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Date : 20160531


Dossier : T-1875-15

Référence : 2016 CF 597

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2016

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

GORDON GADWA

demandeur

et

PREMIÈRE NATION KEHEWIN, TINA DION ET BRENDA JOLY

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 12 octobre 2015 de la présidente d’élections Loreen Suhr (« présidente d’élections ») de la Kehewin Cree Nation (KCN) relative à un appel formé contre l’élection à la fonction de chef de la KCN du 29 septembre 2015. La demande est présentée aux termes du paragraphe 18(1) et de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la « Loi sur les Cours fédérales »).

Contexte

[2]               Les élections du conseil de la KCN et de son chef sont régies par le [traduction] Code électoral coutumier de la Kehewin Cree Nation (le « Code électoral coutumier de la KCN » ou « le Code »). Une élection était nécessaire en raison du règlement d’une demande de contrôle judiciaire découlant d’une élection tenue en mars 2014 (T-973-14). Par conséquent, suite à une résolution du conseil de bande de la KCN datée du 29 mai 2015, Loreen Surh a été nommée présidente d’élections. Le 9 juin 2015, elle a déposé un avis d’assemblée de mise en candidature. Cet avis indiquait que le dépôt des mises en candidature pour sept postes de conseillers aurait lieu le 13 juillet 2015 et que l’élection pour ces postes se tiendrait le 1er septembre 2015. L’élection du chef devait avoir lieu à la suite de l’élection du conseil. L’élection du conseil s’est tenue le 1er septembre 2015 et sept nouveaux conseillers ont été élus. Quatre de ces nouveaux conseillers ont déposé un avis d’intention de se présenter au poste de chef. L’élection du chef s’est tenue le 29 septembre 2015 et la présidente d’élections a déclaré que Gordon Gadwa en était le vainqueur. Il a obtenu 141 voix, Brenda Joly a obtenu 138 voix, Willie John en a obtenu 127 et Jason Mountain a obtenu 92 voix.

[3]               Le 5 octobre 2015, la conseillère Tina Dion, défenderesse en l’espèce, a déposé un avis d’appel en vertu du l’article 1 de la partie XIV du Code électoral coutumier de la KCN. Cet appel alléguait que Gordon Gadwa avait commis une manœuvre électorale frauduleuse en achetant des votes. Au soutien de sa demande d’appel, l’appelante a déposé l’affidavit d’Elmer Gary Paul affirmant que le 22 septembre 2015, Gordon Gadwa lui avait versé 20 $ en échange de son vote et que le 29 septembre 2015, Byron Paul, son neveu, lui avait dit que Gordon Gadwa payait d’autres personnes 40 $ en échange de leur vote. Elle a également renvoyé à de la jurisprudence pour appuyer ses observations (arrêt Sideleau v Davidson (Controverted election for the Electoral District of Stanstead), [1942] SCR 306 [Sideleau]; décision Wilson c. Ross, 2008 CF 1173, aux paragraphes 18, 22, 25 à 28 et 30 [Ross]; arrêt Opitz c. Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55, au paragraphe 76 [Opitz]; arrêt Yukon (Chief Electoral Officer) v Nelson, 2014 YKSC 26, au paragraphe 15 [Nelson]).

[4]               Le jour suivant, l’avocat de l’époque de Gordon Gadwa a répondu par écrit à l’avis d’appel en argumentant notamment que la jurisprudence canadienne n’était pas applicable en l’espèce et que puisqu’il n’y a pas de définition de « manœuvres frauduleuses » dans le Code électoral coutumier de la KCN, l’appel n’était pas valide. Dans un affidavit daté du 6 octobre 2015, Gordon Gadwa a admis avoir donné 20 $ à Elmer Gary Paul, mais a déclaré que ce don a été fait à la demande de ce dernier et qu’il n’était pas lié à l’élection, mais qu’il correspondait plutôt à une partie des frais d’admission à un évènement de jeu de mains. Il a ajouté que c’est à ce moment qu’il a [traduction] « annoncé [à Elmer Gary Paul] son intention de se présenter comme chef ». L’affidavit de Gordon Gadwa précisait également que les allégations d’Elmer Gary Paul concernant la déclaration de Byron Paul constituaient du ouï-dire inadmissible et qu’il n’a jamais payé en l’échange de votes. On y indiquait plutôt que Byron Paul avait demandé de l’argent pour du carburant afin d’amener les membres de la KCN aux bureaux de vote et que c’est à cette fin que Gordon Gadwa lui avait donné de l’argent.

[5]               L’avocat de l’époque de Gordon Gadwa a déposé d’autres observations écrites le 7 octobre 2015, précisant davantage les arguments présentés dans la réponse du 6 octobre 2015, Plus précisément, il a indiqué que puisque la KCN était assujettie à un code électoral coutumier, la jurisprudence canadienne ne s’appliquait pas; que la preuve par ouï-dire d’Elmer Gary Paul était inadmissible et que comme le Code électoral coutumier de la KCN ne prévoit aucun processus d’appel, les documents déposés par l’appelante ne prouvaient aucune violation du Code. L’avocat de l’appelante a répondu le même jour à ces arguments, faisant valoir que la jurisprudence canadienne s’appliquait, car la Loi constitutionnelle de 1867 s’applique à toutes les élections tenues au Canada et intègre les principes du fédéralisme, de la démocratie et de la primauté du droit; qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une preuve directe pour établir une manœuvre électorale frauduleuse (Ross; Sideleau) et que l’élection doit être annulée puisque son intégrité a été entachée (Nelson).

Décision faisant l’objet du contrôle

[6]               Le 12 octobre 2015, la présidente d’élections a rendu sa décision dans l’appel. Elle a commencé par formuler une introduction qui comprenait la déclaration suivante qu’elle a faite aux candidats, à deux reprises :
[traduction]

Il est attendu de vous que vous meniez une campagne électorale honnête. Aucune tentative de corrompre, d’influencer, de contraindre ou d’intimider les électeurs ou le personnel électoral ne sera tolérée. Si je reçois un affidavit alléguant qu’un candidat a fait preuve d’une conduite inappropriée, je prendrai les mesures qui s’imposent.

[7]               Elle a ensuite énoncé les dispositions du Code électoral coutumier de la KCN et résumé les observations de l’appelante, les affirmations faites par Elmer Gary Paul dans son affidavit ainsi que les observations faisant partie de l’affidavit en réponse de Gordon Gadwa. La présidente d’élections y a également décrit la preuve non sollicitée reçue de Byron Paul, qui a déclaré lors d’un appel téléphonique qu’il avait demandé 20 $ à Gordon Gadwa pour payer le carburant pour se rendre à un rendez-vous à Saint-Paul. Gordon Gadwa n’avait pas mentionné que cet argent pour le carburant allait servir à conduire les électeurs au bureau de scrutin.

[8]               Dans sa décision, la présidente d’élections a également énoncé les observations de l’avocat de l’appelante et de l’avocat de Gordon Gadwa et les réparations demandées.

[9]               Dans son analyse, la présidente d’élections a souligné que la partie XIV du Code électoral coutumier de la KCN, qui concerne les appels, dispose que le président d’élections [traduction] « peut prendre les mesures raisonnablement nécessaires pour répondre à l’appel » et que bien que les mots « manœuvre frauduleuse » ne soient pas explicitement utilisés dans le code, les parties VIII et X visent la destitution d’un chef ou d’un conseiller pour cause de [traduction] « méfait, de manquement au devoir ou d’inconduite ». Elle a aussi noté que le Code n’est pas un document isolé et est soumis à l’application des lois canadiennes liées au processus électoral.

[10]           La présidente d’élections a conclu que Gordon Gadwa avait admis dans son affidavit avoir payé une somme d’argent à Elmer Gary Paul et à Byron Paul. Elle a conclu que les explications de Gordon Gadwa relativement à ces paiements à Elmer Gary Paul n’étaient pas crédibles. La présidente d’élections s’est également demandé pourquoi Gordon Gadwa aurait déclaré, lorsqu’il a versé un paiement à Elmer Gary Paul, que son intention était de se présenter au poste de chef alors que l’élection devait avoir lieu trois jours plus tard. Tous les candidats au poste de chef avaient déclaré leur intention de se présenter le 1er septembre 2015 et la liste de candidats avait été envoyée aux membres par la poste. Les membres de la KCN étaient bien au courant de l’identité des candidats.

[11]           Pour ce qui est de l’explication de Gordon Gadwa concernant le paiement d’un montant pour le carburant à Byron Paul pour le transport des membres au bureau de vote, la preuve non sollicitée de Byron Paul du 9 octobre 2015 contredit cette information puisque ce dernier a affirmé avoir demandé cette somme afin de pouvoir se rendre à un rendez-vous à Saint-Paul et qu’il a catégoriquement nié avoir demandé de l’argent pour payer l’essence nécessaire afin d’amener les membres voter. La présidente d’élections a toutefois conclu qu’il n’était pas nécessaire qu’elle se penche sur les incohérences entre l’affidavit d’Elmer Gary Paul et la preuve non sollicitée de Byron Paul pour établir le fondement de l’appel puisque Gordon Gadwa avait admis avoir payé de l’argent à ces deux personnes.

