Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160526


Dossier : T-1959-15

Référence : 2016 CF 571

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

YU-HSUAN LEE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, introduit par la demanderesse, Lee Yu-Hsuan, de la décision d’une juge de la citoyenneté [la juge] datée du 22 octobre 2015 par laquelle sa demande de citoyenneté a été refusée au motif qu’elle ne satisfaisait pas au critère de résidence conformément à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, ch. C-29 [la Loi].

[2]               La présente demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.                    Contexte

[3]               La demanderesse est une citoyenne de Taïwan qui a obtenu le statut de résidente permanente le 29 novembre 2008 lorsque sa famille a présenté une demande dans la catégorie investisseur. Ses parents sont par la suite retournés à Taïwan en 2012 et n’ont pas obtenu la citoyenneté canadienne. La demanderesse a étudié au Canada jusqu’en décembre 2011 et a ensuite a choisi de tirer parti de possibilités d’emploi et d’études à Taïwan et au Royaume-Uni. Elle a présenté une demande de citoyenneté le 23 décembre 2011.

[4]               L’article applicable de la Loi en vigueur à l’époque pertinente prévoit ce qui suit :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

a) en fait la demande;

(a) makes application for citizenship;

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

(b) is eighteen years of age or over;

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

[5]               Pour satisfaire aux exigences prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, elle était tenue de prouver qu’elle avait résidé au Canada pendant au moins 1 095 jours durant les quatre années précédant sa demande, soit du 23 décembre 2007 au 23 décembre 2011 (la période pertinente). Au moment de sa demande, elle déclarait cumuler 1 096 jours de présence physique au Canada, soit un jour de plus que l’exigence de 1 095 jours. Le 23 octobre 2013, la demanderesse a eu une entrevue avec un agent de la citoyenneté [l’agent], qui a exprimé des préoccupations entourant une absence non déclarée du Canada. L’agent a renvoyé sa demande à une juge de la citoyenneté pour une audience.

II.                 Décision contestée

[6]               La juge a examiné deux absences non déclarées qui ont eu lieu le 29 avril 2008 ou aux alentours de cette date et le 13 novembre 2010. Le premier voyage était celui qui avait soulevé les préoccupations de l’agent. La demanderesse avait informé l’agent qu’elle était allée aux États-Unis pendant 13 jours pour assister au mariage de son cousin. L’agent lui a, en conséquence, accordé 1 090 jours de présence physique au Canada, soit 5 jours de moins que l’exigence. Lors de l’audience relative à la citoyenneté, la demanderesse a indiqué qu’elle avait donné à l’agent la mauvaise date de mariage parce que l’anglais n’était pas sa langue maternelle et qu’elle était nerveuse. Elle a déclaré que, en fait, le mariage a eu lieu le 23 août 2010, ce qui avait déjà été déclaré dans son formulaire de demande. La juge n’a pas accepté les explications de la demanderesse, estimant qu’elle n’était pas disposée à témoigner à l’audience, puisqu’il est difficile de croire qu’une étudiante ayant obtenu son baccalauréat ès arts et sa maîtrise dans des universités anglophones ait fait cette erreur.

[7]               En outre, alors que la demanderesse a soutenu que le voyage du 19 avril 2008 était une excursion d’une journée aux États-Unis, la juge a souligné que la demanderesse n’a présenté aucune preuve documentaire de sa présence au Canada avant ou après ce voyage pour étayer l’affirmation qu’il s’agissait d’une excursion d’une journée.

[8]               La seconde absence non déclarée a eu lieu le 13 novembre 2010 ou aux alentours de cette date. La demanderesse a fait valoir qu’il s’agissait d’une autre absence d’une journée pour faire du magasinage aux États-Unis. La juge a cependant de nouveau fait remarquer que la demanderesse n’a présenté aucun document pour prouver que c’était un voyage d’un jour.

[9]               La juge a également mentionné l’absence de tout document prouvant la résidence de la demanderesse à Vancouver pendant qu’elle vivait avec ses parents, soit de septembre 2004 à septembre 2009, et l’absence d’autres éléments de preuve documentaire tels que des relevés bancaires, de cartes de crédit, ou des comptes de taxes municipales, d’assurance-automobile, de téléphone cellulaire de ses parents ou encore un historique de services médicaux.

