Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20160602


Dossier : T-745-04

Référence : 2016 CF 618

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 juin 2016

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

PEMBINA COUNTY WATER

RESOURCE DISTRICT, DAKOTA DU NORD,

CITY OF PEMBINA, DAKOTA DU NORD,

TOWNSHIP OF PEMBINA, DAKOTA DU NORD,

TOWNSHIP OF WALHALLA, DAKOTA DU NORD,

CITY OF NECHE, DAKOTA DU NORD,

TOWNSHIP OF NECHE, DAKOTA DU NORD,

TOWNSHIP OF FELSON, DAKOTA DU NORD,

TOWNSHIP OF ST. JOSEPH, DAKOTA DU NORD, TIMOTHY L. WILWAND,

DENNIS K. SCHALER,

RICHARD MARGERUM ET

VERLINDA MARGERUM

demandeurs

et

GOUVERNEMENT DU MANITOBA, ET

MUNICIPALITÉ RURALE DE RHINELAND

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   LES REQUÊTES

[1]               La défenderesse, la municipalité rurale de Rhineland [Rhineland], cherche à obtenir une ordonnance de radiation de la déclaration modifiée des demandeurs à l’encontre de Rhineland au motif que la Cour fédérale n’a pas compétence sur l’objet de la déclaration modifiée.

[2]               Le défendeur, le gouvernement du Manitoba [Manitoba], cherche aussi à obtenir une ordonnance de radiation de la déclaration modifiée des demandeurs à l’encontre du Manitoba au motif que la Cour fédérale n’a pas compétence sur les objets de la déclaration modifiée. De plus, le Manitoba cherche aussi à modifier sa défense pour y ajouter ce qui suit :

[traduction]

13.       En réponse aux allégations exposées au paragraphe 15 de la déclaration modifiée et en réponse à la déclaration modifiée dans son ensemble, le Manitoba déclare que l’article 4 de la Loi du traité des eaux limitrophes internationales s’applique uniquement aux voies navigables dont le cours naturel coupe la frontière entre le Canada et les États-Unis. Les allégations dans la déclaration modifiée concernent uniquement les voies navigables dont le cours naturel coupe censément la frontière en provenance des États-Unis vers le Canada. Par conséquent, la Cour fédérale n’a pas compétence sur les allégations en l’espèce. Le Manitoba invoque les articles 4 et 5 de la Loi du traité des eaux limitrophes internationales, sur lesquels il s’appuie.

[3]               Il est évident que l’objet des deux requêtes est de mettre un terme à la présente action au motif que l’objet de la requête des demandeurs ne relève pas de la compétence de la Cour fédérale.

II.                CONTEXTE

[4]               La présente action a été instituée en avril 2004 et concerne certains remblais de la réserve routière qui comprend la frontière sud de Rhineland au nord de la frontière entre le Manitoba et le Dakota du Nord. Essentiellement, les demandeurs allèguent que, à partir de 1940 approximativement, des parties de la réserve routière ont été aménagées de façon à servir de digue qui bloque le cours naturel de l’eau qui traverse la frontière vers le nord, au Manitoba, et est la cause – du moins en partie – d’inondations et de dommages importants aux terres des demandeurs du côté américain de la frontière internationale. Les demandeurs cherchent à obtenir une injonction pour que la digue soit éliminée ainsi qu’une indemnisation concernant les dommages qu’ils allèguent avoir subis en raison du blocage de l’eau par la digue, et de l’inondation qui a suivi.

[5]               Les allégations des demandeurs se fondent sur le paragraphe 4(1) de la Loi du traité des eaux limitrophes internationales, LRC, 1985, ch. I-17 [LTELI] et la compétence expressément conférée à la Cour fédérale par l’article 5 de la LTELI.

III.             DISPOSITIONS DU TRAITÉ, RÈGLES ET LOIS PERTINENTES

[6]               Les deux requêtes en radiation sont déposées en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles des Cours fédérales], qui est rédigé comme suit :

Requête en radiation

Motion to strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

[...]

[...]

[7]               La requête en modification du Manitoba est régie par l’article 75 des Règles des Cours fédérales qui est rédigé comme suit :

Modifications avec autorisation

Amendments with leave

75 (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle 76, la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.

75 (1) Subject to subsection (2) and rule 76, the Court may, on motion, at any time, allow a party to amend a document, on such terms as will protect the rights of all parties.

Conditions

Limitation

(2) L’autorisation visée au paragraphe (1) ne peut être accordée pendant ou après une audience que si, selon le cas :

(2) No amendment shall be allowed under subsection (1) during or after a hearing unless

a) l’objet de la modification est de faire concorder le document avec les questions en litige à l’audience;

(a) the purpose is to make the document accord with the issues at the hearing;

b) une nouvelle audience est ordonnée;

(b) a new hearing is ordered; or

c) les autres parties se voient accorder l’occasion de prendre les mesures préparatoires nécessaires pour donner suite aux prétentions nouvelles ou révisées.

(c) the other parties are given an opportunity for any preparation necessary to meet any new or amended allegations.

[8]               Les articles 4 et 5 de la LTELI sont rédigés comme suit :

Altération des eaux internationales

Interference with international waters

4 (1) Toute altération, notamment par détournement, des voies navigables du Canada, dont le cours naturel coupe la frontière entre le Canada et les États-Unis ou se jette dans des eaux limitrophes, au sens du traité, qui cause un préjudice du côté de la frontière des États-Unis, confère les mêmes droits et accorde les mêmes recours judiciaires aux parties lésées que si le préjudice avait été causé dans la partie du Canada où est survenue l’altération.

4 (1) Any interference with or diversion from their natural channel of any waters in Canada, which in their natural channels would flow across the boundary between Canada and the United States or into boundary waters, as defined in the treaty, resulting in any injury on the United States side of the boundary, gives the same rights and entitles the injured parties to the same legal remedies as if the injury took place in that part of Canada where the interference or diversion occurs.

Exception

Exception

(2) Les cas survenus jusqu’au 11 janvier 1909 inclusivement et ceux qui sont expressément régis par la convention spéciale intervenue entre Sa Majesté et le gouvernement des États-Unis sont soustraits à l’application du paragraphe (1).

(2) Subsection (1) does not apply to cases existing on January 11, 1909 or to cases expressly covered by special agreement between Her Majesty and the Government of the United States.

Compétence de la Cour fédérale

Federal Court jurisdiction

5 La Cour fédérale peut être saisie par toute personne lésée ou se constituant en demandeur sous le régime de la présente loi, dans tous les cas visant la mise à exécution ou la détermination de quelque droit ou obligation découlant de la présente loi ou contesté sous son régime.

5 The Federal Court has jurisdiction at the suit of any injured party or person who claims under this Act in all cases in which it is sought to enforce or determine as against any person any right or obligation arising or claimed under or by virtue of this Act.

[9]               Les dispositions suivantes du traité des eaux limitrophes [traité] sont également pertinentes :

Article II

Article II

Chacune des Hautes parties contractantes se réserve à elle-même ou réserve au Gouvernement des différents États, d’un côté, et au Dominion ou aux gouvernements provinciaux, de l’autre, selon le cas, subordonnément aux articles de tout traité existant à cet égard, la juridiction et l’autorité exclusive quant à l’usage et au détournement, temporaires ou permanents, de toutes les eaux situées de leur propre côté de la frontière et qui, en suivant leur cours naturel, couleraient au-delà de la frontière ou se déverseraient dans des cours d’eaux limitrophes, mais il est convenu que toute ingérence dans ces cours d’eau ou tout détournement de leur cours naturel de telles eaux sur l’un ou l’autre côté de la frontière, résultant en un préjudice pour les habitants de l’autre côté de cette dernière, donnera lieu aux mêmes droits et permettra aux parties lésées de se servir des moyens que la loi met à leur disposition tout autant que si telle injustice se produisait dans le pays où s’opère cette ingérence ou ce détournement; mais cette disposition ne s’applique pas au cas déjà existant non plus qu’à ceux qui ont déjà fait expressément l’objet de conventions spéciales entre les deux parties concernées.

Each of the High Contracting Parties reserves to itself or to the several State Governments on the one side and the Dominion or Provincial Governments on the other as the case may be, subject to any treaty provisions now existing with respect thereto, the exclusive jurisdiction and control over the use and diversion, whether temporary or permanent, of all waters on its own side of the line which in their natural channels would flow across the boundary or into boundary waters; but it is agreed that any interference with or diversion from their natural channel of such waters on either side of the boundary, resulting in any injury on the other side of the boundary, shall give rise to the same rights and entitle the injured parties to the same legal remedies as if such injury took place in the country where such diversion or interference occurs; but this provision shall not apply to cases already existing or to cases expressly covered by special agreement between the parties hereto.

Il est entendu cependant, que ni l’une ni l’autre des Hautes parties contractantes n’a l’intention d’abandonner par la disposition ci-dessus aucun droit qu’elle peut avoir à s’opposer à toute ingérence ou tout détournement d’eau sur l’autre côté de la frontière dont l’effet serait de produire un tort matériel aux intérêts de la navigation sur son propre côté de la frontière.

It is understood, however, that neither of the High Contracting Parties intends by the foregoing provision to surrender any right, which it may have, to object to any interference with or diversions of waters on the other side of the boundary the effect of which would be productive of material injury to the navigation interests on its own side of the boundary.

Article III

Article III

Il est convenu que, outre les usages, obstructions et détournements permis jusqu’ici ou autorisés ci-après, par convention spéciale entre les parties, aucun usage ou obstruction ou dé- tournement nouveaux ou autres, soit temporaires ou permanents des eaux limitrophes, d’un côté ou de l’autre de la frontière, influençant le débit ou le niveau naturels des eaux limitrophes de l’autre côté de la frontière, ne pourront être effectués si ce n’est par l’autorité des États-Unis ou du Dominion canadien dans les limites de leurs territoires respectifs et avec l’approbation, comme il est prescrit ci-après, d’une commission mixte qui sera désignée sous le nom de « Commission mixte internationale ».