[12]           La présidente d’élections a conclu ceci :
[traduction]

Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que les éléments de preuve soutiennent la déduction et la conclusion raisonnable que les sommes payées l’ont été en lien avec l’élection au poste de chef et avaient pour objectif d’influencer ou d’acheter le vote des électeurs au bénéfice de Gordon Gadwa.

[13]           Considérant ce qui précède en plus des indications qu’elle a données aux candidats selon lesquelles ni la corruption ni les tentatives d’influencer le vote ne seraient tolérées, la présidente d’élections en est venue à la conclusion que Gordon Gadwa a bien commis une manœuvre électorale frauduleuse et que ces actions ont vicié son élection.

[14]           Concernant la question d’une réparation appropriée, elle fait observer que l’avocat de M. Gordon Gadwa a proposé que la réparation appropriée soit de tenir un nouveau vote pour la fonction de chef. Toutefois, la présidente d’élections a jugé qu’il n’était ni raisonnable ni nécessaire que la KCN dépense plusieurs milliers de dollars pour tenir une nouvelle élection pour le poste de chef en raison des manœuvres frauduleuses d’un candidat. De plus, elle a conclu que la manœuvre électorale frauduleuse de Gordon Gadwa a gravement compromis l’intégrité du processus électoral démocratique de la KCN de telle sorte que la question de savoir si le véritable nombre d’électeurs touchés était minimal ne devrait pas entrer en considération.

[15]           Elle a affirmé qu’elle était consciente de la nature extrêmement grave de l’affaire et qu’elle était d’avis que la réparation appropriée devait refléter à la fois la nature destructive de la manœuvre électorale commise et assurer les membres de la KCN qu’un tel comportement était inacceptable. Elle a par conséquent conclu que la réparation raisonnablement nécessaire était d’annuler l’élection de Gordon Gadwa comme chef de la KCN et de le destituer de ses fonctions de chef et de conseiller; de déclarer élue chef de la KCN Brenda Joly, la candidate ayant obtenu le deuxième plus grand nombre de voix, et de déclarer élu conseiller de la KCN Eric Gadwa, le candidat au poste de conseiller ayant obtenu le deuxième plus grand nombre de voix.

Questions en litige

[16]           Le demandeur a énoncé deux questions en litige pour que la Cour puisse les examiner et que j’ai reformulé ainsi :

1.      La présidente d’élections a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

2.      La décision de la présidente d’élections était-elle raisonnable?

Norme de contrôle

[17]           Les parties font valoir que l’interprétation et l’application du Code électoral coutumier de la KCN par la présidente d’élections doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable, ce avec quoi je suis d’accord (décision Orr c. Première Nation de Peerless Trout, 2015 CF 1053, au paragraphe 44 [Orr]; décision Campre c. Première nation Fort Mckay, 2015 CF 1258, au paragraphe 32 [Fort McKay]; arrêt D’Or c. St. Germain, 2014 CAF 28, aux paragraphes 5 et 6; voir également l’arrêt Bande indienne de Lower Nicola c. York, 2013 CAF 26, au paragraphe 6 [York]; décision Tsetta c. Conseil de Bande de la Première Nation des Dénés Couteaux-Jaunes, 2014 CF 396, au paragraphe 22 [Tsetta]).

[18]           Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables (arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]; arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]).

[19]           Il est bien établi que la norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale (arrêt Khosa, au paragraphe 43; arrêt York, au paragraphe 6; décision Tsetta, au paragraphe 24; arrêt Première Nation d’Ermineskin c. Minde, 2008 CAF 52, au paragraphe 32; arrêt Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; décision Testawich c. Duncan’s First Nation, 2014 CF 1052, au paragraphe 15). Lorsqu’elles ont comparu devant moi, les parties ont admis la position du demandeur selon laquelle le critère de la décision raisonnable s’appliquait à toutes les questions en litiges soulevées en l’espèce, y compris celles concernant l’équité procédurale. Concernant la norme de déférence à appliquer, la KCN a fait valoir qu’il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard des dispositions du Code électoral coutumier de la KCN, à titre de loi électorale consolidée de la KCN approuvée par la bande KCN. En tout état de cause, le résultat devrait demeurer le même, peu importe la norme de contrôle applicable.

[20]           Je n’ai connaissance d’aucune décision qui soutiendrait la position des parties selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique aux questions d’équité procédurale dans les affaires concernant les lois ou les codes électoraux coutumiers. Il n’appartient pas aux parties de s’entendre pour appliquer une autre norme de contrôle. Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a élaboré un cadre permettant aux cours d’établir le degré de déférence approprié lors de l’examen des actions et des décisions d’organes administratifs. De plus, lorsque la jurisprudence existante a établi de façon satisfaisante la norme de contrôle à appliquer à une catégorie de questions ou à une question particulière, cette norme peut être adoptée par la cour de révision (arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 57 et 62). Comme indiqué précédemment, la jurisprudence indique d’examiner les questions d’équité procédurale selon la norme de la décision correcte. Quoi qu’il en soit, je suis d’accord étant donné les motifs qui suivent que cette question n’entraîne aucun changement majeur en l’espèce et que j’en arriverais à la même conclusion en appliquant l’une ou l’autre des normes de contrôle.

Code électoral coutumier de la KCN

[21]           Les dispositions suivantes du Code électoral coutumier de la KCN sont pertinentes en l’espèce :
[traduction]

PRÉAMBULE – PARTIE I

Le chef et les conseillers élus en vertu des dispositions du présent Code électoral coutumier doivent se voir accorder le pouvoir exclusif de régir la Kehewin Cree Nation no 123. Le chef et les conseillers élus sont responsables de la paix, de l’ordre et de la bonne gouvernance de la Kehewin Cree Nation; ils doivent protéger les intérêts sociaux, économiques, culturels, éducatifs et spirituels des membres de leur nation, promouvoir des relations pacifiques et coopératives avec les gouvernements des autres Premières nations et entretenir des relations avec le gouvernement constituant conformément aux dispositions du Traité no 6 de 1987.

PROCESSUS DE NOMINATION – PARTIE IV

1) Le chef et les conseillers nomment un président d’élections, établissent la date et le lieu de la nomination des conseillers et en avisent le président de réélections.

ÉLECTIONS – PARTIE V

1) Une élection sera tenue pour élire les conseillers.

2) Dans les sept (7) jours civils suivant l’élection des conseillers, une élection doit être tenue pour élire un chef parmi les conseillers qui souhaitent se présenter à ce poste.

POSTES VACANTS – PARTIE VIII

1) Un poste de chef ou de conseiller devient vacant dans le cas du décès, de la démission, de l’accusation de la commission d’un acte criminel, du déménagement à l’extérieur de la réserve, du défaut de se présenter à une séance régulière du conseil à trois (3) reprises consécutives sans motifs raisonnables ou d’une destitution en raison d’une déclaration de culpabilité à un acte de malfaisance, de manquement au devoir ou d’inconduite du titulaire du poste.

2) Dans l’éventualité où le poste de chef devient vacant, le conseil doit choisir un conseiller pour agir à titre de chef intérimaire jusqu’à ce qu’une élection soit tenue.

ÉLECTIONS PARTIELLES – PARTIE IX

1) Sous réserve du paragraphe trois (3), dans l’éventualité où un poste devient vacant, le chef et le conseil organiseront la tenue d’une élection partielle.

2) La procédure applicable à l’élection partielle sera la même que celle prévue au Code pour les élections.

[...]

CHEF ET CONSEIL – PARTIE X

1) Le chef et les conseillers sont élus pour un mandat de trois (3) ans.

2) Le conseil de la Kehewin Cree Nation no 123 est composé de six (6) conseillers et d’un (1) chef.

3) Un chef ou un conseiller accusé d’un acte criminel en vertu du Code criminel du Canada ne peut conserver son poste au conseil.

4) Dans l’éventualité où, dans le cadre de son mandat, le chef ou l’un des conseillers est accusé de méfait, de manquement au devoir ou d’inconduite en lien avec un conseiller de la Kehewin Cree Nation no 123, le ou les membres portant cette allégation feront part par écrit de leurs préoccupations au conseil, qui les examinera et fera un suivi avec les membres concernés.

5) Si les membres ne sont pas satisfaits de la réponse du chef et du conseil, ils peuvent en appeler au Comité consultatif des aînés.

6) Si la décision du Comité consultatif des aînés n’est pas acceptable pour les membres soutenant des allégations, alors une assemblée extraordinaire comprenant au moins soixante-dix pour cent (70 %) des membres votants de la Kehewin Cree Nation no 123 aura lieu et une motion comprenant la décision finale sur les allégations devra être adoptée.

7) Pour être adoptée lors d’une assemblée extraordinaire, une motion doit être approuvée par un vote à majorité d’au moins soixante pour cent (60 %) des membres présents.

8) Lors d’une assemblée extraordinaire, le vote se fait par scrutin secret; le chef et le conseil peuvent choisir ou nommer une personne responsable de dépouiller le scrutin secret.

