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Date : 20160512


Dossier : IMM-4276-15

Référence : 2016 CF 533

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 12 mai 2016

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

IQBAL, MEHREEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la « Loi ») d’une décision rendue par un agent du Haut-commissariat du Canada à Londres (l’« agent ») refusant d’accorder un visa de résidente permanente à la demanderesse dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés et concluant qu’elle était interdite de territoire au Canada pendant cinq ans pour fausse déclaration.

I.                   Faits

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Pakistan. En 2013, elle a présenté une demande de résidence permanente au Canada en vertu du Programme des travailleurs qualifiés, inscrivant « ingénieure civile » comme profession.

[3]               En mars 2015, l’unité antifraude (l’« unité AF ») a mené une enquête impromptue chez le plus récent employeur de la demanderesse, Tamizuddin Enterprises.

[4]               Le 31 mars 2015, la demanderesse a reçu une lettre relative à l’équité procédurale de la part de l’agent, laquelle mentionnait qu’il soupçonnait que son expérience de travail déclarée chez Tamizuddin Enterprises était frauduleuse et que, par conséquent, elle pouvait être interdite de territoire aux termes de l’article 40(1) de la Loi pour fausse déclaration. L’agent a accordé trente jours à la demanderesse pour dissiper ses doutes.

[5]               La demanderesse a présenté des documents supplémentaires, incluant une lettre de son supérieur immédiat chez son plus récent employeur expliquant qu’il n’était pas présent lors de la visite de l’unité AF et qu’il n’avait donc pas pu fournir des détails précis concernant l’emploi de la demanderesse.

[6]               L’agent a estimé que les documents présentés n’ont pas suffi pour dissiper ses doutes; il a donc rejeté la demande de la demanderesse le 23 juillet 2015.

[7]               L’agent a mentionné que la demanderesse a reçu une lettre relative à l’équité procédurale faisant mention de ses doutes relativement à son emploi chez Tamizuddin Enterprises et que les renseignements fournis par son employeur ne cadraient pas avec ceux fournis dans sa demande. Il a conclu que sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale n’a pas dissipé ses doutes à l’égard de son expérience de travail chez Tamizuddin Enterprises. L’agent a également fait observer que son expérience chez deux autres employeurs, à savoir Zishan Engineers et Kamil Associates, était également une source de préoccupation. L’agent a néanmoins conclu que la demanderesse a effectivement travaillé pendant une courte période chez Tamizuddin Enterprises et lui a accordé des points correspondant à une année d’expérience.

[8]               L’agent a conclu que les lettres de recommandation présentées par la demanderesse à l’appui de son emploi chez Tamizuddin Enterprises étaient frauduleuses et que cette fausse déclaration était un facteur déterminant dans l’issue de sa demande. L’agent a donc conclu que la demanderesse était interdite de territoire au Canada pour une période de cinq ans.

II.                Questions en litige

[9]               La présente affaire soulève les questions suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  Est-ce que l’agent a commis une erreur en concluant que la demanderesse avait fait une fausse déclaration relative à son expérience de travail chez son employeur?

3.                  Est-ce que l’agent a enfreint les règles d’équité procédurale?

III.             Observations des parties

(a)                Observations de la demanderesse

[10]           La demanderesse affirme que la décision était déraisonnable puisque, bien que l’agent ait maintenu que la lettre de recommandation de Tamizuddin Enterprises était frauduleuse, il lui a tout de même accordé un an d’expérience en se fondant sur celle-ci. Elle affirme également que la décision était le résultat d’une enquête superficielle et qu’elle n’a pas tenu compte des documents présentés en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale.

[11]           La demanderesse affirme en outre que l’agent a enfreint les règles d’équité procédurale de deux façons. Premièrement, l’enquête menée chez Tamizuddin Enterprises était superficielle et insuffisante pour appuyer les conclusions de fausse déclaration. Deuxièmement, l’agent n’a pas permis à la demanderesse de répondre à ses doutes relativement à son emploi chez Zishan Engineers et Kamil Associates en omettant de les mentionner dans la lettre d’équité procédurale.

(b)               Observations du défendeur

[12]           Le défendeur affirme que la décision d’un agent des visas relativement à une demande présentée à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés est un exercice discrétionnaire, lequel nécessite un haut degré de déférence de la part de la Cour. Ultimement, il revient à la demanderesse de démontrer qu’elle satisfait aux critères de la Loi, et elle a l’obligation de fournir des renseignements véridiques, exacts et complets à l’agent. L’agent avait le droit d’accorder peu de poids aux documents présentés en réponse à la lettre d’équité procédurale. De plus, la collusion visant à concocter des éléments de preuve ôte toute valeur probante à ces derniers; il serait donc déraisonnable de s’y fier. La demanderesse n’a pas présenté ses meilleurs éléments de preuve pour répondre aux préoccupations de l’agent.

