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Date : 20160517


Dossier : T-499-15

Référence : 2016 CF 553

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2016

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

LES PLUMADORE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   APERÇU

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales  à l’encontre d’une décision rendue le 30 mars 2015 par madame Susan Harrison, directrice générale de la gestion du milieu du travail (DGGMT) en sa qualité de décideur du troisième et dernier palier de la procédure de griefs en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). Madame Harrison a rejeté le grief déposé par le demandeur contre les mesures entreprises par le ministère de la Défense nationale (MDN) pour recouvrer la somme de 145 447,88 $ représentant les paiements d’heures supplémentaires qui lui ont été versés entre le mois de juin 2010 et le mois d’octobre 2013, le MDN considérant ces paiements comme des salaires payés en trop plutôt que comme des heures supplémentaires.

[2]               Au cours de cette période de 41 mois, le demandeur a, à la demande de son superviseur, travaillé un total de 1 785,5 heures supplémentaires, heures pour lesquelles il a été intégralement compensé jusqu’au 27 août 2013. Il n’a pas été rémunéré pour ses heures supplémentaires entre le 27 août 2013 et le 30 octobre 2013 puisque le MDN (le capitane Page) l’a avisé le 4 novembre 2013 qu’il n’avait pas droit aux heures supplémentaires. Son poste a été reclassifié en avril 2010 et a été exclu de l’unité de négociation. Le MDN a sommé le demandeur de rembourser les heures supplémentaires payées. Cette « demande » a fait l’objet d’un grief qui, une fois rejeté, a donné lieu à la présente demande de contrôle.

[3]               Il n’est pas contesté que les supérieurs du demandeur lui ont demandé de travailler des heures supplémentaires, qu’il a effectivement travaillé lesdites heures, qu’il a rempli et déposé les formulaires appropriés après avoir été approuvés par ses supérieurs, puis qu’il a reçu le paiement des heures travaillées. Le défendeur affirme que le demandeur n’a jamais eu droit aux heures supplémentaires et qu’elles doivent être remboursées.

[4]               Le demandeur soutient pour sa part qu’il n’a su que son poste avait été reclassifié que le 4 novembre 2013. Jusqu’à cette date, il n’avait aucune raison de croire que son poste avait été modifié puisqu’il avait précisément demandé à deux reprises si son poste était correctement classifié. À ces deux reprises, on lui a assuré qu’il l’était.

[5]               La DGGMT a conclu que la « Directive sur les conditions d’emploi de certains employés exclus/ou non représentés du Conseil du trésor » indique clairement que le demandeur n’avait pas droit à une rémunération pour les heures supplémentaires. Elle a mentionné également que le paragraphe 155(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) permet à l’employeur de recouvrer tout paiement en trop et que l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (LRCECA) prévoit un délai de prescription de six ans pour les recouvrements. Elle a terminé en précisant que [traduction] « le ministère de la Défense nationale agit conformément à la LGFP et à la LRCECA en recouvrant les sommes que vous deviez ».

[6]               Le demandeur soulève un certain nombre de questions fondées sur le droit contractuel, dont le changement de circonstances et la préclusion, et prétend que le délai de prescription n’est pas de six ans mais plutôt de deux ans (en Ontario) ou de trois ans (au Québec).

[7]               Le défendeur affirme que la décision est raisonnable et que le délai de prescription est de six ans.

[8]               Le demandeur cherche à obtenir l’annulation de la décision du DGGMT et demande à la Cour de renvoyer son grief au MDN pour être accueilli conformément aux motifs de la Cour.

II.                EXPOSÉ DES FAITS

[9]               Le demandeur travaille dans la fonction publique fédérale depuis 1996. Il était à l’emploi du MDN lorsqu’il a accepté le poste de contrôleur en chef de la section des services de gestion intégrée des affaires le 18 décembre 2007. Ce poste constituait une mutation, une nomination latérale. Il a pris ses nouvelles fonctions le 7 janvier 2008.

[10]           Ce poste avait été reclassifié le 1er novembre 2006 au niveau FI-04 puisque certaines fonctions, notamment [traduction] « la gestion des services dans le secteur de la gestion des ressources humaines et de l’administration », ne relevaient plus de ce poste à la suite d’une mise à jour de la description de travail. Le conseiller organisationnel en ressources humaines, directeur - organisation et classification civiles (DOCC), a examiné et autorisé la reclassification le 14 novembre 2007. Un mois plus tard, le poste était offert au demandeur, qui l’a accepté le même jour.

[11]           Suivant sa nomination à ce poste, le demandeur s’est informé auprès de son service des ressources humaines en février 2009, puis auprès de son superviseur le 23 juin 2009, pour savoir si son poste était correctement classifié ou s’il devrait être exclu. On l’a assuré que ce poste n’était pas exclu.

[12]           Le 15 avril 2010, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), sur demande du Conseil du trésor, présentée par le MDN, a déclaré que le poste du demandeur était un poste de direction ou de confiance. L’unité de négociation n’a pas contesté cette demande.

[13]           Le 23 avril 2010, le directeur des relations de travail (DRT) a informé le centre de service des ressources humaines du demandeur que l’exclusion du poste avait été approuvée et que la déduction des cotisations syndicales devrait cesser à partir du 1er juin 2010. Il leur a été demandé d’envoyer une lettre au demandeur pour l’informer qu’il était admissible à certaines couvertures liées à l’emploi puisqu’il était désormais soumis à la directive du Secrétariat du Conseil du trésor (SCT) sur les employés exclus et qu’il recevrait la politique régissant les fonctionnaires occupant des postes de direction ou de confiance.