It is agreed that, in addition to the uses, obstructions, and diversions heretofore permitted or hereafter provided for by special agreement between the Parties hereto, no further or other uses or obstructions or diversions, whether temporary or permanent, of boundary waters on either side of the line, affecting the natural level or flow of boundary waters on the other side of the line, shall be made except by authority of the United States or the Dominion of Canada within their respective jurisdictions and with the approval, as hereinafter provided, of a joint commission, to be known as the International Joint Commission.

Les stipulations ci-dessus ne sont pas destinées à restreindre ou à gêner l’exercice des droits existants dont le gouvernement des États-Unis, d’une part, et le gouvernement du Dominion, de l’autre, sont investis en vue de l’exécution de travaux publics dans les eaux limitrophes, pour l’approfondissement des chenaux, la construction de brise‑lames, l’amélioration des ports, et autres entreprises du gouvernement dans l’intérêt du commerce ou de la navigation, pourvu que ces travaux soient situés entièrement sur son côté de la frontière et ne modifient pas sensiblement le niveau ou le débit des eaux limitrophes de l’autre, et ne sont pas destinées non plus à gêner l’usage ordinaire de ces eaux pour des fins domestiques ou hygiéniques.

The foregoing provisions are not intended to limit or interfere with the existing rights of the Government of the United States on the one side and the Government of the Dominion of Canada on the other, to undertake and carry on governmental works in boundary waters for the deepening of channels, the construction of breakwaters, the improvement of harbors, and other governmental works for the benefit of commerce and navigation, provided that such works are wholly on its own side of the line and do not materially affect the level or flow of the boundary waters on the other, nor are such provisions intended to interfere with the ordinary use of such waters for domestic and sanitary purposes.

Article IV

Article IV

Les Hautes parties contractantes conviennent, sauf pour les cas spécialement prévus par un accord entre elles, de ne permettre, chacun de son côté, dans les eaux qui sortent des eaux limitrophes, non plus que dans les eaux inférieures des rivières qui coupent la frontière, l’établissement ou le maintien d’aucun ouvrage de protection ou de réfection, d’aucun barrage ou autre obstacle dont l’effet serait d’exhausser le niveau naturel des eaux de l’autre côté de la frontière, à moins que l’établissement ou le maintien de ces ouvrages n’ait été approuvé par la Commission mixte internationale.

The High Contracting Parties agree that, except in cases provided for by special agreement between them, they will not permit the construction or maintenance on their respective sides of the boundary of any remedial or protective works or any dams or other obstructions in waters flowing from boundary waters or in waters at a lower level than the boundary in rivers flowing across the boundary, the effect of which is to raise the natural level of waters on the other side of the boundary unless the construction or maintenance thereof is approved by the aforesaid International Joint Commission.

Il est de plus convenu que les eaux définies au présent traité comme eaux limitrophes non plus que celles qui coupent la frontière ne seront d’aucun côté contaminées au préjudice des biens ou de la santé de l’autre côté.

It is further agreed that the waters herein defined as boundary waters and waters flowing across the boundary shall not be polluted on either side to the injury of health or property on the other.

IV.             ARGUMENTS

A.                Défendeurs

[10]           Selon l’essentiel des deux requêtes en radiation, la Cour fédérale n’a pas la compétence pour régler les allégations avancées par les demandeurs. La raison est que l’article 5 de la LTELI ne confère la compétence à la Cour fédérale que dans les cas [traduction] « visant la mise à exécution ou la détermination de quelque droit ou obligation découlant de la présente loi ou contesté sous son régime ». Les droits et obligations que les demandeurs cherchent à faire appliquer sont prévus à l’article 4 de la LTELI.

[11]           Les défendeurs disent qu’à la lecture de l’article 4 de la LTELI dans tout son contexte, il est évident et manifeste que l’article ne concerne que les eaux dans leur cours naturel au Canada qui s’écouleraient vers les États-Unis, mais qui en ont été empêchées en raison d’une altération ou d’un détournement au Canada. Selon les défendeurs, cela signifie que le paragraphe 4(1) de la LTELI ne s’applique nullement, et n’est ni censé s’appliquer, à l’altération ou au détournement de voies navigables qui couperaient par ailleurs la frontière en provenance des États-Unis vers le Canada, qui est le fondement des allégations énoncées dans la déclaration modifiée des demandeurs.

[12]           Selon les défendeurs, lorsque l’on examine le contexte législatif complet du paragraphe 4(1) de la LTELI, il est évident et manifeste que le paragraphe 4(1) n’a rien à voir avec l’altération ou le détournement allégué de voies navigables dont le cours naturel va des États-Unis au Canada. Le paragraphe 4(1) ne traite que de la situation opposée, à savoir l’altération de voies navigables du Canada dont le cours naturel couperait la frontière en provenance du Canada vers les États-Unis.

[13]           Selon les défendeurs, les demandeurs allèguent dans leur déclaration modifiée que les voies navigables dont le cours naturel les amène des États-Unis au Canada ont été bloquées par une ou des digues qui ont été construites sur des parties de la réserve routière du côté canadien de la frontière. Les demandeurs allèguent également que la ou les digues ont été construites dans le but de bloquer les voies navigables dont le cours naturel les amène au Canada, sachant que l’eau qui par ailleurs coulerait vers le Canada serait retournée aux États-Unis. Les défendeurs disent qu’aucune disposition du paragraphe 4(1) ou toute autre disposition de la LTELI ne donne aux demandeurs les droits et réparations qu’ils peuvent exécuter au Canada ou « quelque droit ou obligation découlant de la présente loi ou contesté sous son régime » sur lequel la Cour fédérale a compétence.

[14]           En ce qui concerne sa modification proposée, le Manitoba signale que la modification vise à soulever officiellement la question de la compétence et ne concerne aucun nouveau fait. Aucune autre divulgation ne sera nécessaire parce qu’elle concerne une question de droit pure et, de toute façon, la compétence de la Cour fédérale pour trancher ce différend doit être réglée, même si elle n’a pas été précisément soulevée dans les actes de procédure.

B.                 Demandeurs

[15]           Les demandeurs disent que les arguments des défendeurs se fondent sur une interprétation étroite et stricte de la LTELI. Ils disent qu’une telle interprétation mène à des résultats absurdes et ne peut pas être réconciliée avec la LTELI, le traité ou d’autres lois fédérales.

[16]           Les demandeurs ajoutent qu’une lecture simple et téléologique du traité et de la LTELI indique clairement que la Cour fédérale a la compétence voulue pour trancher cette affaire. En outre, toutes les aides extrinsèques à l’interprétation renforcent le fait que l’article 4 de la LTELI accorde aux demandeurs un recours en conséquence de la conduite des défendeurs au Canada, et ce recours ne dépend pas du sens de l’écoulement de l’eau à la frontière.

V.                ANALYSE

A.                Introduction

[17]           La présente action a été instituée en 2004 et, pourtant, la question fondamentale de compétence vient tout juste d’être soumise à l’examen de la Cour. Le procès a duré trois semaines et les demandeurs ont présenté les éléments de preuve pour l’ensemble de leur cause, sauf quelques détails qui seront réglés lorsque la Cour reprendra ses travaux pour terminer le procès en octobre 2016.

[18]           Les défendeurs ont soulevé la question de la compétence dans leur déclaration liminaire le premier jour du procès. Les demandeurs ont été pris de court et des discussions ont suivi à savoir si des éléments de preuve devraient être présentés avant que la Cour ne rende une décision sur la compétence. En fin de compte – et je pense que c’était approprié – les parties ont convenu que les demandeurs devraient être autorisés à présenter leurs éléments de preuve et leurs observations. Beaucoup de travail a été consacré à la préparation du procès et l’affaire des demandeurs aurait pu être compromise si le procès avait été repoussé pour une longue période afin de trancher la question de la compétence.

[19]           Dans un sens, on peut comprendre la surprise des demandeurs du fait que les défendeurs s’appuient maintenant sur la compétence pour avoir gain de cause. Le Manitoba n’a rien dit dans sa défense au sujet de la compétence et cherche maintenant seulement à obtenir une modification pour l’y inclure. Au paragraphe 14 de sa défense, Rhineland nie que la LTELI s’applique, mais ne soulève pas directement le défaut de compétence comme défense. Il semble passablement évident que les défendeurs auraient pu soulever la question de la compétence dans les premières étapes de l’acte de procédure de sorte qu’elle aurait été réglée avant que l’une ou l’autre des parties engage sans aucun doute des coûts importants pour amener cette affaire jusqu’au procès. Les défendeurs disent qu’ils ont pris conscience de la question seulement lorsqu’ils ont commencé à examiner les lois et le traité en détail, dans le cadre de leurs préparatifs pour le procès.

[20]           La question de la compétence aurait pu être tranchée au titre des actes de procédure seulement, et elle ne nécessitait pas de communications préalables, ni d’autres éléments de preuve. La Cour ne sera pas mieux placée pour trancher la présente affaire après la tenue d’un procès en règle qu’elle ne l’aurait été lorsque la déclaration a été déposée ou, effectivement, qu’elle ne l’est en ce moment, alors que les demandeurs ont presque fini de présenter toutes leurs observations et que la Cour n’a pas encore commencé à entendre les éléments de preuve des défendeurs. Par conséquent, je ne vois pas l’intérêt d’aller plus loin maintenant que les demandeurs ont présenté leurs éléments de preuve et le risque d’un retard incombe aux défendeurs, qui n’ont pas encore présenté un seul élément de preuve au procès, mais qui ont décidé maintenant de présenter une requête en radiation.

[21]           La jurisprudence semble claire; une requête en radiation, en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles, peut être présentée à n’importe quel moment d’un acte de procédure. Voir les décisions Première nation Dene Tsaa c. Canada, [2001] CFPI no 1177; Safilo Canada Inc c. Contour Optik Inc, 2005 CF 278, au paragraphe 21; Lebrasseur c. Canada, 2006 CF 852, au paragraphe 19 [Lebrasseur]; Verdicchio c. Canada, 2010 CF 117, aux paragraphes 19 et 20; Robertson c. Beauvais, 2011 CF 378, au paragraphe 7 [Robertson].

[22]           Il semble également clair qu’il n’est pas interdit aux défendeurs de contester la compétence de la Cour parce qu’ils ont tardé à présenter la présente requête, ou parce qu’ils ont déposé leur défense. Voir la décision Robertson, précitée, au paragraphe 7.