[13]           Un demandeur ne peut pas imposer un fardeau d’enquête à un agent des visas, et l’exigence d’un degré élevé d’équité ne signifie pas qu’un agent doit accepter aveuglément les éléments de preuve qui lui sont présentés en réponse à une lettre d’équité procédurale.

IV.             Analyse

(a)                Norme de contrôle

[14]           Déterminer si un demandeur peut réussir son établissement économique au Canada et établir si une fausse déclaration importante a été faite sont des questions de fait, susceptibles de révision aux termes de la norme de la décision raisonnable (He c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 33, au paragraphe 19). La Cour n’interviendra pas si la décision de l’agent est justifiée, transparente et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Il est maintenant bien établi que les questions d’équité procédurale sont susceptibles de révision aux termes de la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

(b)               Est-ce que l’agent a commis une erreur en concluant que la demanderesse avait fait une fausse déclaration relative à son expérience de travail chez son employeur?

[15]           Tout d’abord, contrairement aux observations de la demanderesse, je suis convaincue que l’agent pourrait conclure que la lettre de Tamizuddin Enterprises était frauduleuse, comme elle attestait de trois ou quatre ans d’expérience tel que l’avait déclaré la demanderesse, et tout de même conclure, selon d’autres éléments de preuve, que la demanderesse avait tout de même travaillé, mais pour une période plus courte, et lui accorder de ce fait des points ne correspondant qu’à une seule année d’expérience.

[16]           Par conséquent, le réel point en litige sur cette question est de savoir si l’agent n’a pas tenu compte de la preuve présentée en réponse à la lettre d’équité procédurale ou s’il l’a évaluée de façon arbitraire. Bien que la demanderesse affirme que l’agent ne pouvait pas écarter les éléments de preuve uniquement parce qu’ils n’ont pas pu être produits au moment de la visite impromptue, il est clair, à la lecture des notes du SMGC, que l’agent a repéré plusieurs écarts entre les réponses fournies par le directeur général et ce qui était attesté dans les lettres de recommandation.

[17]            Notamment, pendant la visite sur les lieux, le directeur général a mentionné que la demanderesse avait quitté l’entreprise il y a de cela environ trois à cinq ans. Cette information ne cadre pas avec les renseignements mentionnés dans la lettre de recommandation d’origine, lesquels indiquaient que la demanderesse avait quitté l’entreprise en juillet 2014. Pour ce qui est de la lettre de nomination fournie par la demanderesse en réponse à la lettre d’équité, l’agent a mentionné que l’entreprise n’a pas pu produire ce document lors de la visite sur les lieux. Dans les lettres de son employeur produites après la visite sur les lieux, il est mentionné que le supérieur hiérarchique direct et le directeur des RH auraient été en mesure de fournir ces renseignements, mais qu’ils étaient absents le jour de la visite. Toutefois, cette information ne cadre pas avec la déclaration faite par le directeur général lors de la visite sur les lieux, soit que seul le comptable avait accès à l’ordinateur où se trouvaient ces renseignements.

[18]           Qui plus est, ces lettres de son employeur n’attestaient pas qu’elle avait travaillé de 2011 à 2014. L’agent avait donc le droit de leur accorder une faible valeur probante.

[19]           Puisque la pondération de la preuve est une question de fait au cœur de la discrétion d’un agent, il est bien reconnu que la Cour peut uniquement intervenir si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables. En l’espèce, la décision appartenait aux issues acceptables de conclure que cinq ans d’expérience à titre d’ingénieure civile ne pouvaient pas être démontrés à l’aide de trois lettres de recommandation, dont deux étaient soupçonnées d’être frauduleuse, et rien d’autre.

[20]           Il incombait à la demanderesse de fournir à l’agent un élément de preuve indépendant en vue de dissiper ses doutes quant à l’authenticité des lettres de recommandation. Elle n’a pas fait parvenir de bordereaux de paie ni de déclarations de travail, ce qui aurait constitué la meilleure preuve qu’elle a travaillé à cet endroit pendant la période entière.