9) Si les allégations sont prouvées, le chef ou le conseiller sera destitué par le conseil.

AÎNÉS – PARTIE XIII

1) Le chef ou les conseillers peuvent demander aux aînés de les seconder relativement aux questions et décisions pouvant découler du présent Code.

APPELS – PARTIE XIV

1) Tout appel en vertu du présent Code doit être présenté par écrit au président d’élections dans un délai de trente (30) jours civils de l’élection du chef.

2) Le président d’élections recevant cet appel peut prendre toutes les mesures raisonnablement nécessaires pour répondre à l’appel et doit fournir une réponse dans un délai de sept (7) jours à compter de la réception de l’appel.

3) La décision du président d’élections est exécutoire et définitive.

Questions préliminaires

                        i.                    Parties à la demande de contrôle judiciaire

[22]           Au moyen d’un avis de constitution d’un nouvel avocat déposé le 1er février 2016, madame Miranda Moore est devenue l’avocate inscrite au dossier pour Gordon Gadwa, William Dion, Arnold Paul et Margaret Gadwa dans cette affaire. Toutes ces personnes sont demeurées demanderesses dans l’avis de demande modifié déposé le 6 avril 2016. Toutefois, les observations écrites s’intitulent [traduction] « Mémoire des faits et du droit du demandeur Gordon Gadwa »; ces observations font uniquement mention de Gordon Gadwa comme demandeur et ne font aucune référence aux autres demandeurs.

[23]           Puisque leurs rôles et leurs intérêts dans cette demande n’étaient pas apparents, la Cour a demandé à l’avocate des demandeurs des clarifications à ce sujet au cours de l’audience. Elle a informé la Cour qu’elle avait reçu un acompte et des instructions de la part de M. Gordon Gadwa seulement. L’avocat de la défenderesse Brenda Joly a avisé la Cour que les autres demandeurs étaient uniquement impliqués dans un autre appel qui, en définitive, n’a pas été ajouté à la présente demande. Considérant ceci, la Cour a demandé à Mme Moore de consulter les autres demandeurs et si nécessaire d’entreprendre immédiatement les démarches procédurales requises pour retirer leurs noms de l’intitulé de la cause. Le 26 mai 2016, Mme Moore a déposé des avis de désistement aux noms de William Dion, de Margaret Gadwa et d’Arnold Paul.

                      ii.                    Affidavit de Gordon Gadwa daté du 6 avril 2016

[24]           Le 5 avril 2016, la juge McVeigh, juge chargée de la gestion de l’instance de ce dossier soumis à une gestion spéciale de l’instance, a donné une directive visant entre autres choses le dépôt d’un affidavit de Gordon Gadwa à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. À cet égard, la directive prévoit ce qui suit :
[traduction]

3.         Ce contrôle judiciaire peut être entendu sans le dépôt d’un affidavit du demandeur, le dossier certifié du tribunal ayant été déposé à la Cour conformément à ce qui avait été demandé le 30 décembre 2015. Toutefois, puisque l’avis de demande initial soulève une question d’équité procédurale, je permettrai au demandeur sous certaines conditions de déposer un affidavit dans son dossier de demande. Il est extrêmement rare de permettre le dépôt d’un affidavit à une étape aussi avancée des procédures, ce que j’autorise uniquement pour prévenir toute allégation de préjudice qu’aurait pu subir le demandeur s’il n’avait pas eu droit à cette mesure exceptionnelle à ce stade de l’instance [...]. Ainsi, si le demandeur dépose un affidavit, celui-ci devra concerner exclusivement la question de manquement à l’équité procédurale si elle est alléguée dans l’avis de demande modifié. L’affidavit se limitera aux faits dont le demandeur a une connaissance personnelle et ne comprendra ni opinion ni déclaration comme celles énoncées à l’article 81 des Règles des Cours fédérales.

[25]           L’avis de demande modifié allègue que la présidente d’élections a privé le demandeur de son droit à l’équité procédurale :
[traduction]

(i)        en faisant défaut d’exiger une audience;

(ii)       en faisant défaut de renvoyer tout appel à un organisme autre qu’elle-même;

(iii)      en omettant de mener des contre-interrogatoires relatifs aux affidavits fondés sur des allégations sérieuses;

(iv)      en recevant et en permettant à titre de preuve des appels téléphoniques « non sollicités », « non assermentés » et « non identifiés » en l’absence de l’appelant [sic] Gordon Gadwa et de son avocate;

(v)       en faisant défaut de se conformer aux principes de justice naturelle en permettant des appels téléphoniques provenant de sources « non sollicitées », « non identifiées », « non assermentées » et « inconnues » d’influencer sa décision;

(vi)      en assouplissant les règles de preuve à un tel point que la justice, y compris la justice naturelle, ne peut prévaloir.

[26]           Les défenderesses Tina Dion et Brenda Joly (« les défenderesses Joly ») font valoir que l’affidavit de Gordon Gadwa du 6 avril 2016 est entièrement fondé sur des opinions et des arguments juridiques, n’est pas conforme aux documents déposés par le demandeur en réponse à l’appel et devrait par conséquent être radié, conformément à l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les « Règles des Cours fédérales ») en raison du non-respect des directives de la Cour (Ab Hassle c. Canada (Ministre de la santé et du bien-être social), (2000) 190 FTR 264 (CF 1re inst.)).

[27]           La KCN soutient qu’en plus de contenir des opinions et des arguments juridiques, l’affidavit du 6 avril 2016 fait référence à des éléments ne faisant pas partie des éléments de preuve par affidavit ou n’ayant pas été autrement déposés de façon conforme à la Cour. De plus, la Cour ne doit pas tenir compte d’éléments de preuve dont ne disposait pas la présidente d’élections puisqu’il ne pouvait être attendu de la présidente d’élections qu’elle fonde une décision sur des questions ne lui ayant pas été présentées.

[28]           J’observe que l’article 81 des Règles des Cours fédérales requiert que les affidavits à l’appui des demandes s’en tiennent aux faits dont le déposant a personnellement connaissance et qui sont pertinents quant au litige sans commentaires ni explications (Canada (Procureur général) c. Quadrini, 2010 CAF 47; Duyvenbode v. Canada (Attorney General), 2009 FCA 120). Il est déclaré dans l’affidavit de Gordon Gadwa daté du 6 avril 2016 qu’il y est question de faits pour lesquels le déposant a connaissance personnelle [traduction] « ainsi que de faits fondés sur des renseignements et des déclarations que je crois être vrais ». Cette dernière catégorie de renseignements est contraire tant à l’article 81 qu’à la directive de la Cour. L’affidavit contient également des déclarations concernant l’étendue de l’équité procédurale dans ce contexte, l’interprétation et l’application du Code électoral coutumier de la KCN. Ainsi, il vise à soutenir les allégations de Gordon Gadwa concernant les manquements à l’équité procédurale en se fondant sur son expérience personnelle et sa connaissance en tant qu’ancien chef et conseiller de la KCN.

[29]           Plus précisément, il est affirmé au paragraphe 3 de l’affidavit que les membres de la KCN qui interjettent appel de l’élection établissent toujours l’avis d’appel eux-mêmes. Toutefois, en l’espèce, l’avocat de Tina Dion a établi l’avis d’appel au nom de sa cliente, avis accompagné de l’affidavit d’un tiers, soit celui d’Elmer Gary Paul. Dans la mesure où il est affirmé dans l’affidavit de Gordon Gadwa que la présidente d’élections devait examiner si le processus requis pour interjeter appel avait été respecté et que cet examen n’a pas été fait, je reconnais qu’il soulève une question d’équité procédurale. Cependant, cette allégation ne se trouve pas dans l’avis de demande modifié. Il s’agit par conséquent d’arguments, ce qui est contraire à l’article 81 et à la directive de la Cour.

[30]           Il est affirmé au paragraphe 4 de l’affidavit que la présidente d’élections a violé le principe d’équité procédurale en omettant d’offrir l’occasion de contre-interroger Byron Paul ou de contre-interroger Elmer Gary Paul sur son affidavit. En cela, le paragraphe est admissible. Toutefois, au paragraphe 5, Gordon Gadwa fait valoir que selon son expérience personnelle et qu’à sa connaissance, d’autres mesures auraient dû être prises pour examiner les allégations contenues dans l’affidavit d’Elmer Gary Paul. À mon avis, le paragraphe 5 est un argument concernant l’étendue de l’équité procédurale.

[31]           Il est déclaré dans le paragraphe 6 de l’affidavit que la présidente d’élections a [traduction] « outrepassé son autorité et son rôle, et a contrevenu au droit coutumier de la KCN » tel que le prévoit le Code électoral coutumier de la KCN. D’après ce qui ressort des paragraphes 7 à 11, la question d’équité procédurale soulevée est que le Code ne donne pas compétence au président d’élections de destituer un chef ou un conseiller élu ni de nommer un successeur. Cependant, ces paragraphes sont principalement constitués d’arguments juridiques fondés sur l’interprétation que fait Gordon Gadwa du Code électoral coutumier de la KCN et de ce qu’il soutient être une mauvaise interprétation ou une mauvaise application du Code par la présidente d’élections et ne constituent pas des faits relevant de la connaissance personnelle de Gordon Gadwa qui justifient son allégation selon laquelle il y a eu manquement à l’équité procédurale. Ces paragraphes sont donc contraires à l’article 81 et à la directive de la Cour.