[23]           La juge MacTavish a aussi dit clairement dans la décision Lebrasseur, précitée, au paragraphe 19, qu’un retard ne peut pas conférer une compétence à la Cour qui par ailleurs n’existe pas. De fait, il semblerait que la compétence est une question que la Cour doit examiner elle-même, même si cette question n’est pas soulevée dans l’acte de procédure. Voir Okanagan Helicopters Ltd c. Canadian Pacific Ltd, [1974] 1 CF 465, au paragraphe 3. Il me semble donc qu’il n’y a d’autre solution réelle que de trancher cette question maintenant.

[24]           La jurisprudence est également claire, le critère pour radier une demande aux termes de l’alinéa 221(1)a) des Règles pour défaut de compétence est de savoir s’il est évident et manifeste que la demande ne peut pas être accueillie. Voir les décisions Nation Siksika c. Conseil de la Nation Siksika, [2003] ACF no 911, au paragraphe 13; Robertson, précitée, au paragraphe 8; Lebrasseur, précitée, au paragraphe 14.

[25]           Il est bien établi en droit que la Cour fédérale ne peut pas acquérir de compétence, à moins que les conditions suivantes ne soient remplies :

a)      il y a attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral;

b)      il existe un ensemble de règles de droit fédérales qui est essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence;

c)      la loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » conformément à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Voir les décisions Hodgson c. Ermineskin Indian Band no 942, [2000] ACF no 313, 180 FTR 285 (CF 1re inst.), conf. (2000) ACF no 2042 (CAF), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée [2001] CSCR no 67 (QL), au paragraphe 11.

[26]           Dans leur déclaration modifiée, les demandeurs renvoient aux droits en common law et s’y fondent dans une certaine mesure, mais il est évident que ce qui les amène devant la Cour fédérale, c’est la LTELI :

[traduction]

13.       Les demandeurs disent qu’en 1940 ou aux environs de 1940, une ou des digues ont été construites sur des parties de la réserve routière dans le but de bloquer l’eau ou de l’empêcher de suivre son cours naturel et de s’écouler au Canada. Depuis 1940, la réserve routière a été continuellement augmentée et prolongée en tant que digue de sorte que la digue située sur la réserve routière s’étend vers l’ouest à partir d’un point à la frontière sud à Emerson jusqu’à Montcalm et Rhineland sur environ 30 milles, plus ou moins, à un point sur la frontière sud de Stanley.

14.       Les demandeurs disent que ladite réserve routière a été construite en tant que digue par les défendeurs municipaux ou avec leur connaissance et consentement, explicite ou implicite. Subsidiairement, les demandeurs disent en outre que la construction de la digue, comme on le mentionne plus haut, a été faite dans un but unique et explicite de bloquer les voies navigables dont le cours naturel les amène au Canada, sachant que l’eau qui par ailleurs coulerait vers le Canada serait retournée aux États-Unis et, plus précisément, les terres situées dans les cantons de Pembina, Neche, Felson, St. Joseph, Walhalla, Joliette, Lincoln and Drayton et dans les villes de Pembina, Neche, Walhalla and Drayton, sachant de toute évidence que des dommages seraient occasionnés aux propriétaires et occupants des terres qui s’y trouvent, y compris les demandeurs, et aux biens immobiliers appartenant à ces derniers.

15.       Les demandeurs disent que la digue construite par les défendeurs municipaux, ou avec leur connaissance ou consentement, est illégale et contraire à la common law établie qui empêche un propriétaire foncier ou un occupant d’altérer l’écoulement de l’eau dans un cours naturel.

16.       En outre, les demandeurs invoquent l’article 4 de la Loi du traité des eaux limitrophes internationales, L.R.C. 1985, ch. 1-17, sur lequel ils se fondent et qui dispose ce qui suit :

4.(1) Toute altération, notamment par détournement, des voies navigables du Canada, dont le cours naturel coupe la frontière entre le Canada et les États-Unis ou se jette dans des eaux limitrophes, au sens du traité, qui cause un préjudice du côté de la frontière des États-Unis, confère les mêmes droits et accorde les mêmes recours judiciaires aux parties lésées que si le préjudice avait été causé dans la partie du Canada où est survenue l’altération.

[27]           La Cour fédérale acquiert la compétence sur des affaires découlant de l’article 4 en vertu de l’article 5 de la LTELI :

Compétence de la Cour fédérale

Federal Court jurisdiction

5 La Cour fédérale peut être saisie par toute personne lésée ou se constituant en demandeur sous le régime de la présente loi, dans tous les cas visant la mise à exécution ou la détermination de quelque droit ou obligation découlant de la présente loi ou contesté sous son régime.

5 The Federal Court has jurisdiction at the suit of any injured party or person who claims under this Act in all cases in which it is sought to enforce or determine as against any person any right or obligation arising or claimed under or by virtue of this Act.

[28]           Les défendeurs disent qu’il est évident et manifeste que les demandeurs ne peuvent pas acquérir de droits et de recours au Canada, et que la Cour ne peut pas acquérir la compétence dans la présente action, parce que la requête des demandeurs ne relève pas de la portée de l’article 4 ou de n’importe quelle autre disposition de la LTELI. Autrement dit, les défendeurs disent qu’il n’y a aucune attribution de compétence par une loi à la Cour fédérale pour trancher la présente requête.

[29]           À ce moment-ci de la procédure, la question dont la Cour est saisie est de savoir s’il est évident et manifeste que la requête des demandeurs ne relève pas de la portée de l’article 4 de la LTELI de sorte qu’elle ne peut pas constituer une cause d’action raisonnable parce que la Cour fédérale n’a pas compétence pour la trancher.

B.                 Interprétation législative

[30]           Les parties s’entendent pour dire que les principes à appliquer dans l’interprétation d’une loi nationale sont clairs et bien établis : les mots d’une loi doivent être lus dans leur contexte intégral et dans leur sens grammatical en harmonie avec l’esprit et l’objet de la loi et l’intention du législateur. Voir, par exemple, Celgene Corp c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, au paragraphe 21 :

Les parties se sont toutes les deux appuyées sur la démarche utilisée dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada., 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 (C.S.C.), au par. 10, qui a confirmé que l’interprétation législative comporte un examen de la signification ordinaire des mots utilisés et du contexte législatif dans lequel ils se trouvent :

Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux. [par. 10.]

S’il est clair, le libellé prévaut; sinon, il cède le pas à l’interprétation qui convient le mieux à l’objet prédominant de la loi.

[31]           En l’espèce, l’article 4 de la LTELI découle de l’article II du traité qui est rédigé comme suit :

Article II

Article II

Chacune des Hautes parties contractantes se réserve à elle-même ou réserve au Gouvernement des différents États, d’un côté, et au Dominion ou aux gouvernements provinciaux, de l’autre, selon le cas, subordonnément aux articles de tout traité existant à cet égard, la juridiction et l’autorité exclusive quant à l’usage et au détournement, temporaires ou permanents, de toutes les eaux situées de leur propre côté de la frontière et qui, en suivant leur cours naturel, couleraient au-delà de la frontière ou se déverseraient dans des cours d’eaux limitrophes, mais il est convenu que toute ingérence dans ces cours d’eau ou tout détournement de leur cours naturel de telles eaux sur l’un ou l’autre côté de la frontière, résultant en un préjudice pour les habitants de l’autre côté de cette dernière, donnera lieu aux mêmes droits et permettra aux parties lésées de se servir des moyens que la loi met à leur disposition tout autant que si telle injustice se produisait dans le pays où s’opère cette ingérence ou ce détournement; mais cette disposition ne s’applique pas au cas déjà existant non plus qu’à ceux qui ont déjà fait expressément l’objet de conventions spéciales entre les deux parties concernées.

Each of the High Contracting Parties reserves to itself or to the several State Governments on the one side and the Dominion or Provincial Governments on the other as the case may be, subject to any treaty provisions now existing with respect thereto, the exclusive jurisdiction and control over the use and diversion, whether temporary or permanent, of all waters on its own side of the line which in their natural channels would flow across the boundary or into boundary waters; but it is agreed that any interference with or diversion from their natural channel of such waters on either side of the boundary, resulting in any injury on the other side of the boundary, shall give rise to the same rights and entitle the injured parties to the same legal remedies as if such injury took place in the country where such diversion or interference occurs; but this provision shall not apply to cases already existing or to cases expressly covered by special agreement between the parties hereto.

Il est entendu cependant, que ni l’une ni l’autre des Hautes parties contractantes n’a l’intention d’abandonner par la disposition ci-dessus aucun droit qu’elle peut avoir à s’opposer à toute ingérence ou tout détournement d’eau sur l’autre côté de la frontière dont l’effet serait de produire un tort matériel aux intérêts de la navigation sur son propre côté de la frontière.

It is understood, however, that neither of the High Contracting Parties intends by the foregoing provision to surrender any right, which it may have, to object to any interference with or diversions of waters on the other side of the boundary the effect of which would be productive of material injury to the navigation interests on its own side of the boundary.

[32]           Les défendeurs disent que le libellé de l’article 4 de la LTELI est précis et sans équivoque et doit donc jouer un rôle dominant dans le processus d’interprétation. À leur avis, une lecture ordinaire de l’article 4 de la LTELI indique qu’il est évident qu’il ne concerne que les eaux dans leur cours naturel du Canada qui s’écouleraient vers les États-Unis, mais qui n’ont pu le faire en raison d’une altération ou d’un détournement au Canada. Cela signifie que l’article 4 de la LTELI ne s’applique pas en l’espèce, qui se fonde de toute évidence sur le blocage de l’eau qui s’écoule des États-Unis vers le Canada. L’objectif principal de la présente poursuite est d’éliminer la digue qui ferait obstacle du côté canadien de la frontière afin que les eaux puissent s’écouler librement vers le nord, au Canada.

[33]           L’article 4 de la LTELI se fonde sur l’article II du traité, qui a été signé à Washington le 11 janvier 1909 et qui indique clairement, selon les défendeurs, que l’article 4 concerne uniquement les voies navigables qui coupent la frontière vers le sud, et n’englobe donc pas la prémisse de base de la requête des demandeurs.