[14]           Le défendeur affirme que le demandeur aurait dû être au courant du reclassement de son poste en raison notamment de son expertise en matière de procédures de griefs, du fait qu’il ne payait plus de cotisations syndicales et qu’il bénéficiait désormais d’une rémunération au rendement. Le demandeur déclare qu’il n’avait aucune raison de croire qu’il ne pouvait recevoir à la fois le paiement des heures supplémentaires travaillées et une rémunération au rendement. Il ajoute avoir découvert, au cours des présentes procédures, que d’autres fonctionnaires du groupe LA avaient reçu une rémunération au rendement en plus du paiement des heures supplémentaires.

III.             QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Le demandeur propose d’examiner les quatre questions en litige suivantes :

                      i.          Quelle est la norme de contrôle appropriée?

                     ii.         Le demandeur était-il en droit de recevoir le paiement des heures supplémentaires jusqu’au 4 novembre 2013, date à laquelle il a été avisé des modifications apportées à ses conditions d’emploi?

                    iii.        Le MDN est-il préclus de recouvrer les prétendus trop-payés auprès du demandeur?

                    iv.        Le recouvrement par le MDN du prétendu trop-payé est-il prescrit?

[16]           Pour sa part, le défendeur fait valoir que la présente demande ne soulève que deux questions litigieuses :

                      i.          La décision est-elle raisonnable?

                     ii.         La décision selon laquelle le délai de prescription de six ans s’applique aux créances de l’État est-elle correcte?

[17]           J’estime que les deux parties ont défini les questions en litige pertinentes. J’examinerai en premier lieu la norme de contrôle applicable puis je déterminerai si la décision est raisonnable selon la jurisprudence établissant les critères de la décision raisonnable. Je me pencherai enfin sur le droit du demandeur de recevoir le paiement de ses heures supplémentaires et analyserai si la préclusion promissoire peut constituer un moyen de défense. Enfin, j’examinerai si la décision fixant le délai de prescription à six ans est correcte.

IV.             NORME DE CONTRÔLE

[18]           Les parties conviennent que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer pour déterminer le délai de prescription applicable en l’espèce est celle de la décision correcte. Elles ne s’entendent toutefois pas sur la norme de contrôle à appliquer aux autres questions en litige. Alors que le demandeur soutient que la norme de la décision correcte devrait s’appliquer pour toutes les questions en litige, le défendeur affirme qu’elles sont plutôt assujetties à la norme de la décision raisonnable.

[19]           Le demandeur s’appuie sur les arrêts Assh c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 358 (Assh) et Appleby-Ostroff c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 84 (Appleby-Ostroff), pour affirmer que le manque d’indépendance de la DGGMT indique que la norme de contrôle applicable aux questions de droit ne se situant pas dans son champ d’expertise est celle de la décision correcte. Il ajoute que les faits ne sont pas contestés, qu’il n’y a aucune question de crédibilité et que les éléments de preuve présentés au décideur et à la Cour revêtent tous la forme écrite. Il n’y a donc aucun élément sur lequel il est nécessaire de faire preuve de retenue puisque la Cour est en aussi bonne posture que la DGGMT pour prendre des décisions. Ces éléments indiquent tous une absence de déférence et une norme de contrôle de la décision correcte.

[20]           Le défendeur reconnaît que la norme de contrôle de la décision correcte s’applique à la question du délai de prescription, mais soutient par ailleurs que lorsqu’une décision implique l’interprétation d’une politique du SCT ou de politiques concernant les relations de travail ou des procédures relevant de l’expertise du décideur, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision raisonnable (voir Hagel c. Canada (Procureur général), 2009 CF 329, confirmé par 2009 CAF 364 et Marszowski c. Canada (Procureur général), 2015 CF 271).

[21]           À la lecture de la décision, il s’agit d’une simple application de la directive du SCT sur les conditions d’emploi de certains employés exclus/ou non représentés (directive du SCT) et de l’application du paragraphe 155(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) et de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif qui établit un délai de prescription de six ans. Toutefois, en vue d’appliquer la directive du SCT et la LGFP, la DGGMT devait examiner les questions sous-jacentes soulevées par le demandeur. Si l’argument du demandeur invoquant le droit contractuel est accueilli, alors aucune « créance » à recouvrer ne naîtra. Si les conditions applicables à la préclusion promissoire sont établies, cela constitue alors une défense complète à opposer au recouvrement. En l’absence de créance, la loi à laquelle la décision fait référence ne s’applique pas.

[22]           Malheureusement, ni la question du droit contractuel ni celle de la préclusion promissoire n’ont été mentionnées dans la décision. Il est donc difficile de savoir quelle importance la DGGMT leur a accordée, si tant est qu’elle a examiné ces questions. Bien qu’il n’y ait pas de décision susceptible de révision concernant les questions de la préclusion et du droit contractuel, je les examinerai malgré tout puisqu’elles ont été longuement débattues par les parties. Il n’est pas nécessaire d’examiner la norme de contrôle appropriée pour ces questions, car bien qu’elles aient été plaidées, elles ne sont aucunement abordées dans la décision.

[23]            Pour les motifs suivants, que ce soit en vertu de la norme de contrôle de la décision correcte ou de la décision raisonnable, j’ai conclu que la décision rendue par la DGGMT ne satisfait ni aux critères établis dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), ni aux explications sur Dunsmuir fournies par l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (Nfld. Nurses). J’examinerai donc l’ensemble de la décision en m’intéressant uniquement à la question de savoir si elle était raisonnable, sans tenir compte de la question du délai de prescription qui sera examinée selon la norme de la décision correcte. Comme je l’ai mentionné, j’examinerai également les arguments présentés par le demandeur concernant le droit contractuel et la préclusion promissoire.

V.                LA DÉCISION EST-ELLE RAISONNABLE?

[24]           Le caractère raisonnable général d’une décision est établi en déterminant si l’issue est justifiable en regard des faits et du droit et si le processus décisionnel en lui-même était justifié, transparent et intelligible. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale. Les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables (voir Dunsmuir au paragraphe 47; Bergeron c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, au paragraphe 58).