[21]           Dans Rong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 364, la demanderesse a fourni à l’agent plusieurs éléments de preuve indépendants dont il ne pouvait pas faire abstraction, notamment une lettre notariée signée par le représentant juridique de l’entreprise, le représentant juridique d’origine et la personne responsable des finances et de la commercialisation, lesquels corroborent l’information contenue dans la déclaration personnelle susmentionnée; une lettre du représentant juridique d’origine de l’entreprise; le permis d’exploitation de l’entreprise; les feuilles de paie de décembre 2011 à mars 2012, qui mentionnent toutes le nom de la demanderesse.

[22]           Pour sa part, la demanderesse n’a présenté qu’une déclaration personnelle expliquant les incohérences découvertes par l’unité AF, à laquelle elle a joint des copies de courriels provenant de gestionnaires soupçonnés de collaborer avec elle pour faire une fausse déclaration relativement à son expérience de travail et une photocopie d’une lettre de nomination. Lorsqu’une lettre d’équité procédurale mentionne explicitement que certains documents sont probablement frauduleux, un demandeur a l’obligation de présenter la preuve corroborante la plus solide possible (Hui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1098 [Hui]). En l’espèce, la preuve présentée ne pouvait pas raisonnablement servir à calmer les préoccupations de l’agent au sujet de son expérience de travail.

[23]           L’agent n’a donc pas commis une erreur en concluant que la demanderesse n’a pas démontré un nombre suffisant d’années d’expérience à titre d’ingénieure civile pour venir s’installer au Canada et qu’elle était interdite de territoire au Canada pour avoir fait une fausse déclaration importante au sujet de son expérience de travail.

(c)                Est-ce que l’agent a enfreint les règles d’équité procédurale?

[24]           Les deux parties s’entendent sur le fait qu’une conclusion d’interdiction de territoire nécessite un haut degré d’équité procédurale de la part de l’agent (Menon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1273, au paragraphe 15 [Menon]). Cela signifie que les demandeurs doivent toujours avoir la possibilité de répondre aux préoccupations d’un agent, et les agents doivent être conscients et sensibles au fait que des erreurs humaines peuvent se produire lorsqu’une personne remplit un formulaire, et que les fausses déclarations sont souvent faites pour éviter de se mettre dans une position embarrassante. Toutefois, cela ne modifie pas la responsabilité de produire un élément de preuve bon et fiable (Hui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), précitée, au paragraphe 7; Heer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1357, au paragraphe 19).

[25]           La demanderesse a été avisée des préoccupations de l’agent au sujet de son emploi chez Tamizuddin Enterprises et elle a eu la possibilité d’y répondre. Elle a bénéficié du degré d’équité procédurale auquel elle avait droit à cet égard, et c’est à elle qu’incombait la responsabilité de fournir à l’agent les meilleurs éléments de preuve à l’appui de l’expérience de travail qu’elle a déclaré. L’agent n’a commis aucune erreur susceptible de révision en ne menant pas une enquête plus approfondie. La demanderesse n’avait pas le droit d’imposer un fardeau d’enquête à l’agent, à qui on ne peut pas reprocher d’avoir refusé de s’exécuter (Hui, précitée).

[26]           La demanderesse soutient également que l’agent était tenu de lui permettre de répondre à ses préoccupations au sujet de son expérience chez Zishan Engineers et chez Kamil Associates.

[27]           Si la question en litige en était seulement une d’évaluation de l’expérience de travail de la demanderesse pour l’attribution de points, je serais d’accord avec la demanderesse que l’omission de l’agent de l’aviser de ses préoccupations au sujet de son expérience chez Zishan Engineers et chez Kamil Associates aurait pu constituer une erreur susceptible de révision. Toutefois, dans les circonstances, il ne s’agit pas d’une erreur importante pour l’issue de l’affaire. L’agent a raisonnablement conclu que la demanderesse avait présenté des documents frauduleux et fait une fausse déclaration au sujet de son expérience de travail chez Tamizuddin Enterprises. Même si son expérience chez Zishan Engineers et chez Kamil Associates était authentique, cela n’aurait pas changé la décision de l’agent au sujet de son interdiction de territoire au Canada. La demanderesse a eu la possibilité de répondre aux principales préoccupations de l’agent au sujet de sa demande, mais elle n’a pas réussi à démontrer que son expérience était authentique. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale en l’espèce.

[28]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Il n’a aucune question à certifier.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4276-15

 

INTITULÉ :

IQBAL, MEHREEN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 mai 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Isabelle Savard

 

Pour la demanderesse

 

Sonia Bédard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BERTRAND, DESLAURIES AVOCATS INC.

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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