[32]           Enfin, il est affirmé au paragraphe 11 de l’affidavit que [traduction] « selon les coutumes et les pratiques de la Kehewin Cree Nation relativement aux élections, le recours à un Conseil des aînés est une possibilité si un membre n’est pas d’accord avec la décision du Conseil, option que n’a pas retenue la présidente d’élections ». Puisque la décision en question est celle de la présidente d’élections et non celle d’un conseil de bande, ce paragraphe n’est pas pertinent.

[33]           Je tiens également à souligner que l’affidavit ajoute peu d’éléments aux renseignements retrouvés dans le dossier certifié du tribunal (DCT) et dans le mémoire écrit des faits et du droit déposé par le demandeur.

[34]           Compte tenu de ce qui précède, je n’accorde aucune valeur aux paragraphes 5 et 7 à 11 de l’affidavit de Gordon Gadwa. J’accorde par ailleurs peu de poids aux autres paragraphes puisqu’ils n’ajoutent, comme je l’ai mentionné, que peu d’éléments au dossier de la preuve.

                    iii.                    Contenu du DCT

[35]           Bien que cette question n’ait pas été soulevée par les parties, je tiens à souligner que le DCT contient des renseignements qui ont été produits après que la décision de la présidente d’élections du 12 octobre 2015 faisant l’objet du présent contrôle judiciaire ait été rendue. Plus précisément, le DCT comprend des éléments liés aux deux appels subséquents. Bien que les demandeurs aient eu l’occasion de modifier leur avis de demande et de déposer une requête en vertu de l’article 302, afin que la présente demande tienne compte de plus d’une décision, lors de la gestion de l’instance, aucune requête n’a été présentée. Ainsi, je n’ai pas tenu compte des renseignements compris au DCT postérieurs à la décision du 12 octobre 2015. Il est acquis en matière jurisprudentielle qu’une des règles générales dans les demandes de contrôle judiciaire est que le dossier de la preuve présenté à la Cour se limite au dossier de la preuve présenté au décideur (arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 19; décision Fort McKay, au paragraphe 21; décision Schwartz Hospitality Group c. Canada (Procureur Général), 2001 CFPI 557, au paragraphe 8).

Première question en litige : la présidente d’élections a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

Position du demandeur

[36]           Le demandeur fait valoir que l’étendue de l’obligation d’équité procédurale est propre au contexte particulier de chaque affaire (arrêt Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 RCS 653, à la page 682 [Knight]). Cette affaire concernait une décision administrative définitive ayant d’importantes répercussions sur les droits, privilèges et intérêts. Il devait donc y avoir une équité procédurale (Foster c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1065, aux paragraphes 28 et 30). Le demandeur soutient qu’un degré plus élevé d’équité procédurale est ici dû en raison de l’importance des droits en jeu et de la finalité de la décision. Il maintient également que les actions ou les omissions de la présidente d’élections précitées ont violé ce devoir d’équité procédurale.

[37]           Bien que le Code électoral coutumier de KCN ne précise pas les modalités requises pour interjeter appel, le demandeur fait valoir que l’équité procédurale et la coutume de la KCN exigent que l’avis d’appel soit établi par la personne portant les allégations et interjetant appel.

[38]           Il ajoute que la présidente d’élections aurait dû reconnaître que les allégations de manœuvres électorales frauduleuses étaient un motif fréquent d’appel d’une élection de la KCN. Par ailleurs, puisque la présidente d’élections a reconnu avoir reçu plusieurs appels téléphoniques alléguant que des candidats auraient été impliqués dans l’achat de votes et des tentatives d’influencer des électeurs, elle aurait dû imposer une approche plus rigoureuse concernant l’admissibilité des éléments de preuve. Le demandeur soutient qu’une audience avec contre-interrogatoire était nécessaire pour examiner ces allégations contradictoires et leur crédibilité, et plus particulièrement pour examiner la preuve non sollicitée de Byron Paul qui remet en cause la preuve par affidavit d’Elmer Gary Paul.

[39]           Sur le défaut de renvoyer l’appel à un autre organisme, le demandeur affirme qu’un décideur ne devrait pas aussi être décideur d’un appel d’affaire connexe afin de préserver l’intégrité du processus d’appel et d’éviter de soulever une crainte raisonnable de partialité. En décidant de destituer Gordon Gadwa de ses postes de chef et de conseiller, un poste vacant a été créé selon la partie VIII du Code; le défaut de la présidente d’élections de renvoyer l’appel sur la décision de destitution contrevient ainsi à la partie VIII.

[40]           Enfin, le demandeur fait valoir que la présidente d’élections a manqué à son devoir d’équité procédurale en assouplissant l’ensemble des règles de preuve.

Position des défenderesses Joly

[41]           Les défenderesses Joly reconnaissent que le devoir d’équité procédurale varie en fonction du contexte (arrêt Knight) mais soulignent que l’étendue de l’obligation d’équité procédurale variera en fonction des circonstances de l’espèce et que des dispositions législatives claires peuvent établir une limite à ce principe (Dunsmuir, au paragraphe 79; Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, aux paragraphes 38 et 39 [Mavi]).

[42]           En l’espèce, le Code électoral coutumier de la KCN est clair et restreint le délai pour porter une décision en appel à sept jours. Par conséquent, la présidente d’élections n’avait pas compétence pour proroger ce délai. Le Code prévoit également que les appels doivent être faits par écrit et doivent obtenir une réponse de la part du président d’élections, ne laissant ainsi aucun moyen à la présidente d’élections de renvoyer l’appel à un autre décideur. Il n’y a aucune partialité dans cette disposition puisque la présidente d’élections n’a rendu aucune décision antérieure liée à l’appel et n’avait pas connaissance de ces questions au moment de l’élection.

[43]           Sur le défaut de tenir une audience et un contre-interrogatoire, les défenderesses Joly font valoir qu’en dépit des trois réponses écrites faites par l’avocat du demandeur à l’égard de l’appel, aucune question n’a été soulevée et aucune demande n’a été faite concernant la tenue d’un témoignage oral ou d’un contre-interrogatoire. Un contre-interrogatoire ne peut avoir lieu dans un appel sans qu’une demande ne soit faite en ce sens. Les défenderesses Joly soutiennent qu’en l’espèce, l’équité procédurale a été respectée.

Position de la KCN

[44]           La KCN adopte dans une large mesure la position des défenderesses Joly sur les questions d’équité procédurale. Elle affirme également qu’il n’y avait pas de partialité dans les circonstances puisque la présidente d’élections ne tranchait pas un appel d’une de ses propres décisions. La décision de la présidente d’élections était définitive et il n’existait aucune commission d’appel auquel un appel de sa décision pouvait être renvoyé.

[45]           Pour ce qui est du prétendu droit à un contre-interrogatoire, le Code électoral coutumier de la KCN n’exige pas une telle procédure et le demandeur n’a pas formulé de demande pour en tenir un. Enfin, même si la présidente d’élections avait le pouvoir de prendre toutes les mesures raisonnablement nécessaires pour répondre à l’appel, le Code prévoit également que la réponse doit être fournie dans un délai ferme de sept jours. Pour ce motif et considérant les circonstances factuelles, il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

Analyse

[46]           Les décisions de nature administrative qui affectent « les droits, privilèges ou biens d’une personne » entraînent l’application de l’obligation d’équité (arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, à la page 836 [Baker], faisant référence à l’arrêt Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, à la page 653; et à l’arrêt Mavi, au paragraphe 38). En l’espèce, les parties ne contestent pas qu’il y avait une obligation d’équité procédurale envers le demandeur; la question porte plutôt sur l’étendue de cette obligation.

[47]           L’étendue de l’obligation d’équité procédurale est « souple et variable et [...] elle repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés [...] » (arrêt Baker, à la page 837). La Cour suprême du Canada a donc élaboré une liste non exhaustive des critères à prendre en considération pour déterminer l’étendue de l’obligation due dans des circonstances précises :

a)    la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

b)    la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme

c)    l’importance de la décision pour les personnes visées;

d)   les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

e)    les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même.

[48]           Les critères de l’arrêt Baker ont été appliqués dans la décision Polson c. Comité électoral de la Première nation de Long Point, 2007 CF 983, aux paragraphes 41 à 47 [Polson], décision concernant un code électoral coutumier et une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un comité des élections de refuser la demande d’appel d’un demandeur. La cour a conclu que la décision du comité des élections était de nature réglementaire puisqu’elle devait trancher si les allégations de manœuvres électorales étaient légitimes. Elle a également conclu que le processus d’appel avait pour objectif de refléter les pratiques électorales coutumières de la bande adoptées par suite d’un processus de consultation de la communauté. La procédure à suivre pour contester une élection était de déposer les allégations par écrit au président d’élections et au comité des élections, qui devaient ensuite décider de la légitimité de l’appel. La cour a conclu que le demandeur n’était pas directement touché par la décision du comité des élections de rejeter son appel. Elle a aussi conclu qu’il n’avait pas démontré qu’il avait des attentes légitimes fondées sur la coutume que l’appel se poursuive et soit présenté en assemblée générale. Enfin, la procédure expressément choisie par la communauté passait par le dépôt d’observations écrites au comité des élections à l’étape préliminaire et par conséquent, le demandeur n’était pas en droit d’obtenir une audience à cette étape.

