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Date : 20160531


Dossier : IMM-4166-15

Référence : 2016 CF 603

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2016

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

JAIME ALBERTO ROCHA VALENZUELA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

I.  Contexte

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) de la décision du 15 juillet 2015 [décision] par laquelle deux agents de Citoyenneté et Immigration Canada (les agents) ont refusé d’octroyer un visa de résidence permanente à la fille du demandeur pour des motifs d’ordre humanitaire.

[2]  Le demandeur est citoyen de la Colombie et du Canada. En janvier 2002, le demandeur et sa mère ont fui la Colombie pour se rendre à Cuenca, en Équateur, après que les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) eurent à plusieurs reprises tenté de le recruter.

[3]  En Équateur, le demandeur est entré en relation avec Mme Paola Gomez Valenzuela. Leur fille, Ana Paula Rocha Gomez, est née le 28 juin 2004. À cette époque, le demandeur et sa mère avaient fui Cuenca pour se rendre à Guayaquil, en Équateur, après une rencontre avec des Colombiens qu’ils croyaient être affiliés aux FARC.

[4]  Le demandeur et sa mère ont ensuite demandé l’asile au Canada à partir de l’étranger. Ils ont obtenu la résidence permanente au Canada comme réfugiés au sens de la Convention le 5 septembre 2006. Le demandeur a obtenu la citoyenneté canadienne en 2014.

[5]  Au cours du processus de demande de 2006, le demandeur n’a pas informé les autorités de l’immigration canadienne qu’il avait une fille. Il a par la suite déclaré qu’il avait alors suivi les conseils de sa mère qui croyait que cela pourrait retarder ou faire échouer la demande.

[6]  En mars 2008, le demandeur est retourné en Équateur et il s’est marié avec Mme Gomez Valenzuela. En 2010, il a présenté une demande de résidence permanente pour parrainer à la fois sa fille et sa conjointe en tant que membres de la catégorie du regroupement familial, demande accompagnée d’observations fondées sur des motifs d’ordre humanitaire pour obtenir une dérogation à l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], qui stipule que :

117(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

[…]

d)... le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

[7]  En mars 2014, la relation entre le demandeur et Mme Gomez Valenzuela avait pris fin. Le demandeur a retiré son parrainage de Mme Gomez Valenzuela, mais a maintenu la demande pour motifs d’ordre humanitaire pour sa fille.

[8]  Dans la décision, les agents ont d’abord souligné que la demande de résidence permanente d’Ana Paula était irrecevable en vertu de l’alinéa 117(9)d) du Règlement. Les agents ont ensuite examiné la demande de dérogation pour motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi. Alors que la lettre de refus elle-même ne contenait aucune évaluation détaillée des considérations d’ordre humanitaire, il y avait des commentaires substantiels consignés par chacun des agents dans les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC), et ces notes font partie des motifs de la décision :

  1. [traduction] « [I]l n’y a aucune lettre de soutien de la mère de l’enfant, maintenant divorcée du parrain concernant [sic] l’immigration de sa jeune fille au Canada pour vivre avec son père » (Dossier de demande, p. 4).
  2. La « décision de la mère de l’enfant de continuer à résider en Équateur ne mentionnait aucune difficulté particulière « (Dossier de demande, p. 4).
  3. « Au cours de l’entrevue réalisée en mars 2014 de la mère [d’Ana Paula]... sa mère a indiqué ce qui suit sur la vie [d’Ana Paula] en Équateur : [elle] est heureuse, en bonne santé, et l’on s’occupe bien d’elle en Équateur. Le grand-père maternel [d’Ana Paula] est ingénieur commercial et travaille pour une entreprise de Guayaquil. Sa grand-mère est une femme au foyer et [sa] mère a déclaré que [Ana Paula] et elles sont très proches. La tante [d’Ana Paula] est pédiatre et son oncle est ingénieur électricien. Elle va à l’école et se porte très bien » (Dossier de demande, p. 5).
  4. Il n’y a « rien qui indique que les besoins fondamentaux, d’affection et d’éducation de l’enfant en question ne sont pas satisfaits ou qu’elle est dans une situation de danger » (Dossier de demande, p. 5).
  5. « Quelques mois après l’entrevue, [le demandeur] a présenté un retrait de son engagement de parrainage de conjoint en juin 2014, indiquant que son mariage avec la mère [d’Ana Paula] était rompu. Selon la documentation au dossier, [Ana Paula] a démontré un intérêt pour au moins rendre visite à son père... [Ana Paula] continue à vivre en Équateur à temps partagé avec sa mère, mais... passerait suffisamment de temps [au Canada] avec son père pour se conformer aux exigences de résidence. Ce scénario entraînerait la séparation prolongée de la famille de sa mère, des grands-parents maternels et de sa tante et son oncle maternels en Équateur » (Dossier de demande, p. 5).

