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Date : 20160519


Dossier : T-1860-15

Référence : 2016 CF 560

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2016

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

BASSEM SALAHELDIN MOSTAFA HELMI ELDERAIDY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Bassem Salaheldin Mostafa Helmi Elderaidy interjette appel à l’encontre de la décision d’une juge de la citoyenneté par laquelle sa demande de citoyenneté a été rejetée au motif qu’il n’avait pas satisfait aux exigences de résidence de la Loi sur la citoyenneté. La juge de la citoyenneté a choisi d’appliquer le critère de la présence physique pour établir la résidence, et M. Elderaidy admet qu’il lui manque plus de 250 jours de présence pour cumuler les 1 095 jours au Canada au cours des quatre années précédant le dépôt de sa demande de citoyenneté qu’il faut pour satisfaire à ce critère.

[2]               M. Elderaidy a néanmoins fait valoir que la juge de la citoyenneté a commis une erreur en omettant de fournir les motifs de sa décision d’appliquer le critère de la présence physique pour établir la résidence dans l’évaluation de sa demande de citoyenneté. M. Elderaidy affirme que la juge de la citoyenneté a de plus commis une erreur en omettant de d’abord déterminer si oui ou non il avait établi résidence au Canada avant de procéder au compte des jours que requiert le critère de présence physique.

[3]               Je ne suis pas convaincu que la décision de la juge de la citoyenneté était déraisonnable. Par conséquent, l’appel de M. Elderaidy sera rejeté.

I.                   Les motifs doivent-ils expliquer le choix du critère de la juge de la citoyenneté?

[4]               L’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, ch. C-29, prévoit qu’un résident permanent doit avoir « dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout ».

[5]               Il existe trois écoles de pensée différentes sur la façon dont l’exigence de résidence énoncée à l’alinéa 5(1)c) doit être appliquée. La première approche est le critère de la présence physique qui a été appliqué par la juge de la citoyenneté dans l’affaire qui nous préoccupe. D’abord formulé dans Re Pourghasemi (1993), 62 F.T.R. 122, [1993] A.C.F. no 232, ce critère ne requiert du demandeur qu’une période de présence physique au Canada d’au moins trois ans sur quatre.

[6]               Contrairement au critère objectif de Re Pourghasemi, Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, 88 D.L.R. (3d) 243 et Re Koo, [1993] 1 C.F. 286, 59 F.T.R. 27 prescrit une évaluation plus subjective, qualitative de la résidence. Re Papadogiorgakis demande au demandeur de démontrer qu’il a un grand attachement pour le Canada et qu’il y a établi une résidence, même s’il a dû s’absenter du pays temporairement. Re Koo, qui reflète un raffinement du critère de Re Papadogiorgakis, établit six questions à poser afin d’évaluer la qualité de l’attachement d’un individu au Canada.

[7]               Parce que les décisions de la Cour fédérale en matière de citoyenneté ne sont pas portées en appel, la Cour d’appel fédérale ne s’est jamais prononcée sur la question de savoir lequel des trois critères est le plus approprié. En conséquence, notre Cour a déterminé qu’il est loisible aux juges de la citoyenneté d’appliquer l’un des trois critères acceptés. De plus, la jurisprudence enseigne que si le juge de la citoyenneté « appliquait correctement aux faits de la cause les principes de l’approche qu’il privilégie, sa décision ne serait pas erronée » : voir Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999), 164 F.T.R. 177, au paragraphe 14, [1999] A.C.F. no 410 (1re inst.).

[8]               M. Elderaidy convient que les juges de la citoyenneté ont le pouvoir discrétionnaire de choisir l’un des trois critères acceptés pour établir la résidence, et qu’il ne pouvait exiger que le critère le plus favorable à sa demande de citoyenneté soit appliqué. Il fait valoir, toutefois, que le pouvoir discrétionnaire que les juges de la citoyenneté exercent pour choisir l’un des trois critères de résidence n’est pas illimité et doit être expliqué.

