence internationale récente, comme des circonstances déterminantes dans l’établissement de la complicité dans la commission de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre.

[54]           Le demandeur ne m’a pas convaincu qu’il y a matière à intervenir eu égard à ces constats.  Il importe de rappeler ici que le rôle de la Cour n’est pas de décider si le demandeur a volontairement apporté une contribution significative et consciente aux crimes commis par les FAC ou à leur dessein criminel.  Son rôle est plutôt de déterminer s’il était raisonnable pour l’Agente de tirer cette conclusion (Mata Mazima, précité au para 35).  En particulier, je ne peux souscrire à l’argument voulant que l’Agente ait omis d’identifier un mode de contribution aux crimes en causes, celle-ci ayant expliqué en détail en quoi les fonctions du demandeur au sein de l’État-major étaient de nature à faciliter la commission des crimes par les FAC.  À cet égard, l’Agente ne pouvait ignorer, par l’effet de l’article 15 du Règlement, le constat de la SPR, puis ensuite, celui de la Cour, voulant que le demandeur, en tant que responsable d’un réseau informatique reliant le cabinet du Chef d’état-major aux autres unités de l’armée à travers le pays, ne soit pas qu’un simple spectateur mais qu’il ait contribué au bon déroulement des opérations militaires (Mata Mazima, précité au para 33).  C’est ce qui distingue, à mon avis, le présent cas de l’affaire Ezokola où tout ce qu’on pouvait reprocher au demandeur dans cette affaire était d’avoir occupé des hautes fonctions au sein du gouvernement de la RDC et d’avoir été, de ce fait, au courant des exactions commises par les FAC.

[55]           Je ne peux davantage souscrire à l’argument voulant que l’Agente ne se soit pas prononcée sur la mens rea du demandeur, la mens rea étant une composante du caractère conscient de la complicité par contribution, lequel a été examiné en détail par l’Agente.  Enfin, bien que le lien entre la contribution et le dessein criminel sera plus ténu lorsque l’organisation en cause poursuit, comme en l’espèce, des activités à la fois légitimes et criminelles, je suis satisfait, contrairement à ce que soutient le demandeur, que, dans le contexte de la présente affaire, où le demandeur était directement associé à l’État-major, soit l’organe névralgique des FAC, que celles-ci constituaient un groupe identifiable aux fins de l’analyse requise par l’arrêt Ezokola.  Quoi qu’il en soit, rien, dans cet arrêt, ne suggère que ce facteur soit, par rapport aux cinq autres, déterminant ou encore prépondérant.  Encore une fois, cette analyse, et le poids à attribuer aux différents facteurs qui la sous-tendent, dépendront des circonstances de chaque cas.

[56]           En somme, j’estime que l’Agente, qui n’avait pas à être convaincue hors de tout doute raisonnable de la complicité coupable du demandeur et qui ne pouvait ignorer les conclusions de faits tirées par la SPR et jugées raisonnables par la Cour lors du contrôle judiciaire de la décision de la SPR, pouvait raisonnablement conclure comme elle l’a fait en l’espèce.  Je rappelle que le constat qui s’est imposé lors de ce contrôle judiciaire (Mata Mazima, précité) est le suivant :

[33]  En créant et maintenant un réseau informatique pour relier le cabinet du Chef d’état-major aux autres unités de l’armée à travers le pays, le demandeur n’était pas un simple spectateur, mais contribuait au bon déroulement des opérations militaires. Même si le tribunal n’en avait pas la preuve directe, il n’était pas déraisonnable de conclure que le demandeur a mis la main à la roue et a participé consciemment aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre commis par les FAC.

[57]           Il n’y pas de doute dans mon esprit qu’il était loisible à l’Agente, à l’aulne du critère de la complicité par contribution, de conclure, à partir de ce constat, qui était aussi le sien, à l’interdiction de territoire. Je ne vois donc pas matière à intervenir.

[58]           La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.  Ni l’une ni l’autre des parties n’a sollicité la certification d’une question pour la Cour d’appel fédérale.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2817-15

INTITULÉ :

EUGÈNE MWALUMBA MATA MAZIMA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 janvier 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 13 MAI 2016

COMPARUTIONS :

Me Annick Legault

Pour la partie demanderesse

Me Geneviève Bourbonnais

Pour la partie défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Annick Legault

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Pour la partie demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour la partie défenderesse

 

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