[10]           La juge a évoqué le critère de résidence décrit par le juge Muldoon dans Pourghasemi, (Re) : [1993] A.C.F. no 232 [Pourghasemi] exigeant qu’un demandeur établisse qu’il a été physiquement présent au Canada pendant 1 095 jours pendant la période pertinente, et a conclu qu’il était impossible de déterminer le nombre de jours pendant lesquels la demanderesse avait effectivement été présente au Canada pendant la période pertinente. En conséquence, la juge a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à s’acquitter du fardeau de la preuve et que la preuve démontrait qu’elle n’avait pas cumulé les 1 095 jours requis de présence au Canada. La juge a rejeté sa demande de citoyenneté en s’appuyant sur ce fondement.

III.               Questions en litige

[11]           Les deux questions soulevées par les parties dans la présente demande sont :

1.                  La juge a-t-elle commis une erreur en omettant de divulguer le critère d’attribution de la citoyenneté qu’elle appliquerait dans sa décision?

2.                  La décision de la juge était-elle déraisonnable?

IV.               Norme de contrôle

[12]           La première question soulevée par la demanderesse en est une relative à l’équité procédurale. Les parties conviennent et je souscris, que cette question doit être examinée selon la norme de la décision correcte (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Abdou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 500, au paragraphe 4; Miji c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 142 [Miji], au paragraphe 18).

[13]           Les parties conviennent également que les autres arguments soulevés par la demanderesse, comme cela est expliqué plus en détail ci-dessous, doivent être examinés selon la norme de la raisonnabilité. Encore une fois, je conviens que c’est la norme applicable compte tenu des décisions des juges de la citoyenneté (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khadra, 2016 CF 71, au paragraphe 15; El-Khader c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 328, aux paragraphes 8 à 10). Il convient de faire preuve d’une grande déférence à l’égard de la décision du juge (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Patmore, 2015 CF 699, au paragraphe 14), mais la Cour doit intervenir lorsque la décision du juge ne démontre pas la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, et n’appartient pas à la gamme des issues possibles acceptables.

V.                 Thèses des parties

(1)               La juge a-t-elle commis une erreur en omettant de divulguer le critère d’attribution de la citoyenneté qu’elle appliquerait dans sa décision?

A.                 Position de la demanderesse

[14]           La demanderesse fait valoir que la juge ne l’a pas informée du critère d’attribution de la citoyenneté qu’elle appliquerait à la détermination de la résidence. Elle s’appuie sur les décisions de notre Cour, notamment dans Dina c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2013 CF 712 [Dina] et Miji c. Canada ((Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 142 [Miji] à l’effet que l’équité procédurale exige qu’un juge de la citoyenneté communique au demandeur qu’il appliquera le critère quantitatif ou qualitatif de résidence. Dans le cas contraire, le demandeur ne connaîtrait pas la preuve qu’il doit réfuter.

[15]           À l’audience relative à la demande en question, le défendeur a évoqué la récente décision de la juge Kane dans Fazail c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 111 [Fazail] qui différenciait les faits sur lesquels portaient Dina et Miji et concluait que le juge de la citoyenneté n’a pas manqué à l’équité procédurale en n’informant pas le demandeur du critère juridique qui s’appliquerait. La demanderesse fait valoir que la juge Kane n’a pas conclu que les principes de Dina et Miji sont mauvais, mais qu’ils n’étaient pas applicables à cette affaire. La position de la demanderesse est que Fazail a simplement réduit la portée de l’obligation d’équité procédurale et que, appliqué à cette affaire, il y avait encore un manquement à cette obligation. Elle fait valoir que, dans Fazail, le demandeur a eu l’occasion de présenter des observations sur le critère à appliquer, alors que dans l’affaire dont notre Cour est saisie, la juge a posé des questions qualitatives à l’audience, laissant la demanderesse confuse quant à la preuve qu’elle devait réfuter.

B.                 Position du défendeur

[16]           Le défendeur soutient qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale dans cette affaire, et que notre Cour a reconnu le pouvoir discrétionnaire d’un juge de la citoyenneté d’appliquer l’un des trois critères reconnus dans la jurisprudence. Un juge peut accepter les éléments de preuve liés à des facteurs quantitatifs et qualitatifs et décider après l’audience du critère à appliquer. Le défendeur fait référence au juge De Montigny qui a approuvé cette approche dans Boland c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 376 [Boland] au paragraphe 24, déclarant que c’est la prérogative d’un juge de la citoyenneté « d’opter en dernière analyse pour l’un ou l’autre des trois critères présentement utilisés pour évaluer la résidence ».

