Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

`Date : 20160526


Dossier : T-1683-14

Référence : 2016 CF 570

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 26 mai 2016

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

BALLANTRAE HOLDINGS INC.

demanderesse

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « PHOENIX SUN » ET LE NAVIRE « PHOENIX SUN »

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Si une affaire semble trop belle pour être vraie, il en est probablement ainsi. C’est le cas du stratagème de Mengu Pasinli. Son plan visait à acheter le navire canadien, le PHOENIX SUN, à l’époque saisi dans le port de Sorel, à s’assurer qu’il était suffisamment en bon état de navigabilité pour entreprendre un dernier voyage; à trouver une cargaison à transporter outremer, puis à le vendre en Turquie pour la ferraille. Au final, il projetait un profit de plus d’un million de dollars.

[2]               Le 26 novembre 2013, par l’entremise de l’une de ses sociétés, Goldrich Waters International Shipping Ltd. de Hong Kong, il a acheté le PHOENIX SUN du prévôt d’amirauté intérimaire pour 1 050 000 $. Le navire a alors été supprimé du Registre canadien d’immatriculation. Il avait emprunté la somme totale de la demanderesse, Ballantrae Holdings Inc., qui a contracté une hypothèque et d’autres sûretés. Par la suite, il a engagé un équipage en Turquie, et un soudeur canadien, pour travailler à bord du navire. Il a persuadé d’autres de payer le passage de l’équipage au Canada, et des approvisionneurs de fournitures de navires pour fournir les fournitures à crédit. Une partie du salaire des membres de l’équipage et une partie des réclamations des approvisionneurs des fournitures de navires ont été payées par d’autres. Il semble que M. Pasinli n’a rien payé de sa poche.

[3]               Tout cela pour rien. Le PHOENIX SUN n’a jamais été en bon état de navigabilité. De fait, il n’a jamais quitté son poste d’amarrage. Les créanciers ont refusé d’avancer d’autres sommes. L’équipage a été laissé sans le sou et affamé. Les membres d’équipage ont été nourris grâce à la gentillesse des gens de Sorel.

[4]               Le 29 juillet 2014, Ballantrae a intenté une action in rem et in personam devant la Cour. Le lendemain, le PHOENIX SUN était saisi. Il a par la suite été vendu par le prévôt intérimaire le 12 novembre 2014, pour 682 500 $.

[5]               Outre Ballantrae, divers créanciers avaient déposé une opposition et, conformément aux instructions de la Cour, ils ont déposé leurs requêtes. Comme c’est la pratique, les éléments de preuve se composent d’affidavits et de contre-interrogatoires. La seule exception est celle du capitaine et de l’équipage dont les dépositions ont été recueillies de bene esse. Ils n’ont pas tous contesté les réclamations des autres créanciers. Par exemple, il était évident qu’il y avait suffisamment de fonds pour payer en entier l’équipage et les approvisionneurs de fournitures de navires qui jouissaient d’un privilège maritime. Malheureusement, les produits de la vente sont loin de correspondre au montant des réclamations, de sorte que les questions en litige lors de l’audience à Montréal, les 7 et 8 avril 2016, étaient la validité des réclamations et l’établissement des priorités. Je mettrai les réclamations selon l’ordre du classement que les requérants font valoir, laissant de côté les réclamations qui ont été radiées avant l’audience et la réclamation de Jarud Corporation Limited, qui a été abandonnée pendant l’audience. Les propriétaires défendeurs n’ont pas participé.

[6]               Lorsque les fonds ne sont pas suffisants pour rembourser les réclamations de tous les créanciers, ces derniers doivent convaincre la Cour que leurs réclamations bénéficient d’une priorité. Sinon, les réclamations valides sont de rang égal.

[7]               Il n’existe aucune loi ni aucune décision qui établit une liste exhaustive des priorités. Me limitant à l’espèce, il y a quatre groupes de réclamations. Je n’ai pas besoin de me préoccuper des privilèges maritimes inter se ou des privilèges possessoires.

[8]               Le premier groupe, qui bénéficie de la priorité la plus élevée, est celui des réclamations concernant les coûts engendrés pour transformer le navire en un fonds disponible à distribuer aux créanciers. Il s’agit des honoraires et débours du prévôt ainsi que des coûts de la partie qui a mis le navire en vente.

[9]               Le deuxième groupe se compose des privilèges maritimes et des privilèges créés par la loi qui bénéficient du même statut.

[10]           Viennent ensuite les hypothèques. Un aspect qui complique la situation est que l’hypothèque de Ballantrae n’était pas enregistrée.

[11]           Le reste des réclamations se compose des charges alléguées en equity. Certains requérants peuvent avoir tout simplement le droit de saisir le navire dans le cadre d’une action in rem et ne bénéficient d’aucune priorité. Certains peuvent avoir des réclamations à l’encontre du propriétaire du navire qui ne semblent pas du tout avoir de lien avec l’amirauté.

[12]           En outre, à l’occasion, lorsque les intérêts de la justice l’exigent, notre Cour dans l’exercice de sa compétence en matière d’amirauté et d’equity peut modifier le classement traditionnel.

[13]           La présente affaire soulève également les questions des intérêts avant la vente et après la vente. Certaines des réclamations, mais pas toutes, sont assorties d’un taux d’intérêt convenu par contrat. Les fonds déposés en cour portent des intérêts, mais à un taux dérisoire.

[14]           Les présents motifs sont répartis comme suit :

Priorités alléguées

paragraphes 15 à 23

Skylane Worldwide Ltd.

paragraphes 24 à 32

Le prévôt

paragraphe 33

Coûts de vente de Ballantrae

paragraphes 34 à 38

Les 12 gens de mer

paragraphes 39 à 61

Mustafa Hakan Etiz

paragraphes 62 à 67

La Ville de Sorel-Tracy

paragraphes 68 à 79

Les fournisseurs

paragraphes 80 à 83

Ian Hamilton

paragraphes 84 à 97

Ballantrae

paragraphes 98 à 103

L’hypothèque

paragraphes 104 à 121

Loi sur les sûretés mobilières de l’Ontario

paragraphes 122 à 130

Compétence de la Cour fédérale

paragraphes 131 à 147

Intérêt

paragraphes 148 à 154

Dépens

paragraphes 155 à 163

Loi sur les langues officielles

paragraphe 164

Priorités

[15]           La réclamation ayant la plus haute priorité est sans aucun doute celle du prévôt intérimaire concernant ses honoraires et débours au montant de 39 106,37 $.

[16]           Au deuxième rang, il y aurait celle de Ballantrae Holdings Inc. pour ses coûts engagés pour convertir l’acier en argent. Lors de l’audience, ses avocats ont fait valoir provisoirement 25 000 $, mais on leur a demandé de donner de meilleures précisions. Ils réclament maintenant 42 419,37 $.

[17]           Le rang suivant serait occupé par le capitaine et l’équipage du PHOENIX SUN (les 12 gens de mer) concernant leur salaire et autre rémunération ou des avantages sociaux découlant de leur emploi. Leur position la plus favorable, convertissant le principal de leur réclamation, qui est en dollars US, en dollars canadiens à la date du jugement (en supposant qu’il n’y ait aucune différence dans le taux de change entre la date de l’audience et celle du jugement) est de 180 716,68 $.

[18]           Il y a un autre membre d’équipage allégué, M. Mustafa Hakan Etiz, qui a conclu un contrat de travail avec les propriétaires en tant qu’appareilleur/officier de service. Il fait également valoir un privilège maritime de marin au montant de 50 875 $.

[19]           La réclamation suivante, si elle est bien fondée, est celle de la Ville de Sorel-Tracy pour le mouillage au montant en principal de 75 460,01 $ et pour la fourniture d’électricité au montant en principal de 22 407,02 $. Les intérêts réclamés à cet égard seront abordés plus tard dans les présents motifs. Elle réclame un privilège de haut rang prévu par la loi conformément à l’article 122 de la Loi maritime du Canada. À défaut, elle réclame un privilège prévu par la loi en vertu de l’article 139 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime. Finalement, si ces dispositions à l’égard desquelles on doit en dire davantage ne s’appliquent pas, elle soutient que si elle ne dispose que d’un droit ordinaire in rem, la Cour dans l’exercice de sa compétence en matière d’amirauté et d’equity devrait lui accorder une priorité plus élevée.

[20]           Viennent ensuite les réclamations des trois fournisseurs, Blue Water Agencies Limited, Pronova Systems Limited, et 185888 Canada Inc. (auparavant North Star Ship Chandler Inc.). Le montant en principal de leurs réclamations totalise 59 571,63 $. Compte tenu de la promulgation de l’article 139 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, les trois jouissent d’un privilège prévu par la loi, qui comporte la priorité d’un privilège maritime.

[21]           M. Ian Hamilton et sa société, Through Logistics Corp, réclament 240 578,47 $. M. Hamilton a payé pour faire venir l’équipage de la Turquie au Canada, il a payé une partie de leurs salaires et il a payé une partie des réclamations des approvisionneurs de fournitures de navires. Ils allèguent un privilège en vertu de l’article 139 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime dans le cadre de leur réclamation, ainsi qu’une charge en equity sur le solde.

[22]           Skylane Worldwide Limited a fait valoir une hypothèque panaméenne enregistrée, et a réclamé 1 350 000 $ US qui, au moment de l’audience, fondée sur un taux de change de 1,28, s’élevait à un 1 728 000 $ CAN.

[23]           Le dernier créancier est Ballantrae. La société a prêté à M. Pasinli la somme de 1 050 000 $ nécessaire à l’achat du PHOENIX SUN. Elle a conclu des contrats de garantie, y compris une hypothèque qui, en raison de la rupture de contrat de la part des défendeurs, n’a jamais été enregistrée. Elle fait néanmoins valoir qu’elle détient une sûreté en vertu de l’hypothèque. Elle fait également valoir des droits prioritaires en tant que titulaire d’une sûreté grevant des biens immobiliers enregistrée aux termes de la Loi sur les sûretés mobilières de l’Ontario. Au cœur de la réclamation de Ballantrae se trouve une convention de prêt avec Trenton Shipping and Trading Limited, dont M. Pasinli se représentait lui-même comme étant le seul actionnaire. Le plan était que Trenton achèterait le PHOENIX SUN. Cependant, pour des raisons que M. Pasinli n’a pas totalement divulguées, il a fait libeller l’acte de vente au nom d’une autre société dont il allègue être le seul actionnaire, Goldrich Waters International Shipping Co. Ltd. M. Pasinli, Trenton, Goldrich, et d’autres sociétés de M. Pasinli étaient tous des prête-noms l’un pour l’autre, et aucune distinction ne devrait être faite entre eux.

[24]           Ainsi, le montant en principal des réclamations au début de l’audience le 7 avril atteignait 3 496 669,83 $ contre un fonds de 682 500 $.