[9]  À la lumière de tout ce qui précède, les agents ont refusé la demande de dérogation pour motifs d’ordre humanitaire.

II.  Questions en litige et arguments des parties

[10]  Le demandeur fait valoir que l’agent a commis deux erreurs.

  1. Les agents ont appliqué le mauvais critère juridique dans leur analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant;
  2. Les agents ont fait fi à tort des principaux éléments de preuve démontrant que la famille du demandeur en Équateur voulait aussi que sa fille déménage au Canada.

[11]  Concernant la question du critère juridique approprié, le demandeur soulève trois questions. Premièrement, le demandeur fait valoir que les agents ont commis une erreur en n’appliquant pas le critère énoncé dans Williams c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166 :

[63] Lorsqu’il analyse l’intérêt supérieur d’un enfant, l’agent doit d’abord déterminer en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant, en deuxième lieu, jusqu’à quel point l’intérêt de l’enfant est compromis par une décision éventuelle par rapport à une autre et, enfin, à la lumière de l’analyse susmentionnée, le poids que ce facteur joue lorsqu’il s’agit de trouver un équilibre entre les facteurs positifs et les facteurs négatifs dont il a été tenu compte lors de l’examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

[souligné dans l’original].

[12]  Le demandeur soutient que les agents ont à tort considéré exclusivement les conditions de vie d’Ana Paula en Équateur, en ignorant totalement les avantages de vivre au Canada avec son père et sa grand-mère.

[13]  Deuxièmement, le demandeur soutient que les agents ont commis une erreur en examinant si les « besoins fondamentaux » d’Ana Paula pouvaient être satisfaits en Équateur, et en concluant qu’il n’y avait [traduction] « aucune indication que les besoins fondamentaux, d’affection et d’éducation de l’enfant en question ne sont pas satisfaits ou qu’elle est dans une situation de danger » (Dossier de demande, p. 5). Le demandeur soutient que le fait d’appliquer un critère fondé sur les « besoins fondamentaux » a été rejeté comme constituant une erreur de droit par notre Cour. Dans Sebbe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813, le juge Zinn a fait remarquer ceci :

[15] Lorsqu’il mentionne que [traduction] « la preuve dont je dispose n’est pas suffisante pour me permettre de penser que ses besoins fondamentaux ne seraient pas comblés au Brésil », l’agent incorpore dans l’analyse un critère qui ne devrait pas s’y trouver. Il semble affirmer que le fait de demeurer au Canada ne servira l’intérêt supérieur d’un enfant que si l’autre pays n’est pas en mesure de répondre aux « besoins fondamentaux » de ce dernier. Or, ce n’est ni le critère ni l’approche applicable pour déterminer l’intérêt supérieur d’un enfant.

[14]  Le demandeur souligne que les agents devaient se concentrer sur l’intérêt supérieur d’Ana Paula, examiner comment cet intérêt serait compromis par chaque option et soupeser les avantages et les inconvénients de chacune. Simplement examiner si ses besoins fondamentaux étaient satisfaits en Équateur constituait une erreur de droit.

[15]  Troisièmement, le demandeur fait valoir que les agents ont appliqué le mauvais critère juridique en incluant une évaluation des difficultés dans leur analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le demandeur cite Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 41 [Kanthasamy] comme fondement de la proposition voulant que l’évaluation des difficultés ne puisse être incluse dans n’importe quelle partie de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans la présente affaire, les agents l’ont considéré explicitement, affirmant que [traduction] « la décision de la mère de l’enfant de continuer à résider en Équateur ne faisait état d’aucune difficulté particulière qui aurait une incidence sur l’enfant » (Dossier de demande, p. 8).

[16]  Au-delà de la question des erreurs de droit, le demandeur allègue également que les agents ont à tort négligé des éléments de preuve fondamentaux concernant le soutien de la demande de la part de la famille équatorienne d’Ana Paula. Ces éléments de preuve comprenaient une lettre des grands-parents maternels d’Ana Paula et une déclaration notariée de sa mère autorisant son immigration au Canada. Le demandeur se fonde sur l’arrêt Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, au paragraphe 17 pour étayer la proposition que plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus notre Cour doit être disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont il disposait. Le demandeur soutient que les agents ont même déclaré que la mère d’Ana Paula n’avait pas soumis de lettre de soutien – une erreur importante, étant donné qu’elle avait effectivement fourni une déclaration signée autorisant la demande.

