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Date : 20160526


Dossier : IMM-3557-15

Référence : 2016 CF 584

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2016

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

DJENEBA SOW

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Mme Djeneba Sow (la demanderesse) demande le contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada le 17 juillet 2015. Dans cette décision, la SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, par laquelle la demande d'asile de la demanderesse en application de l'article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) a été rejetée.

II.                CONTEXTE

[2]               La demanderesse a demandé l'asile en vertu de la Loi, sur le fondement de son identité en tant que citoyenne de la Mauritanie craignant d'être tuée ou forcée à l'esclavage si elle était renvoyée dans son pays de nationalité. Elle a affirmé qu'elle a été réduite à l'esclavage pendant une période de sept ans durant laquelle elle a été maltraitée et violée par ses ravisseurs.

[3]               La SPR n'a pas cru que la demanderesse était crédible concernant les éléments de preuve établissant son identité. La SPR a conclu qu'elle n'avait pas réussi à établir son identité en tant que citoyenne de la Mauritanie et a affirmé ce qui suit au paragraphe 18 de sa décision :

[traduction] Le tribunal estime que la demanderesse d'asile n'a pas établi son identité personnelle ou nationale et n'a pas raisonnablement tenté de le faire. De plus, le tribunal a attribué une inférence défavorable importante quant à la crédibilité du témoignage de la demanderesse appuyant son identité et sa nationalité.

[4]               Au moment de son appel devant la SAR, la demanderesse a cherché à introduire de nouveaux éléments de preuve :

-          l'affidavit de Germaine Ngono, une travailleuse sociale, daté du 8 novembre 2013;

-          l'affidavit de Ziah Sumar, stagiaire en droit travaillant pour l'avocat de la demanderesse, daté du 12 novembre 2013;

-          un courriel de l'avocat de la demanderesse envoyé au Consulat de Mauritanie et daté du 1er novembre 2013;

-          un courriel de l'avocat de la demanderesse envoyé au Consulat de Mauritanie et daté du 11 novembre 2013;

-          l'affidavit de Emre Esensoy, assistant judiciaire travaillant pour l'avocat de la demanderesse, daté du 7 mai 2014.

[5]               Parallèlement à ses efforts en vue d'introduire de nouveaux éléments de preuve, la demanderesse a demandé une audience orale.

III.             LA DÉCISION DE LA SAR

[6]               La SAR s'est penché sur le paragraphe 110(4) de la Loi. Elle a déterminé que le premier des nouveaux éléments de preuve, l'affidavit de Germaine Ngono, présenté afin d'appuyer l'identité de la demanderesse, était admissible parce qu'il abordait des questions soulevées durant l'audience de la SPR. Cependant, la SAR a accordé peu de force probante à ce document, parce qu'il ne constituait pas une preuve indépendante permettant d'établir l'identité de la demanderesse.

[7]               Concernant le second élément de preuve, soit l'affidavit d'un stagiaire en droit travaillant pour l'avocat de la demanderesse, la SAR a estimé qu'il ne constituait pas une preuve permettant de confirmer l'identité de la demanderesse et lui a accordé peu de poids.

[8]               La SAR a accepté les troisième et quatrième nouveaux éléments de preuve, soit les courriels, au motif que ces courriels décrivaient les efforts de l'avocat de la demanderesse pour obtenir de plus amples renseignements sur l'identité de la demanderesse. Au paragraphe 29, la SAR a exprimé dans ces mots son opinion quant aux nouveaux éléments de preuve proposés :

[traduction] La SAR estime que les nouveaux éléments de preuve proposés (les articles un à quatre) fournissent une preuve des activités de l'appelante pour trouver son certificat de naissance original ou obtenir des papiers d'identité de remplacement. Ces documents n'ont apporté aucune preuve convaincante pour appuyer l'identité de l'appelante. La SAR tiendra compte de l'incapacité de l'appelante à obtenir des papiers d'identité de remplacement et l'abordera avec « le fond de l'affaire » ci-dessous.

[9]               Le cinquième élément de preuve, l'affidavit de Emre Esensoy, n'a pas été admis comme nouvel élément de preuve puisque la SAR a déterminé que la demanderesse n'avait pas fourni de raisons adéquates expliquant pourquoi ce document n'avait pu être remis à la SPR.

[10]           La SAR a examiné son rôle, à la lumière de la décision de la Cour fédérale dans Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2014] 4 R.C.F. 811.