Réclamation de Skylane rejetée

[25]           Skylane a empêché le déroulement rapide et ordonné de la présente affaire. Elle n’a pas respecté les délais de façon constante et a obtenu des prorogations. On lui a demandé de produire une preuve quant à la validité de son hypothèque en vertu du droit panaméen. Finalement, le protonotaire Morneau lui a ordonné de produire une preuve en vertu du droit panaméen, à défaut de quoi sa réclamation serait radiée. Elle ne l’a pas fait. M. Hamilton et sa société ont par la suite présenté une requête en radiation de la réclamation.

[26]           Quelques jours avant l’audience prévue du 7 avril, les avocats de Skylane ont déclaré qu’ils ne devraient plus être considérés comme les avocats au dossier pour Skylane. J’ai indiqué qu’en vertu de l’article 125 des Règles, ils devaient présenter une requête formelle. Au début de l’audience, une requête était prête, mais n’avait pas été signifiée. J’ai refusé qu’elle soit versée au dossier. La Cour ne voit pas d’un bon œil les requêtes de ce genre présentées à la dernière minute et, de toute façon, même si elle était accordée, elle ne serait entrée en vigueur qu’après signification à Skylane dans les Îles vierges britanniques. L’audience, qui avait été prévue depuis un certain temps, ne devait pas être repoussée.

[27]           J’ai alors accueilli la requête de M. Hamilton avec dépens à l’encontre de Skylane.

[28]           Tel qu’il a été déclaré pendant l’audience, il y avait au moins deux autres motifs pour lesquels la réclamation de Skylane devait être radiée. Le premier était que la seule preuve quant à la validité de son hypothèque en vertu du droit panaméen était le témoignage d’expert d’Eduardo Antonio Real Solis, un avocat panaméen. Selon son témoignage, qui n’est nullement contredit, et que la Cour accepte, l’hypothèque alléguée de Skylane était, pour plusieurs raisons, nulle et sans effet.

[29]           Le troisième motif est que l’hypothèque alléguée a été conclue le 11 novembre 2014. Le PHOENIX SUN était sous l’effet d’une saisie de la Cour depuis le 30 juillet 2014 et sa vente aux enchères avait été annoncée le lendemain, soit le 12 novembre 2014.

[30]           Un propriétaire de navire ne peut pas agir de la sorte avec un navire saisi pour dissiper sa valeur aux créanciers d’alors.

[31]           J’ai renvoyé aux observations en passant du juge Forest de la Cour supérieure du Québec dans la décision Security National Bank c Fournier (24 février 1976), Montréal 05-000357-75. Accessoire à la réclamation dans cette action, qui portait sur des garanties de prêt, le navire en question, le Atlantean I, avait été vendu par la section des petites créances de la Cour provinciale du Québec alors qu’il était saisi par la Cour. Le juge Forest estimait que la vente alléguée était nulle et sans effet. Dans les circonstances, il n’était pas tenu de mentionner les causes qui lui avaient été présentées.

[32]           Ces causes auraient compris l’arrêt Cella, (1888) 13 PD 82, où le Lord juge Lopes a dit à la page 88 :

[traduction] À partir du moment de la saisie, la Cour a établi que le navire devait respecter l’issue de l’action, et les droits des parties doivent être déterminés par l’état des choses au moment de l’institution de l’action, et ne peuvent pas être modifiés par quoi que ce soit qui se produit par la suite.

(Comme l’a dit le juge Brandon, son titre d’alors, dans l’arrêt The Monica S., [1967] 3 All ER 740, à la page 754)

Les honoraires et débours du prévôt

[33]           Les honoraires et débours de 39 106,37 $ du prévôt intérimaire ont déjà été payés en vertu d’une ordonnance de la Cour, sans intérêt.

Dépens de Ballantrae

[34]           Il est bien établi que les dépens de la partie requérante, habituellement, comme en l’espèce, la demanderesse, lors de la mise en vente du navire sont de rang égal aux dépens du prévôt : McGuffie, Fugeman & Gray, British Shipping Laws: Admiralty Practice, vol. 1 (Londres, R.-U. : Stevens & Sons, 1964), au paragraphe 1574; Chircop et al, eds, Canadian Maritime Law, 2e ed (Toronto : Irwin Law, 2016), aux pages 263 à 265. La philosophie sous-jacente veut que tous les créanciers profitent d’un fonds à l’encontre duquel ils peuvent présenter une réclamation, avec l’espoir de recevoir un paiement. Cependant, les dépens de Ballantrae, et les autres, en faisant valoir leurs propres réclamations et en contestant les réclamations d’autres, ne relèvent pas de cette catégorie.

[35]           Il y a une réserve en l’espèce. Longtemps après la vente, le protonotaire Morneau a ordonné à Ballantrae de préparer un [traduction] « dossier commun pour régler et classer les réclamations ». Ces trois volumes ont été d’une aide précieuse pour la Cour, j’oserai dire pour toutes les parties, et Ballantrae devrait donc recevoir une indemnisation.

[36]           Ballantrae réclame 42 419,37 $ sur une base avocat-client. Elle signale que le juge MacKay a ordonné des dépens avocat-client dans la décision Holt Cargo Systems Inc. c. The Ship Brussel et al, 185 FTR 1, 2000 A.C.F. no 197 (CF 1re inst.) (QL). Cependant, il est rare que des dépens soient accordés sur une base avocat-client. Je ne vois aucune raison de ne pas appliquer la disposition par défaut de la colonne III du tableau du tarif B, dans le milieu de la fourchette.

[37]           M. Hamilton laisse entendre qu’étant donné que Ballantrae reçoit des fonds d’un garant, la doctrine en equity de l’ordonnancement devrait s’appliquer. Je ne suis pas d’accord. Les sommes qu’elle peut recevoir de garants de la dette des propriétaires du navire ne font que réduire le montant en principal de cette dette. Aucun de ces paiements n’a trait aux coûts de la mise en vente du navire.

[38]           Ballantrae a droit à la préparation et au dépôt de la déclaration, de l’affidavit portant demande de mandat, du mandat de saisie, de la requête de vendre, des comparutions à l’égard des requêtes, y compris assister à la vente et préparer le dossier commun. Je lui accorde 40 unités à raison de 140 $ l’unité, soit 5 600 $. J’accepte ses débours au montant de 5 819,60 $ – dont la somme de 5 252,74 $ est assujettie à la TVH de 13 % de l’Ontario – soit un total de 12 830,46 $.

La réclamation des 12 gens de mer

[39]           Les contrats du capitaine et de 11 membres d’équipage prévoyaient le paiement des salaires et avantages sociaux en dollars US. La grande partie de leur réclamation ne fait aucun doute. Cependant, il y a trois questions non résolues. On leur avait promis une somme versée à titre d’acompte ou de commission d’engagement du tiers du salaire d’un mois pour ne pas travailler sur le navire. Bien que cette réclamation soit parfaitement valide à l’encontre des propriétaires, jouit-elle d’un privilège maritime? La deuxième question est celle de la durée de leur contrat de travail. La troisième est celle de la date à laquelle leur réclamation devrait être convertie en dollars canadiens. Ils soutiennent qu’en l’espèce, la conversion devrait se faire à la date du jugement (ou à la date de l’audience) plutôt qu’à celle de la rupture. À la date de la rupture, le dollar US valait 1,10 $ CAN. À la date du jugement (ou le jour de l’audience), le taux serait de 1,28 $ CAN.

[40]           Le capitaine et les membres d’équipage soutiennent qu’ils ont subi une perte dans le taux de change en raison des retards dans l’obtention d’une date d’audience. En equity, ils devraient être indemnisés.

[41]           Comme je l’ai dit pendant l’audience, je ne suis pas disposé à m’écarter de la règle de la date de rupture. La Cour ne spécule pas dans les devises. Notre dollar monte et notre dollar baisse par rapport au dollar US, à l’euro et aux droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international. À l’occasion, la règle de la date de rupture avantagera les requérants, mais non en d’autres occasions.

[42]           En outre, la règle de la date de rupture est celle qui est établie par la Cour suprême (Gatineau Power Company c. Crown Life Insurance Company, [1945] RCS 655). Dans l’arrêt NV Bocimar SA c. Century Insurance Co, (1984) 53 NR 383, [1984] A.C.F. no 510 (CAF) (QL) (The Hasselt), le juge Hugessen, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, a établi qu’il n’était pas loisible à cette cour de modifier la règle adoptée par la Cour suprême. Cette décision a été infirmée par la Cour suprême, mais pas à ce sujet : [1987] 1 RCS 1247, [1987] A.C.F. no 39 (QL).

[43]           Je suis lié par le principe de l’autorité de la chose jugée. Dans l’arrêt Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 RCS 331, la Cour suprême a exposé les circonstances très précises dans lesquelles un tribunal d’instance inférieure pourrait ne pas suivre les décisions d’un tribunal supérieur :

[44]      La doctrine selon laquelle les tribunaux d’instance inférieure doivent suivre les décisions des juridictions supérieures est un principe fondamental de notre système juridique. Elle confère une certitude tout en permettant l’évolution ordonnée et progressive du droit. Cependant, le principe du stare decisis ne constitue pas un carcan qui condamne le droit à l’inertie. Les juridictions inférieures peuvent réexaminer les précédents de tribunaux supérieurs dans deux situations : (1) lorsqu’une nouvelle question juridique se pose; et (2) lorsqu’une modification de la situation ou de la preuve « change radicalement la donne » (Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, paragraphe 42).

[44]           Il n’y a rien de nouveau en l’espèce. Les devises fluctuent à la hausse et à la baisse.

[45]           Il est malheureux que le paiement des membres d’équipage ait subi un retard. Ce retard est attribuable aux parties qui n’étaient plus sur place au moment de l’audience. Il était évident que des parties de la réclamation du capitaine et de l’équipage étaient inattaquables et j’ai donc ordonné le paiement immédiat de 62 775,54 $ en principal, plus des intérêts de 407,67 $. Il faut souligner que les autres parties étaient prêtes à consentir à un versement interlocutoire plus élevé, mais je devais étudier les éléments de preuve pour ce qui est de la résiliation du contrat.

[46]           Ballantrae, avec l’appui de M. Hamilton, conteste deux parties de la réclamation du capitaine et des 11 membres d’équipage. Chacun réclame l’acompte ou la commission d’engagement du tiers du salaire d’un mois. Les membres d’équipage étaient censés être à bord du navire plus tôt qu’ils ne l’ont été. Compte tenu du fait qu’ils n’ont pas cherché d’emploi ailleurs, M. Pasinli a promis ce paiement additionnel. La question n’est pas de savoir si la promesse a été faite; j’accepte qu’elle l’ait été. La question est de savoir si cette partie de la réclamation bénéficie d’un privilège maritime. À mon avis, ce n’est pas le cas.

[47]           La deuxième question est celle de la date à laquelle l’emploi a pris fin. Ballantrae soutient que la date limite devrait être le 21 septembre 2014, date à laquelle les membres d’équipage ont quitté le navire et sont retournés en Turquie. Les 12 gens de mer soutiennent qu’en vertu des modalités de leur contrat, ils avaient droit à un autre paiement. Je suis d’accord.