[17]  Le défendeur rejette les arguments du demandeur sur le choix du critère et sur l’appréciation des éléments de preuve. Concernant la question du critère approprié, le défendeur a fait valoir que les agents se sont montrés [traduction] « réceptifs, attentifs et sensibles » à l’intérêt supérieur d’Ana Paula, comme exigé par Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75 [Baker], et que cela demeure le bon critère. En outre, les agents n’ont pas erré en utilisant le terme « besoins fondamentaux » ou « difficultés », car le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant ne prévoit aucune expression figée ni formule magique (Jaramillo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 744, au paragraphe 70); la substance doit plutôt l’emporter sur la forme (Webb c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1060, au paragraphe 11).

[18]  Pour ce qui est de la deuxième erreur alléguée, le défendeur fait remarquer que les agents ne sont pas tenus de présenter des observations sur tous les éléments de preuve mis à leur disposition (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 116 [Newfoundland Nurses]). De plus, le défendeur soutient que tant la lettre de soutien des grands-parents d’Ana Paula que la déclaration de soutien de sa mère sont antérieures à la séparation du demandeur et de son épouse et peuvent ne pas refléter leurs sentiments réels. En outre, la lettre des grands-parents ne fait pas état d’un soutien à l’égard d’une immigration permanente, déclarant seulement qu’Ana Paula devrait « avoir l’occasion de rendre visite à son père périodiquement à son lieu de résidence » (Dossier de demande, pp. 153 et 154).

III.  Analyse

[19]  La question de savoir si un agent ou des agents des visas ont choisi le critère approprié à une évaluation d’ordre humanitaire est assujettie à la norme de la décision correcte (Taylor c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 21, au paragraphe 18). Dans le cadre d’un examen fondé sur la norme de la décision correcte, notre Cour « n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse de la question » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50 [Dunsmuir]). L’évaluation de la preuve, en revanche, est susceptible de contrôle selon la norme déférente de la « raisonnabilité » (Veselaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1386). Si la décision s’inscrit dans la gamme des issues possibles acceptables et justifiables, est transparente et compréhensible, elle ne doit pas être modifiée (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[20]  Quant à la question du critère approprié, je ne peux convenir que le critère de Williams constitue la norme que sont tenus d’adopter les décideurs. Si, dans Kanthasamy, il avait été établi que le critère de Williams était le critère approprié à appliquer, la Cour suprême l’aurait exprimé explicitement. À mon avis, le décideur demeure libre d’appliquer ou non le critère Williams, tant qu’il se montre, selon les termes de Baker, « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant, une approche contextuelle selon laquelle le décideur doit tenir compte de la « multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à cet intérêt » (Kanthasamy, au paragraphe 15).

[21]  Je n’estime pas non plus que les agents aient appliqué le mauvais critère. Même si je conviens que la décision se concentre trop sur les avantages associés à la vie d’Ana Paula en Équateur, cet élément à lui seul ne révèle pas une erreur de critère. Une faiblesse dans l’analyse de la preuve a une incidence sur la raisonnabilité de la décision, plutôt que sur le choix du critère approprié.

[22]  En outre, même si Kanthasamy a établi qu’il est incorrect d’appliquer une analyse « des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées » lors de l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant dans un contexte de motifs d’ordre humanitaire, je ne peux conclure que les agents l’ont fait lors de l’évaluation de cette demande. La déclaration des agents selon laquelle « la décision de la mère de l’enfant de continuer à résider en Équateur ne fait état d’aucune difficulté particulière qui toucherait l’enfant », à elle seule, ne suffit pas pour conclure que l’ensemble de l’analyse a été structuré autour de la notion de « difficultés inhabituelles, injustifiées ou disproportionnées », ou que les agents ont statué sur le cas en fonction de ces trois adjectifs.

[23]  Je ne peux donc pas conclure qu’un critère inapproprié a été appliqué. Cela dit, je trouve que l’appréciation de la preuve par les agents était déraisonnable. Les centaines de pages de preuve documentaire présentées par le demandeur peignent un portrait convaincant de ce que la vie d’Ana Paula au Canada pourrait être. Peu d’éléments de ce portrait ressortaient dans la décision, malgré l’affirmation des agents qu’ils avaient considéré tous les éléments au dossier (Dossier de demande, p. 4). Comme la Cour suprême a conclu dans Kanthasamy au paragraphe 39, les agents ne pouvaient pas se contenter de mentionner qu’ils avaient pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant :

Par conséquent, la décision rendue en application du par. 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte : (Baker, par. 75). L’agent ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte : (Hawthorne, par. 32). L’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve : (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), par. 12 et 31; Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, par. 9-12 (CanLII)).