[49]           En tenant compte de ces facteurs, la cour a conclu que le demandeur avait droit à ce que les principes d’équité procédurale élémentaires soient respectés devant le comité électoral, comme le droit à un tribunal impartial, le droit à un avis et la possibilité de présenter des observations, ce qui lui a été donné par l’occasion de présenter ses observations écrites.

[50]           De façon semblable, dans l’arrêt Bruno c. Canada (Commission d’appel en matière électorale de la Nation Crie de Samson), 2006 CAF 249, aux paragraphes 21 et 22, la Cour d’appel fédérale a appliqué les critères de l’arrêt Baker dans un appel visant une élection tenue en vertu d’un code électoral coutumier. La cour a jugé que des garanties procédurales de base devaient exister et que la commission d’appel avait omis de fournir l’occasion à une partie défenderesse à un appel de faire valoir ses observations. La cour a également souligné que l’occasion de répondre n’exigeait pas de tenir une audience, mais qu’en ne permettant pas au défendeur de fournir une réponse, la Commission avait rendu sa décision sur la foi d’un dossier factuel incomplet.

[51]           En l’espèce, la décision de la présidente d’élections était de nature administrative. Le Code électoral coutumier de la KCN établit la procédure d’appel, qui doit être déposé par écrit au président d’élections dans les trente jours de l’élection du chef. Le Code dispose également que le président d’élections recevant l’appel [traduction] « peut prendre toutes les mesures raisonnablement nécessaires pour répondre à l’appel » et doit y répondre dans les sept jours suivant la réception de l’appel. Puisque le Code correspond à la codification des coutumes de la bande KCN, l’exigence que les appels soient faits par écrit et qu’on y réponde dans un délai très court de sept jours reflète le processus choisi par la KCN. La présidente d’élections était en mesure de choisir sa propre procédure pour répondre à l’appel tout en se conformant aux exigences du Code. Elle ne possédait toutefois pas le pouvoir discrétionnaire de prolonger le délai de réponse de sept jours, ce qui restreint la possibilité de tenir une audience complète comprenant des contre-interrogatoires. En fait, le type de décision qu’elle devait rendre, c’est-à-dire sur un appel de l’élection d’un chef, justifie la nécessité de rendre une décision de façon rapide et efficace.

[52]           De plus, considérant la fonction de président d’élections et la nature de la décision et du processus impliqué, il ne semble pas s’agir d’une décision judiciaire pour laquelle le devoir d’équité nécessiterait une protection procédurale accrue. En revanche, la décision de la présidente d’élections était sans aucun doute importante pour Gordon Gadwa; il s’agissait d’une décision définitive et le seul appel possible était par voie de contrôle judiciaire. Toutefois, il n’y a aucun élément de preuve démontrant que Gordon Gadwa avait une attente légitime de l’atteinte d’un résultat particulier.

[53]           Par conséquent, en tenant compte de ces éléments, je ne peux pas conclure, comme me le demande le demandeur, qu’il avait droit à un degré exceptionnellement élevé d’équité procédurale en l’espèce. Il avait plutôt le droit de recevoir un avis, d’avoir l’occasion de présenter des observations et que ces observations soient prises en considération de façon équitable.

[54]           La présidente d’élections a avisé le demandeur de l’appel et lui a fourni une copie des observations liées à l’appel. Le demandeur a envoyé, par l’intermédiaire de son avocat, trois réponses écrites et a déposé son propre affidavit à l’appui de sa position. Comme il en sera question un peu plus loin, à aucun moment le demandeur n’a fait de demande d’audience et il n’a pas non plus demandé l’autorisation de contre-interroger Elmer Gary Paul au sujet de son affidavit. L’équité procédurale ne nécessite pas toujours qu’une audience soit tenue (arrêt Barker, à la page 843).

[55]           Par exemple, dans la décision Bacon c. Comité d’appel du Conseil de Bande de Betsiamites, 2009 CF 1060 [Bacon], la demanderesse faisait appel d’une élection du conseil de bande alléguant que des manœuvres frauduleuses avaient été commises. La présidente d’élection a fait parvenir une copie de la demande d’appel aux défendeurs. La Commission d’appel a conclu que les faits allégués dans l’affidavit de la demanderesse n’étaient pas suffisants pour contester la validité de l’élection et a rejeté l’appel. Lors du contrôle judiciaire, la demanderesse a affirmé qu’elle n’avait pas bénéficié de l’équité procédurale à laquelle elle avait droit en raison de l’absence de la tenue d’une audience à l’étape de l’évaluation préliminaire de sa plainte. La cour a renvoyé à la décision Polson et a conclu que la demanderesse avait pu présenter sa position au moyen de représentations écrites et qu’elle n’avait pas droit à une audition orale pour compléter ou ajouter à ses prétentions écrites. Il lui incombait également de présenter des raisons détaillées pour soutenir sa demande d’audience.

[56]           Il est important de rappeler que, tel qu’il est mentionné la décision Bacon, il existe plusieurs différences entre les codes électoraux coutumiers des différents conseils de bande (au paragraphe 52). Je soulignerais par exemple qu’à la différence du Code électoral coutumier de la KCN, certains codes renvoient directement à une audience dans le cas d’appels en matière d’élections (décision Orr, au paragraphe 93). En raison de cela, chaque analyse portant sur l’équité procédurale d’un code électoral coutumier ou de tout autre code est grandement dépendante du contexte.

[57]           À mon avis, dans le contexte du Code électoral coutumier de la KCN et dans les circonstances de l’affaire en l’espèce, l’absence de la tenue d’une audience ne contrevient pas à l’obligation d’équité procédurale.

[58]           Finalement, comme dernier élément sur la question de l’audience, je note que les défendeurs ont essentiellement soulevé la question de la renonciation. Comme la cour l’a souligné dans la décision Muskego c. Comité d’appel de la Nation crie de Norway House, 2011 CF 732, au paragraphe 42 :

42        Il est bien établi que les questions d’équité procédurale doivent être soulevées à la première occasion par la partie concernée. L’omission de le faire constitue une renonciation tacite : voir, par exemple, la décision de la Cour dans Kamara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 448 :

[26]      [...] La jurisprudence de la Cour est claire : les questions de cette nature, qui portent sur l’équité procédurale, doivent être soulevées à la première occasion. Or, la demanderesse en l’espèce ne s’est plainte en aucun moment. Son défaut de formuler une objection au stade de l’audience équivaut à une renonciation tacite relativement à tout manquement perçu à l’équité procédurale ou à la justice naturelle. Voir Restrepo Benitez et al c. MCI, 2006 CF 461 (CanLII), 2006 CF 461 aux paragraphes 220 et 221, 232 et 236, et Shimokawa c. MCI, 2006 CF 445 (CanLII), 2006 CF 445 aux paragraphes 31 et 32 où la Cour cite l’arrêt Geza c. MCI, 2006 CAF 124 (CanLII), 2006 CAF 124 au par. 66.

La même règle a été confirmée dans Uppal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 338, aux par. 51 et 52.

[59]           Ainsi, et quoi qu’il en soit, le défaut du demandeur d’aviser la présidente d’élections de ses préoccupations relativement au besoin de tenir une audience et un contre-interrogatoire constitue une renonciation implicite à tous droits procéduraux. Il ne peut maintenant se plaindre d’un manquement à l’équité procédurale à la Cour.

[60]           En ce qui concerne la forme de l’appel, Gordon Gadwa déclare dans son affidavit du 6 avril 2016 que les membres de la KCN qui déposent un appel rédigent toujours l’avis d’appel eux-mêmes et que cet avis se fonde sur leurs propres allégations, ce qui n’a pas eu lieu dans l’appel visé en l’espèce. Il soutient que la présidente d’élections a contrevenu à l’équité procédurale en faisant défaut de soulever cet élément dans sa décision. Tout d’abord, j’observe que rien dans le Code électoral coutumier de la KCN ne nécessite qu’une personne souhaitant faire appel d’une élection remplisse elle-même l’avis d’appel plutôt que par l’intermédiaire d’un avocat ni que cet avis doive être accompagné de l’affidavit personnel de cette personne. Le Code exige simplement que l’appel soit déposé par écrit au président d’élections et dans les trente jours de l’élection du chef. En l’espèce, l’appel a été déposé par écrit et la présidente d’élections a noté dans sa décision qu’elle l’a reçu le 5 octobre 2015.