[48]           Il faudrait souligner que ni eux, ni personne d’autre, n’ont réclamé les frais de rapatriement du Canada en Turquie. Il semble qu’un bon samaritain anonyme a assumé cette facture, mais ne demande pas à être indemnisé à partir du fonds généré par la vente du navire.

[49]           Je passe maintenant à la somme versée à titre d’acompte, qui totalise quelque 11 766,69 $ US.

[50]           Les cours d’ici et d’ailleurs sont de plus en plus généreuses lorsqu’il vient le temps de régler le salaire des membres d’équipage, ce qui comprend les émoluments comme il est énoncé à l’alinéa 22(2)o) de la Loi sur les Cours fédérales et aux articles 2 et 86 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada. Voir aussi Tetley, Maritime Liens and Claims, 2e éd (Montréal : Yvon Blais, 1998), ch. 8.

[51]           L’avocat des gens de mer soutient que la somme versée à titre d’acompte ou la commission d’engagement faisait partie intégrante de leurs contrats de travail, même si cela n’a pas été pris par écrit. Une déclaration générale du juge Fisher dans Mobil Oil New Zealand Ltd v The ship « Rangiora » (No 2), [2000] 1 NZLR 82 (HC), a été invoquée selon laquelle les salaires devraient inclure [TRADUCTION] « toute forme de paiement qui a été promise en retour de l’entente des gens de mer de travailler à bord du navire ». Il a été allégué que l’affaire de la Nouvelle-Zélande s’harmonise à la jurisprudence canadienne, en particulier la décision de la juge Snider dans Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Chêne no 1 (Le), 2003 CF 873 (Le Chêne no 1). La juge Snider a accepté que la portée du privilège maritime du marin a évolué et s’est étendue de façon à satisfaire à la nature toujours changeante de leur emploi.

[52]           Tant les arrêts Rangiora et Le Chêne no 1 ont trait aux questions de cessation d’emploi une fois que les marins sont sur le navire en question. Il y a de nombreuses questions pour lesquelles un marin peut être employé et payé avant de rejoindre un navire précis. Un propriétaire de navire prudent peut fort bien souhaiter donner une formation relativement à ses politiques et procédures et informer l’équipage éventuel des subtilités et particularités du navire en question. Bien que je sois prêt à accepter que le capitaine et les membres d’équipage aient une créance personnelle à l’égard des propriétaires et une créance in rem à l’égard du navire, ils ne jouissent pas d’un privilège maritime découlant d’une promesse qu’ils ne travaillent pas ailleurs.

[53]           Maintenant, pour ce qui est de la durée d’emploi, comme l’a indiqué la juge Snider dans l’arrêt Le Chêne no 1, notre droit a évolué pour ce qui est des droits une fois que le navire et l’équipage sont en désaccord. Le propriétaire peut avoir entrepris une liquidation formelle ou avoir congédié injustement l’équipage.

[54]           En l’espèce, les six premiers membres de l’équipage (MM. Karasu, Ergun, Cenik, Meral, Guray et Ucman) sont arrivés à bord du navire au Canada le 6 avril 2014, quatre autres (le capitaine Ozkan et MM. Kan, Ates et Kaan) le 12 avril 2014 et les deux autres (MM. As et Gumusoz) le 2 juin 2014. Ils ont tous signé un « contrat de travail de gens de mer » avec Menpas Shipping and Trading Inc., une société de M. Pasinli qui agissait, entre autres choses, comme l’agent des membres d’équipage. Chacun était [traduction] « engagé pour une période de 2+2+2 mois (selon l’option du propriétaire du navire) à compter de la date d’embarquement à bord du navire à Sorel [...] ».

[55]           Il a d’ailleurs été prévu qu’à moins d’un avis de cessation donné avant la fin de chaque période de deux mois, le contrat était prolongé d’une autre période de deux mois. L’avis requis, s’il est donné par le propriétaire du navire, était de sept jours; s’il est donné par les gens de mer, il est de 15 jours. Aucun avis officiel, soi-disant, n’a été donné.

[56]           Les membres d’équipage ont été payés jusqu’à la fin de juin 2014 et auraient dû recevoir leur salaire de juillet au plus tard le 5 août. Quoi qu’il en soit, M. Pasinli a assuré qu’ils seraient tôt ou tard payés et ils ont donc continué à travailler à bord du navire jusqu’à leur départ, le 21 septembre 2014.

[57]           Le caveat des gens de mer a été signifié à M. Pasinli, ainsi qu’une requête pour que leur déposition soit prise de bene esse le 9 septembre 2014. Tant l’avis de requête que l’affidavit à l’appui du capitaine, Semih Ozkan, indiquaient que les douze devaient quitter le Canada et retourner en Turquie le 21 septembre 2014. Dans les circonstances, je conclus que la signification de la requête à M. Pasinli le 9 septembre servait de connaissance de droit de la cessation d’emploi.

[58]           Pour ce motif, les contrats des six membres d’équipage arrivés le 6 avril et des quatre qui sont arrivés le 12 avril ont été prolongés le 6 août et le 12 août, respectivement. Étant donné qu’aucun avis de cessation n’a été donné pendant la deuxième période, la troisième période d’emploi de deux mois est entrée en vigueur de sorte qu’ils ont droit à une rémunération jusqu’au 6 octobre et jusqu’au 12 octobre 2014. Selon l’arrêt Le Chêne no 1, il importe peu de savoir si la rémunération pour la période après qu’ils ont quitté le navire le 21 septembre 2014 est caractérisée d’indemnité de cessation d’emploi, congédiement injustifié ou simplement exécution du contrat.

[59]           Malheureusement, la situation concernant les deux autres membres d’équipage qui sont arrivés le 2 juin est un peu différente. La première période de deux mois s’est terminée le 2 août et la deuxième, le 2 octobre. Ils ont donné avis dans les 15 jours requis et ils ont donc droit uniquement au paiement de quatre mois, en tout, tandis que les dix premiers membres d’équipage ont droit au paiement de six mois.

[60]           Je dois calculer le montant du principal auquel chacun a droit avant de soustraire les montants en principal à payer en vertu de l’ordonnance du 11 avril 2016. J’ai également tenu compte du fait que chacun des 12 membres d’équipage a reçu 100,00 $ après le 1er juillet 2014 de la part de M. Hamilton et qu’en outre, le capitaine Ozkan a droit à un salaire rétroactif, en raison d’un changement de poste, de 818,67 $ US et que M. Ucman a droit à un salaire rétroactif de 532,00 $.

[61]           Pour ce motif, le capitaine Ozkan a droit à 28 741,89 $ moins le paiement effectué plus tôt par la Cour de 13 448,34 $, ce qui laisse un solde à payer en principal de 15 293,55 $. Dans la même veine, le reste de l’équipage a droit, en dollars canadiens, à ce qui suit :

Membre d’équipage

Montant dû

- déjà payé

= solde dû

M. Karasu

26 246,77 $

- 12 550,00 $

= 13 696,77 $

M. Ergun

9 560,49 $

- 4 538,50 $

= 5 021,99 $

M. Kan

7 351,61 $

- 3 273,50 $

= 4 078,11 $

M. As

6 641,93 $

- 3 273,50 $

= 3 368,43 $

M. Cenik

5 169,35 $

- 2 430,00 $

= 2 739,35 $

M. Gumusoz

6 641,93 $

- 3 273,50 $

= 3 368,43 $

M. Meral

5 169,35 $

- 2 430,00 $

= 2 739,35 $

M. Guray

6 925,81 $

- 3 273,50 $

= 3 652,31 $

M. Ates

5 127,13 $

- 2 261,50 $

= 2 865,63 $

M. Kaan

12 754,03 $

- 5 719,00 $

= 7 035,03 $

M. Ucman

12 604,71 $

- 6 304,20 $

= 6 300,51 $

Mustafa Hakan Etiz

[62]           Selon ses éléments de preuve, M. Etiz s’est joint au PHOENIX SUN le 7 décembre 2013 et a travaillé jusqu’au 16 juin 2014. Il a signé un [traduction] « contrat de travail de gens de mer » sous la même forme que le capitaine et les membres d’équipage. On dit qu’il était engagé en tant qu’un « appareilleur/officier de service ». Il réclame un salaire impayé de 50 875 $ et fait valoir un privilège maritime.

[63]           M. Etiz ne possède aucune qualification qui lui permettrait d’agir en tant qu’officier de service. En outre, il ne devait pas voyager à bord du navire au moment où il quitterait Sorel, le cas échéant. Il s’est représenté lui-même tout au long de l’audience et s’est exprimé par l’entremise d’un interprète du turc à l’anglais. Son témoignage était extrêmement vague. Lorsqu’il n’y avait pas de travail à bord, il exécutait des tâches non précisées sur terre pour M. Pasinli. Il n’a pas indiqué quelles étaient ces tâches et n’a donné aucune indication quant à la répartition de son temps entre le navire et la terre.

[64]           Il a vraisemblablement servi de veilleur de temps à autre, avant l’arrivée du capitaine et des membres d’équipage en avril 2014. Par ailleurs, il dormait à terre, ce qui contredit ses allégations.

[65]           De toute façon, il était un soudeur qualifié et il a effectué des travaux sur la tuyauterie du navire.

[66]           Je conclus qu’il n’était pas du tout un membre d’équipage. Il semble qu’un seul membre d’équipage était au courant de son existence. Il était un travailleur à terre. Il n’a aucun privilège maritime et ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 139 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime. Il était un employé. Il n’exerçait pas une activité.

[67]           Lui donnant le bénéfice du doute, j’établis son travail à bord à 25 000 $. Il a, en vertu de la loi, un droit réel dans ce montant, sans priorité. Dans la mesure où il était un veilleur, il n’était pas un membre d’équipage (Jorgensen c. The Christina, [1926] Ex CR 110). Dans la mesure où il était un soudeur, il était un travailleur à terre (MacBeth c. Chislett, [1910] AC 220). Le solde de sa créance ne pourrait être pris en considération qu’une fois toutes les créances maritimes réglées. Cependant, à ce moment-là, le fonds sera épuisé.

Ville de Sorel-Tracy

[68]           La ville de Sorel-Tracy, par l’entremise de son organisation La Société des parcs industriels Sorel-Tracy, réclame 105 402,31 $, soit les droits de mouillage impayés de 81 441,83 $ et les frais d’électricité impayés de 23 960,48 $. Les réclamations en principal sont de 75 460,01 $ et de 22 407,02 $, respectivement. Je n’ai aucune hésitation à conclure que les propriétaires et le navire sont responsables de ce montant. Le différend tient au classement qui devrait être accordé à la réclamation de la ville. Elle fait valoir la priorité d’un privilège maritime, subordonné seulement au salaire des membres d’équipage, conformément au paragraphe 122(1) de la Loi maritime du Canada qui dispose ce qui suit :

122 (1) L’administration portuaire, le ministre ou la personne qui a conclu une entente en vertu du paragraphe 80(5) est toujours titulaire d’un privilège sur le navire et sur le produit de toute disposition qui en est faite, pour sa créance; ce privilège a priorité sur tous autres droits et créances, quelle qu’en soit la nature, à la seule exception des créances salariales des membres de l’équipage, visées par la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, dans les cas suivants :

122 (1) A port authority, the Minister or a person who has entered into an agreement under subsection 80(5), as the case may be, has at all times a lien on a ship and on the proceeds of its disposition for an amount owing to the port authority, the Minister or the person, and the lien has priority over all other rights, interests, claims and demands, other than claims for wages of crew members under the Canada Shipping Act, 2001, if the amount is owing in respect of

a) pour défaut de paiement des droits et des intérêts exigibles à l’égard du navire ou de sa cargaison;

(a) fees and interest in respect of the ship or goods carried on the ship; or

b) pour dommages causés à des biens par le navire ou par la faute ou la négligence d’un membre de son équipage agissant dans l’exercice de ses fonctions ou sous les ordres d’un officier supérieur.