[24]  Le fait qu’Ana Paula avait une vie équilibrée à l’étranger n’était certainement pas en litige : Ana Paula jouit clairement d’un solide soutien en Équateur. Cependant, toute médaille a son revers. Les agents auraient dû soupeser soigneusement et minutieusement toutes les circonstances pertinentes. Au lieu de cela, ils ont exhaustivement examiné le statu quo – à savoir sa vie avec sa mère et ses grands-parents maternels en Équateur – et la perspective de vivre à temps partiel avec son père et sa grand-mère paternelle au Canada n’est mentionnée dans la décision que pour la forme. En conséquence, les agents n’ont pas tenu compte des principaux éléments de preuve à cet égard. Il n’y avait, par exemple, aucune mention de la lettre des grands-parents d’Ana Paula ou de l’autorisation de sa mère d’immigrer. Les agents sont même allés jusqu’à noter avec désapprobation que la mère d’Ana Paula n’avait pas fourni de lettre de soutien à la demande pour motifs d’ordre humanitaire – faisant une distinction inintelligible et injustifiable entre une lettre de soutien et une autorisation signée. C’est précisément le genre d’analyse « superficielle » de l’intérêt supérieur que la Cour suprême condamne (Kanthasamy, aux paragraphes 25 et 57).

[25]  Le défendeur a soutenu que ni l’autorisation ni la lettre des grands-parents n’était d’importance puisqu’elles ont toutes deux été signées avant la séparation du demandeur. Cependant, Mme Gomes Valenzuela a signé son autorisation après la fin de sa relation avec le demandeur (mais avant la séparation formelle). Plus important encore, si la séparation avait eu une incidence sur les sentiments des proches d’Ana Paula à l’égard de la demande, les agents auraient fait peser sur eux le fardeau de corriger leurs précédentes déclarations de soutien, plutôt que de supposer, automatiquement, que ce soutien a été retiré. Enfin, je tiens à souligner que les agents ont exprimé des préoccupations concernant [traduction] « la séparation familiale prolongée de la mère, des grands-parents maternels et de la tante et de l’oncle maternels d’Ana Paula en Équateur » (Dossier de demande, p. 5) sans même considérer aucun des effets compensateurs d’une séparation prolongée de son père et de sa grand-mère paternelle au Canada.

[26]  Les agents des visas peuvent être réputés savoir les avantages que la vie au Canada peut offrir aux demandeurs (Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 5), mais cela ne les dispense pas de l’obligation de déterminer et d’examiner les intérêts de tout enfant touché avec [traduction] « beaucoup d’attention » et avec grand soin (Li c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2016 CF 451, au paragraphe 25). Les agents, en cernant uniquement les aspects positifs de la vie en Équateur et les aspects négatifs de la vie au Canada, n’ont pas effectué leur examen avec le degré nécessaire d’attention et de soin.

[27]  Enfin, j’estime que l’omission des agents d’aborder des éléments de preuve clés ne peut pas être légitimée par Newfoundland Nurses. L’arrêt Newfoundland Nurses ne dégage pas les décideurs de l’obligation de fournir des motifs qui permettent à la cour de révision de comprendre pourquoi ils ont pris leur décision – une obligation qui permet à la Cour de déterminer si la conclusion se situe dans la gamme des issues acceptables. Sans l’évaluation complète par les agents des différents intérêts en jeu par un examen approprié des aspects positifs d’une vie partagée entre le Canada et l’Équateur, la Cour ne peut pas prendre cette décision. Comme il est indiqué plus haut, des éléments de preuve clés n’ont pas été pris en compte et n’ont pas été abordés. Puisque les agents ont omis de considérer la preuve dans son ensemble, l’évaluation équilibrée exigée par Kanthasamy et par ses précurseurs clés fait défaut dans les motifs. En conséquence, je conclus que cette décision est déraisonnable.

IV.  Conclusion

[28]  Pour appliquer le critère contextuel pour motifs d’ordre humanitaire raisonnablement, les agents devaient examiner autre chose que le fort soutien familial dont bénéficiait Ana Paula en Équateur et considérer la vie qu’elle connaîtrait au Canada. Le fait qu’il n’y ait eu « aucune indication que les besoins fondamentaux, d’affection et d’éducation de l’enfant en question ne sont pas satisfaits ou qu’elle est dans une situation de danger » (Dossier de demande, p. 5) peut en effet être vrai, mais l’intérêt supérieur de l’enfant comprend plus que ses besoins fondamentaux. On pourrait évidemment conclure en fin de compte que les besoins fondamentaux d’Ana Paula ne seraient pas satisfaits au Canada, et faire pencher la balance en faveur de l’Équateur, mais la pondération doit être effectuée par les agents et non par le juge siégeant en révision.

[29]  À la lumière des motifs ci-dessus, je conclus que cette décision est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et le dossier sera renvoyé pour réexamen par un autre agent (ou d’autres agents) du défendeur.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4166-15

INTITULÉ :

JAIME ALBERTO ROCHA VALENZUELA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 avril 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Diner

DATE DES MOTIFS :

Le 31 mai 2016

COMPARUTIONS :

Nicholas Hersh

Pour le demandeur

Stephen Kurelek

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nicholas Hersh

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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