[34]           Personne ne conteste le fait que la requête se fonde sur l’altération ou le détournement des « voies navigables du Canada ». Il existe cependant un différend quant à savoir si ces voies navigables sont détournées « de leur cours naturel ». Je ne suis pas encore saisi de la question de sorte que, si je rejette les présentes requêtes en radiation, les demandeurs pourraient tout de même être confrontés à des problèmes juridictionnels plus tard dans le processus, lorsque la Cour aura entendu et pris en considération tous les éléments de preuve sur ce point. Par contre, dans les présentes requêtes, c’est le sens de l’écoulement de l’eau qui est le centre d’intérêt juridictionnel.

[35]           Les défendeurs disent qu’il est évident et manifeste que l’article 4 de la LTELI n’englobe que les voies navigables s’écoulant du Canada vers les États-Unis et font valoir le libellé de la version anglaise « which in their natural channels would flow across the boundary between Canada and the United States [...] » (dont le cours naturel coupe la frontière entre le Canada et les États-Unis [...]) Les défendeurs disent que le libellé fait clairement référence à l’écoulement de l’eau du Canada vers les États-Unis. Les demandeurs disent que [traduction] « ce n’est pas le cas » qu’il fait clairement référence à l’eau qui s’écoule dans les deux directions, qu’il englobe donc un blocage de l’écoulement au Canada qui empêche l’eau de franchir la frontière en provenance des États-Unis vers le Canada, ce qui est le fondement de la présente action.

[36]           Pour ce qui est de la version anglaise, au sens ordinaire et grammatical, il me semble qu’en vertu de l’article 4, les « voies navigables » doivent être au Canada lorsque le blocage survient, et si les voies navigables ne peuvent pas couler vers le nord (c’est-à-dire l’allégation de la requête), elles ont déjà alors franchi la frontière avant d’être bloquées. Donc, il ne peut pas s’agir de voies navigables dont le cours naturel « coupe la frontière ». Il est vrai qu’un tel blocage pourrait occasionner une accumulation d’eau du côté américain de la frontière, mais si l’eau s’accumule aux États-Unis, elle ne peut pas alors constituer des « voies navigables du Canada ».

[37]           L’article 4 de la LTELI ne dit pas précisément « dont le cours naturel coupe la frontière (en provenance du) Canada et (en direction des) États-Unis [...] » Mais il est évident que l’article 4 n’englobe que les « voies navigables du Canada ». Ce ne sont pas les voies navigables du Canada qui sont la source alléguée des dommages aux biens des demandeurs en l’espèce. Ce sont les voies navigables qui restent aux États-Unis et qui ne franchissent pas la frontière vers le nord. Les demandeurs allèguent que ces voies navigables ne franchissent pas la frontière parce que leur cours naturel a été bloqué du côté canadien. Même si l’on peut justifier cet argument dans les éléments de preuve, ces voies navigables ne sont pas des « voies navigables du Canada ». S’il s’agissait de voies navigables du Canada, elles ne pourraient pas inonder les terres des demandeurs. On pourrait alléguer que c’est l’altération ou le détournement de « voies navigables du Canada » qui fait en sorte que l’eau s’accumule aux États-Unis et endommage les terres des demandeurs, mais cela signifie qu’il ne s’agit pas de voies navigables qui franchissent la frontière qui sont la cause des dommages; ce sont les voies navigables des États-Unis qui ne franchissent pas la frontière vers le nord.

[38]           Le libellé de la version française du paragraphe 4(1) de la LTELI est rédigé comme suit :

4 (1) Toute altération, notamment par détournement, des voies navigables du Canada, dont le cours naturel coupe la frontière entre le Canada et les États-Unis ou se jette dans des eaux limitrophes, au sens du traité, qui cause un préjudice du côté de la frontière des États-Unis, confère les mêmes droits et accorde les mêmes recours judiciaires aux parties lésées que si le préjudice avait été causé dans la partie du Canada où est survenue l’altération.

(2) Les cas survenus jusqu’au 11 janvier 1909 inclusivement et ceux qui sont expressément régis par la convention spéciale intervenue entre Sa Majesté et le gouvernement des États-Unis sont soustraits à l’application du paragraphe (1).

[39]           Force est de constater que la version française est un peu différente de la version anglaise. Il me semble que l’on peut faire les distinctions suivantes :

a)      La version française mentionne « des voies navigables du Canada, » tandis que la version anglaise mentionne « any waters in Canada »;

b)      Dans la première distinction, on remarque aussi que la version française utilise « du Canada, » tandis que la version anglaise utilise « in Canada »;

c)      En français, les verbes performatifs sont au présent (« coupe » et « se jette ») tandis que la version anglaise dit « would flow »;

d)     La version anglaise utilise « any interference or diversion » tandis que la version française mentionne « toute altération » mais précise aussi « notamment par détournement ».

[40]           Les parties s’entendent au sujet des règles et principes juridiques qui s’appliquent lorsque l’on compare les versions anglaise et française d’une loi.

[41]           L’article 13 de la Loi sur les langues officielles, LRC, 1985, ch. 31 (4e suppl.) dit clairement que les deux versions ont également force de loi ou même valeur.

[42]           Lorsque des divergences surviennent entre les différentes versions, elles doivent être réconciliées conformément au principe du « sens commun » établi dans R c. Daoust, 2004 CSC 6, aux paragraphes 26 à 31 [Daoust]. Dans R c. Quesnelle, 2014 CSC 46, au paragraphe 53, la Cour suprême du Canada a aussi fait référence au principe du « sens commun ». Selon ma compréhension de ce principe, la Cour doit – en cas de désaccord entre les deux versions – tenter de découvrir un sens commun. Comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Daoust, précité :

28        Il faut vérifier s’il y a ambiguïté, c’est-à-dire si une ou les deux versions de la loi sont « raisonnablement susceptible[s] de donner lieu à plus d’une interprétation » : Bell ExpressVu, précité, par. 29. S’il y a ambiguïté dans une version de la disposition et pas dans l’autre, il faut tenter de concilier les deux versions, c’est‑à‑dire chercher le sens qui est commun aux deux versions : Côté, précité, p. 413. Le sens commun favorisera la version qui n’est pas ambiguë, la version qui est claire : Côté, précité, p. 413‑414; voir Goodyear Tire and Rubber Co. of Canada c. T. Eaton Co., [1956] R.C.S. 610, p. 614; Kwiatkowsky c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1982] 2 R.C.S. 856, p. 863.

[43]           L’arrêt Daoust enseigne aussi (au paragraphe 29) que si aucune des deux versions n’est ambiguë, ou si elles le sont toutes deux, le sens commun favorisera normalement la version la plus restrictive.

[44]           Il semble aussi évident qu’en vérifiant le sens commun, ou en décidant de la version à privilégier s’il n’y a aucun sens commun, la Cour peut s’appuyer sur les techniques habituelles d’interprétation pour réaliser une analyse textuelle, contextuelle et téléologique qui renverra à des outils extrinsèques admissibles pour déterminer l’intention du législateur. Voir Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd.), au paragraphe 5.55.

[45]           Si j’applique ces principes en l’espèce, il me semble que bien qu’il y ait des distinctions claires sur le plan terminologique entre les versions française et anglaise du paragraphe 4(1) de la LTELI, leur sens ordinaire ou commun concernant les questions en litige dans la présente demande demeure le même. Fondamentalement, que nous parlions de « voies navigables » ou de « any waters, » la loi concerne les voies navigables « du Canada ». Le mot « du » dans la version française pourrait avoir une signification possessive, mais, dans le contexte, il semble évident que la signification géographique est envisagée. D’ailleurs, comme je l’ai dit plus tôt, les problèmes dont se plaignent les demandeurs dans la présente action ne sont pas reliés aux voies navigables du Canada qui franchissent la frontière ou qui l’ont franchie. Ils sont causés par l’eau aux États-Unis qui s’accumule au Dakota du Nord et qui ne franchit pas la frontière.

[46]           En l’espèce, je pense que le sens commun des deux versions aux fins utiles des deux requêtes est évident.

[47]           Autrement dit, je ne vois pas comment éviter la conclusion selon laquelle le libellé de l’article 4 est suffisamment précis et sans équivoque au point que le sens ordinaire de ces mots doit jouer un rôle important dans l’interprétation. Je ne pense pas que les mots ensemble puissent étayer plus d’un sens raisonnable.

[48]           Le traité est joint à l’annexe 1 de la LTELI et nous savons que l’article 4 découle de l’article II du traité. L’article II présente un libellé général qui appuie la cause des demandeurs dans ces requêtes :

[...] [M]ais il est convenu que toute ingérence dans ces cours d’eau ou tout détournement de leur cours naturel de telles eaux sur l’un ou l’autre côté de la frontière, résultant en un préjudice pour les habitants de l’autre côté de cette dernière, donnera lieu aux mêmes droits et permettra aux parties lésées de se servir des moyens que la loi met à leur disposition tout autant que si telle injustice se produisait dans le pays où s’opère cette ingérence ou ce détournement; mais cette disposition ne s’applique pas au cas déjà existant non plus qu’à ceux qui ont déjà fait expressément l’objet de conventions spéciales entre les deux parties concernées.

[49]           Cette disposition omet les mots « qui [...] coupe la frontière entre le Canada et les États‑Unis ou se jette dans des eaux limitrophes [...] » de la version française du paragraphe 4(1) de la LTELI.

[50]           Par contre, ces mots doivent être lus dans le contexte de l’article II dans son ensemble, qui est clairement destiné à faire valoir et confirmer que le Canada et les États-Unis conservent :

[...] la juridiction et l’autorité exclusive quant à l’usage et au détournement, temporaires ou permanents, de toutes les eaux situées de leur propre côté de la frontière et qui, en suivant leur cours naturel, couleraient au-delà de la frontière ou se déverseraient dans des cours d’eaux limitrophes [...]