[61]           J’ajouterais également qu’à moins que Gordon Gadwa n’ait directement offert à l’appelante d’acheter son vote, cette dernière n’était pas en position de rédiger un affidavit faisant état de sa connaissance personnelle des manœuvres électorales frauduleuses. L’affidavit qu’elle a déposé pour soutenir sa demande, soit celui d’Elmer Gary Paul, contenait une telle preuve directe. Ainsi, je ne vois pas de quelle façon le fait qu’un avocat établisse la demande ou l’accompagne d’un affidavit faisant état d’une connaissance personnelle des allégations étant à la base de la demande d’appel peut entraîner un manquement à l’équité procédurale. Comme la Cour l’a reconnu, c’est particulièrement le cas lorsqu’il n’est pas possible de fournir une preuve directe de l’achat de votes (Hudson c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CF 203, au paragraphe 85; décision Norway House, aux paragraphes 20 à 23; Dedam c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1073, aux paragraphes 72 à 74 [Dedam]).

[62]           Le demandeur soutient également que selon son expérience personnelle et qu’à sa connaissance, lorsqu’un appel contient des allégations contradictoires, d’autres mesures sont normalement prises pour examiner les allégations des affidavits. Comme il est indiqué plus haut, il ne s’agit pas d’une exigence du Code et le demandeur n’a fourni aucun exemple factuel de cette pratique. Une telle affirmation ne prouve pas l’existence d’une coutume. Comme je l’ai récemment mentionné dans la décision Beardy c. Beardy, 2016 FC 383, au paragraphe 97 [Beardy], déterminer si des actions sont conformes à une coutume de bande nécessite des éléments de preuve démontrant que l’action était [traduction] « fermement établie, généralisée et suivie de façon constante et délibérée par une majorité de la communauté, ce qui démontrera un large consensus » (décision Francis c. Mohawk Council of Kanesatake, 2003 CFPI 115, aux paragraphes 21 à 30; décision Prince c. Première Nation de Sucker Creek, 2008 CF 1268, au paragraphe 28; décision Metansininine c. Première nation d’Animbiigoo Zaagi’igan Anishinaabek, 2011 CF 17, au paragraphe 28; décision Joseph c. Schielke, 2012 CF 1153, aux paragraphes 36 à 39). Enfin, je note qu’il n’y a aucune preuve que cette prétention a été présentée à la présidente d’élections.

[63]           Le demandeur fait aussi valoir que la présidente d’élections aurait dû renvoyer l’appel à un autre organisme après avoir pris la décision de destituer Gordon Gadwa de son poste de chef et de conseiller. Les observations du demandeur demeurent toutefois complètement floues concernant l’organisme auquel la présidente d’élections aurait dû renvoyer l’appel et les motifs sur lesquels ce renvoi aurait dû être fondé. Le Code électoral coutumier de la KCN établit que les appels d’élections seront tranchés par le président d’élections et que cette décision sera exécutoire et définitive. Le Code ne prévoit pas de dispositions relatives aux appels à un autre organisme; par conséquent, il ne peut y avoir de violation de l’équité procédurale sur ce point.

[64]           À l’appui de la prétention du demandeur selon laquelle la décision de la présidente d’élections de destituer Gordon Gadwa de ses postes de chef et de conseiller a entraîné la création de postes vacants qui, conformément à la partie VII du Code électoral coutumier de la KCN, aurait dû être réglée par le Conseil en nommant un conseiller comme chef intérimaire, n’est pas pertinente par rapport au fait d’interjeter un appel d’une élection à un autre organisme.

[65]           Par ailleurs, même si le demandeur fait aussi valoir qu’un renvoi aurait été nécessaire pour préserver l’intégrité du processus d’appel et pour éviter toute crainte raisonnable de partialité, il est difficile de dire de quelle façon l’intégrité du processus est menacée et quels peuvent être les fondements de cette appréhension. La présidente d’élections ne siège pas en appel d’une de ses propres décisions. En outre, le fait que l’appelante ait proposé un recours qui a finalement été adopté par la présidente d’élections ne démontre pas de partialité. Le demandeur n’a donné aucune raison sérieuse expliquant pourquoi une « personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » croirait que, selon toute vraisemblance, la présidente d’élections ne rendrait pas une décision juste (Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, aux paragraphes 20 et 21).

[66]           Le demandeur soutient également que ses droits procéduraux ont été violés par l’utilisation générale par la présidente d’élections de [traduction] « règles de preuve assouplies ». Aucun exemple précis n’est donné pour appuyer cette prétention, mis à part que [traduction] « l’appelant n’a tout simplement pas établi le bien-fondé de sa demande relativement à ses allégations, en raison du degré élevé d’équité procédurale à laquelle il avait droit ». Toutefois, l’appelante étant Tina Dion, il est difficile de comprendre ce que le demandeur sous-entendait par cet argument.

[67]           Comme je l’ai conclu plus tôt, cette affaire n’entraîne pas un degré important d’équité procédurale. Par conséquent, le défaut de la présidente d’élections d’adopter des règles de preuve pouvant s’appliquer dans un contexte judiciaire n’entraîne pas de violation de l’équité procédurale puisqu’elle devrait avoir une latitude étendue de choisir ses propres procédures, compte tenu des restrictions imposées par le Code et des principes d’équité procédurale (Samson, au paragraphe 22).

[68]           De plus, à mon avis, la prétention du demandeur selon laquelle ses droits procéduraux ont été violés par le recours de la présidente d’élections à des règles de preuve assouplies en retenant des éléments de preuve non sollicités et non assermentés de la part de Byron Paul, est sans fondement. La présidente d’élections a mentionné la preuve non sollicitée dans sa décision et le fait qu’elle contredisait l’affidavit de Gordon Gadwa. Elle a toutefois conclu qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte de cette incohérence pour en arriver à une décision relative à l’appel :
[traduction]

Puisque Gordon Gadwa a admis avoir payé un montant d’argent à Gary Paul et à Byron Paul, je considère qu’il n’est pas nécessaire pour établir le fondement de cet appel de traiter des incohérences entre l’affidavit de Gary Paul et la preuve non sollicitée de Byron Paul.

[69]           À mon avis, la présidente d’élections a fondé sa décision sur la preuve par affidavit de Gordon Gadwa et d’Elmer Gary Paul plutôt que sur la preuve non sollicitée de Byron Paul. Elle mentionne par ailleurs dans sa décision que pendant le déroulement des élections aux postes de conseillers et de chef, elle a reçu de nombreux appels concernant des prétendus achats de votes par des candidats et des tentatives d’influencer les électeurs, et qu’elle a avisé les appelants qu’elle prendrait des mesures s’ils étaient prêts à signer un affidavit. Aucune de ces personnes n’ayant accepté de signer d’affidavit, la présidente d’élections ne s’est donc pas fondée sur leurs allégations.

[70]           En l’espèce, le demandeur a été avisé de l’appel et a eu une réelle occasion de faire valoir sa position et de produire des éléments de preuve pour la soutenir. Autrement dit, le demandeur avait connaissance des allégations et était en mesure d’y répondre. De plus, selon les motifs de la présidente d’élections, elle tenu compte de l’ensemble de la position du demandeur de façon juste. À mon avis, considérant ce qui précède, le contexte et les circonstances qui ont été décrites, il n’y a pas eu de violation de l’obligation d’équité procédurale en l’espèce.

Deuxième question en litige : la décision de la présidente d’élections était-elle raisonnable?

Position du demandeur

[71]           Le demandeur fait valoir que la décision de la présidente d’élections était déraisonnable en ce qu’elle a eu pour conséquence de créer de la souffrance et de la confusion chez les membres de la KCN et a causé des dommages à la communauté.

[72]           Il ajoute qu’il est déraisonnable qu’il ait été destitué de son poste de chef sur la simple allégation qu’il aurait prétendument acheté un vote pour 20 $. Il n’avait jamais été accusé ou reconnu comme ayant participé à des manœuvres électorales frauduleuses, et ce, malgré ses longues années de service tant à titre de chef de la première nation que de conseiller. Il était déraisonnable de ne pas tenir compte de sa contribution politique passée ni de son statut, et de ne pas peser ceci à l’encontre de l’allégation d’achat de votes. Il était également déraisonnable de conclure qu’il sacrifierait sa carrière et sa réputation pour une somme d’argent à ce point anodine. Le demandeur soutient qu’il aidait d’autres membres de la bande à exercer leur droit de vote, ce qui est une coutume et une pratique commune au sein de la KCN. Pour ces motifs, comprenant le manquement à l’équité procédurale et l’intérêt public de la KCN, le demandeur affirme que la décision de la présidente d’élections de le destituer de son poste de chef était déraisonnable. Il ajoute en outre que la présidente d’élections a outrepassé ses pouvoirs octroyés en vertu du Code en rendant cette décision définitive.

Position des défenderesses Joly

[73]           Les défenderesses Joly soutiennent que certaines conduites permettront d’inférer qu’une manœuvre frauduleuse a eu lieu, déplaçant le fardeau de la preuve et l’imposant à la partie prétendument corrompue de répondre (arrêt Sideleau; décision Ross, aux paragraphes 18 et 25 à 28; arrêt Nelson, au paragraphe 15). La décision de la présidente d’élections doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable et commande la déférence. Le demandeur n’a pas été en mesure de démontrer que la décision était déraisonnable.