[25]           La décision du 30 mars 2015 semble avoir pris en considération toutes les circonstances du grief, y compris les observations formulées par le demandeur et son avocat. La décision est très brève. Elle précise les faits les plus essentiels et énonce les lois applicables. Elle ne contient ni analyse ni examen des observations formulées par le demandeur ou le défendeur ou pour leur compte. Elle omet de mentionner les arguments juridiques avancés par l’avocat du demandeur relativement à la préclusion et à la modification contractuelle.

[26]           À cet égard, l’arrêt Nfdl. Nurses, au paragraphe 15, déclare que la cour « ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat ». Il y a une limite que ne peut franchir la cour de révision pour déterminer les motifs d’une décision. Comme l’a déclaré le juge Rennie, tel était alors son titre, dans la décision Komolafe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11 :

L’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la Cour toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser. C’est particulièrement le cas quand les motifs passent sous silence une question essentielle.

[27]           Le dossier certifié du tribunal (DCT) produit au soutien de cette demande indique que la DGGMT avait devant elle un affidavit du demandeur attestant plusieurs sujets, dont ses antécédents professionnels pertinents, sa situation financière et personnelle, et les précisions sur la façon dont il en est venu à effectuer des heures supplémentaires ainsi que les formulaires qu’il a remplis pour en demander le paiement. L’affidavit traite également des questions soulevées par le défendeur, à savoir si le demandeur savait ou aurait dû savoir que son poste était exclu, et concernant les ententes de rémunération au rendement qu’il a signées et le défaut d’aviser le demandeur de la modification de son emploi entraînant l’exclusion. Le demandeur n’a pas été contre-interrogé sur cet affidavit, il n’y avait donc pas lieu de douter de son témoignage assermenté.

[28]           J’ai examiné le dossier pour essayer de comprendre les motifs soutenant la décision et les raisons pour lesquelles les arguments du demandeur semblent avoir été rejetés sur-le-champ. Malheureusement, le dossier renfermant plus de 400 pages, son examen s’avère une tâche difficile. Il contient des mémos et des notes internes, les décisions sur le grief à chaque palier, le premier affidavit du demandeur et des documents connexes. Je ne suis pas en mesure de discerner les motifs de la décision sans me livrer à des hypothèses.

[29]           Par exemple, la question de la préclusion promissoire était un argument important de la procédure de grief. Le dossier révèle l’existence de références à la jurisprudence ainsi que des copies de décisions portant sur la préclusion promissoire rendues notamment par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), notre Cour et la Cour suprême du Canada. La question de la préclusion promissoire a été présentée au deuxième et au dernier palier de grief. Si celle-ci avait alors été examinée par la DGGMT, étant donné l’importance de la question, je me serais attendu à en retrouver une certaine mention dans la décision et au moins une ou deux phrases expliquant la raison de son rejet. De la jurisprudence et des arguments étayant une conclusion pouvant être tant favorable que défavorable à la préclusion compromissoire se retrouvent au dossier. Sans me livrer à des hypothèses, je ne puis établir en consultant le dossier les motifs qui auraient pu être donnés à l’appui de la décision selon laquelle le recouvrement de la créance devrait commencer et la préclusion promissoire n’était pas applicable. Aucun élément de preuve ne permet de comprendre pourquoi la DGGMT a rendu la décision en question.

[30]           De même, le dossier contient une copie des notes manuscrites du demandeur qu’il avait prises à l’époque lors de l’audience du grief au troisième palier et une preuve par affidavit expliquant pourquoi il n’avait pas réalisé que son poste avait été exclu en dépit du fait qu’il ne payait plus de cotisations syndicales (qui s’élevaient seulement à 25 $ par mois), de sa nouvelle nomination en tant qu’agent des griefs (il a reçu en 2008, 2009 et 2010 une lettre au texte identique) et de son entente de rémunération au rendement (dans laquelle rien ne prévoit qu’il ne peut recevoir le paiement des heures supplémentaires. Le demandeur a par la suite appris que d’autres membres du même groupe recevaient une rémunération de rendement et le paiement des heures supplémentaires). Encore une fois, compte tenu de l’importance du témoignage et l’absence de toute mention à son égard, je ne peux que supposer qu’il n’a pas été cru, bien qu’il s’agissait d’un témoignage sous serment, ou que, pour une raison inconnue, il a été considéré sans importance.

[31]           Les hypothèses conduisent la Cour à « fournir les motifs qui auraient pu être donnés et [à] formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées », ce qui n’est pas le rôle d’une cour de révision (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Grdan, 2014 CF 187, au paragraphe 11).

[32]           Sans savoir quels faits ont été admis et quelles conclusions ont été tirées des arguments juridiques et de la jurisprudence, il n’est pas possible de dire que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. À cet égard, la décision n’est ni transparente ni intelligible. Elle est donc déraisonnable et doit être annulée.

VI.             LE DROIT AU PAIEMENT DES HEURES SUPPLÉMENTAIRES

A.                Obtention par le MDN d’une ordonnance excluant le demandeur de l’unité de négociation

[33]           La lettre d’offre du demandeur datée du 18 décembre 2007 (la lettre) constitue le fondement de l’entente contractuelle intervenue entre le MDN et le demandeur. La troisième phrase de cette lettre se lit comme suit :

[traduction]
Votre salaire sera établi conformément au Règlement régissant les conditions d’emploi dans la fonction publique.

[34]           Le demandeur a apposé sa signature à la fin de la lettre, indiquant son acceptation ainsi libellée :

[traduction]
J’accepte la présente offre de mutation ainsi que les conditions d’emploi pertinentes.