[9]               Citant ma décision dans Cardin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 29, 382 F.T.R. 164, M. Elderaidy fait valoir que les juges de la citoyenneté doivent tenir compte de la situation personnelle du demandeur dans le choix du critère à appliquer dans le cas qui leur est présenté. Il fait en outre valoir que, lorsque les raisons justifiant le choix d’un critère en particulier ne sont pas fondées sur les faits particuliers de l’espèce, le choix du critère sera déraisonnable.

[10]           Je note, toutefois, que Cardin constitue un cas unique. Dans cette affaire, la juge de la citoyenneté était préoccupée par la question de savoir si M. Cardin s’était suffisamment « canadianisé » en « côtoyant » des Canadiens dans diverses circonstances.

[11]           M. Cardin est arrivé au Canada quand il était enfant et y avait été élevé et y avait fait ses études secondaires et postsecondaires, avant de travailler, au Canada, pour une entreprise canadienne. C’est dans ce contexte que j’ai conclu qu’il était déraisonnable de la part du juge de la citoyenneté de conclure que M. Cardin n’était pas suffisamment « canadianisé » parce qu’il avait fait de récents voyages d’affaires à l’extérieur du Canada. J’établis particulièrement une distinction entre le cas de M. Cardin de celle de l’homme d’affaires qui vient au Canada, établit un foyer ici, puis quitte le Canada pour des périodes prolongées afin d’explorer des possibilités d’affaires à l’étranger, ce qui est précisément la situation dans le cas de M. Elderaidy.

[12]           Ma décision dans Cardin dépendait des faits particuliers de l’affaire, notamment la nature des préoccupations du juge de la citoyenneté, et le libellé de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire. Ce n’était pas la proposition générale selon laquelle les juges de la citoyenneté doivent tenir compte de la situation personnelle particulière des demandeurs dans le choix du critère de résidence à appliquer dans les cas de citoyenneté.

[13]           Il est d’ailleurs inutile pour moi de déterminer en l’espèce si, en tant que proposition générale, les juges de la citoyenneté sont tenus de particulièrement prendre en considération la situation personnelle d’un demandeur lors du choix du critère à appliquer dans une cause donnée. Il ressort des motifs de la juge de la citoyenneté qu’elle était bien au courant de la situation personnelle de M. Elderaidy, puisqu’elle est décrite en détail dans sa décision. En effet, M. Elderaidy n’a invoqué aucune circonstance relative à sa situation personnelle que la juge de la citoyenneté ait négligé d’examiner ou ait ignoré. Étant donné ce qui précède, je ne suis pas prêt à conclure que la juge de la citoyenneté n’a pas, en fait, tenu compte de la situation personnelle de M. Elderaidy lors de son choix du critère de résidence à appliquer dans cette affaire.

[14]           M. Elderaidy soutient aussi que les juges de la citoyenneté doivent fournir les motifs expliquant leur choix du critère, en particulier lorsque, comme ce fut le cas, la juge de la citoyenneté a appliqué l’un ou l’autre des critères qualitatifs dans d’autres causes. Ces motifs n’ont pas à être exhaustifs, selon M. Elderaidy, et il suffirait qu’un juge de la citoyenneté affirme en quelque sorte « Je crois que le critère de la présence physique stricte englobe mieux le sens de « résidence » énoncé dans la Loi sur la citoyenneté ».

[15]           Le demandeur n’a présenté aucun témoignage d’expert indiquant que les juges de la citoyenneté sont tenus de fournir les motifs expliquant leur choix de critère, et la jurisprudence établit le contraire : Ayaz c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2014 CF 701, au paragraphe 43, 459 F.T.R. 191; Arwas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2014 CF 575, au paragraphe 23, 464 F.T.R. 1; Sinanan c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2011 CF 1347, aux paragraphes 11 et 12, [2011] A.C.F. no 1646.

[16]           Nonobstant la jurisprudence ci-dessus, M. Elderaidy soutient que le fait d’exiger les motifs favoriserait la transparence et la cohérence du processus de prise de décision.