Position de la KCN

[74]           La KCN fait sienne dans une large mesure la position des défenderesses Joly. Elle fait également valoir qu’en raison de la vaste portée donnée aux actions de la présidente d’élections en vertu de la partie XIV du Code électoral coutumier de la KCN, la présidente d’élections ne pouvait pas outrepasser ni usurper ses compétences tant qu’elle respecte le Code. La présidente d’élections est l’unique arbitre de tous les appels d’élections et sa décision est définitive et exécutoire. Bien qu’elle puisse uniquement faire ce qui est [traduction] « raisonnablement nécessaire » pour répondre à l’appel, une grande déférence doit lui être accordée pour décider de ce qui est raisonnablement nécessaire. De même, le Code électoral coutumier de la KCN doit lui aussi bénéficier d’une grande déférence puisqu’il représente la codification des coutumes de la KCN et des règles qu’elle a adoptées.

[75]           En ce qui a trait à la compétence de la présidente d’élections de destituer Gordon Gadwa en tant que chef et conseiller, la KCN soutient que jusqu’à ce que le délai d’appel soit expiré et que la présidente d’élections ait rendu une décision, il n’existe pas de situation de destitution puisque les postes ne sont pas encore officiellement occupés.

[76]           En outre, bien que les parties IX et X du Code électoral coutumier de la KCN accordent un rôle aux aînés relativement à la destitution d’un chef ou d’un conseiller, cela ne s’applique que lorsque tout le processus d’élection, y compris le processus d’appel, a été épuisé. Un président d’élections ne peut appliquer la partie XIII.

[77]           Finalement, la KCN affirme que le demandeur a mal interprété ou mal appliqué le Code électoral coutumier de la KCN dans cette affaire. La position du demandeur s’applique aux articles du Code concernant les postes vacants et à la destitution d’un chef ou d’un conseiller après que le processus électoral et le délai d’appel ont officiellement et définitivement pris fin. Tel n’est pas le cas en l’espèce puisque la décision de la présidente d’élections a été rendue dans le cadre du processus d’appel de l’élection, ce qui représente une distinction fondamentale.

Analyse

[78]           La question des appels est abordée dans la partie XIV du Code électoral coutumier de la KCN. Le Code est toutefois muet sur les motifs d’appels visés (à la différence par exemple de la décision Twin c. Première nation de Sawridge, 2016 CF 358, au paragraphe 7; et de Meeches c. Meeches, 2013 CF 196, au paragraphe 16, où les manœuvres frauduleuses étaient désignées comme étant des motifs d’appel). D’ailleurs, comme l’a souligné la présidente d’élections dans sa décision, le Code ne définit pas ce que sont des [traduction] « manœuvres frauduleuses » et n’y fait pas référence, mais traite de la destitution d’un élu en raison de méfait, de manquement au devoir ou d’inconduite. Elle souligne également, à juste titre, que le Code n’est pas un document isolé et qu’il est soumis à l’application des lois canadiennes liées au processus électoral. Il est bien établi dans les appels interjetés en vertu d’un code électoral coutumier, les conseils de bande et les décideurs sont les offices fédéraux, aux termes de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales (Felix Sr. c. Sturgeon Lake First Nation, 2011 CF 1139, aux paragraphes 15 et 16). Comme je l’ai indiqué précédemment, leurs décisions sont par conséquent soumises au contrôle judiciaire des cours canadiennes conformément au droit canadien, à la jurisprudence et aux règles de droit, y compris au principe d’équité procédurale. Lors de l’audience qui s’est tenue devant moi, l’avocate du demandeur a reconnu que la jurisprudence concernant les élections des conseils de bande s’appliquait en l’espèce.

[79]           Dans la décision Ross, la Cour a résumé ce que peut inclure la notion de manœuvre frauduleuse en l’absence d’une définition de ce terme dans la loi sur les élections visée :

[20]      L’Elections Procedures Act ne définit pas ce qu’est une manœuvre corruptrice. En outre, il semble y avoir peu de jurisprudence sur ce point.

[21]      Dans Hudson c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord) (2007), 2007 CF 203, 309 F.T.R 52, la présente Cour fait remarquer, au paragraphe 85, qu’une preuve directe de mesures explicites pour acheter des votes n’est pas le seul type de preuve susceptible d’amener à conclure qu’une pratique électorale est corrompue.

[22]      Dans Sideleau c. Davidson, [1942] R.C.S. 306, la Cour suprême du Canada a reconnu qu’une certaine conduite permettra d’inférer que celle-ci visait à corrompre des électeurs.

[23]      À mon avis, aucune définition exhaustive ne peut être donnée sur ce qui constitue une manœuvre corruptrice dans le contexte d’une élection. Cependant, une conception fondamentale d’une manœuvre corruptrice est, à tout le moins, qu’il s’agit d’une tentative pour éviter, entraver ou influencer le libre exercice du droit d’un électeur de choisir pour qui voter. Ce qui importe, c’est le mobile ou l’intention qui sous-tend la conduite reprochée. La conduite a-t-elle pour objet d’influencer irrégulièrement le résultat d’une élection?

[80]           Ainsi, la question est de déterminer si la preuve soutenait raisonnablement la conclusion selon laquelle Gordon Gadwa a commis des manœuvres frauduleuses.

[81]           En l’espèce, la présidente d’élections a tenu compte des explications de Gordon Gadwa selon lesquelles il avait bien donné 20 $ à Elmer Gary Paul, mais qu’il ne s’agissait pas d’un paiement en échange de sa voix. Elle n’a toutefois pas jugé ces explications crédibles et ne les a pas retenues. Elle en est venue à cette conclusion en partie en raison de l’admission de Gordon Gadwa voulant qu’au même moment, il annonçait son intention de se présenter au poste de chef, et ce, bien que tous les candidats à ce poste avaient déclaré leur intention quelque vingt‑cinq jours plut tôt; que cette intention avait été publiée et était connue de la communauté et, enfin, que l’élection devait avoir lieu trois jours plus tard. Elle a également apprécié la preuve de Gordon Gadwa à cet égard par rapport à la preuve offerte par Tina Dion pour soutenir son appel, c’est-à-dire la preuve par affidavit d’Elmer Gary Paul déclarant que Gordon Gadwa lui avait donné 20 $ pour obtenir sa voix.

[82]           À mon avis, il était loisible à la présidente d’élections d’arriver à la conclusion que, selon la prépondérance des probabilités, la preuve appuyait la déduction et la conclusion raisonnable que les sommes payées étaient liées à l’élection du chef et avait pour objectif d’influencer ou de soudoyer un électeur pour qu’il vote pour Gordon Gadwa. Sa décision doit également faire l’objet d’une grande déférence (décision Orr, au paragraphe 106; arrêt Dunsmuir, au paragraphe 55). Une autre conclusion obligerait essentiellement la Cour à apprécier de nouveau de la preuve, ce qui n’est pas son rôle lors d’un contrôle judiciaire (arrêt Khosa, au paragraphe 59; décision Dedam, au paragraphe 59; Chef Gayle Strikes With a Gun c. Conseil de la Première Nation des Piikani, 2014 CF 908, au paragraphe 160). Par conséquent, sa conclusion selon laquelle par ses actions, Gordon Gadwa a commis une manœuvre électorale frauduleuse ayant vicié son élection était également raisonnable.

[83]           L’observation du demandeur soutenant que la présidente d’élections aurait dû tenir compte de son statut politique ou des postes qu’il a occupés par le passé est sans fondement et n’est aucunement liée à la question factuelle posée à la présidente d’élections qui était de déterminer s’il y avait eu des manœuvres électorales frauduleuses lors de l’élection du 29 septembre 2015. Je ne retiens pas non plus la prétention que la décision de la présidente d’élections était déraisonnable parce qu’elle n’a pas examiné les conséquences graves de cette décision sur Gordon Gadwa et la KCN. Comme il a été précédemment mentionné, les conséquences de la décision ont été un facteur déterminant de l’étendue de l’équité procédurale due par la présidente d’élections; ces conséquences n’étant cependant pas liées à la question factuelle d’établir s’il y a eu ou non achat de voix. Cette question n’a pas non plus été soulevée par le demandeur à la présidente d’élections.

[84]           De même, le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve autre que ses propres prétentions contenues dans son affidavit du 6 octobre 2015 selon lesquelles le fait de donner de l’argent pour le carburant afin de permettre aux autres membres de la KCN d’exercer leur droit de vote est une pratique commune et une coutume de la bande, ce qui, comme il a été indiqué, est insuffisant pour établir l’existence d’une coutume de bande (décision Beardy, au paragraphe 97). Par conséquent, cette allégation ne peut être accueillie.

Réparation

[85]           Le demandeur conteste également le caractère raisonnable de la décision de la présidente d’élections concernant la réparation appropriée. Elle a conclu ce qui suit à cet égard :
[traduction]

Concernant la proposition de l’avocat de Gordon Gadwa selon laquelle la réparation appropriée serait de tenir une nouvelle élection pour le poste de chef seulement, je n’arrive pas à voir en quoi demander à la Kehewin Cree Nation de dépenser plusieurs milliers de dollars pour tenir une nouvelle élection pour le poste de chef en raison des manœuvres électorales frauduleuses d’un candidat pourrait être considéré comme étant raisonnable ou nécessaire.