[35]           Lorsque ce contrat de travail a été conclu, le poste du demandeur, de catégorie FI-04, faisait partie de l’unité de négociation. Il avait droit de recevoir le paiement de ses heures supplémentaires, qu’il a reçu à partir de 2009. En conséquence de l’ordonnance d’avril 2010 reclassifiant le poste de demandeur, l’emploi du demandeur était désormais régi par la Directive du Secrétariat du Conseil du trésor sur les conditions d’emploi de certains employés exclus/ou non représentés. Selon ces dispositions, le poste FI-4 non représenté ne donne pas droit à une rémunération pour les heures supplémentaires.

[36]           L’article 72 de la LRTFP impose à l’employeur d’envoyer à l’agent négociateur une copie de la demande déposée à la Commission visant à faire déclarer que l’un ou l’autre des postes appartenant à l’unité de négociation est un poste de direction ou de confiance. Au moment de la demande de reclassification du poste, l’agent négociateur du demandeur était l’Association canadienne des agents financiers. Celui-ci ne s’étant pas opposé à la demande, la Commission était tenue de rendre l’ordonnance aux termes de l’article 75 de la LRTFP.

[37]           Le 15 avril 2010, l’agent négociateur et l’employeur ont reçu en main propre une lettre de la CRTFP accompagnée de l’ordonnance. Cependant, à la suite de l’ordonnance, l’agent négociateur ne représentait plus le demandeur. Selon son témoignage, le demandeur n’a pas reçu l’ordonnance ni n’en a eu connaissance avant le 4 novembre 2013. Ce témoignage n’a pas été contredit. D’autres éléments de preuve présents au dossier, dont il sera question plus loin, étayent également le témoignage du demandeur.

B.                 Le demandeur savait-il ou aurait-il dû savoir que son poste était exclu?

[38]           Une question cruciale est celle de savoir si le changement de classification devait être communiqué au demandeur pour être en vigueur. Le demandeur soutient que pour être lié par les modifications de ses conditions de travail, il doit en avoir été informé par son employeur. Le défendeur affirme qu’il existait des indicateurs du changement et que le demandeur aurait dû connaître la modification apportée à son contrat de travail.

[39]           Il semble que le MDN avait l’intention d’aviser le demandeur de l’ordonnance, mais il ne l’a pas fait. En effet, le ministère a reçu une lettre à remettre au demandeur pour l’aviser de la modification, mais le demandeur nie avoir reçu une telle lettre. Après que les problèmes examinés se sont posés, le demandeur a obtenu, au moyen d’une demande d’accès à l’information, de nombreux documents dont une copie d’un courriel interne envoyé le 20 novembre 2013 par le directeur des ressources humaines, M. Samuel Roy, au capitaine Page et à d’autres personnes au sein du MDN. Dans ce courriel, M. Roy confirme ce qui suit :

[traduction]
Nous n’avons trouvé aucune copie de la lettre dans nos dossiers. Il est donc possible qu’elle n’ait jamais été envoyée.

[40]           Le défendeur affirme que le demandeur aurait dû savoir, en raison de plusieurs « indicateurs », que son poste avait été reclassifié. Par exemple, selon lui, il aurait dû être alerté par les lettres envoyées en 2008, 2009 et 2010 nommant le défendeur comme agent des griefs. La preuve démontre que ces lettres étaient identiques d’une année à l’autre. En février et en juin 2009, le demandeur a demandé qu’il lui soit confirmé si son poste devait être exclu. À ces deux reprises, on l’a assuré qu’il ne s’agissait pas d’un poste exclu. Le défendeur n’a fourni aucune raison expliquant pourquoi en recevant la troisième lettre, identique aux autres, le demandeur aurait dû savoir que son poste était désormais exclu. La réception de la troisième lettre n’a pas alerté le demandeur de vérifier une fois de plus si son poste était exclu et il ne peut être raisonnablement allégué qu’il aurait été avisé de le faire pour étayer le fait qu’il aurait dû savoir qu’il ne faisait plus partie de l’unité de négociation. Aucune de ces lettres ne fait référence à l’exclusion du poste.

[41]           Le capitaine Wood et M. Roy ont tous deux signé le formulaire initial demandant à ce que le poste du demandeur soit exclu de l’unité de négociation. Par la suite, le capitaine Wood a signé les autorisations d’heures supplémentaires du demandeur de juin 2010 à avril 2011. S’il existait des « indicateurs » qui auraient dû alerter le demandeur de la situation, très certainement ces mêmes indicateurs auraient dû être remarqués par quelqu’un au sein du MDN. Or, à différentes reprises, le capitaine Page, le capitaine Wood et le capitaine Halle ont signé les formulaires approuvant le paiement des heures supplémentaires du demandeur. Pourquoi le demandeur devrait-il mieux connaître ses conditions d’emploi que son employeur, qui pourtant a procédé à l’exclusion de son poste?

[42]           De même, les ententes de rémunération au rendement qui, selon le défendeur, auraient dû alerter le demandeur, ont été signées par le capitaine Page pour l’employeur. Rien n’a été prévu dans l’entente ni rien n’a été dit par le capitaine Page au demandeur indiquant que les heures supplémentaires ne pouvaient également être rémunérées. Il s’agit de sommes substantiellement différentes. La rémunération au rendement perçue par le demandeur totalisait 17 207 $ de 2011 à 2013. Comment cette situation aurait-elle pu indiquer au demandeur qu’il n’avait pas droit au paiement des heures supplémentaires? Pourquoi le capitaine Page aurait-il signé à la fois la rémunération au rendement et le paiement des heures supplémentaires si le demandeur n’y avait pas droit? Ces agissements n’étaient-ils pas plus susceptibles de confirmer que le demandeur était en droit de percevoir le paiement de ses heures supplémentaires que de l’informer du contraire?