(b) damage to property caused by the ship or through the fault or negligence of a member of the crew of the ship acting in the course of employment or under the orders of a superior officer.

[69]           Malheureusement, la ville n’est pas une « administration portuaire » au sens de l’article 2, étant donné qu’elle n’a pas été constituée en personne morale ou prorogée en vertu de cette loi. Le paragraphe 80(5) donne au ministre certains pouvoirs de conclure des ententes relatives à des parties de la voie maritime du Saint-Laurent. Cependant, Sorel ne fait pas partie de la voie maritime.

[70]           Subsidiairement, la ville a aussi soutenu qu’elle a droit à un privilège maritime en vertu du paragraphe 139(2) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime qui dispose :

139 (2) La personne qui exploite une entreprise au Canada a un privilège maritime à l’égard du bâtiment étranger sur lequel elle a l’une ou l’autre des créances suivantes :

139 (2) A person, carrying on business in Canada, has a maritime lien against a foreign vessel for claims that arise

a) celle résultant de la fourniture — au Canada ou à l’étranger — au bâtiment étranger de marchandises, de matériel ou de services pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l’acconage et le gabarage;

(a) in respect of goods, materials or services wherever supplied to the foreign vessel for its operation or maintenance, including, without restricting the generality of the foregoing, stevedoring and lighterage; or

b) celle fondée sur un contrat de réparation ou d’équipement du bâtiment étranger.

(b) out of a contract relating to the repair or equipping of the foreign vessel.

[71]           Malheureusement pour la ville, sa réclamation ne relève pas non plus de l’article 139 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime. M. Hamilton a soutenu que la ville n’exerçait pas une activité étant donné qu’elle était un organisme sans but lucratif. Je ne suis pas prêt à tirer une telle conclusion. De nombreux organismes sans but lucratif, notamment les sociétés mutuelles d’assurance, bien connues dans les milieux de l’assurance maritime, exercent des activités.

[72]           La question suivante est de savoir si la ville a fourni des services pour le fonctionnement ou l’entretien du PHOENIX SUN. Je conclus que ce n’est pas le cas. Le paragraphe 22(2) fait une distinction entre les approvisionnements nécessaires et les droits de bassin. Les alinéas 22(2)m) et s) disposent :

m) une demande relative à des marchandises, matériels ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l’acconage et le gabarage;

(m) any claim in respect of goods, materials or services wherever supplied to a ship for the operation or maintenance of the ship, including, without restricting the generality of the foregoing, claims in respect of stevedoring and lighterage;

s) une demande de remboursement des droits de bassin, de port ou de canaux, notamment des droits perçus pour l’utilisation des installations fournies à cet égard.

(s) any claim for dock charges, harbour dues or canal tolls including, without restricting the generality of the foregoing, charges for the use of facilities supplied in connection therewith.

[73]           L’article 139 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime était destiné à mettre les fournisseurs canadiens comme les approvisionneurs de fournitures de navires, les fournisseurs de combustible de soute et les débardeurs sur un pied d’égalité avec ceux, comme leurs homologues américains, qui jouissent de privilèges maritimes en vertu de leurs propres lois. Auparavant, les fournisseurs avaient un droit réel créé par une loi, sans priorité, s’ils avaient conclu un contrat avec le propriétaire du navire. S’ils savaient qu’ils établissaient un contrat avec l’affréteur, ils n’avaient aucune action réelle et aucun droit de saisir le navire (Marlex Petroleum Inc. c. Le navire « Har Rai » et The Shipping Corp of India, [1984] 2 CF 345 (FCA), conf. [1987] 1 RCS 57; Holt Cargo Systems Inc. c. ABC Containerline NV (Syndics de), 2001 CSC 90, [2001] 3 RCS 907 (le Brussel).

[74]           S’il subsistait un doute quant à l’intention du législateur, il suffit de lire les débats de la Chambre des communes du 25 février 2009, ainsi que le discours du parrain au Sénat.

[75]           Il est vrai que l’alinéa 22(2)s) de la Loi sur les Cours fédérales est un peu particulier en ce sens que, comme un privilège maritime, les redevances portuaires survivent à la vente du navire (paragraphe 43(3) de la Loi sur les Cours fédérales). Par contre, le législateur aurait dû être beaucoup plus direct et précis avant d’accorder aux ports un privilège créé par la loi équivalant à un privilège maritime.

[76]           Même s’il s’ensuit qu’en vertu du classement traditionnel, la ville n’a qu’un droit réel créé par une loi, sans priorité, il est bien reconnu que la Cour, dans l’exercice de sa compétence en amirauté et equity, si les intérêts de la justice l’exigent, peut modifier le classement traditionnel. Par exemple, dans la décision Osborn Refrigeration Sales and Service Inc. c. The Atlantean I, [1979] 2 CF 661 (CF 1re inst.), le juge Walsh a renvoyé à des livraisons de combustible effectuées après une saisie, qui étaient essentielles pour préserver le navire dans des conditions hivernales sévères et, partant, a eu tendance à maintenir la sûreté du créancier hypothécaire. En outre, si, au moment de la saisie, Ballantrae ou d’autres avaient présenté une requête dans le but que le prévôt en ait la possession, les droits de mouillage et l’approvisionnement en électricité auraient eu le rang des coûts du prévôt.

[77]           La jurisprudence a été examinée en profondeur par feu le protonotaire Hargrave dans Fraser Shipyard and Industrial Centre Ltd. c. Expedient Marine Co., (1999) 170 FTR 1, 1999 ACF no 947 (QL), modifié, mais non sur cette question (1999), 170 FTR 57, [1999] ACF no 1212 (CF 1re inst.) (QL). J’ai aussi abordé la question dans la décision Nordea Bank c. Le Kinguk, 2007 CF 434.

[78]           Avant l’achat du PHOENIX SUN par Goldrich, les droits de mouillage et l’électricité avaient été payés par le prévôt intérimaire en amirauté d’alors en vertu de la saisie précédente.

[79]           Bien que l’on puisse soutenir qu’il était nécessaire que le PHOENIX SUN reste le long du quai étant donné qu’il était un navire à l’arrêt complet et qu’il aurait difficilement pu prendre un mouillage, je ne suis pas prêt à aller jusque-là. En l’espèce, je conclus qu’il est évident et manifeste que l’ensemble des créanciers ont profité de l’approvisionnement en électricité. Par conséquent, je classe la créance de la ville pour l’approvisionnement en électricité au montant de 22 407,02 $ immédiatement après les créances du capitaine et de l’équipage. Le solde de 75 460,01 $ jouit d’un droit réel créé par une loi, mais sans priorité. Les intérêts avant la vente seront abordés plus loin.

Les fournisseurs

[80]           Contrairement à la Ville de Sorel-Tracy, les trois approvisionneurs de fournitures de navires qui ont déposé des requêtes ont droit aux dispositions de l’article 139 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime. Le PHOENIX SUN avait été supprimé du registre canadien et n’était donc pas un navire canadien. Les montants en principal de leurs réclamations ne sont pas controversés et ils viennent après les réclamations du capitaine et de l’équipage, et de la partie de la réclamation susmentionnée de la Ville de Sorel-Tracy.

[81]           La réclamation de Blue Water Agencies Limited concerne la fourniture d’aliments et de provisions au montant de 9 041,78 $. Elle réclamait aussi des intérêts au taux de 24 % par année à compter du 11 juillet 2014, et des frais d’administration, ce qui portait la réclamation à 12 511,44 $. Cependant, elle ne réclame plus les intérêts avant la vente, que, pour les raisons énoncées dans une partie des présentes, je n’aurais pas accordés de toute façon. Elle a droit au montant en principal de 9 041,78 $. Dans la même veine, Pronova Systems Inc. a fourni des approvisionnements nécessaires au montant de 28 182,15 $. Elle a aussi réclamé, ce à quoi elle renonce maintenant, des intérêts à un taux de 24 % par année à compter du 29 décembre 2013, qui comportaient les frais administratifs. En outre, elle reconnaît que M. Hamilton avait payé 2 000,00 $ à l’égard d’une des factures. J’établis sa réclamation au montant en principal de 26 182,15 $.

[82]           Le troisième approvisionneur de fournitures de navires est 185888 Canada Inc. (auparavant North Star Ship Chandler Inc.), actuellement en faillite. Le montant en principal de sa réclamation, qui n’est pas contesté, est de 24 347,70 $. Cependant, contrairement aux deux autres approvisionneurs de fournitures de navires, elle réclame le taux d’intérêt de 24 % par année à l’égard de la facture à compter du 11 avril 2014, y compris les frais administratifs. J’établis le montant en principal de sa réclamation à 24 347,70 $ sans intérêt avant la date à laquelle les fonds déposés à la Cour suite à l’achat du PHOENIX SUN ont commencé à porter des intérêts. Je refuse sa réclamation concernant les intérêts avant la vente à payer à même le fonds.

Ian Hamilton et Through Logistics Corp.

[83]           M. Hamilton entretenait une relation d’affaires avec M. Pasinli et ses nombreuses sociétés. Il a constitué en personne morale Through Logistics Corp. afin de donner un effet partiel à cette relation. En l’espèce, je ne tire aucune distinction entre M. Hamilton et sa société.

[84]           La réclamation relève de quatre catégories :

a)      location de la camionnette de M. Hamilton pour transporter l’équipage et les pièces de rechange. La somme de 13 250 $ est réclamée en principal, appuyée par le privilège énoncé à l’article 139 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime;

b)      des avances directement aux membres d’équipage du PHOENIX SUN et aux fournisseurs de services au montant de 130 963,71 $. la priorité en vertu de l’article 139 est une fois de plus réclamée;

c)      avance d’argent à M. Pasinli et à ses sociétés dans le but précis de payer pour la fourniture de biens, de matériaux et de services au PHOENIX SUN. La somme de 48 244,76 $ est demandée. M. Hamilton fait valoir une charge en equity qui, selon ses allégations, a un rang supérieur au droit réel prévu par la loi; et

d)     des paiements généraux à M. Pasinli et ses sociétés au montant de 48 120,00 $ à utiliser pour aider à l’entretien et au maintien en bon état du PHOENIX SUN et les dépenses relatives à l’équipage. Encore une fois, on fait valoir une charge en equity.