Je ne suis pas non plus convaincue, à la lumière de toutes les circonstances de cette affaire, que je devrais tenir compte de la proposition selon laquelle le nombre de voix affectées était minime et que le résultat général de l’élection n’en serait pas modifié.

Je conclus que la manœuvre électorale frauduleuse commise par Gordon Gadwa a entaché l’intégrité du processus électoral démocratique de la Kehewin Cree Nation de telle sorte que la question de savoir si le véritable nombre d’électeurs touchés était minimal ne devrait pas entrer en considération.

[...]

Je suis consciente de la nature extrêmement grave de cette affaire et je conclus que la réparation appropriée devait refléter la nature destructive de la manœuvre électorale commise et garantir aux membres de la KCN qu’un tel comportement est inacceptable.

[86]           Pour ces motifs, la présidente d’élections a conclu que la réparation raisonnablement nécessaire était de rendre caduque l’élection de Gordon Gadwa en tant que chef et de le destituer des postes de chef et de conseiller; de déclarer élue chef de la KCN Brenda Joly, la candidate ayant obtenu le deuxième plus grand nombre de voix, et de déclarer élu conseiller de la KCN Eric Gadwa, le candidat au poste de conseiller ayant obtenu le deuxième plus grand nombre de voix.

[87]           À mon avis, la présidente d’élections a raisonnablement conclu que la manœuvre électorale frauduleuse commise par Gordon Gadwa a entaché l’intégrité du processus électoral démocratique de telle sorte que la question de savoir si le véritable nombre d’électeurs touchés était minimal ne devrait pas entrer en considération.

[88]           Il faut d’abord mentionner qu’un candidat qui tente d’acheter des voix tente en fait de corrompre le processus électoral. Par conséquent, sans égard au nombre de voix que le candidat a acheté ou tenté d’acheter et peu importe si le candidat remporte l’élection avec un plus grand écart que le nombre de voix ayant été acheté, le candidat ne peut être sauvé et son élection demeure viciée. Une fraude, une manœuvre électorale frauduleuse ou un acte illégal sont des inconduites graves (arrêt Opitz, au paragraphe 43).

[89]           Ensuite, dans des circonstances d’allégation d’achat de voix, il est peu probable qu’il soit possible de déterminer avec certitude le nombre de voix ayant réellement été acheté ou si ceux ayant accepté le paiement ont vraiment voté en faveur de la personne qui les a payés, c’est-à-dire d’évaluer dans quelle mesure la manœuvre frauduleuse a influencé les résultats de l’élection. En l’espèce, la présidente d’élections a conclu que la conduite de Gordon Gadwa a miné l’élection du chef, ce qui en soi est suffisant pour annuler l’élection. De plus, à mon avis, il n’est pas certain que le simple fait de remplacer Gordon Gadwa par un candidat provenant du même processus électoral répondrait aux préoccupations en matière de corruption, puisqu’il est impossible de connaître le nombre de voix qui aurait pu être attribué aux autres candidats et d’établir à quels candidats ces voix étaient destinées. Il s’agit d’une préoccupation importante puisque seules onze voix séparent les candidats en deuxième et en troisième place.

[90]           En raison de cette incertitude, il était à mon avis déraisonnable de déclarer Brenda Joly chef de la Première nation à titre de réparation et de réponse à l’appel. Malheureusement, dans ces circonstances, la nouvelle élection d’un chef était nécessaire. Par ailleurs, cela signifie que la déclaration d’Eric Gadwa à titre de conseiller était également déraisonnable.

[91]           La présidente d’élections n’a pas seulement annulé l’élection de Gordon Gadwa au poste de chef, elle a également conclu qu’il était raisonnablement nécessaire qu’il soit écarté tant comme chef que comme conseiller. Comme il a été mentionné, la compétence d’un président d’élections en matière de gestion des appels est définie en termes généraux dans la partie XIV du Code électoral coutumier de la KCN et celui-ci est autorisé à prendre toutes les mesures nécessaires pour [traduction] « répondre à l’appel ». À mon avis, l’annulation de l’élection de Gordon Gadwa au poste de chef signifie qu’il n’a jamais valablement occupé ce poste. Par conséquent, une fois que la présidente d’élections a annulé l’élection de Gordon Gadwa à ce poste en réponse à l’appel, elle n’avait nul besoin de le « destituer » d’un poste qu’il n’a jamais valablement occupé.

[92]           Par ailleurs, la destitution d’un chef ou d’un conseiller proprement élu ne s’inscrit pas dans les compétences du président d’élections puisqu’il ne s’agit pas d’une action entreprise en réponse à un appel d’une élection et est donc plutôt visée par la partie VII portant sur les postes vacants. Cette partie dispose qu’un poste devient vacant dans l’éventualité du décès, de la démission, de la déclaration de culpabilité d’un acte criminel, du déménagement à l’extérieur de la réserve, du défaut de se présenter à une séance régulière du conseil à trois reprises consécutives, sans motifs raisonnables, ou d’une destitution en raison d’une déclaration de culpabilité de méfait, de manquement au devoir ou d’inconduite d’un chef ou d’un conseiller. Dans l’éventualité où le poste de chef devient vacant, le conseil doit choisir un conseiller pour agir à titre de chef intérimaire jusqu’à ce qu’une élection soit tenue.

[93]           Pour ces motifs, à mon avis, la décision de la présidente d’élections d’annuler l’élection de Gordon Gadwa au poste de chef était une réparation raisonnablement nécessaire et était, par conséquent, raisonnable. Bien que la décision soit allée plus loin inutilement et qu’elle l’a également destitué de la fonction de chef, le résultat demeure le même puisque Gordon Gadwa n’occupe pas le poste de chef.

[94]           Concernant la destitution de Gordon Gadwa de son poste de conseiller, la partie X du Code électoral coutumier de la KCN prévoit un processus pour les accusations d’inconduite de conseillers en poste. Plus précisément, si, dans le cadre de son mandat, un chef ou un des conseillers est accusé de méfait, de manquement au devoir ou d’inconduite, le ou les membres portant cette allégation doivent faire part de leurs préoccupations par écrit au conseil, qui les examinera et fera un suivi auprès des membres concernés. Si les membres ne sont pas satisfaits de la réponse du chef et du conseil, ils pourront en appeler à un conseil des aînés. Si la décision de ce conseil n’est pas acceptée par les membres portant les allégations, alors un conseil de bande extraordinaire aura lieu et un vote sur les allégations sera tenu. Si les allégations sont prouvées, le chef ou le conseiller sera destitué par le conseil.

[95]           L’appel porté devant la présidente d’élections concernait uniquement l’élection au poste de chef. Lorsque la manœuvre électorale frauduleuse liée à l’élection au poste de chef a eu lieu, Gordon Gadwa était un conseiller dûment élu et occupait valablement cette fonction. Par conséquent, la réparation comportant sa destitution de cette fonction n’a pas été faite en réponse à l’appel. De plus, le Code délègue le pouvoir de répondre aux plaintes concernant les conseillers en fonction au conseil et au conseil des aînés, et établit un processus clair pour l’exercice de ce pouvoir. Dans ces circonstances, la présidente d’élections n’avait pas compétence de destituer Gordon Gadwa de son poste de conseiller. Il n’était donc pas possible pour la présidente d’élections de destituer Gordon Gadwa de son poste au conseil en réponse à un appel portant sur son élection à titre de chef.

[96]           Si les défendeurs sont préoccupés par le fait que Gordon Gadwa conserve son poste de conseiller, alors le recours approprié est d’en aviser le conseil conformément à la partie X du Code, ce qu’ils pourront décider de faire avant la prochaine élection du chef, puisque comme Gordon Gadwa conserve son poste de conseiller, il est en droit de se présenter comme candidat pour l’élection du chef.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est en partie accueillie;

2.      La demande du demandeur en vue d’obtenir une ordonnance de nature certiorari annulant la décision de la présidente d’élections du 12 octobre 2015 d’infirmer l’élection de Gordon Gadwa comme chef de la Kehewin Cree Nation est rejetée, à l’exception de la réparation destituant Gordon Gadwa de son poste de conseiller au conseil de bande de la Kehewin Cree Nation qui est infirmée et annulée.

3.      Considérant le succès mitigé de la demande, chacune des parties assumera ses propres dépens.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1875-15

 

INTITULÉ :

GORDON GADWA c. PREMIÈRE NATION KEHEWIN ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 mai 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Miranda Moore

 

Pour le demandeur

 

Cameron D. McCoy

 

Pour la défenderesse, Première nation Kehewin

 

Priscilla Kennedy

 

Pour les défenderesses, Tina Dion et Brenda Joly

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Moore Law

St. Albert (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

McCoy Law

Avocats

St. Albert (Alberta)

 

Pour la défenderesse, Première nation Kehewin

 

DLA Piper (Canada) S.E.N.C.R.L.

Edmonton (Alberta)

 

Pour les défenderesses, Tina Dion et Brenda Joly

 

 

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