[43]           Le défendeur soutient également que le demandeur aurait dû remarquer qu’il ne payait plus de cotisations syndicales, ce qui aurait dû lui faire prendre conscience de la modification apportée à son poste. Dans son témoignage, le demandeur affirme ne pas avoir remarqué que les cotisations syndicales n’étaient pas prélevées puisqu’elles ne s’élevaient qu’à 25 $ par mois et qu’il avait reçu une augmentation de salaire à peu près au même moment. Il s’agit d’une explication raisonnable.

[44]           Eu égard à toutes les circonstances, je suis convaincue que le demandeur ne savait pas que son poste avait fait l’objet d’une reclassification. Il avait été avisé à deux reprises que son poste était correctement classifié. On ne lui a jamais dit le contraire. Il n’a jamais été informé que le MDN souhaitait reclassifier son poste ni que l’ordonnance avait été rendue. Le MDN lui a demandé d’effectuer des heures supplémentaires et c’est ce qu’il a fait. Dans le contexte général des événements qui se sont succédé, rien ne pouvait amener le demandeur à penser que son poste était exclu.

C.                 Le présent contrat de travail pouvait-il être modifié sans que le demandeur en soit informé?

[45]           Les lignes directrices sur les postes de direction ou de confiance exclus pour les employés civils (lignes directrices civiles) versées au dossier soulignent la procédure à suivre pour établir les postes de direction ou de confiance au sein du MDN. Lorsque la CRTFP rend une ordonnance, la procédure prévue est la suivante :

[traduction]
... Le SCT avise le ministère par écrit de la date de la décision et de la date de prise d’effet à laquelle les cotisations syndicales doivent cesser (au premier jour du deuxième mois suivant la décision). Le DGRTR avise l’expert en relations syndicales et le CRH, puis le CRH informe le directeur/titulaire du poste et le conseiller en rémunération du statut d’exclusion du poste et de l’arrêt des cotisations syndicales.

[46]           « DGRTR » désigne le directeur général - relations de travail et rémunération. « CRH » signifie conseiller en ressources humaines. Il est clair que la procédure prévue après qu’une ordonnance d’exclusion a été rendue est d’informer le directeur et le titulaire de la modification apportée au poste. Cette procédure n’a pas été suivie dans le cas du demandeur.

[47]           Le défendeur affirme que cela n’a pas d’importance. Selon lui, le trop-payé versé au demandeur était contraire à la politique du SCT, cette politique étant déclenchée non pas en vertu du contrat mais par l’ordonnance de la CRTFP.

[48]           Le demandeur se fonde sur les arrêts de la Cour suprême du Canada dans Wells c. Terre‑Neuve, [1999] 3 RCS 199 (Wells), et dans Dunsmuir pour affirmer que la relation entre le demandeur et le MDN est contractuelle. En plus d’établir les principes des normes de contrôle des décisions administratives, Dunsmuir a examiné le droit applicable aux emplois de la fonction publique. En ce faisant, la Cour suprême a longuement examiné l’arrêt Wells et résume ses retombées au paragraphe 97 :

[97] Voici comment les professeurs Hogg et Monahan décrivent les retombées de l’arrêt Wells :

[TRADUCTION]
En droit commun, la relation entre l’État et ses employés sera désormais régie, pour l’essentiel, par le droit général des contrats, tout comme la relation d’emploi entre parties privées.

[49]           Dans les contrats de travail conclus entre parties privées, les deux parties doivent consentir aux modifications des conditions. Le contrat en l’espèce est quelque peu différent puisque le Conseil du trésor détient le droit unilatéral de procéder à des modifications en vertu de la LGFP. Ceci ne signifie toutefois pas que les modifications, en l’espèce, étaient en vigueur sans avoir été communiquées au demandeur.

[50]           Dans l’arrêt Appleby-Ostroff au paragraphe 30, la Cour d’appel a reconnu que le Conseil du Trésor est investi d’un pouvoir considérable aux termes de la LGFP, notamment du pouvoir de régir les conditions de travail, mais souligne :

En l’absence d’une loi particulière prévoyant le contraire, étant donné que les conditions de travail établies par le Conseil du Trésor deviennent partie intégrante du contrat de travail de l’employé, il serait contraire aux principes d’équité et de bonne foi d’habiliter le Conseil du Trésor à déterminer ces conditions sans les communiquer à l’employé concerné, en particulier advenant un différend sur l’étendue de leur application.

[51]           Le MDN a reconnu que les conditions d’emploi doivent être communiquées au demandeur. Les conditions d’emploi initiales lui ont été divulguées lorsqu’il a reçu la lettre d’offre d’emploi. Vu l’arrêt Appleby-Ostroff et les lignes directrices civiles, il n’y a pas de raison de croire que des modifications ultérieures importantes à ces conditions d’emploi ne devaient pas être aussi communiquées.

[52]           Dans les faits, le conseiller des ressources humaines a reçu une lettre devant être envoyée au demandeur pour l’aviser de l’exclusion de son poste. Malheureusement pour tous les intéressés, ni l’ordonnance ni la lettre ne lui ont été remises. Moins d’un an avant l’obtention de l’ordonnance, le MDN a confirmé au demandeur pour une seconde fois que son poste n’était pas exclu. Le MDN ne peut, en son âme et conscience, omettre par la suite de l’informer que son poste est peu après devenu exclu, lui demander d’effectuer des heures supplémentaires et ensuite lui réclamer le remboursement des paiements de ces heures. Comme le mentionne Appleby‑Ostroff, ces agissements seraient « contraires aux principes d’équité et de bonne foi ».

D.                Conclusion

[53]           Je conclus que dans les circonstances inhabituelles de ces faits, la modification apportée au poste du demandeur n’était pas en vigueur tant qu’elle ne lui avait pas été communiquée. En conséquence, il avait droit au paiement des heures supplémentaires travaillées jusqu’au 4 novembre 2013, date à laquelle il a appris que son poste avait été exclu.