[17]           Faisant référence à Fazail, le défendeur soutient que, malgré l’incertitude dans la Loi qui permet à un juge de la citoyenneté d’appliquer des critères différents, ce qui pourrait conduire à des résultats différents, le fait de ne pas en informer le demandeur ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale.

(1)               La décision de la juge était-elle déraisonnable?

C.        La position de la demanderesse

[18]           La demanderesse soutient que la juge a pris en compte des facteurs non pertinents, a omis de fournir un compte des jours où la demanderesse était absente du Canada et n’a pas fourni de motifs suffisants concernant l’insuffisance des documents déposés.

[19]           Alors que la juge avait le droit d’appliquer le critère de la présence physique de Pourghasemi, la position de la demanderesse est que la juge était tenue de limiter l’examen à la période pertinente de quatre années (Deldelian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 854 [Deldelian]). La juge a souligné l’absence de tout document prouvant la résidence de la demanderesse pendant qu’elle vivait avec ses parents, soit de septembre 2004 à septembre 2009, et qu’une partie de cette période se situe en dehors de la période pertinente. La juge a également examiné l’historique d’emploi et les études de la demanderesse à l’étranger et ses cotisations fiscales après la période pertinente, de même que si elle détenait des propriétés à Taïwan, toutes des considérations que la demanderesse allègue ne pas être pertinentes au critère de la présence physique.

[20]           La demanderesse soutient également que le critère de présence physique requiert que la juge fasse le compte des jours où la demanderesse était présente au Canada. La juge a omis de le faire et n’a pas suffisamment expliqué pourquoi elle a considéré que c’était impossible de le faire. La demanderesse explique l’écart dans son témoignage quant à la date de sa participation au mariage de son cousin, et soutient qu’elle avait déjà inclus le nombre de jours passés aux États-Unis au mariage dans son questionnaire de résidence, mais à d’autres dates. Par conséquent, ces jours ne devraient pas nuire au compte des jours passés par la demanderesse au Canada.

[21]           Enfin, la demanderesse fait valoir que la juge a conclu que la preuve était insuffisante pour établir la résidence, mais n’a pas pu expliquer pourquoi. En particulier, la demanderesse a fourni la date du mariage auquel elle a assisté aux États-Unis, pour démontrer que sa déclaration antérieure à l’agent était erronée, mais la juge n’a pas évalué cet élément de preuve.

D.                Position du défendeur

[22]           Le défendeur soutient que la décision était raisonnable. La demanderesse a déclaré une présence de 1 096 jours, seulement une journée de plus que les 1 095 jours requis, mais elle a omis de déclarer deux voyages aux États-Unis, un en 2008 et un en 2010. Bien qu’elle ait affirmé dans son témoignage qu’il s’agissait de voyages d’une journée, il n’y avait aucune preuve documentaire concordante pour établir leur durée réelle. Il n’était pas possible de faire un compte strict des jours puisque la durée des voyages non déclarés de la demanderesse à l’extérieur du Canada n’a pu être établie.

[23]           Le défendeur soutient que les faits ne relevant pas de la période pertinente, bien que mentionnés dans la décision, n’ont pas été pris en compte dans la décision de la juge.

VI.               Analyse

(1)               La juge a-t-elle commis une erreur en omettant de divulguer le critère d’attribution de la citoyenneté qu’elle appliquerait dans sa décision?

[24]           Les différents critères pour l’attribution de la citoyenneté, sur lesquels porte la question en litige, sont expliqués comme suit aux paragraphes 19 et 20 de Miji :

[19]      Il y a trois critères distincts pour déterminer si les exigences de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sont satisfaites. L’un de ces critères est quantitatif et est strictement basé sur la présence physique d’un demandeur au Canada : Pourghasemi. Les deux autres critères sont dits qualitatifs, soit : (i) le critère du « mode d’existence centralisé » établi dans l’affaire Re Papadogiorgakis, [1978] 2 CF 208 (1re instance); et (ii) le critère consistant à déterminer à quel endroit celui qui demande sa citoyenneté canadienne « vit régulièrement, normalement et habituellement » établi dans l’affaire Koo (Re), [1993] 1 CF 286 (1re instance).