[85]           Des intérêts sont réclamés au taux de 4,9 % par année.

[86]           Ballantrae ne conteste pas les sommes à payer. Cependant, il fait valoir que M. Hamilton était en coentreprise avec M. Pasinli et ses sociétés et, par conséquent, n’a droit qu’au paiement à partir du fonds, une fois les créanciers tiers payés. Il ne restera rien, et M. Hamilton n’a donc pas de chance et a payé de sa propre poche.

[87]           Au cœur des allégations de Ballantrae se trouve une entente écrite datée du 2 mai 2013, entre Menpas Shipping and Trading Inc. et M. Hamilton. Menpas était une autre des sociétés de M. Pasinli qui semble avoir agi comme gestionnaire du navire et agent de l’équipage. Il était précisément convenu « que le projet constitue une coentreprise entre Ian Hamilton et Mengu Pasinli ». Les décisions devaient être prises en commun. Le navire serait acheté, réparé conformément à une norme convenable pour un dernier voyage et immatriculé au Panama et transporterait une cargaison en direction est jusqu’à la Méditerranée, puis serait vendu à la ferraille, le tout à un profit total estimé à plus de 1 000 000 $. Le profit serait réparti également.

[88]           M. Hamilton a signé l’entente, mais il dit qu’il ne l’a jamais retournée à M. Pasinli étant donné qu’il était évident qu’il ne pourrait pas respecter sa partie du contrat. Les sommes qu’il a avancées étaient vraiment au moyen de prêts à un taux d’intérêt de 4,9 % par année.

[89]           En février 2014, M. Hamilton a envoyé un courriel à M. Pasinli qui avait pour objet « Investissements de Ian Hamilton à ce jour », soit quelque 85 000,00 $. M. Pasinli a répondu [traduction] « les investissements en argent sont o.k. » Remarquez le mot « investissements ».

[90]           En août 2014 (après la saisie du PHOENIX SUN par Ballantrae), M. Hamilton a envoyé un courriel à M. Mengu pour dire [traduction] « le montant total que j’ai prêté à ce jour... ».

[91]           M. Hamilton soutient qu’en déterminant ou non s’il y avait ou non un partenariat ou une coentreprise, on doit non seulement tenir compte de la preuve documentaire, mais aussi des faits, y compris ce que les parties ont effectivement fait (Backman c. Canada, [2001] 1 RCS 367, au paragraphe 25).

[92]           M. Hamilton n’a jamais su que le navire était acheté au nom de Goldrich, n’a jamais entendu parler de Ballantrae jusqu’après la saisie et n’était pas au courant des documents financiers conjoints ni d’un compte de banque conjoint. Ce que M. Hamilton dit vraiment, c’est qu’il n’a pas insisté quant à ses droits.

[93]           Je crains que tout cela ne soit que des vœux pieux de la part de M. Hamilton. Il s’est fait berner par M. Pasinli, comme tous les autres créanciers. Il n’a fait que prêter de l’argent à une coentreprise. Si l’entreprise avait connu du succès, après avoir réglé les dépenses, y compris les fonds avancés par M. Hamilton, les profits seraient partagés 50/50. Rien dans le dossier n’indiquait que la relation a été changée par entente mutuelle et que M. Hamilton a renoncé au motif du profit qui est à l’origine de l’entente en question. La rupture de contrat de la part de M. Pasinli n’a pas transformé la coentreprise en une série de prêts.

[94]           La Cour n’a tiré aucun avantage de la comparution de M. Hamilton, ou de n’importe lequel des autres témoins (exception faite de M. Etiz), ce qui ne m’empêche pas de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Même si le juge O’Halloran, s’exprimant au nom de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Faryna c. Chorny, [1952] 2 DLR 354, [1951] BCJ no 152 (QL), traitait de l’appréciation par le juge de première instance d’un témoin qui avait en fait comparu devant lui, ses remarques valent toujours. Le critère de crédibilité est le suivant :

Il convient d’examiner de manière raisonnable la cohérence de l’exposé des faits du témoin à la lumière des probabilités se rapportant aux conditions qui existent à l’heure actuelle. Bref, pour déterminer si la version d’un témoin est conforme à la vérité dans un cas de cette nature, il faut déterminer si le témoignage est compatible avec celui qu’une personne sensée et informée, selon la prépondérance des probabilités, reconnaîtrait d’emblée comme un témoignage raisonnable, compte tenu des conditions et de l’endroit.

[95]           Dans l’arrêt Hasselt, précité, la Cour d’appel estimait être aussi bien placée pour évaluer les témoins que le juge de l’instance, étant donné que les éléments de preuve étaient sous forme écrite. Cependant, la Cour suprême est en désaccord avec cette position : [1987] 1 RCS 1247, 1987 ACS no 39 (QL).

[96]           Ainsi, M. Hamilton est assimilé au propriétaire et n’a droit de réclamer qu’à l’égard des fonds qui resteraient une fois les créanciers tiers payés (la décision Kinguk, précitée). Malheureusement, il ne reste rien pour M. Hamilton, ce qui, bien entendu, ne l’empêche pas de poursuivre M. Pasinli et ses sociétés in personam.

Ballantrae Holdings Inc.

[97]           Ballantrae, une société d’investissement et un prêteur de fonds, a conclu une convention de prêt avec Trenton Shipping and Trading Limited pour financer son achat du PHOENIX SUN. Le montant en principal du prêt était de 1 050 000,00 $, à un taux d’intérêt de 20 % par année, composé mensuellement. La convention de prêt en vigueur était datée du 22 novembre 2013, remplaçant les conventions de prêt antérieures des 21 octobre 2013 et 8 novembre 2013. Le prêt était garanti par Goldrich International Shipping Co., et par M. Pasinli. Pour des raisons non divulguées, quoique Trenton, une société canadienne, ait été désignée à l’origine pour acheter le navire, l’acte de vente a été établi au nom de Goldrich. De plus, Trenton devait obtenir une garantie et une entente de sûreté générale de Goldrich.

[98]           Une autre sûreté a pris la forme d’une sûreté hypothécaire d’un navire de marine marchande à une convention de prêt et l’enregistrement d’un état financier en vertu de la Loi sur les sûretés mobilières de l’Ontario.

[99]           Le prêt était censé être à court terme, soit soixante-quinze jours. Aucun paiement n’a été effectué de sorte que Ballantrae a intenté une action in rem et in personam pour le montant dû, y compris les intérêts et les dépens. Je n’aborderai que la question du montant en principal de la réclamation à cette rubrique.

[100]       Le navire a été supprimé du registre canadien et devait être immatriculé au Panama, de même que l’hypothèque. Les choses ne se sont pas déroulées ainsi. Ballantrae a déposé l’affidavit non contesté d’un avocat du Panama, Eduardo Antonio Real Solis. À son avis, les procédures pour immatriculer le PHOENIX SUN sous pavillon panaméen, ainsi que pour enregistrer l’hypothèque de Skylane, n’ont jamais été exécutées correctement et en temps opportun et, par conséquent, n’ont aucun effet légal. Tout ce qui s’est produit, c’est que le PHOENIX SUN a « battu pavillon » dans un registre temporaire spécial destiné aux navires qui entreprennent un seul voyage, notamment un voyage pour être vendu à la ferraille. Aucune mesure n’a été prise pour enregistrer l’hypothèque de Ballantrae. En effet, il semble qu’elle n’aurait pas pu être enregistrée au Panama. Après sa suppression du registre canadien, le PHOENIX SUN est devenu un navire non immatriculé.

[101]       Néanmoins, Ballantrae réclame une sûreté en vertu de l’hypothèque, et par le truchement de l’enregistrement en vertu de la Loi sur les sûretés mobilières de l’Ontario.

[102]       L’avocat de M. Hamilton a laissé entendre qu’au mieux Ballantrae a une charge en equity en vertu de l’hypothèque non enregistrée et que la Cour ne peut pas reconnaître la sûreté enregistrée en vertu de la Loi sur les sûretés mobilières de l’Ontario. En outre, même si la loi provinciale fait partie du droit maritime canadien, dans les faits de l’espèce, elle ne donne à Ballantrae aucun avantage par rapport aux autres créanciers.

L’hypothèque

[103]       On demande d’abord à la Cour de trancher la nature de la sûreté de Ballantrae dans le contrat hypothécaire. S’agit-il d’une hypothèque légale, quoique non enregistrée, ou s’agit-il d’une hypothèque en equity? A-t-elle un rang supérieur ou inférieur aux droits réels créés par une loi ou est-elle de rang égal?

[104]       L’avocat de M. Hamilton a soutenu que Ballantrae profite d’une hypothèque en equity qui aura égalité de rang avec la partie de la réclamation de M. Hamilton qui n’est pas garantie par l’article 139 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, et que ces deux réclamations ont un rang supérieur aux créanciers ordinaires qui détiennent des droits réels (notamment M. Etiz). Il a renvoyé à la décision du juge Cullen dans Lewmar Marine Limited c. C & C Industries Ltd (1991), 44 FTR 49 (CF 1re inst.), et plus particulièrement à l’avis du professeur William Tetley qui y est indiqué. Paradoxalement, la décision a également été mentionnée par Ballantrae pour étayer sa proposition selon laquelle la Cour a compétence pour résoudre des réclamations par des créanciers garantis au niveau provincial.

[105]       La décision Lewmar n’est pas vraiment pertinente, mais le juge Cullen a renvoyé à la première édition de Maritime Liens and Claims du professeur Tetley (Londres, R.-.U. : Business Law Communications, 1985), où il a dit à la page 213 :

[traduction] Les hypothèques en equity (y compris les hypothèques non enregistrées) ont un rang inférieur aux hypothèques enregistrées, même si l’existence de l’hypothèque en equity était connue du créancier hypothécaire enregistré au moment de l’enregistrement.

Par contre, l’hypothèque en equity aura un rang supérieur à celui d’un fournisseur qui intente une action in rem après la date de l’hypothèque.

[106]       En tant que personne faisant autorité, le professeur Tetley a cité la décision du juge Langton en première instance dans l’arrêt Zigurds, [1932] P 113, également publiée à (1932) 43 Ll LR 387.

[107]       Avec tout le respect que je lui dois, je ne pense pas qu’une hypothèque non enregistrée soit nécessairement une hypothèque en equity, quoique son rang suivra celui d’une hypothèque enregistrée.

[108]       L’arrêt Zigurds doit être lu avec grand soin. Il portait sur trois ventes judiciaires distinctes, la vente du navire, la vente du fret en suspens et la vente des surestaries. Chacune avait son propre ensemble de créanciers. Casper Edgar & Co., un agent maritime anglais et un fournisseur, et Alfred Harris Smith, le titulaire d’une hypothèque de common law enregistrée, réclamaient le fret. Les deux alléguaient être les cessionnaires du fret. Le juge Langton a établi que le créancier hypothécaire a revendiqué à juste titre le fret parce que sa cession en equity était antérieure à celle de Casper Edgar.