[17]           La faille dans ce raisonnement est que la seule façon que le fait d’exiger que les motifs expliquent le choix du critère puisse favoriser la cohérence dans le processus de prise de décision serait que l’existence de certains types de circonstances dicte le choix d’un critère en particulier. Or, cela serait incompatible avec le principe bien établi que les juges de la citoyenneté ont le pouvoir discrétionnaire de choisir l’un des trois critères acceptés pour établir la résidence.

[18]           Je voudrais en outre faire valoir que la suggestion de M. Elderaidy voulant qu’un juge de la citoyenneté indique simplement, par exemple, qu’il ou elle était d’avis que « le critère de présence physique stricte englobe mieux le sens de la « résidence » énoncé dans la Loi sur la citoyenneté » n’est pas applicable à la situation personnelle de tous les demandeurs.

[19]           Il est par ailleurs implicite dans les motifs de la juge de la citoyenneté dans l’affaire que notre Cour doit trancher qu’elle avait déterminé que l’utilisation du critère de présence physique était appropriée. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter ce moyen d’appel.

II.                Est-ce qu’un juge de la citoyenneté doit d’abord déterminer si un demandeur a établi sa résidence au Canada avant d’appliquer le critère de la présence physique?

[20]           M. Elderaidy affirme que la juge de la citoyenneté a de plus commis une erreur en omettant de d’abord déterminer si oui ou non il avait établi sa résidence au Canada avant de procéder au compte des jours que requiert le critère de présence physique.

[21]           Un certain nombre de cas cités par M. Elderaidy à l’appui de cet argument impliquent des situations où l’un des deux critères qualitatifs pour établir la résidence a été appliqué. Je ne comprends pas que le défendeur conteste que lorsque l’un de ces critères est appliqué, un juge de la citoyenneté doit en effet, à titre préliminaire, prendre une décision quant à savoir si le demandeur a en effet établi sa résidence au Canada avant d’appliquer le critère qualitatif choisi par le juge.

[22]           Il n’est pas tout à fait clair dans la jurisprudence si une analyse en deux étapes est nécessaire dans les cas où le critère de présence physique pour établir la résidence est appliqué. Je n’ai cependant pas à résoudre cette question en l’espèce. Il est incontestable que, indépendamment du fait qu’il avait établi sa résidence au Canada, M. Elderaidy était loin de satisfaire au critère de présence physique de résidence au sens de la Loi sur la citoyenneté. Par conséquent, toute erreur qui pourrait avoir été commise par la juge de la citoyenneté à cet égard n’a pu avoir quelque incidence que ce soit sur l’issue de la demande de citoyenneté de M. Elderaidy.

III.             Conclusion

[23]           Pour ces raisons, M. Elderaidy ne m’a pas convaincu que la décision de la juge de la citoyenneté était déraisonnable. Par conséquent, son appel est rejeté.

IV.             Questions à certifier

[24]           Le défendeur propose de faire certifier une question relative à la nécessité d’une analyse en deux étapes dans les cas où le critère de présence physique pour établir la résidence est utilisé. M. Elderaidy ne s’oppose pas à la certification de cette question. Cependant, comme expliqué ci-dessus, je n’estime pas qu’il soit nécessaire de trancher cette question aux fins de la présente affaire. En conséquence, la réponse à la question du défendeur ne serait pas déterminante pour l’issue de l’appel et il n’est pas nécessaire de certifier cette question.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  L’appel est rejeté.

« Anne L. Mactavish »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1860-15

 

INTITULÉ :

BASSEM SALAHELDIN MOSTAFA HELMI ELDERAIDY c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 mai 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

M. Lee Cohen, c.r.

Scott McGirr

 

Pour le DEMANDEUR

 

Melissa Chan

 

Pour le DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee Cohen Law Inc.

Avocats

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Pour le DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Pour le DÉFENDEUR

 

 

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