[51]           Si le Canada détourne des eaux dans leur cours naturel « de [son] propre côté de la frontière et qui, en suivant leur cours naturel, couleraient au-delà de la frontière » ces eaux devraient couler vers le sud, du Canada aux États-Unis. Les droits des parties lésées découlent de « toute ingérence dans ces cours d’eau ou tout détournement de leur cours naturel de telles eaux sur l’un ou l’autre côté », mais l’expression « de telles eaux » ne peut que signifier l’eau que le Canada ou les États-Unis ont bloquée de leur propre côté de la frontière qui, par ailleurs, « coupe la frontière ».

[52]           Je pense que je dois conclure que l’article II du traité appuie l’interprétation par les défendeurs de l’article 4 de la LTELI.

[53]           Comme le soulignent les défendeurs, en réalité, le traité vise précisément la situation réelle à laquelle sont confrontés les demandeurs comme il est allégué dans leur déclaration modifiée. L’article IV du traité se lit comme suit :

Article IV

Article IV

Les Hautes parties contractantes conviennent, sauf pour les cas spécialement prévus par un accord entre elles, de ne permettre, chacun de son côté, dans les eaux qui sortent des eaux limitrophes, non plus que dans les eaux inférieures des rivières qui coupent la frontière, l’établissement ou le maintien d’aucun ouvrage de protection ou de réfection, d’aucun barrage ou autre obstacle dont l’effet serait d’exhausser le niveau naturel des eaux de l’autre côté de la frontière, à moins que l’établissement ou le maintien de ces ouvrages n’ait été approuvé par la Commission mixte internationale.

The High Contracting Parties agree that, except in cases provided for by special agreement between them, they will not permit the construction or maintenance on their respective sides of the boundary of any remedial or protective works or any dams or other obstructions in waters flowing from boundary waters or in waters at a lower level than the boundary in rivers flowing across the boundary, the effect of which is to raise the natural level of waters on the other side of the boundary unless the construction or maintenance thereof is approved by the aforesaid International Joint Commission.

Il est de plus convenu que les eaux définies au présent traité comme eaux limitrophes non plus que celles qui coupent la frontière ne seront d’aucun côté contaminées au préjudice des biens ou de la santé de l’autre côté.

It is further agreed that the waters herein defined as boundary waters and waters flowing across the boundary shall not be polluted on either side to the injury of health or property on the other.

[54]           Fait important, aux fins de l’interprétation, l’article IV ne prévoit pas un processus par lequel les parties lésées d’un pays comme de l’autre pourraient chercher à obtenir un redressement judiciaire pour tous les dommages subis si l’entente dont il est question à l’article 4 est violée. Les demandeurs cherchent à surmonter cette difficulté en alléguant, dans les faits, que l’article 4 de la LTELI englobe aussi les circonstances mentionnées à l’article IV. Mais, de toute évidence, les Hautes parties contractantes au traité ont conçu l’article II et l’article IV pour composer avec deux situations distinctes et rien n’indique dans le traité, l’acceptation du traité par le Canada, ou dans la LTELI que ces deux situations distinctes donneraient lieu aux mêmes droits aux parties lésées sur lesquelles la Cour fédérale aurait une compétence générale. L’article 5 de la LTELI dispose que la Cour

[...] peut être saisie par toute personne lésée ou se constituant en demandeur sous le régime de la présente loi, dans tous les cas visant la mise à exécution ou la détermination de quelque droit ou obligation découlant de la présente loi ou contesté sous son régime.

[55]           Les seuls droits et obligations sur lesquels se fondent les demandeurs dans leur déclaration modifiée qui sont pertinents aux fins de la compétence sont ceux qui découlent de l’article 4 de la LTELI. Donc, à moins que l’on puisse dire que l’article 4 englobe les droits et obligations qui découlent de l’article IV, ou de tout autre article du traité sauf de l’article II, il n’existe aucun fondement pour que la Cour fédérale assume la compétence autre que dans le cas de préjudices subis en raison de la situation exposée à l’article 4. L’article 4 traite de toute évidence uniquement des voies navigables qui coupent la frontière dans leur cours naturel. Il ne traite pas de la situation envisagée à l’article IV du traité où des barrages et des obstacles d’un côté de la frontière ont l’effet « d’exhausser le niveau naturel des eaux de l’autre côté de la frontière », qui est la situation de fait alléguée par les demandeurs dans leur déclaration modifiée.

[56]           Cette lecture du paragraphe 4(1) de la LTELI est également étayée par l’historique législatif et les débats du Parlement qui ont accompagné la promulgation de la disposition dans le droit canadien. D’après le dossier dont je suis saisi, il semble que l’article 4 soit demeuré essentiellement le même depuis l’adoption du projet de loi no 36 pour la première fois en 1911.

[57]           Le hansard révèle que la Chambre des communes s’est constituée en comité pour traiter de l’établissement de la Commission internationale mixte en vertu du traité. Pendant ce processus, divers articles du traité ont été discutés.

[58]           Le Compte rendu officiel des débats de la Chambre des communes du Canada, troisième session, onzième législature, 1-2 George V., 1910-1911 révèle que l’on se concentrait sur des questions d’irrigation et la protection des propriétaires en aval qui pourraient subir des préjudices en raison d’un détournement en amont. Il semblerait que les négociateurs canadiens aient été en mesure de convaincre les États-Unis d’adopter le principe simple de la common law selon lequel « l’eau coule et devrait pouvoir couler » :

Par le ministre des Travaux publics :

Puis, il continue :

Chacune des hautes parties contractantes se réserve l’exclusive juridiction et le contrôle exclusif quant à l’usage et le partage, soit temporaire, soit permanent, de toutes les eaux qui se trouvent de son côté de la ligne lesquelles, dans leur cours naturel, traverseraient la frontière, ou se jetteraient dans les eaux de cette dernière.

Je puis dire que tout cela ne fait qu’affirmer ce qui a toujours été, d’après les États- Unis, le droit international et ce que les jurisconsultes du Canada, n’ont jamais mis en doute, c’est-à-dire qu’en tant qu’il s’agit des eaux qui sont toutes situées dans les limites du pays, ce dernier peut en faire le partage et les détourner de façon en prévenir l’écoulement dans les eaux frontières.

[...]

Les États-Unis out soutenu qu’il est de principe de droit international qu’un pays a le droit de détourner les eaux dans son propre territoire en tenant compte, je puis le dire, de la question de navigation [...] C’est bien la façon de voir des États-Unis et, autant que je le sache, on ne met pas en doute de ce côté-ci de la frontière, cette opinion. Il importe grandement de se rappeler que la disposition que je demande à la Chambre d’étudier se lit comme suit :

Toute ingérance [sic] dans le détournement de leur cours naturel de telles eaux sur l’un ou l’autre côté de la frontière, résultant en un préjudice pour les habitants de l’autre côté de cette dernière, donnera lieu aux mêmes droits et permettra aux parties lésées de se servir des moyens que la loi met à leur disposition tout autant que si telle injustice se produisait dans le pays où s’opère ce partage ou ce détournement des eaux; mais cette disposition ne s’appliquera pas au cas déjà existant non plus qu’à ceux qui ont déjà fait expressément l’objet de conventions spéciales entre les deux parties mentionnées.

Donc, les honorables membres de cette Chambre pourront constater que dans tous les cas qui pourront se présenter, les habitants de l’un ou de l’autre pays seront placés exactement dans la même position que celle où se trouverait le propriétaire d’un terrain inférieur quant à la séparation des eaux vis-à-vis de celui qui posséderait un terrain situé en amont, partage qui pourrait léser ses droits. Autrement dit, les deux pays, par la dernière partie de cette disposition, pourvoient à la reconnaissance et au paiement par le pays dent le sujet cause un préjudice, en affirmant l’obligation de réparer ce préjudice, tout comme s’il ne s’agissait que d’une question en réclamation de dommages entre des citoyens du même pays.

[...]

On stipule que la population de l’Alberta aura le même droit de procéder devant les tribunaux des États-Unis quelle l’aurait devant les cours civiles de l’Alberta si ce partage se produisait dans cette province, c’est-à-dire que les États-Unis auront un droit parfait de détourner l’eau à la condition d’accorder le droit à l’usage de cette eau aux personnes qui habitent en aval du cours d’eau, que ce soit aux États-Unis ou au Canada, conservent à ces dernières le même droit d’action contre le propriétaire riverain supérieur, tout comme si ces deux personnes appartenaient au même pays.

[...]

[...] Le comité, j’en suis certain, comprendra qu’il y a très peu de cas—peut-être n’y en aura-t-il jamais un seul—où cette question surgira, sauf quant aux eaux employées pour des fins d’irrigation. La question peut surgir entre les habitants du Montana, de l’Alberta et de la Saskatchewan, parce qu’un particulier ou une compagnie du Montana pourrait détourner certaines eaux qui coulent vers le nord-ouest et s’en servir pour des fins d’irrigation. Cela pourrait avoir pour résultat de priver un Canadien habitant sur les rives du cours d’eau, du côté canadien de la frontière, d’une eau dont il aurait besoin pour des fins d’irrigation [...]

[...]

Il n’y a guère lieu de prévoir de détournement, si ce n’est pour des fins d’irrigation. II s’en produira peut-être un certain nombre en vue de l’exploitation de la force, mais l’eau ainsi utilisée est de nouveau renvoyée, dans le lit de la rivière, et le débit n’en est pas diminué. Il en est autrement lorsqu’il s’agit d’irrigation, l’eau déborde, s’infiltre dans la terre, et se trouve perdue [...]