[20]      Il est maintenant établi par la jurisprudence récente que ces trois critères distincts peuvent être appliqués par un juge de la citoyenneté et que celui-ci peut choisir d’appliquer, à sa discrétion, l’un ou l’autre de ces trois critères (Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 576, au para 25; Irani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1273, au para 14; Vinat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1000, aux paras 22-24).

[25]           Le juge Locke dans Miji, et la décision du juge Hughes dans Dina sur laquelle il se fonde, a conclu que dans ces cas, le fait de ne pas révéler au demandeur, avant le prononcé de la décision, lequel des trois critères serait appliqué par le juge de la citoyenneté constitue un manquement à l’équité procédurale. Je suis d’accord avec la demanderesse que Fazail ne doit pas être interprété comme étant en désaccord avec ces décisions. Toutefois, dans ce cas, la juge Kane effectue une analyse qui procure une contribution importante à la compréhension de la nature et de l’étendue de l’obligation d’équité dans les affaires de citoyenneté.

[26]            Aux paragraphes 39 à 46 de Fazail, la juge Kane a examiné les facteurs prescrits par la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 à appliquer pour déterminer la portée d’une obligation d’équité procédurale et a conclu que, alors qu’une telle obligation incombe aux juges de la citoyenneté à l’égard des demandeurs, cette obligation se situe à l’extrémité inférieure du registre. La personne touchée doit savoir comment préparer sa cause et avoir l’occasion de répondre aux arguments qu’elle doit réfuter, mais l’étendue de l’obligation ne s’étend pas au-delà de cela.

[27]           En examinant l’incidence de Dina et de Miji, la juge Kane a fait remarquer, aux paragraphes 37 et 38, que le juge Hughes n’a pas précisé la portée de l’obligation d’équité procédurale ni pourquoi, au regard des faits de Dina, la demanderesse ne connaissait pas les arguments qu’elle devait réfuter, et que le juge Locke, dans Miji, avait invoqué Dina sans plus de précisions sur l’étendue de l’obligation. La juge Kane a ensuite examiné le principe de la courtoisie judiciaire et a conclu que ce principe n’était pas en jeu, parce que les faits essentiels de Dina et Miji étaient différents de ceux de l’affaire dont elle était saisie. Dans Fazail, le demandeur était au courant que le juge de la citoyenneté avait un choix de critères et a présenté des observations selon lesquelles le critère qualitatif de Koo devait s’appliquer. Par conséquent, le demandeur savait ce qu’il devait prouver, a eu l’occasion de présenter des observations et l’a fait.

[28]           Le demandeur, dans Fazail, comme la demanderesse en l’espèce, a fait valoir que Dina impose à un juge de la citoyenneté l’obligation d’informer à l’avance un demandeur du critère qui sera appliqué. Cependant, la juge Kane a conclu que la question dont la Cour était saisie n’était pas de savoir si le critère qu’un juge de la citoyenneté envisage d’utiliser a été communiqué d’une manière particulière. La question est plutôt de déterminer si le fait qu’un demandeur ne connaisse pas la preuve à réfuter constitue un manquement à l’équité procédurale. Dans Fazail, cette obligation n’a pas été interprétée comme exigeant qu’on donne au demandeur une indication irrévocable du critère qui serait appliqué.

[29]           Cette interprétation aide à concilier ces pouvoirs avec la décision rendue dans Boland qu’invoque le défendeur. Au paragraphe 24 de ce jugement, le juge de Montigny a déclaré ce qui suit :

[24]      Le simple fait qu’au cours d’une entrevue, un juge de la citoyenneté puisse poser à un demandeur des questions qui l’amènent à croire que l’un des critères qualitatifs est appliqué ne fait pas en sorte que sa décision finale est erronée s’il choisit finalement d’appliquer un critère quantitatif. La juge de la citoyenneté peut fort bien avoir choisi en l’espèce d’écarter le critère strict de la présence physique et d’appliquer un autre critère si elle était convaincue que la preuve démontrait l’attachement du demandeur au Canada ou encore qu’il avait centralisé son mode d’existence au Canada. Il était toutefois loisible à la juge de la citoyenneté en l’espèce d’opter en dernière analyse pour l’un ou l’autre des trois critères présentement utilisés pour évaluer la résidence.