[109]       Cependant, la décision du juge Langton a été infirmée en appel [1933] P. 87, (1933) 45 Ll LR 1. La Cour a conclu que l’avis donné par Casper Edgar aux destinataires de la marchandise avait constitué un avis de cession suffisant. Ils ont été les premiers à donner effectivement un avis et donc ont eu droit au fret. Cette décision a été confirmée par la Chambre des lords, [1934] AC 209, (1933) 47 Ll LR 267. L’affaire relative au fret n’avait rien à voir avec les classements relatifs des créanciers hypothécaires et des fournisseurs.

[110]       Il y avait une contestation distincte concernant le paiement à même les produits du navire entre le même créancier hypothécaire et un fournisseur allemand, Kohlen Co., qui alléguait un privilège maritime en vertu du droit allemand et a fait valoir qu’à tout le moins en equity il devrait avoir priorité sur le créancier hypothécaire. Le juge Langton a donné la priorité au créancier hypothécaire par rapport au fournisseur sur le plan de la procédure. Ce différend n’est pas allé plus loin. Une entreprise de réparation navale a également soutenu que le classement traditionnel devrait être modifié, mais n’a pas eu plus de succès ((1932) 43 Ll LR 156).

[111]       Le résultat en ce qui concerne le fournisseur allemand aurait fort bien pu être différent au Canada. À ce sujet, l’arrêt Zigurds correspondait totalement à la position anglaise selon laquelle une réclamation est caractérisée conformément à la loi du for et non pas à la loi applicable à la transaction. Ce point a été clairement réitéré par le Conseil privé dans l’arrêt Bankers’ Trust International Ltd v Todd Shipyards Corp (The Halcyon Isle), [1981] AC 221, [1982] 2 Lloyds’ Rep 325.

[112]       Au contraire, au Canada, en vertu de la loi applicable, un fournisseur jouit d’un privilège maritime en vertu duquel il aura la priorité (l’arrêt Har Rai et l’arrêt Brussel, précités). J’ai eu l’occasion d’examiner la jurisprudence dans World Fuel Services Corporation c. Nordems (Navire), 2010 CF 332, 366 FTR 118, conf. 2011 CAF 73, [2012] 4 RCF 183. Au Canada, un fournisseur jouit seulement d’un droit réel reconnu par une loi, sans priorité, et n’a aucune action in rem s’il savait qu’il traitait avec un affréteur, plutôt qu’avec un propriétaire de navire. Comme on l’a indiqué plus haut, c’est cette injustice qui a mené à la promulgation de l’article 139 de la Loi sur la responsabilité maritime.

[113]       Même si l’arrêt Zigurds n’est pas d’une utilité, une affaire qui l’est vraiment est celle de l’arrêt Shizelle, [1992] 2 Lloyd’s Rep 444, une décision de la Cour d’Amirauté britannique. Les demandeurs ont financé l’achat du yacht Shizelle aux termes d’une convention de prêt et d’une hypothèque maritime. Le yacht devait être immatriculé et l’hypothèque, enregistrée. Ni l’un ni l’autre ne l’a été.

[114]       L’acquéreur a ensuite vendu le Shizelle aux défendeurs censément libre et quitte de tout lien et engagement. La question était de savoir si les acquéreurs, qui étaient d’innocents acquéreurs à titre onéreux et sans connaissance préalable, détenaient le yacht sans hypothèque.

[115]       Le juge suppléant Hamilton a renvoyé à la jurisprudence qui dit qu’une hypothèque non enregistrée était l’équivalent d’une hypothèque en equity, et a renvoyé à l’opinion exprimée par le professeur Tetley. Pour ce motif, les acquéreurs auraient eu gain de cause.

[116]       Cependant, l’éminent juge n’était pas de cet avis. À son avis, une hypothèque sur des biens en common law, avant l’intervention d’une loi, n’avait besoin d’aucune formalité, notamment un enregistrement. L’hypothèque était une hypothèque légale et non une hypothèque en equity, même si elle n’était pas enregistrée. Elle était opposable à un acquéreur de bonne foi, à titre onéreux et sans connaissance préalable.

[117]       En l’espèce, le PHOENIX SUN n’était immatriculé dans aucun pays. Si l’hypothèque du Shizelle est opposable à un acquéreur de bonne foi, à titre onéreux et sans connaissance préalable, il s’ensuit certainement qu’une hypothèque légale non enregistrée a un rang supérieur aux charges en equity et aux droits réels prévus par la loi.

[118]       Dans la deuxième édition de son Maritime Liens and Claims, de 1998, le professeur Tetley a réitéré son opinion selon laquelle une hypothèque non enregistrée constitue une hypothèque en equity. À la page 481, dans une note en bas de page, il a fait référence à l’arrêt Shizelle en tant qu’une « décision controversée ». C’est fort possible, mais je souscris à la décision.

[119]       À mon avis, Ballantrae détient une hypothèque légale non enregistrée à l’égard du PHOENIX SUN. Elle aurait des difficultés quant à son rang à l’encontre d’une hypothèque légale enregistrée ultérieurement, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque l’hypothèque de Skylane a été radiée. La réclamation de Ballantrae est supérieure aux charges en equity, le cas échéant, aux réclamations des titulaires de droits réels prévus par la loi, ainsi qu’aux réclamations de M. Hamilton.

[120]       On a demandé à Ballantrae d’indiquer les sommes, le cas échéant, qu’elle a récupérées ou qu’elle récupérera des divers garants. Il semble qu’elle récupérera vraisemblablement 199 500 $ de l’un des garants. Cela n’a aucune incidence sur son droit au solde du fonds généré par la vente du PHOENIX SUN. Évidemment, ce serait pertinent si elle poursuit la partie in personam de son action jusqu’au jugement.

Loi sur les sûretés mobilières de l’Ontario

[121]       Outre l’exécution de documents hypothécaires, Ballantrae a reçu une sûreté en vertu de la Loi sur les sûretés mobilières de l’Ontario qui, selon ses allégations, donne aussi la priorité par rapport aux créanciers réels ordinaires. M. Hamilton a monté une contestation rigoureuse de cette proposition. Il insiste sur le fait que le droit maritime canadien est une loi fédérale, et non pas provinciale, et est uniforme d’un bout à l’autre du Canada. La Cour fédérale ne peut appliquer une telle loi provinciale que si elle est pertinente à titre incident. La pierre angulaire de cette allégation est la décision de la Cour suprême dans ITO – Int’l Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 RCS 752 (l’arrêt Buenos Aires Maru). La Loi sur les sûretés mobilières de l’Ontario est une loi provinciale d’application générale qui s’applique tant aux biens maritimes que non maritimes. Étant donné qu’elle crée des sûretés pour des biens, elle peut difficilement être considérée à titre incident.

[122]       M. Hamilton ajoute que même si la Cour pouvait reconnaître et appliquer la Loi sur les sûretés mobilières, Ballantrae n’obtiendrait aucun avantage étant donné que les exigences de cette loi n’ont jamais été satisfaites.

[123]       Le PHOENIX SUN n’a jamais été en Ontario à un moment pertinent et n’a jamais été destiné à être amené en Ontario. L’intention inébranlable de ses propriétaires était de le faire naviguer de Sorel, au Québec, jusqu’en Turquie et là, de le vendre à la ferraille.

[124]       La réponse brève est que M. Hamilton a raison. La Loi sur les valeurs mobilières comporte des dispositions relatives aux conflits des lois. Pour que les dispositions de cette loi qui régissent l’opposabilité et les priorités s’appliquent, le bien grevé, notamment le PHOENIX SUN étant un bien meuble corporel, doit avoir été en Ontario, ou y être récemment arrivé et être alors opposable. Aux fins de l’espèce, il suffit de dire que les règles relatives à l’opposabilité de la sûreté se fondent sur l’endroit du bien, et non sur la résidence du créancier ou du débiteur (LRO 1990, ch. P.10, articles 5 à 7). Si une loi provinciale était pertinente, ce sont les dispositions du Code civil du Québec relativement aux hypothèques mobilières (articles 2714 et 3012). Il n’y avait aucune immatriculation en vertu du droit du Québec.

[125]       Cependant, le point soulevé est tellement important pour la compétence de la Cour et a été tellement bien débattu au nom de Ballantrae et de M. Hamilton que je me dois de faire des observations.

[126]       L’alinéa 22(3)d) de la Loi sur les Cours fédérales dispose ce qui suit :

22. (3) Il est entendu que la compétence conférée à la Cour fédérale par le présent article s’étend :

22. (3) For greater certainty, the jurisdiction conferred on the Federal Court by this section applies

d) à toutes les hypothèques ou tous les privilèges donnés en garantie sur un navire — enregistrés ou non et reconnus en droit ou en equity —, qu’ils relèvent du droit canadien ou du droit étranger.

(d) in relation to all mortgages or hypothecations of, or charges by way of security on, a ship, whether registered or not, or whether legal or equitable, and whether created under foreign law or not.

[127]       La Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario peut créer une charge au moyen d’une sûreté sur un navire. Pour les présentes, il n’est pas nécessaire de tenir compte de la suprématie ou de l’exclusivité des compétences.

[128]       Dans l’arrêt Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail Co. et autres, [1979] 2 RCS 157 (l’arrêt Tropwood), la Cour était saisie d’une réclamation concernant des marchandises et découlant d’un envoi de la France à Montréal régi par le Règlement de La Haye, en vigueur en France. La question était de savoir si la Cour fédérale pouvait appliquer le droit français. Le Règlement de La Haye, en vigueur au Canada, ne s’appliquait qu’au connaissement d’envois provenant de lieux au Canada. Le juge en chef Laskin a déclaré aux pages 166 et 167 :

En bref, la question soulevée par les appelants est de savoir si, dans l’exercice de sa compétence sur l’affaire dont elle est saisie, la Cour fédérale peut déterminer, en conformité des règles de conflit de lois du tribunal saisi, le droit régissant le procès. En l’espèce, la Cour fédérale a compétence sur les appelants et sur l’objet du litige et il existe un ensemble de droit applicable. A mon avis, cet ensemble comprend les règles de conflit et permet à la Cour fédérale de conclure à l’application du droit étranger à la réclamation qui lui a été soumise. Les règles de conflit sont en général celles du tribunal saisi. Il me semble clair que selon le paragraphe 22(3) de la Loi sur la Cour fédérale, que j’ai déjà mentionné, la Cour fédérale peut, lorsqu’il est question d’un navire étranger ou de demandes dont les faits se sont produits en haute mer, juger nécessaire de considérer l’application du droit étranger relativement à l’action dont elle est saisie.

[129]       Si la Cour peut tenir compte du droit étranger, elle peut certainement tenir compte du droit provincial.