VII.          LA PRÉCLUSION COMME MOYEN DE DÉFENSE AU RECOUVREMENT DE LA CRÉANCE

A.                Le principe de préclusion peut-il être soulevé comme moyen de défense par le demandeur?

[54]           Dans un premier temps, le défendeur allègue que le demandeur n’a pas soulevé la question de la préclusion promissoire avant le troisième palier de grief et qu’en conséquence, cet argument ne devrait pas être pris en compte. Le demandeur s’oppose à ce que le défendeur ajoute un argument de « changement de circonstances » qui n’a été soulevé à aucun des paliers de la procédure de grief.

[55]        La question de la préclusion a clairement été soulevée au troisième palier de grief. Elle a également été indéniablement soulevée au second palier, bien qu’il n’y soit pas fait référence dans la décision de ce palier. Le [traduction] « rapport régional de grief » préparé au moment du renvoi du grief au troisième palier de grief indique ce qui s’est produit au second palier. Ce rapport précise que le demandeur [traduction] « a soulevé le principe de la préclusion et a invoqué la décision Lapointe ». Au premier palier de grief, le demandeur désignait le paiement comme un « paiement erroné », ce qui pouvait également justifier le recours au principe de préclusion. Cela me convainc que la question n’a pas été soulevée au-delà du deuxième palier de grief. Je note également que les décideurs, à chacun des deux premiers paliers, n’étaient pas compétents pour trancher la question ni pour accorder la réparation demandée, sans égard aux arguments qui leur ont été présentés. La première occasion de s’adresser à un décideur compétent pour accorder la réparation sollicitée a été à l’audition du troisième palier de grief. Les arbitres de griefs du deuxième et du troisième palier étaient clairement saisis de la question de la préclusion promissoire. Elle peut être examinée au regard de la présente demande.

[56]           Le demandeur a soulevé la question de la préclusion promissoire comme moyen de défense à l’égard de la tentative de recouvrement du défendeur. Le défendeur affirme que le moyen de défense est plutôt un changement de circonstances puisqu’il n’y a pas de [traduction] « promesse claire et sans équivoque ». Le demandeur a répondu que le défendeur invoque le changement de circonstance pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire.

[57]           Le défendeur n’a pas soulevé cet argument au deuxième ni au dernier palier de grief. Le contrôle judiciaire d’une décision administrative se déroule généralement sur la foi du dossier présenté au décideur, sans quoi le contrôle devient une forme de procès de novo (voir Première nation d’Ochapowace c. Canada (Procureur général), 2007 CF 920, au paragraphe 10). Pour cette raison, je n’examinerai pas l’argument de changement de circonstance puisqu’il n’a pas été présenté au décideur. Je note cependant, comme je l’expliquerai plus loin, qu’une promesse claire et sans équivoque a été faite au demandeur.

B.                 En l’espèce, la préclusion peut-elle s’appliquer contre l’État?

[58]           Dans le paragraphe introductif de son livre Estoppel (préclusion) (LexiNexis, 2012), le professeur Bruce MacDougall explique très simplement en quoi consiste l’essentiel de la préclusion :

[traduction]
La préclusion est le terme juridique général qui désigne les doctrines ayant pour effet de prendre une personne au mot. Lorsqu’une de ces doctrines s’applique, une personne est alors empêchée (« précluse ») de revenir sur sa parole.... [C]ette doctrine se fonde sur un principe de justice qui, de façon plus familière veut [traduction] « qu’on ne peut pas envoyer quelqu’un prendre certains risques et le laisser le bec dans l’eau ».

[59]           Le demandeur invoque l’arrêt Commission hydro-électrique de Kenora (Ville) c. Vacationland Dairy Co-operative Ltd., [1994] 1 RCS 80 (Kenora), à l’appui de son argument voulant que la préclusion puisse être opposée à l’État (ou à un gouvernement municipal dans le cas de Kenora) même dans les cas d’erreur de paiement.

[60]           Dans Canada (Attorney General) c Adamoski, 2004 BCCA 625 (Adamoski), au paragraphe 17, en réponse à l’argument de l’État selon lequel la préclusion promissoire ne peut être invoquée [traduction] « lorsqu’elle a pour effet d’empêcher l’État d’exercer une fonction qui lui est imposée par la loi », la Cour d’appel de la Colombie-Britannique conclut que la Couronne fédérale était précluse de recouvrer un prêt étudiant impayé au motif que l’État n’avait pas d’obligation légale de continuer de tenter de recouvrer des prêts étudiants puisqu’il n’était pas tenu au recouvrement. Autrement dit, la procédure de recouvrement comporte un élément discrétionnaire.

[61]           Le demandeur prétend que la capacité de l’État à recouvrer un trop-payé est de nature discrétionnaire en raison du paragraphe 155(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques, qui dispose que :

(3) Le receveur général peut recouvrer les paiements en trop faits sur le Trésor à une personne à titre de salaire, de traitements ou d’allocations en retenant un montant égal sur toute somme due à cette personne par Sa Majesté du chef du Canada.

[62]           La CRTFP a récemment conclu dans la décision Anthony c. Conseil du Trésor (ministère des Anciens Combattants), 2015 CRTEFP 38 (Anthony), que le paragraphe 155(3) « autorise l’employeur à exercer son pouvoir discrétionnaire dans une situation ou dans des circonstances données » (voir au paragraphe 26). Bien que les décisions de la CRTFP ne lient pas la Cour, lorsqu’elle examine une loi dont elle doit souvent tenir compte, les décisions sont dignes d’attention.