[11]           La SAR a accordé peu de poids à une photocopie du certificat de naissance de la demanderesse présentée comme élément de preuve à la SPR et rejetée par ce tribunal en tant que document capable de prouver son identité. En bout de ligne, la SAR a conclu que selon son examen du procès-verbal de l’audience devant la SPR, y compris l'examen de l'enregistrement audio de l'audience de la demanderesse, il y avait [traduction] « suffisamment de preuve pour appuyer la décision générale de la SPR » et a rejeté l'appel.

IV.             OBSERVATIONS

A.                La demanderesse

[12]           Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse allègue que la SAR a déterminé de manière déraisonnable qu'elle n'avait pas réussi à établir son identité. Elle affirme que la SAR n'a pas tenu bien compte de ses tentatives pour obtenir les documents permettant d'établir son identité comme l'exige l'article 106 de la Loi.

[13]           L’article 106 est libellé comme suit :

106 La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106 The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

 

[14]           La demanderesse affirme que selon l'application correcte de l'article 106, la SPR doit déterminer d'abord si le demandeur a des papiers d'identité acceptables, et si ce n'est pas le cas, elle doit déterminer si le demandeur a pris les mesures voulues pour s'en procurer; voir les décisions dans Zheng c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (2008) 74 Imm. L.R. (3d) 28 (C.F.), au paragraphe 14 et Sow c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2015), 472 F.T.R. 303.

[15]           Le pouvoir de décision de la SAR est énoncé dans le paragraphe 111(1) de la Loi, lequel est libellé comme suit :

111 (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

 

111 (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal

Division shall make one of the following decisions:

[EN BLANC/BLANK]

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

 

[EN BLANC/BLANK]

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

 

[EN BLANC/BLANK]

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

 

[16]           À mon avis, cette disposition autorise implicitement la SAR à exercer certaines fonctions de la SPR, selon la nature de la question qui lui est soumise. Puisque la SAR est mandatée pour infirmer une décision de la SPR et y substituer sa propre décision, elle peut interpréter et appliquer l'article 106.

[17]           La SAR a conclu qu'il était raisonnable de croire que d'autres moyens s'offraient à la demanderesse pour établir son identité, mais n'a pas précisé quels étaient ces autres moyens. La demanderesse allègue que cette conclusion est sans fondement et arbitraire et équivaut à une erreur susceptible de révision; voir la décision Shafi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2005), 277 F.T.R. 104 (C.F.).

[18]           La demanderesse allègue également que l'évaluation indépendante qu'a fait la SAR de la photocopie de son certificat de naissance et de l'affidavit de Imam Daouda Sy était déraisonnable. Selon la demanderesse, la SAR a tiré des conclusions incohérentes concernant les raisons pour lesquelles la demanderesse a fait une photocopie de son certificat de naissance. Elle affirme en outre que la SAR n'a pas appliqué la présomption selon laquelle un document est présumé authentique; voir la décision Rasheed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 587.

[19]           La demanderesse conteste le peu de poids accordé par la SAR à l'affidavit d'Imam Daouda Sy. Elle affirme que l'affidavit donne de la crédibilité à son identité et à sa valeur.

[20]           La demanderesse allègue aussi que la SAR a manqué à l'équité procédurale en omettant de procéder à une audience orale, malgré le fait que sa crédibilité constituait une question d'importance. Elle affirme que la SAR a tiré plusieurs conclusions défavorables relativement à la crédibilité sans lui exposer ces préoccupations.

B.                 Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur)

[21]           Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable à l'évaluation des éléments de preuve faite par la SAR est celle de la décision raisonnable; voir Sow, précitée, et Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1022.

[22]           Le défendeur allègue qu'il incombait à la demanderesse d'établir son identité et que la SAR a déterminé de façon raisonnable qu'elle ne s'était pas acquittée de ce fardeau.

[23]           Le défendeur soutient que la SAR a pris en considération les éléments de preuve concernant les efforts de la demanderesse pour obtenir des documents établissant son identité et a conclu que ces efforts n'étaient pas raisonnables. Contrairement aux observations de la demanderesse, la SPR a précisé d'autres moyens par lesquels elle pourrait obtenir des papiers d'identité, y compris en communiquant avec les bureaux du gouvernement en Mauritanie. En outre, le défendeur prétend que la SAR n'a pas à préciser d'autres moyens.

[24]           Le défendeur allègue que la décision de la SAR était raisonnable, parce que la conclusion qu'elle a tirée, selon laquelle la demanderesse n'avait pas établi son identité, était fondée sur l'absence de documents crédibles et de témoignages crédibles.

[25]           En réponse à l'argument de la demanderesse selon lequel la SAR a tiré des conclusions incohérentes au sujet de son certificat de naissance, le défendeur affirme que le paragraphe 42 de la décision contient une erreur de typographie.