Compétence de la Cour fédérale

[130]       La question plus vaste demeure. La Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario est-elle fortuite? Je peux seulement conclure qu’elle l’est et, de ce fait, même sans l’article 23, la Cour peut l’appliquer. C’est la seule façon de pouvoir réconcilier l’arrêt Buenos Aires Maru avec les décisions de la Cour suprême dans Ordon Estate c. Grail, [1998] 3 RCS 437, et Marine Services International Ltd. c. Ryan (Succession), 2013 CSC 44, [2013] 3 RCS 53 (l’arrêt Ryan’s Commander).

[131]       Dans l’arrêt Ordon, la Cour suprême a énuméré quatre facteurs à prendre en considération pour déterminer si une loi provinciale s’applique dans une action intentée pour négligence maritime;

a)      Est-ce que l’objet de l’action relève de la compétence fédérale exclusive sur la navigation et les expéditions par eau?

b)      Dans l’affirmative, existe-t-il une contrepartie en droit maritime canadien?

c)      S’il n’y en a pas, convient-il de modifier le droit maritime canadien non législatif?

d)     Si la partie non écrite ne doit pas être modifiée, une loi provinciale de portée générale est inapplicable si elle régit indirectement le droit maritime canadien en ce sens qu’elle modifie les règles que seul le Parlement est compétent à modifier. Il s’agit du principe de l’exclusivité des compétences. La loi provinciale doit faire l’objet d’une interprétation atténuée.

[132]       Cela nous amène à l’arrêt Ryan’s Commander. Les frères Ryan étaient des pêcheurs de Terre‑Neuve qui ont perdu la vie dans un accident maritime. Leur succession a intenté une poursuite devant la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador contre l’employeur. Le paragraphe 6(2) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime dispose précisément que les personnes à charge peuvent saisir le tribunal d’une réclamation « dans des circonstances qui, si le décès n’en était pas résulté, lui auraient donné le droit de réclamer des dommages-intérêts ». Par contre, la Workplace Health, Safety and Compensation Act, de Terre-Neuve-et-Labrador, à l’instar d’autres lois provinciales, interdit une action fondée sur la faute au profit d’un régime d’indemnisation sans égard à la faute. La Cour suprême, en infirmant la décision de la Cour d’appel, a établi que la loi de Terre-Neuve a préséance sur la loi fédérale.

[133]       Malheureusement, la Cour suprême n’a offert aucune orientation quant à savoir si le résultat aurait ou non été le même si la succession avait entrepris une action devant la Cour fédérale qui, après tout, a juridiction concurrente. M. Hamilton soutient qu’une loi provinciale qui interdit une cause d’action est difficilement « fortuite ». Étant donné que la Cour fédérale peut appliquer une loi provinciale uniquement dans des circonstances limitées, le résultat pourrait varier selon le choix de compétence. Ce scénario est tout simplement trop bouleversant à envisager!

[134]       La Cour suprême a pris en considération l’arrêt Ordon très en détail. À l’égard du premier point, elle a établi que l’arrêt Ryan’s Commander constituait aussi une action pour négligence maritime, en essence et en substance, une question fédérale.

[135]       À l’égard du deuxième point, il n’y avait aucun équivalent fédéral. Il existe une Loi sur l’indemnisation des marins marchands sur le plan fédéral, mais elle ne couvre pas précisément les pêcheurs.

[136]       À l’égard du troisième point, le droit maritime canadien non législatif pourrait difficilement être modifié parce que la loi écrite a donné précisément à la succession une cause d’action.

[137]       L’arrêt Ordon se distinguait à l’égard du quatrième point. Dans l’arrêt Ordon, il a été conclu qu’une loi provinciale de portée générale ne s’appliquait pas si elle régissait indirectement le droit maritime canadien. La loi provinciale devait faire l’objet d’une interprétation atténuée en fonction de l’exclusivité des compétences.

[138]       Dans l’arrêt Ryan’s Commander, la Cour suprême, comme dans l’arrêt Ordon, a déclaré au paragraphe 53 que « l’une des parties au présent pourvoi s’appuie sur une loi provinciale dans le cadre d’une action fondée sur la négligence en matière maritime ».

[139]       La Cour s’est ensuite concentrée sur l’exclusivité des compétences. Après l’arrêt Ordon, la Cour avait élaboré un critère en deux volets. Le premier consiste à déterminer si une loi provinciale empiète sur le « cœur » protégé de compétence fédérale. Si c’est le cas, au lieu de tout simplement « toucher » le cœur, comme le laisse entendre l’arrêt Ordon, la loi provinciale doit l’« entraver » pour que l’exclusivité des compétences s’applique (Ryan’s Commander, aux paragraphes 54 et suivants; Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 RCS 3; Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, [2010] 2 RCS 536).

[140]       La Cour suprême a poursuivi et jugé que la loi de Terre-Neuve empiétait effectivement sur le cœur du pouvoir fédéral sur la navigation et les expéditions par eau. Cependant, elle a conclu que la loi n’« entravait » pas l’exercice du pouvoir fédéral sur la navigation et les expéditions par eau. Au paragraphe 63, elle a souligné l’application quasi centenaire des régimes d’indemnisation des accidents du travail au secteur maritime.

[141]       Je peux conclure que l’application de la loi provinciale « fortuite » au facteur maritime est beaucoup plus vaste que je l’avais personnellement pensé.

[142]       Je reviens à ce qu’a dit le juge McIntyre dans l’arrêt Buenos Aires Maru, à la page 782 :

La Cour fédérale est constituée pour la meilleure administration des lois du Canada. Elle n’est pas cependant restreinte à l’application du droit fédéral aux affaires dont elle est saisie. Lorsqu’une affaire relève, de par son « caractère véritable », de sa compétence légale, la Cour fédérale peut appliquer accessoirement le droit provincial nécessaire à la solution des points litigieux soumis par les parties; voir Kellogg Co. c. Kellogg, [1941] R.C.S. 242, où, dans une affaire concernant un différend sur les droits liés aux brevets, l’effet d’un contrat de travail a dû être pris en considération devant la Cour fédérale, et voir également : McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, précité, où le juge en chef Laskin a laissé entendre que la Cour fédérale peut appliquer le droit provincial d’indemnisation de contribution lorsque la compétence est par ailleurs fondée sur le droit fédéral.

[143]       Après l’arrêt Buenos Aires Maru, la Cour suprême n’a pas jugé nécessaire les lois provinciales de négligence contributive puisqu’elle a « progressivement » modifié la partie non écrite du droit maritime canadien (Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. Saint John Shipbuilding Ltd., [1997] 3 RCS 1210).

[144]       Si mon interprétation est correcte et si la Cour fédérale avait appliqué le droit provincial dans l’arrêt Ryan’s Commander malgré le paragraphe 6(2) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, comment peut-on réconcilier l’arrêt Ryan’s Commander avec l’arrêt Quebec North Shore Paper c. C.P. Ltée, [1977] 2 RCS 1054? Cette décision nous a enseigné qu’il ne suffit pas que l’objet d’une action relève du pouvoir législatif fédéral et que la compétence ait été donnée à la Cour fédérale. De plus, il faut qu’il y ait une loi fédérale réelle qui s’applique au cœur du différend. L’arrêt Quebec North Shore a été caractérisé comme une affaire fondée sur le commerce interprovincial. Il n’existait aucune loi fédérale. Cependant, en raison de la définition du droit maritime canadien à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, il existe un droit maritime fédéral qui comprend le droit qui aurait été administré par la cour qui nous a précédés, la Cour de l’Échiquier, si elle avait disposé d’une compétence illimitée en matière maritime et d’amirauté, une extension du pouvoir législatif du Parlement sur la navigation et les expéditions par eau. Ainsi, si comme dans l’arrêt Ryan’s Commander, et comme en l’espèce, il s’agit d’un différend de caractère véritable fondé sur le droit maritime canadien, la Cour fédérale peut appliquer le droit provincial. De toute évidence, « fortuit » ne signifie pas sans importance.

[145]       Je conclus que la Cour peut tenir compte de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario non seulement en vertu de l’article 23 de la Loi sur les Cours fédérales mais aussi en vertu des arrêts Buenos Aires Maru et Ryan’s Commander.

[146]       Après avoir déduit les dépens du prévôt de 39 106,37 $, ceux de Ballantrae de 12 830,46 $, les réclamations de l’équipage de 132 935,00 $, la réclamation de la Ville de Sorel-Tracy de 22 407,02 $, de Blue Water de 9 041,78 $, de Pronova de 26 182,15 $, et de 185888 Canada de 24 347,70 $, ce qui totalise 266 850,48 $, Ballantrae a droit au solde, soit 415 649,52 $ sur la somme de départ de 682 500,00 $.

Intérêt

[147]       L’article 36 de la Loi sur les Cours fédérales traite de la question de l’intérêt avant jugement, mais le paragraphe 36(7) dispose précisément que l’article ne s’applique pas aux affaires qui découlent du droit maritime canadien. Quant à l’intérêt après jugement, il est visé par l’article 37 de la Loi. Si la cause d’action est issue d’une province, alors le droit provincial est intégré et appliqué. Sinon, la Cour applique un taux d’intérêt qu’elle juge raisonnable dans les circonstances. Certaines des réclamations, notamment celle de la Ville de Sorel-Tracy et celle des fournisseurs des navires, semblent venir du Québec. Ce n’est pas le cas pour d’autres, notamment celles de l’équipage et de Ballantrae, du moins pas dans leur intégralité. En l’espèce, et en tenant compte de la volumineuse jurisprudence relative à l’intérêt sur les fonds générés par la vente d’un navire, j’appliquerai ce que je considère comme raisonnable.

[148]       En droit maritime canadien, l’intérêt avant jugement est une fonction des dommages-intérêts, laissée à la discrétion de la Cour (La cie de téléphone Bell c. Le Mar-Tirenno, [1974] 1 CF 294 (CF 1re inst.); Kuehne + Nagel Ltd. c. Agrimax Ltd., 2010 CF 1303). Compte tenu de son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut décider de ne pas appliquer le taux contractuel convenu entre les parties (Mount Royal/Walsh Inc. c. Le « Jensen Star », 17 FTR 289, [1988] ACF no 141 (CF 1re inst.) (QL), modifié, mais non sur cette question [1990] 1 CF 199, 1989 ACF no 450 (CAF) (QL), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 21593 (23 novembre 1989) (QL)).

[149]       Plus souvent qu’autrement, la Cour applique un taux commercial, mais, étant donné que les taux commerciaux sont très faibles en ce moment, elle applique parfois le taux légal de 5 %. Tout intérêt accordé avant jugement aurait, en effet, été pris dans les poches de Ballantrae, étant donné que j’ai ordonné qu’elle doit recevoir le solde après les paiements au prévôt, à Ballantrae pour ce qui est des dépens, au capitaine et à l’équipage, à la Ville de Sorel-Tracy, et aux fournisseurs.

[150]       En l’espèce, je considère qu’il convient qu’aucun intérêt avant jugement ne soit accordé. Il ne faut pas oublier qu’aucun des requérants n’a en réalité obtenu un jugement in personam à l’encontre des propriétaires du navire. Dans un tel cas, ils auraient certainement eu droit à des intérêts avant jugement, mais non à l’encontre du fonds.