[63]           Le défendeur invoque Schenkman c. Canada (Procureur général), 2010 CF 527 (Schenkman), à l’appui de la thèse voulant que la préclusion ne puisse être opposée à l’effet de la loi. Il soutient que parce que l’ordonnance de la CRTFP a modifié la définition de l’emploi en vertu de la LRFTP en le classant comme un poste de direction, le demandeur n’était plus un employé représenté par une organisation syndicale et par l’effet de la loi, il n’avait plus droit au paiement des heures supplémentaires. Le principe de la préclusion promissoire n’a pas été débattu dans Schenkman et les faits dans cette affaire étaient très différents de ceux en l’espèce. Il convient donc de la distinguer sur cette base.

[64]           Conformément aux arrêts Kenora et Adamoski, je conclus que le demandeur peut soulever la défense de préclusion s’il est en mesure d’en établir tous les éléments nécessaires.

C.                 Les éléments essentiels de la préclusion ont-ils été prouvés?

[65]           Les arrêts de principe Maracle c Travellers Indemnity Co. of Canada, [1991] 2 RCS 50 (Maracle), et Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41 (Mont Sinaï), énoncent les éléments requis pour prouver la préclusion promissoire. Dans l’arrêt Mont Sinaï, le juge Binnie a résumé l’arrêt Maracle à la page 310 :

Les principes de l’irrecevabilité fondée sur une promesse [promissory estoppel] sont bien établis. Il incombe à la partie qui invoque cette exception d’établir que l’autre partie a, [1] par ses paroles ou sa conduite, fait une promesse ou donné une assurance [2] destinées à modifier leurs rapports juridiques et à inciter à l’accomplissement de certains actes. De plus, le destinataire des déclarations doit prouver que, [3] sur la foi de celles‑ci, [4] il a pris une mesure quelconque ou a de quelque manière changé sa position.

(1)               Est-ce qu’une promesse a été faite au demandeur par des paroles ou une conduite?

[66]           Le demandeur se fonde sur les observations suivantes pour affirmer qu’elles constituaient « une promesse claire et sans équivoque » de son droit au paiement des heures supplémentaires :

                            i.          au moment de l’offre d’emploi, il avait droit au paiement des heures supplémentaires;

                           ii.         il s’est informé à deux reprises pour savoir si son poste était exclu et on l’a assuré que non;

                          iii.        au début d’avril 2010, on lui a demandé d’utiliser un nouveau formulaire pour réclamer le paiement des heures supplémentaires;

                          iv.        tous les mois, il a reçu le paiement de ses heures supplémentaires, ce qui a constitué une conduite continue qui répond au critère de la déclaration établi dans la décision Lapointe c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 57, au paragraphe 31.

[67]           J’ajouterais ce qui suit à l’énumération du demandeur :

                            i.          son superviseur lui a demandé de travailler des heures supplémentaires après que l’ordonnance a été rendue;

                           ii.         le MDN, y compris le capitaine Wood, qui a signé le formulaire initial demandant la reclassification du poste, a donné son accord écrit aux 11 demandes de paiement des heures supplémentaires présentées par le demandeur entre avril 2010 et juillet 2011, date après laquelle d’autres superviseurs ont également donné leur accord écrit.

[68]           La demande de travailler des heures supplémentaires et la promesse de les rémunérer, assorties aux approbations répétées des formulaires et au paiement des sommes réclamées, constituent une déclaration répétée claire et non équivoque selon laquelle « si vous travaillez des heures supplémentaires, vous serez rémunéré ». Une approbation écrite a été donnée à la suite de la demande verbale. Il n’y a aucune ambiguïté : les heures et les sommes réclamées sont inscrites sur les formulaires approuvés par les supérieurs du demandeur et le montant réclamé a été payé.

(2)               Était-il prévu que le demandeur donnerait suite à la promesse?

[69]           Les demandes n’auraient pas été faites si on n’avait pas voulu que le demandeur y donne suite. Le demandeur pouvait légalement quitter le travail à la fin de sa journée normale. Tel était le rapport juridique existant entre les parties. En raison de la demande d’effectuer des heures supplémentaires combinée à la promesse continue de rémunérer ces heures, cette relation a été altérée lorsque le demandeur s’est plié à la demande et est demeuré au travail après ses heures normales.

[70]           Les deux premiers éléments sont donc établis. Une promesse claire et non équivoque a été faite au demandeur, tant par les paroles que par leur conduite, visant à influer sur les rapports juridiques et à laquelle il a fallu donner suite.

(3)               Le demandeur s’est-il fié à la promesse?

[71]           Le demandeur a effectué plus de 1 785 heures de travail supplémentaires en près de trois ans et demi. Selon sa preuve non contredite, si on lui avait dit qu’il n’était pas admissible au paiement des heures supplémentaires, totalisant environ 45 000 $ par année, il aurait refusé de changer de poste. Si son refus avait été rejeté, il aurait obtenu une mutation à un poste syndiqué. Selon la preuve qu’il a présentée dans le grief, plusieurs postes semblables étaient disponibles en 2010, que ce soit au MDN ou dans d’autres ministères, puisque [traduction] « il était notoire que le nombre de postes à pourvoir classifiés FI était élevé ».

[72]           Dans l’arrêt Ryan c. Moore, 2005 CSC 38, au paragraphe 69, le juge Bastarache, s’exprimant pour la Cour, explique que l’acte de confiance et le préjudice sont deux notions distinctes :

L’acte de confiance préjudiciable englobe deux notions distinctes, mais connexes : l’acte de confiance et le préjudice. La première notion exige de conclure que la partie qui cherche à établir la préclusion a modifié sa conduite en agissant ou en s’abstenant d’agir sur la foi de la présupposition, ce qui a eu pour effet de modifier sa situation juridique. Lorsque la première étape est franchie, la deuxième exige de conclure que, s’il est permis à l’autre partie de revenir sur la présupposition, la partie invoquant la préclusion subira un préjudice en raison du changement de sa situation présupposée

[73]           Il va sans dire que renoncer annuellement à près de 600 heures de temps pour soi ou sa famille pour demeurer au travail après les heures normales constitue une preuve de la foi accordée à la promesse de paiement. Le demandeur a modifié sa conduite et sa situation juridique en restant au travail lorsqu’il n’était pas tenu d’y être.