•        Compte rendu officiel des débats de la Chambre des communes du Canada, troisième session, onzième législature, 1-2 George V., 1910-1911, aux pages 902, 903, 904, 912 et 920

Par le ministre de la Justice :

J’assume, avec chacun de mes collègues, la plus entière responsabilité de recommander l’acceptation du traité maintenant en discussion. La question que nous devons étudier au point de vue pratique, si nous voulons en arriver à une conclusion, est de savoir si nous nous trouverons ou non en meilleure posture, grâce à cette convention internationale, que nous ne le serions sans aucun traité. Il est bien beau pour le savant chef de l’opposition (M. R. L. Borden), de nous citer l’opinion d’un écrivain très connu, à l’effet qu’une nation n’a pas le droit de détourner une rivière qui traverse la frontière de son territoire et celle d’un autre pays, si ce partage est de nature à diminuer la valeur du territoire d’une nation établie en aval. C’est là un excellent principe; c’est précisément celui qui devrait s’appliquer dans le cas d’un propriétaire riverain supérieur qui chercherait à détourner un cours d’eau, et un propriétaire riverain inférieur qui subirait des pertes de ce fait, si les deux propriétés se trouvaient dans la même région. Mais comment appliquer une telle disposition du droit international—s’il s’agit bien d’un principe reconnu de droit international—quand la propriété endommagée se trouve en un pays autre que celui où le détournement a lieu? [...] Comme c’est du droit commun anglais que s’inspirent les lois de toutes les provinces du Canada, celle de Québec exceptée, et celles des divers États qui touchent à la frontière, nous avons pensé qu’il convenait d’invoquer le droit commun et de conseiller fortement de faire en sorte que, dans Ontario [sic] aussi bien que dans les États bornés par la frontière, nul propriétaire riverain à l’aval ne fût lésé par quelque détournement à l’amont, et que nul terrain d’amont ne pût être inondé et submergé à cause d’obstructions établies en aval, afin que la même règle fût applicable à tous les cours d’eau coulant des États-Unis au Canada ou vice versa. Personnellement, je le déclare sans hésiter, j’eusse beaucoup mieux aimé que l’on appliquât cette règle. Mais quand on fait un marché quelconque, qu’il s’agisse d’un traité entre nation ou d’une convention entre particuliers, on cherche à obtenir le plus possible et, bien souvent aussi, il faut se résoudre à faire d’importantes concessions. N’ayant pu amener les représentants des États-Unis à consentir à ce que nous demandions, à admettre en principe qu’il faut laisser les eaux suivre librement leurs cours, nous en avons néanmoins obtenu d’importantes concessions. S’ils avaient consenti à affirmer le principe que je viens d’énoncer et à reconnaître que les eaux ne doivent pas être détournées de leur cours, les riverains à l’aval auraient la ressource d’empêcher un détournement à eux préjudiciable ou, une fois le détournement autorisé, d’avoir droit des dommages-intérêts. Nous n’avons donc pu déterminer les États-Unis à reconnaître aux riverains canadiens à l’aval le droit d’empêcher tout détournement des eaux à l’amont. Nul détournement, disait-on, ne peut avoir lieu au Canada comme aux États-Unis sans l’autorisation de la législature, et il ne convient pas de mettre une législature souveraine, au Canada aussi bien qu’aux États-Unis, dans l’impossibilité d’accomplir ce qu’elle juge conforme à l’intérêt de la population. On ne saurait donc songer à empêcher un détournement arrêté par la législature. Cependant, s’il s’effectue de l’un ou de l’autre côté de la frontière un détournement préjudiciable à un riverain d’aval de l’autre pays, nous voulons en user à l’égard de ce particulier comme s’il n’existait pas de frontière [...]

•        Compte rendu officiel des débats de la Chambre des communes du Canada, troisième session, onzième législature, 1-2 George V., 1910-1911, aux pages 941 à 943

Par le premier ministre du Canada :

Je me plais à espérer que, réflexion faite, l’honorable chef de l’opposition s’apercevra que nous ne pouvions prendre d’autre attitude que celle dont le ministre de la Justice vient de donner l’explication. Ce n’est qu’à la suite d’une étude approfondie de la question, je dois le dire, que j’ai donné mon assentiment au texte du traité [...] En l’occurrence qui nous occupe, les États-Unis, que ce fût de notre goût ou non, avaient affirmé que le droit international prescrit, excepté en ce qui concerne la navigation, que la nation propriétaire des eaux d’amont a droit d’utiliser de la manière qu’elle juge la meilleure les eaux qui coulent sur son territoire. Que nous restait-il à faire? Les États-Unis pouvaient agir en conformité de ce principe et, le faisant, nous causer un préjudice contre lequel none n’aurions pu exercer aucun recours. Dans la circonstance, n’était-il pas plus sage de dire : Fort bien; puisque vous insistez sur cette interprétation, vous allez convenir que si vous utilisez ainsi vos eaux, vous serez passibles de dommages-intérêts envers ceux que vous léserez dans leurs intérêts : de notre côté, nous jouirons du même pouvoir, et s’il nous plaît de détourner certaines des eaux qui coulent sur notre territoire, vous n’aurez pas droit de vous en plaindre, vous n’exigerez pas que nous nous abstenions de faire ce que vous faites vous-mêmes : la loi sera la même pour les deux pays, et ces derniers s’exposent à payer des dommages-intérêts. Quelle détermination plus sage pouvions-nous prendre? Nous aurions bien pu dire : Non, nous n’acceptons pas votre principe de droit international. Comme conséquence, il ne se serait pas conclu de traité, et les États-Unis auraient pu détourner les eaux de la rivière La-Pluie sans qu’il nous restât le moindre recours à exercer [...] Fort bien! Si vous insistez pour faire prévaloir votre opinion, nous exigeons que la même règle s’applique à nous et que les conséquences soient les mêmes dans les deux cas.

•        Compte rendu officiel des débats de la Chambre des communes du Canada, troisième session, onzième législature, 1-2 George V., 1910-1911, aux pages 944 à 946

[Non souligné dans l’original.]

[59]           J’étais particulièrement inquiet lors de l’audience des présentes requêtes d’examiner les éléments de preuve qui expliqueraient pourquoi la LTELI prévoit uniquement le recours de l’article 4 aux parties de l’autre côté de la frontière lorsque l’altération ou le détournement empêche l’eau de franchir la frontière (la situation de l’article II), mais ne donne pas de droits et de réparations à ceux et celles qui subissent un préjudice en conséquence de la situation de l’article IV. Il me semble qu’un grave préjudice ou dommage pourrait survenir dans l’une ou l’autre des situations et qu’il n’est pas évident d’expliquer pourquoi un recours juridique devrait être autorisé pour les réclamations relatives à l’article II, mais non pour celles relatives à l’article IV. Il semblerait que le Canada aurait préféré la protection tant en aval qu’en amont, mais les États-Unis ne voulaient pas y consentir :

Par le ministre de la Justice :

[...] afin que la même règle fût applicable à tous les cours d’eau coulant des États-Unis au Canada ou vice versa. Personnellement, je le déclare sans hésiter, j’eusse beaucoup mieux aimé que l’on appliquât cette règle.

Mais quand on fait un marché quelconque, qu’il s’agisse d’un traité entre nation ou d’une convention entre particuliers, on cherche à obtenir le plus possible et, bien souvent aussi, il faut se résoudre à faire d’importantes concessions. N’ayant pu amener les représentants des États-Unis à consentir à ce que nous demandions, à admettre en principe qu’il faut laisser les eaux suivre librement leurs cours, nous en avons néanmoins obtenu d’importantes concessions.

•        Compte rendu officiel des débats de la Chambre des communes du Canada, troisième session, onzième législature, 1-2 George V., 1910-1911, à la page 942

Par le premier ministre :

Quant a moi j’ai toujours cru que les Américains sont d’excellents voisins remplis d’équité; mais ils défendent toujours leur propre manière de voir, et c’est ce qu’ils ont fait dans cette affaire. Ils ont dit : Ceci est du droit international et nous n’admettons pas d’autre interprétation que la nôtre. Il ne servait de rien de raisonner avec eux.

•        Compte rendu officiel des débats de la Chambre des communes du Canada, troisième session, onzième législature, 1-2 George V., 1910-1911, à la page 946

[60]           Il semblerait donc que la forme de protection en amont que les demandeurs pensent qu’ils devraient avoir en l’espèce n’était pas acceptable pour les États-Unis, quoiqu’elle l’aurait été pour le Canada.

[61]           Il me semble que le compte rendu du Parlement appuie la lecture de l’article 4 de la LTELI que font les défendeurs; elle couvre uniquement les situations en amont lorsqu’il y a altération ou détournement de « voies navigables du Canada » qui par ailleurs franchiraient la frontière en direction des États-Unis (la situation de l’article II) et non pas la situation de l’article IV. Cela signifie que le paragraphe 4(1) ne s’applique nullement aux allégations énoncées dans la déclaration modifiée qui porte sur l’altération, le détournement et le blocage de voies navigables qui ont traversé – ou que l’on a empêchées de traverser – au Canada. Il s’ensuit que la Cour fédérale n’a aucune compétence pour trancher cette demande. Il convient de souligner que les demandeurs n’ont pas demandé le consentement de modifier leur demande. J’en déduis qu’aucune modification ne peut remédier aux problèmes énoncés plus haut.

[62]           J’en viens à ces conclusions avec énormément de réticence. Les deux côtés ont consacré énormément de temps et de ressources pour mener la présente affaire jusqu’au procès. Mais il ne sert à rien de dépenser davantage si la Cour estime qu’elle n’a de toute évidence pas compétence pour trancher la demande.

C.                 Les arguments des demandeurs

[63]           Avec énormément de doigté, les demandeurs ont exhorté la Cour à adopter une interprétation plus large de l’article 4 de la LTELI qui amènerait leur demande dans la compétence de la Cour. J’essaierai d’expliquer en quelques mots pourquoi je ne pense pas que ce soit possible.

[64]           Premièrement, je pense qu’il convient de déclarer en ce qui concerne mes conclusions à l’égard des présentes requêtes que :

a)      je ne dis pas que les demandeurs n’ont pas subi un préjudice et une perte qui devrait être indemnisée;

b)      je ne crois pas que les défendeurs ne sont pas responsables en droit des pertes des demandeurs ou que les demandeurs n’ont pas droit à la réparation qu’ils cherchent; et

c)      je ne dis pas que les demandeurs n’ont pas d’autres recours au Canada où ils peuvent poursuivre leur demande. Le Banc de la Reine au Manitoba constitue une possibilité évidente.

[65]           Ma seule conclusion à l’égard des présentes requêtes est que la Cour fédérale n’a pas la compétence pour entendre la demande des demandeurs et pour accorder la réparation recherchée par les demandeurs parce que l’article 4 de la LTELI ne couvre pas la situation décrite dans la demande lorsque des voies navigables sont bloquées au Canada, mais seulement une fois qu’elles franchissent la frontière en provenance des États-Unis vers le Canada, ou qu’elles s’accumulent aux États-Unis sans franchir la frontière vers le Canada. Il se peut que la Cour fédérale n’ait pas la compétence pour entendre la présente demande pour d’autres motifs (p. ex. parce que les eaux ne sont pas bloquées dans leur cours naturel), mais je ne suis pas saisi d’autres motifs.