[151]       Quant aux intérêts après jugement, il est courant d’accorder des intérêts au taux payé par la Cour à l’égard des fonds en dépôt. L’arrêt Kinguk, précité, n’en est qu’un exemple. C’est précisément ce que j’ai fait pour le premier paiement à l’équipage.

[152]       L’intérêt à l’égard du dépôt à la cour s’accumule mensuellement. Comme on ne sait pas exactement à quel moment les paiements seront effectués, le paiement de l’intérêt devrait se faire dans la même proportion que celui du principal en dépôt, en tenant compte du fait que le paiement de 39 106,37 $ au prévôt ne portait aucun intérêt. Par exemple, la réclamation de Ballantrae en principal est de 415 649,52 $. En divisant cette somme par 643 393,63 $ (le dépôt de 682 500,00 $ moins la somme de 39 106,37 $ payée au prévôt), elle devrait obtenir 64,603 % de l’intérêt total accumulé. Si je prends l’exemple du capitaine Ozkan, sa réclamation en principal est de 28 741,89 $. Cela correspond à 4,467 % du solde du principal des produits de la vente, et le capitaine Ozkan doit donc recevoir 4,467 % de l’intérêt accumulé. L’intérêt de 87,33 $ qu’il a reçu le 11 avril 2016 doit être déduit, tout comme les paiements d’intérêt antérieurs pour le reste de l’équipage.

[153]       Pour ce motif, le paiement de l’intérêt accumulé est comme suit :

a)

Le prévôt

aucun

b)

Dépens de Ballantrae

1,994 %

c)

Les 12 gens de mer :

[BLANK/EN BLANC]

[BLANK/EN BLANC]

(i) Capitaine Ozkan

(ii) M. Karasu

(iii) M. Ergun

(iv) M. Kan

(v) M. As

(vi) M. Cenik

(vii) M. Gumusoz

(viii) M. Meral

(ix) M. Guray

(x) M. Ates

(xi) M. Kaan

(xii) M. Ucman

4,467 % moins 87,33 $

4,079 % moins 81,50 $

1,486 % moins 29,47 $

1,143 % moins 21,26 $

1,032 % moins 21,26 $

0,803 % moins 15,78 $

1,032 % moins 21,26 $

0,803 % moins 15,78 $

1,076 % moins 21,26 $

0,797 % moins 14,69 $

1,982 % moins 37,14 $

1,959 % moins 40,94 $

d)

La Ville de Sorel-Tracy

3,483 %

e)

Blue Water

1,405 %

f)

Pronova

4,069 %

g)

185888 Canada Inc. (North Star)

3,784 %

h)

Ballantrae

64,603 %

Dépens

[154]       Pour des motifs bien fondés, Ballantrae est la seule partie qui cherche un paiement de coûts à partir du fonds en dépôt à la Cour. La seule autre réclamation à l’égard de coûts est celle de M. Hamilton, qui réclame les coûts de Jarud, qui a seulement abandonné sa réclamation le 1er jour de l’audience.

[155]       Jarud avait présenté une requête par l’entremise d’un avocat. Elle a ensuite signifié qu’elle comptait se représenter elle-même par l’entremise de son président, M. Rudnick. Cet avis était sans intérêt étant donné que l’article 120 des Règles des Cours fédérales dispose qu’une personne morale se fait représenter par un avocat, à moins que, dans des circonstances particulières, la Cour ne l’autorise à se faire représenter par l’un de ses dirigeants. Jarud n’a pas présenté une telle requête.

[156]       De toute façon, sa réclamation était toujours au dossier et aurait dû être prise en considération par la Cour en l’absence d’un abandon. Jarud était un intermédiaire qui réclamait essentiellement des honoraires d’intermédiation. Cependant, elle a fait valoir qu’elle avait droit à une priorité en vertu de l’article 139 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime. Par conséquent, il était dans l’intérêt de M. Hamilton et de Ballantrae de contester la réclamation, ce qu’ils ont fait.

[157]       La requête de M. Hamilton a été présentée par écrit, conformément à l’article 369 des Règles. Il est habituel de donner au défendeur dix jours pour répondre. Comme on n’avait rien entendu de Jarud, j’ai donné l’instruction au registre de communiquer avec son président, M. Rudnick. Il en est résulté une lettre de M. Rudnick, non signifiée aux autres parties, dans laquelle il a demandé le sceau de la confidentialité. Naturellement, j’ai donné l’instruction au registre de ne pas accepter la lettre pour classement.

[158]       J’aurais pu permettre à Jarud de répondre par l’entremise de son président en ce qui concerne une réclamation à son encontre, par opposition à sa réclamation à l’encontre du fonds. Cependant, la Cour ne traite pas avec des lettres « confidentielles » qui, de toute façon, étaient difficilement une réponse à la réclamation de dépens de M. Hamilton.

[159]       L’article 402 des Règles dispose que sauf ordonnance contraire ou lorsqu’une requête a été abandonnée, l’autre partie a droit aux dépens. Par contre, la Cour hésite à mettre des entraves aux désistements.

[160]       Une petite partie des efforts déployés par M. Hamilton avait trait à la réclamation de Jarud. Cependant, son principal effort consistait à faire valoir sa propre requête et à défaire les requêtes d’autres, ou à soutenir qu’ils n’avaient pas droit à priorité.

[161]       Il est un peu ironique que la requête de M. Hamilton ait été rejetée purement et simplement. Pourtant, Ballantrae ne demande pas de dépens à son encontre.

[162]       En l’espèce, j’accorde 1 000,00 $ à M. Hamilton à l’encontre de Jarud, tout compris.

Loi sur les langues officielles

[163]       Les observations de la Ville de Sorel-Tracy étaient en français. Les autres parties ont plaidé en anglais. L’article 20 de la Loi sur les langues officielles dispose que les décisions définitives sont simultanément mises à la disposition du public dans les deux langues officielles lorsque les débats se sont déroulés, en tout ou en partie, dans les deux langues officielles. Cependant, l’article poursuit et dispose qu’un jugement peut être rendu d’abord dans une langue si l’établissement d’une version bilingue entraînait, entre autres, une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige. Les 12 gens de mer étaient dans une situation désespérée. Étant donné qu’il faudra probablement quelques mois pour la traduction, leurs avocats ont présenté la requête selon laquelle le jugement est d’abord rendu dans une langue, suivi de la traduction. Les avocats des autres parties, en particulier la Ville de Sorel-Tracy, ont gracieusement accepté.


JUGEMENT

Pour les motifs exposés ci-dessus :

ÉTANT DONNÉ LA REQUÊTE de paiement à même la somme de 682 500 $, soit le produit de la vente du PHOENIX SUN avec les intérêts accumulés;

EN TENANT COMPTE DU FAIT QUE le prévôt intérimaire, par une ordonnance datée du 16 décembre 2014, a déjà été remboursé de ses dépens et débours au montant de 39 106,37 $, sans intérêt, et que, par une ordonnance datée du 11 avril 2016, les 12 gens de mer ont déjà reçu un montant total en principal de 62 775,54, avec intérêts accumulés de 407,67 $;

LA COUR ORDONNE les paiements suivants :

1.                  à Ballantrae Holdings Inc. des dépens de 12 830,46 à 1,994 % des intérêts accumulés;

2.                  aux 12 gens de mer :

i.

Capitaine Oskan

15 293,55 $ + 4,467 % des intérêts accumulés moins 87,33 $

ii.

M. Karasu

13 696,77 $ + 4,079 % des intérêts accumulés moins 81,50 $

iii.

M. Ergun

5 021,99 $ + 1,486 % des intérêts accumulés moins 29,47 $

iv.

M. A. R. Kan

4 078,11 $ + 1,143 % des intérêts accumulés moins 21,26 $

v.

M. As

3 368,48 $ + 1,032 % des intérêts accumulés moins 21,26 $

vi.

M. Cenik

2 739,35 $ + 0,803 % des intérêts accumulés moins 15,78 $

vii.

M. Gumusoz

3 368,48 $ + 1,032 % des intérêts accumulés moins 21,26 $

viii.

M. Meral

2 739,35 $ + 0,803 % des intérêts accumulés moins 15,78 $

ix.

M. Guray

$3 652,31 $ + 1,076 % des intérêts accumulés moins 21,26 $

x.

M. Ates

2 865,63 $ + 0,797 % des intérêts accumulés moins 14,69 $

xi.

M. A. Kaan

7 035,03 $ + 1,982 % des intérêts accumulés moins 37,14 $

xii.

M. Ucman

6 300,51 $ + 1,959 % des intérêts accumulés moins 40,94 $

3.                  À Ville de Sorel-Tracy            22 407,22 $ + 3,483 % des intérêts accumulés

4.                  À Blue Water Agencies Ltd.  9 041,78 $ + 1,405 % des intérêts accumulés

5.                  À Pronova Systems Inc.         26 182,15 $ + 4,069 % des intérêts accumulés

6.                  À 185888 Canada Inc.            24 347,70 $ + 3,784 % des intérêts accumulés

7.                  À Ballantrae Holdings Inc.     415 649,52 $ + 64,603 % des intérêts accumulés

Les paiements peuvent être faits aux avocats inscrits au dossier, en fidéicommis.

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-1683-14

 

INTITULÉ :

BALLANTRAE HOLDINGS INC. c. LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « PHOENIX SUN » ET LE NAVIRE « PHOENIX SUN »

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 7 et 8 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

David G. Colford

 

Pour le demandeur

Vanessa Major

 

Blue Water Agencies Limited, Pronova Systems Inc. et 185888 Canada Inc.

Gary H. Waxman, Lionel Lieber

Semih Ozkan, Akpinar Kaan, Serdar Recep Karasu, Ufuk Ucman, Ersin Ergun, Ali Riza Kan, Zekai As, Serhat Cenik, Mehmet Gumusoz, Mesut Meral, Seydi Guray et Umut Ates

William M. Sharpe,

Marcos Cervantes-Laflamme

Ian Hamilton et Through Logistics Corp.

Christian Crevier

Ville de Sorel-Tracy

Shahzad Siddiqui

Skylane Worldwide Limited

Mustafa Hakan Etiz

(pour son propre compte)

Personne

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BRISSET BISHOP

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

DE MAN, PILLET

Montréal (Québec)

 

Blue Water Agencies Limited, Pronova Systems Inc. et 185888 Canada Inc

GARY H. WAXMAN

Montréal (Québec)

 

Semih Ozkan, Akpinar Kaan, Serdar Recep Karasu, Ufuk Ucman, Ersin Ergun, Ali Riza Kan, Zekai As, Serhat Cenik, Mehmet Gumusoz, Mesut Meral, Seydi Guray et Umut Ates

WILLIAM M. SHARPE

Toronto (Ontario)

 

Ian Hamilton et Through Logistics Corp.

FRAPPIER CREVIER TREMPE

Sorel-Tracy (Québec)

 

Ville de Sorel-Tracy

ABRAHAMS LLP

Toronto (Ontario)

 

Skylane Worldwide Limited

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.