[26]           Le défendeur soutient que la SAR a rejeté de manière raisonnable la photocopie du certificat de naissance; voir les décisions dans Petlyuchenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 982, et Sedov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] ACF no 1667.

[27]           Enfin, le défendeur soutient qu'aucun manquement à l'équité procédurale n'a résulté d'un défaut de tenir une audience orale. Le paragraphe 110(6) de la Loi énonce à quel moment la SAR peut tenir une audience :

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

 

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

[28]           Le défendeur soutient que puisque la demanderesse n'a pas réussi à établir son identité, la SAR n'avait pas à examiner le fond de sa demande, y compris la crédibilité de la demanderesse.

[29]           Après l’audience de la présente demande de contrôle judiciaire le 1er février 2016, la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision répertoriée comme Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96. Conformément à une directive émise le 1er avril 2016, les parties ont eu l’occasion de présenter des observations sur l’application de cette décision à la présente affaire.

[30]           La demanderesse a déposé d'autres observations le 5 avril 2016, dans lesquelles elle allègue que la décision Singh, précitée, ne s'applique pas à la présente affaire, puisque cette décision traitait de l'admission d'éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la Loi.

[31]           Dans une lettre datée du 8 avril 2016, le défendeur a convenu que la décision Singh n'avait pas d'incidence sur la présente demande de contrôle judiciaire.

V.                DISCUSSION

[32]           La demanderesse soulève deux questions bien précises dans le cadre de la présente demande. D'abord, les questions d'équité procédurale sont sujettes à révision en regard de la norme de la décision correcte; voir la décision rendue au paragraphe 43 de l'arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339. La deuxième question s'applique, de manière générale, à la conclusion ultime de la SAR, selon laquelle elle n'avait pas réussi à établir son identité; il s'agit d'une question de fait susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable : voir la décision Sow, précitée, au paragraphe 9.

[33]           Les observations de la demanderesse à propos du manquement à l'équité procédurale concernent le refus de la SAR de tenir une audience orale de son appel, après qu'elle eut décidé d'accepter les nouveaux éléments de preuve présentés. Le fait que la SAR accepte de nouveaux éléments de preuve ne signifie pas automatiquement qu'une audience orale sera accordée. Je fais référence au paragraphe 110(6) de la Loi, cité plus haut.

[34]           À mon avis, cette disposition donne à la SAR le pouvoir discrétionnaire d'accorder ou non une audience orale, quand elle accepte de nouveaux éléments de preuve. Puisqu'elle jouit d'un pouvoir discrétionnaire, elle n'est pas obligée de tenir une audience orale, possiblement au motif qu'elle est convaincue de pouvoir trancher la question en litige sans tenir une audience.

[35]           Je ne suis pas convaincue que la décision de la SAR d'aller de l'avant sans tenir d'audience orale ait donné lieu à un manquement à l'équité procédurale.

[36]           La question suivante est celle-ci : la conclusion ultime de la SAR, selon laquelle la demanderesse n'a pas réussi à établir son identité au moyen d'éléments de preuve fiables et probants, est-elle raisonnable? À mon avis, elle l'est.

[37]           La SAR a examiné la photocopie du certificat de naissance présentée par la demanderesse. À mon avis, la présomption de validité qui s'applique généralement aux documents gouvernementaux officiels ne s'applique pas dans le cas d'une photocopie de ce type de documents.

[38]           J'ai examiné les affidavits présentés par la demanderesse. Je ne vois aucune erreur susceptible de révision dans les conclusions de la SAR selon lesquelles les affidavits étaient insuffisants pour dissiper les préoccupations quant à l'identité de la demanderesse.

[39]           Même si les nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse montrent ses efforts pour obtenir d'autres documents, je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur dans son évaluation de ces éléments de preuve. À mon avis, la demanderesse souhaite que la Cour réévalue les éléments de preuve dont disposait la SAR, ce qui n'est pas le rôle d'une cour de révision; voir l'arrêt Khosa, précité, au paragraphe 61.

[40]           La jurisprudence est bien établie; l'incapacité pour un demandeur d'établir son identité est fatale pour la prise en considération d'une demande d'asile; voir les décisions Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 et Hernandez Flores c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1138.

[41]           Ainsi, je suis convaincue qu'il n'a pas été démontré qu'une erreur susceptible de révision a été commise et la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée; aucune question n'est à certifier.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire, et aucune question n'est à certifier.

« E. Heneghan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3557-15

 

INTITULÉ :

DJENEBA SOW c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1 février 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Aadil Mangalji

Pour la demanderesse

 

Jelena Urosevic

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Long Mangalji LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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