[66]           Les demandeurs ont porté à l’attention de la Cour une jurisprudence générale traitant de l’interprétation de traités et de l’interprétation de lois. Les demandeurs signalent que [traduction] « les tribunaux canadiens sont devenus réceptifs à l’examen de l’historique législatif en prenant en considération une vaste gamme de documents supplémentaires » et que la Cour devrait adopter une [traduction] « interprétation téléologique » de sorte que [traduction] « la loi dans son ensemble et l’objet de la disposition particulière devraient être identifiés et pris en compte à chaque interprétation législative ». Je n’ai aucune difficulté à accepter ces propositions générales et je souligne que les défendeurs ne le contestent pas non plus.

[67]           Lorsque ces principes s’appliquent au traité, les demandeurs mettent un accent particulier sur le libellé dans le préambule et la proclamation qui dit que les parties souhaitent prévoir des mécanismes, par le traité, pour les habitants des deux côtés de la frontière, notamment « dans le but de pourvoir à l’ajustement et au règlement de toutes questions qui pourraient surgir dans l’avenir ».

[68]           Les demandeurs font ensuite valoir ce qui suit :

[traduction]

70.       L’article II du traité indique ensuite clairement que l’application de ce dernier ne se limite pas aux eaux limitrophes mais à toutes les eaux qui, en suivant leur cours naturel, couleraient au-delà de la frontière :

Article II

Chacune des Hautes parties contractantes se réserve à elle-même ou réserve au Gouvernement des différents États, d’un côté, et au Dominion ou aux gouvernements provinciaux, de l’autre, selon le cas, subordonnément aux articles de tout traité existant à cet égard, la juridiction et l’autorité exclusive quant à l’usage et au détournement, temporaires ou permanents, de toutes les eaux situées de leur propre côté de la frontière et qui, en suivant leur cours naturel, couleraient au-delà de la frontière ou se déverseraient dans des cours d’eaux limitrophes, mais il est convenu que toute ingérence dans ces cours d’eau ou tout détournement de leur cours naturel de telles eaux sur l’un ou l’autre côté de la frontière, résultant en un préjudice pour les habitants de l’autre côté de cette dernière, donnera lieu aux mêmes droits et permettra aux parties lésées de se servir des moyens que la loi met à leur disposition tout autant que si telle injustice se produisait dans le pays où s’opère cette ingérence ou ce détournement; mais cette disposition ne s’applique pas au cas déjà existant non plus qu’à ceux qui ont déjà fait expressément l’objet de conventions spéciales entre les deux parties concernées.

Il est entendu cependant, que ni l’une ni l’autre des Hautes parties contractantes n’a l’intention d’abandonner par la disposition ci-dessus aucun droit qu’elle peut avoir à s’opposer à toute ingérence ou tout détournement d’eau sur l’autre côté de la frontière dont l’effet serait de produire un tort matériel aux intérêts de la navigation sur son propre côté de la frontière.

71.       L’article II dispose explicitement que toute ingérence dans ces cours d’eau ou tout détournement de leur cours naturel de telles eaux sur l’un ou l’autre côté de la frontière, donnera lieu à un recours pour les parties de l’autre côté de la frontière. Il est évident que bien que chacune des Hautes parties contractantes de même que les États et les provinces exercent la juridiction et l’autorité quant à l’usage et au détournement de toutes les eaux situées de leur propre côté de la frontière, toute ingérence ou tout détournement de telles eaux sur leur propre côté de la frontière de leur part ou de la part d’une autre personne du pays qui le fait sans en avoir le droit, et un préjudice est causé, la partie lésée peut se servir des moyens que mettent à sa disposition les lois du pays où s’est opérée cette ingérence ou ce détournement.

72.       L’article II ne comporte pas, comme l’ont soutenu les défendeurs, une référence et ne peut pas être interprété de façon à contenir une restriction exigeant un examen pour savoir si la partie lésée est en aval ou en amont pour donner compétence.

73.       Les demandeurs soutiennent que l’effet de l’article II est étayé par l’article IV, qui se lit comme suit :

Article IV

Les Hautes parties contractantes conviennent, sauf pour les cas spécialement prévus par un accord entre elles, de ne permettre, chacun de son côté, dans les eaux qui sortent des eaux limitrophes, non plus que dans les eaux inférieures des rivières qui coupent la frontière, l’établissement ou le maintien d’aucun ouvrage de protection ou de réfection, d’aucun barrage ou autre obstacle dont l’effet serait d’exhausser le niveau naturel des eaux de l’autre côté de la frontière, à moins que l’établissement ou le maintien de ces ouvrages n’ait été approuvé par la Commission mixte internationale.

Il est de plus convenu que les eaux définies au présent traité comme eaux limitrophes non plus que celles qui coupent la frontière ne seront d’aucun côté contaminées au préjudice des biens ou de la santé de l’autre côté.

74.       L’article IV prévoit que le Canada et les États-Unis ne permettront pas l’établissement d’un barrage ou autre obstacle dans les rivières qui coupent la frontière dont l’effet serait d’exhausser le niveau naturel des eaux de l’autre côté de la frontière. L’article ne peut pas être lu seul comme n’ayant aucune application à l’égard des droits et recours en vertu du traité. Il doit être lu de manière téléologique, et à l’appui de l’interprétation par les demandeurs de l’article II.

[Notes de bas de page omises]

[69]           À mon avis, les demandeurs ont une interprétation erronée du traité. Les mots « de telles eaux » renvoient clairement à « toutes les eaux situées de leur propre côté de la frontière et qui, en suivant leur cours naturel, couleraient au-delà de la frontière ou se déverseraient dans des cours d’eaux limitrophes ». Du côté canadien, cela ne peut signifier que les eaux qui coulent vers le sud au-delà de la frontière et, du côté des États-Unis, cela ne peut signifier que les eaux qui coulent vers le nord au-delà de la frontière. C’est d’ailleurs le libellé que l’on retrouve à l’article 4 de la LTELI. Du côté canadien, si les eaux ne coulaient pas vers le sud au-delà de la frontière, alors un « détournement » ne pourrait pas donner lieu à un préjudice aux États-Unis. Et si les eaux coulent vers le nord au-delà de la frontière, ce ne sont pas des eaux sur lesquelles le Canada exerce une juridiction exclusive tant qu’elles n’ont pas franchi la frontière et, une fois au-delà de la frontière, ces eaux ne peuvent pas causer de préjudice aux États-Unis. Les eaux qui s’accumulent aux États-Unis et que l’on empêche de couper la frontière ne sont pas « de telles eaux » parce qu’elles ne sont pas des eaux sur lesquelles le Canada exerce « la juridiction et l’autorité exclusive ».

[70]           Donc, à mon avis, les demandeurs ont tort de faire valoir que l’article II prévoit que « toute ingérence dans ces cours d’eau ou tout détournement de leur cours naturel de telles eaux sur l’un ou l’autre côté de la frontière ».

[71]           Je ne peux pas non plus accepter que l’effet de l’article IV appuie la position des demandeurs. L’article IV traite d’une situation totalement différente de celle exposée à l’article II. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils forment des articles distincts. Les demandeurs disent que l’article IV ne peut pas être lu seul comme n’ayant aucune application à l’égard des droits et recours en vertu du traité. Ils disent qu’il doit être lu de manière téléologique, et en appui de l’interprétation par les demandeurs de l’article II.

[72]           Ce qu’il y a de vraiment frappant dans l’article IV, c’est que la situation qu’il est censé traiter relève d’une approbation obligatoire de la Commission mixte internationale. Il ne dit pas, comme le fait l’article II, que les parties lésées auront des recours juridiques de l’autre côté de la frontière. Toute interprétation « téléologique » doit tenir compte de ces distinctions. Il semble évident que les Hautes parties contractantes doivent avoir eu un objectif pour faire la distinction entre ces deux situations différentes, sinon on aurait utilisé le même libellé dans les deux articles.

[73]           L’article 4 de la LTELI ne promulgue l’article II que dans le droit canadien. Il ne dit rien au sujet de l’article IV. C’est pour cette raison que je ne peux pas accepter ce que font valoir les demandeurs, à savoir que [traduction] « l’article 4 reconnaît et met en vigueur au Canada le recours procédural concernant les droits en vertu du traité pour les parties aux États-Unis qui sont lésées en raison d’une altération ou d’un détournement de cours d’eau au Canada ». Pour des motifs déjà mentionnés, je pense qu’il est évident qu’on ne peut pas lire l’article 4 de la LTELI de cette façon. L’article IV autorise la Commission mixte internationale à approuver et à régler tout ce qui concerne les barrages et obstacles qui ont pour effet « d’exhausser le niveau naturel des eaux de l’autre côté de la frontière [...] ». Il s’agit de la situation dont les demandeurs se plaignent en l’espèce. L’article IV n’exige pas que le Canada et les États-Unis confèrent aux parties lésées des droits procéduraux dans les tribunaux de leur pays. Cela ne veut pas dire pour autant que les parties aux États-Unis qui sont lésées en raison d’une situation décrite à l’article IV n’ont pas le droit de demander une réparation au Canada. Mais cela veut dire que n’importe lequel de ces droits ne découle pas de la promulgation de l’article 4 de la LTELI ou de n’importe quelle autre disposition de cette loi. Sous le régime de l’article 5 de la LTELI, la Cour fédérale ne peut avoir aucune compétence pour trancher des demandes qui ne découlent pas (au plan procédural) de cette loi.

[74]           Les demandeurs soutiennent également que l’interprétation par les défendeurs de l’article 4 de la LTELI ne peut pas être acceptée parce qu’elle donnerait lieu à une absurdité et porterait ainsi atteinte à la présomption générale selon laquelle l’assemblée législative ne cherche pas à ce que son texte législatif ait des conséquences absurdes. En effet, l’absurdité alléguée est que l’interprétation des défendeurs laisse les demandeurs, et quiconque se trouve dans leur position, sans recours. Ils disent également que cela signifierait que [traduction] « le Dakota du Nord pourrait construire un obstacle dans n’importe quel cours d’eau international, y compris la rivière Pembina, immédiatement au sud de la frontière » et causer des problèmes au Canada à l’égard desquels il n’y aurait aucun recours.