[30]           Ma compréhension de l’obligation d’équité procédurale, comme l’a énoncé la juge Kane dans Fazail, me porte à conclure que le dossier dont je suis saisi démontre que la demanderesse connaissait la preuve à réfuter et qu’elle a eu l’occasion de présenter ses observations. La juge a choisi d’appliquer le critère de Pourghasemi, obligeant la demanderesse à prouver qu’elle avait cumulé le nombre requis de jours de présence physique stricte au Canada, et la demanderesse a eu une juste possibilité de présenter des observations à cet égard.

[31]           Dans son affidavit déposé à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse explique que lors de son entrevue avec l’agent de la citoyenneté, l’agent l’a questionnée sur ses absences et qu’elle a fait une erreur en ce qui concerne la date du mariage de son cousin. Son affidavit indique également que, lors de l’audience, la juge lui a posé des questions sur ses absences, la date du mariage de son cousin et le voyage d’une journée le 19 avril 2008, et elle a expliqué qu’elle a commis une erreur en parlant avec l’agent. Les notes du juge de l’audience et la décision elle-même font état de cet interrogatoire, ainsi que des questions sur le voyage de la demanderesse aux États-Unis le 13 novembre 2010, qu’elle a décrit comme une excursion d’une journée à Seattle avec des amis.

[32]           Comme abordé plus en détail ci-après dans mon examen du caractère raisonnable de la décision, la conclusion de la juge selon laquelle la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences de résidence en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi se fonde sur la preuve entourant ces voyages aux États-Unis et leur incidence sur le nombre de jours où la demanderesse a été physiquement présente au Canada. Compte tenu de l’accent mis sur ces faits avant l’audience et lors de celle-ci, rien au dossier ne permet de conclure en l’espèce que la demanderesse ne connaissait pas la preuve à réfuter ou qu’elle a été privée de la possibilité de la réfuter.

[33]           À l’appui de son argument voulant qu’elle ait été victime d’un manquement à l’équité procédurale, la demanderesse fait référence aux questions de la juge portant sur des facteurs qualitatifs, tels que la présence de membres de sa famille au Canada et à Taïwan, ses comptes bancaires, ses REER, ses cotisations fiscales et ses propriétés au Canada. Elle soutient que ces facteurs sont pertinents pour une évaluation en fonction du critère qualitatif, mais que ce n’est pas le critère que la juge a ensuite appliqué. À cet égard, il existe des similitudes avec l’observation du juge Locke au paragraphe 24 de Miji selon laquelle la demande d’éléments de preuve documentaire faite au demandeur dans cette affaire lors de son entrevue avec la juge de la citoyenneté comprenait des documents qui pouvaient impliquer qu’un critère qualitatif soit employé. Toutefois, la question de savoir si un demandeur a été privé de son droit à l’équité procédurale doit être examinée à la lumière des faits de chaque affaire particulière. Comme il est expliqué plus haut, ma conclusion est que la demanderesse a eu l’occasion d’aborder la question des absences sur laquelle est fondée la décision du juge d’appliquer le critère de présence physique stricte et, vu les faits de l’espèce, le fait que la juge a posé des questions qui pouvaient s’appliquer à un critère qualitatif ne va pas à l’encontre de cette conclusion.

(2)               La décision de la juge était-elle déraisonnable?

[34]           Je ne vois aucun motif de conclure que la décision de la juge était déraisonnable.

[35]           La demanderesse invoque l’arrêt Hussein c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 88 [Hussein] à l’appui de sa position selon laquelle le fait qu’un juge de la citoyenneté ne compte pas les jours tel que requis dans Pourghasemi constitue une erreur. En outre, elle fait valoir que les motifs de la juge n’étaient pas suffisants pour expliquer la conclusion selon laquelle la preuve était insuffisante pour établir la résidence.

[36]           L’explication du juge LeBlanc concernant les principes régissant la pertinence des motifs, au paragraphe 24 de Hussein, est instructive :

[24]      [L]es motifs de décision sont suffisants s’ils sont clairs, précis et intelligibles et s’ils indiquent pourquoi la décision a été rendue. Des motifs suffisants montrent que l’on comprend les questions que la preuve soulève, permettent aux parties de comprendre pourquoi la décision a été rendue et permettent également à la Cour de révision d’en évaluer la validité (Dunsmuir c. NouveauBrunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c TerreNeuveetLabrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 16; Jeizan, précitée, au paragraphe 17; voir aussi Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] 1 RCS 761, au paragraphe 46; Mehterian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 545 (CAF); VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 CF 25 (CAF), au paragraphe 22; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Arastu, 2008 CF 1222, aux paragraphes 35 et 36.