[75]           Aucun des éléments de preuve qui m’ont été présentés ne laisse entendre que les demandeurs, ou quiconque dans leur position aux États-Unis, n’ont aucun recours juridique advenant que leur affaire ne soit pas entendue en Cour fédérale. Les demandeurs font valoir les délits de négligence et nuisance. Je ne conclus pas que les demandeurs ne peuvent pas entamer des procédures au Canada, je conclus tout simplement que la Cour fédérale n’a pas compétence pour les entendre. Il n’y a pas non plus d’éléments de preuve qui indiquent que, si le Dakota du Nord créait un obstacle dans la rivière Pembina et causait des préjudices au Canada, les parties lésées n’auraient aucun recours, à moins que la Cour fédérale n’assume la compétence. Les allégations d’absurdité des demandeurs ne sont pas démontrées.

[76]           Les demandeurs disent également que l’interprétation par les défendeurs de l’article 4 exige que la Cour ajoute des mots à cette disposition :

[traduction]

89.       En outre, les observations des deux défendeurs quant à la signification de l’article 4 et de l’article II se fondent sur un libellé ou des mots qui ne se trouvent pas dans la disposition et qu’il faut y ajouter. Essentiellement, il faudrait que la Cour modifie l’article, en supprimant et ajoutant du texte. Par exemple :

4 (1) Toute altération, notamment par détournement, des voies navigables du Canada, dont le cours naturel va du Canada coupe la frontière entre le Canada et les aux États-Unis ou se jette en provenance du Canada dans des eaux limitrophes, au sens du traité, sauf les parties des eaux limitrophes au Canada, qui cause un préjudice du côté de la frontière des États-Unis, confère les mêmes droits et accorde les mêmes recours judiciaires aux parties lésées que si le préjudice avait été causé dans la partie du Canada où est survenue l’altération.

90.       Les principes d’interprétation législative s’appliquent de nouveau pour contrer cet argument. Bien qu’il soit possible « d’atténuer » un texte législatif, Sullivan explique que « en réglant les différends en matière d’interprétation, les tribunaux rejettent souvent une interprétation proposée aux motifs que l’accepter exigerait du tribunal qu’il ajoute des mots au texte législatif ».

91.       Si les signataires du traité ou si le Parlement du Canada avaient voulu une telle signification, ils l’auraient déclarée expressément, comme dans le cas de la Loi sur les ouvrages destinés à l’amélioration des cours d’eau internationaux, promulguée en 1955, dans laquelle le Parlement a pris en compte et adopté des définitions de la LTELI, notamment « eaux limitrophes » et « eaux transfrontalières », un « cours d’eau international » comme suit :

cours d’eau international Eaux qui coulent d’un endroit du Canada à un endroit situé hors du Canada;

92.       Il s’ensuit que si le Parlement voulait créer la distinction soutenue par les défendeurs, il aurait modifié ou promulgué l’article 4 de la même façon qu’il le fait pour d’autres lois fédérales semblables.

[caractères gras dans l’original, notes de bas de page omises]

[77]           Comme on l’a expliqué plus tôt, aucun autre mot n’est nécessaire pour donner à l’article 4 la signification que lui attribuent les défendeurs. Des « voies navigables du Canada » ne pourraient être bloquées dans leur cours naturel et empêchées de couler au-delà de la frontière que si ces eaux coulent en direction sud vers les États-Unis.

[78]           Les demandeurs renvoient aussi au hansard comme outil externe pour appuyer leur interprétation de la portée de l’article 4 de la LTELI. Ils soulignent le libellé qui, selon eux, établit clairement que le Parlement voulait une disposition pour le règlement de toutes les questions qui sont susceptibles de survenir concernant les droits, obligations et intérêts d’un côté comme de l’autre de leur frontière commune. Par exemple, ils mentionnent les propos tenus par M. Pugsley selon qui « [le] traité établit simplement une manière équitable d’obtenir une indemnité de l’autre pays au cas où les droits des habitants seraient lésés de quelque façon » (p. 911), et par M. Aylesworth, qui explique que le traité ferait en sorte que les habitants de chaque côté de la frontière subiraient un préjudice dans la même position que s’ils étaient les citoyens du pays où a eu lieu le détournement :

[traduction]

100.     La seconde lecture à la Chambre du projet de loi a eu lieu le 16 mai 191l. Dans d’autres discussions concernant le traité, M. MaGrath a déclaré (et cité les propos de M. Pugsley) :

Quant à ce principe dont j’ai parlé au début de ces observations et qu’on doit appliquer lorsqu’on parle des questions qui pourront surgir relativement à ces eaux frontières, je constate que l’article 2 de cette convention qui s’occupe des cours d’eau qui bordent cette ligne frontière, embrasse seulement quatre aspects : d’abord, il stipule que chaque gouvernement exercera la haute main absolue sur toutes les eaux qui se trouvent dans ses limites nonobstant le fait qu’elles peuvent s’écouler du ou dans le pays voisin; en second lieu, que les intérêts qu’on peut léser sur un côté de la ligne frontière par le détournement des eaux d’un cours d’eau vers l’autre côté de cette ligne, soient tellement importants que l’autre pays lésé s’adresse au premier et même ait recours aux tribunaux pour obtenir justice. En résumé, ces droits acquis d’un pays doivent être respectés par l’autre. C’est l’opinion qu’exprimait l’honorable ministre des Travaux publics lorsque, discutant ce projet de résolution, il disait ce qui suit, tel qu’on peut le trouver à la page 808 des Débats, édition non revisée :

M. MAGRATH. [e]ncore une question. J’ai compris que l’honorable ministre entretient l’idée que, d’après cette disposition, chacune des parties devra respecter les droits acquis de l’autre sur un cours d’eau d’un ou de l’autre côté de la frontière.

M. PUGSLEY. Précisément : c’est la raison d’être de ce traité et c’est son but qui consiste à accorder un privilège absolument nouveau aux sujets des deux pays.

101.     Un peu plus tard au cours du débat, M. Pugsley, en expliquant davantage les modifications au projet de loi des cinq premiers articles de la LTELI, déclare :

Il nous donne aussi le droit de faire les mêmes dispositions concernant un citoyen des États-Unis réclamant justice devant les tribunaux de notre propre pays, au sujet de tout dommage qui peut lui avoir été causé par la diversion de l’eau, lorsque ce dommage prend son origine de l’autre côté de la frontière. Conséquemment, il est clair que nous n’avons pas seulement le droit, mais qu’il est aussi de notre devoir de prendre les dispositions qui sont contenues dans les cinq premiers paragraphes du bill modifié.

102.     Par conséquent, les transcriptions du hansard sont utiles pour apprécier la compréhension du Parlement ou les dispositions du traité. Cependant, comme les observations ont été faites pendant les débats de la Chambre, il faut s’assurer d’apprécier le contexte dans lequel les discours ont été faits. Au terme d’un examen minutieux des débats, il est soutenu qu’il n’existe aucun fondement sur lequel conclure que les échanges au Parlement modifient le libellé spécifique de l’article 4 d’une manière qui supprime le droit des demandeurs à une réparation devant la Cour fédérale.

[Notes de bas de page omises]

[79]           Toutes ces déclarations générales doivent être lues dans le contexte intégral du débat parlementaire pendant la première et la deuxième lecture du projet de loi. Comme je l’ai dit plus haut, le contexte intégral indique clairement que c’est uniquement l’article II du traité qui est promulgué dans le droit canadien, par l’entremise de l’article 4 de la LTELI.

D.                Modification du Manitoba

[80]           La modification proposée par le Manitoba ne fait l’objet d’aucune opposition parce que les deux côtés s’entendent pour dire qu’il n’est pas nécessaire aux fins de la requête en radiation du Manitoba. Je suis d’accord avec cette évaluation.

VI.             Conclusions

[81]           Conformément à l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, je conclus que Rhineland et le Manitoba ont établi qu’il est évident et manifeste que la demande des demandeurs exposée dans la déclaration modifiée ne peut être accueillie devant la Cour fédérale pour défaut de compétence et devrait être radiée.

[82]           Les demandeurs n’ont présenté aucune demande de modification et la Cour estime que le problème juridictionnel ne peut pas être réglé au moyen d’une modification.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.      La déclaration modifiée est radiée à l’encontre de Rhineland et du Manitoba et l’action est rejetée sans autorisation de la modifier.

2.      Les parties peuvent s’adresser à la Cour pour la question des dépens, tant pour l’action que pour les présents motifs. Elles devraient le faire, du moins au début, par écrit, avec la possibilité pour les deux côtés de faire des observations quant à la proposition de l’autre partie.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-745-04

 

INTITULÉ :

PEMBINA COUNTY WATER, RESOURCE DISTRICT, DAKOTA DU NORD, CITY OF PEMBINA, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF PEMBINA, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF WALHALLA, DAKOTA DU NORD, CITY OF NECHE, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF NECHE, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF FELSON, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF ST. JOSEPH, DAKOTA DU NORD, TIMOTHY L. WILWAND, DENNIS K. SCHALER, RICHARD MARGERUM ET, VERLINDA MARGERUM c. GOUVERNEMENT DU MANITOBA, ET MUNICIPALITÉ RURALE DE RHINELAND

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 avril 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Colin R. MacArthur, c.r.

John B. Martens

Curtis Parker

 

Pour les demandeurs

 

Dean G. Giles

Curran P. McNicol

 

Pour la défenderesse, la MUNICIPALITÉ RURALE DE RHINELAND

 

W. Glenn McFetridge

Tanys J. Björnson

Alan Ladyka

 

Pour le défendeur, le GOUVERNEMENT DU MANITOBA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aikins MacAulay & Thorvaldson LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour les demandeurs

 

Fillmore Riley LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour la défenderesse, la MUNICIPALITÉ RURALE DE RHINELAND

 

Justice Manitoba

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le défendeur, le GOUVERNEMENT DU MANITOBA

 

 

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