[37]           À la lecture de la décision de la juge dans son ensemble, je n’ai pas de difficulté à comprendre le fondement de la décision ou à en évaluer la validité. La juge affirme que la demande initiale faisait état de 1 096 jours de présence physique au Canada durant la période pertinente, soit un jour de plus que les 1 095 jours requis. Cependant, l’exactitude de cette déclaration a été remise en question par la constatation des absences non déclarées aux États-Unis en avril 2008 et en novembre 2010. Alors que la demanderesse a déclaré qu’il s’agissait de deux excursions d’une journée et que cela ne devrait pas avoir une incidence sur le compte de ses jours de présence physique, la juge a souligné que la demanderesse n’a fourni aucune preuve documentaire à l’appui de cette prétention. La juge a également estimé que la demanderesse n’était pas disposée à témoigner à l’audience, et a eu de la difficulté à croire son explication pour avoir donné à l’agent de la citoyenneté une date erronée pour le mariage de son cousin lors de son entrevue. Au vu des préoccupations relatives à la crédibilité et de l’absence de documentation à l’appui des allégations de la demanderesse selon lesquelles ses absences non déclarées n’étaient que des excursions d’une journée, la juge a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver qu’elle satisfaisait aux exigences de résidence.

[38]           J’estime que la décision est intelligible et, bien qu’un autre décideur puisse tirer une conclusion différente en se fondant sur la preuve, la conclusion de la juge est dans la gamme des issues acceptables qui devaient être évaluées, compte tenu de la déférence qu’il convient de montrer à l’égard de la décision. J’ai lu la déclaration de la juge selon laquelle il est impossible de déterminer le nombre de jours où la demanderesse a réellement été présente au Canada comme une référence à l’absence de preuve documentaire. Dans Hussein, le juge LeBlanc a estimé que la décision du juge de la citoyenneté était problématique, car le juge n’avait pas expliqué comment les contradictions dans la preuve rendaient impossible le calcul du nombre de jours de présence physique. Dans le cas présent, la juge ne s’est pas dérobée à l’analyse des éléments de preuve. Au contraire, la juge avait comme point de départ la déclaration de la demanderesse selon laquelle elle cumulait 1 096 jours, mais la constatation des deux voyages non déclarés et l’absence d’éléments de preuve démontrant leur durée ont amené la juge à conclure que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau.

[39]           La demanderesse fait référence à la preuve déposée pour appuyer le fait que le mariage de son cousin a eu lieu en août 2010 et fait valoir que les 13 jours que représentent ce voyage ont donc ont été pris en compte dans son calcul de 1 096 jours. Cependant, je ne considère pas que cela est important dans la décision, qui ne portait ni sur le moment ni sur la durée du voyage pour assister au mariage, mais plutôt sur l’absence d’éléments de preuve concernant les voyages en avril 2008 et en novembre 2010, de même que sur un manque global de preuve documentaire.

[40]           Enfin, j’ai examiné l’argument de la demanderesse voulant que la juge ait tenu compte de facteurs non pertinents, notamment de renseignements étrangers à la période pertinente. Cependant, à la lecture de la décision dans son ensemble, je réitère ma conclusion selon laquelle la décision est fondée sur l’insuffisance d’éléments probants confirmant la durée des absences non déclarées se situant toutes deux pendant la période pertinente. Rien dans la décision ne soulève une ambiguïté, comme ce fut le cas dans Deldelian, concernant le fait que l’analyse ait pris en compte des événements en dehors de la période pertinente.

[41]           Par conséquent, je ne peux pas conclure qu’il y a lieu de modifier la décision de la juge et je conclus que cette demande doit être rejetée.

[42]           Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1959-15

INTITULÉ :

YU-HSUAN LEE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 mai 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 26 mai 2016

COMPARUTIONS :

Jacqueline Swaisland

Pour la demanderesse

Kevin Doyle

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jacqueline Swaisland

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.