(4)               L’acte de confiance a-t-il été fait au préjudice du demandeur?

[74]           Le demandeur avance plusieurs exemples des préjudices personnels et financiers qu’il a subis en raison de la promesse d’heures supplémentaires qui lui a été faite :

                            i.          Il n’a pas cherché d’emploi dans un poste rémunérant les heures supplémentaires alors que selon son témoignage, il aurait pu obtenir un poste de contrôleur financier au sein du MDN ou ailleurs.

                           ii.         Il aurait vendu sa maison plus tôt et aurait déménagé dans un logement loué, comme il l’a fait au début de l’année 2014 après avoir appris la problématique des heures supplémentaires en novembre 2013.

                          iii.        Sans le paiement des heures supplémentaires, il n’aurait pas payé environ 15 000 $ par année pour que son fils joue comme gardien de but au hockey à un niveau compétitif.

                          iv.        Il n’aurait pas acheté une voiture de 25 000 $ pour ses fils en 2011 ni n’aurait payé les frais d’utilisation annuels d’environ 5 000 $.

                           v.         Il a travaillé ces heures supplémentaires plutôt que de quitter le travail et d’avoir du temps libre.

[75]           La décision de la CRTFP dans Secrétariat du Conseil du trésor du Canada c. Association canadienne des agents financiers, numéro de dossier CRTFP 585-02-49, 2013 CanLII 96719, rendue le 5 avril 2013, confirme que le demandeur aurait pu chercher un emploi syndiqué d’agent financier ailleurs dans la fonction publique fédérale. La CRTFP conclut que la comparaison entre le taux de salaire des agents financiers expérimentés et les taux de leurs homologues du secteur privé est peu avantageuse et que sept ministères, désignés dans la décision, ont déclaré avoir de la difficulté à attirer et à maintenir en poste des agents financiers qualifiés.

[76]           Le demandeur n’aurait pas travaillé ces heures supplémentaires au MDN sans compensation; plutôt que de quitter son bureau, il a changé sa position et a décidé de rester travailler parce qu’on lui avait dit qu’il serait payé, comme il l’a toujours été. En droit commun contractuel, si le contrat ne prévoit pas de tels paiements, la réclamation se fondera sur le concept du quantum meruit reconnu en equity. Le demandeur ayant été effectivement payé, il n’intente pas d’action pour obtenir un tel paiement, mais il essaye plutôt de conserver la rémunération qu’il a acquise et qui lui a été versée. Pour ce faire, il s’appuie sur le concept de la préclusion promissoire reconnu en equity. En l’espèce, il s’agit essentiellement du revers du quantum meruit.

[77]           Le demandeur a établi tous les éléments nécessaires pour invoquer la préclusion promissoire comme moyen de défense. Si l’on revient au fondement de la préclusion, elle a pour objet d’obliger une personne à respecter sa parole. Le demandeur a tenu parole en travaillant. L’employeur devrait, de la même façon, tenir parole en ne revenant pas sur les paiements qu’il a effectués au demandeur après lui avoir demandé de travailler.

VIII.       CONGÉ DE DIRECTION

[78]           Je souhaite ajouter à titre de remarque incidente que même s’il ne s’agit pas strictement d’une affaire demandant d’équilibrer les intérêts, il existe des éléments de preuve dans le dossier qui démontrent que le MDN ne subit aucun préjudice d’avoir effectué le paiement au demandeur. Un des documents obtenus par le demandeur est intitulé [traduction] « Examen du grief no 6185 : Ordre du jour de la réunion du 10 mars 2014 » et tient sur une page. Le dernier paragraphe énonce ceci :

[traduction]
Après avoir examiné la jurisprudence, la procédure et la politique applicables, je reconnais [sic] que l’État ne subit aucune perte à inscrire aux comptes publics découlant [sic] de cette erreur administrative étant donné que les heures supplémentaires et les congés de direction peuvent être considérés comme des « congés payés ».

[79]           Ce document reconnaît également que les RH ont commis des erreurs administratives en ce que les agents des ressources humaines du MDN ont [traduction] « omis de s’assurer que la direction de la Gestion du programme d’équipement maritime (GPEM), le fonctionnaire affecté, le système des ressources humaines du MDN et le service de paye de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) étaient informés des modifications que cette exclusion entraînait sur les conditions de travail ». Il souligne également que de catégoriser l’affaire comme étant un « paiement en trop » implique que le travail n’était pas achevé et qu’il ne « reconnaissait pas la Directive sur les conditions d’emploi du SCT, qui prévoit que “toute personne nommée à l’administration publique centrale a le droit de toucher, pour services rendus, le taux de rémunération prévu dans la convention collective pertinente ou le taux approuvé par le Conseil du Trésor à l’égard de son groupe et de son niveau de classification” ».

[80]           Bien que le mémo affirme que le congé de direction compense le paiement des heures supplémentaires, le demandeur s’est fait dire qu’il n’existe pas de politique administrative concernant les congés de direction. En fait, le MDN ne sait pas comment les gérer. Le mémo se termine par des étapes détaillées expliquant comment [traduction] « corriger les 907 formulaires dûment signés en vertu des articles 32, 33 et 34 de la LGFP » et conclut par le paragraphe précité selon lequel l’État ne subit aucune perte du fait que les heures supplémentaires et les congés de direction peuvent être considérés comme des « congés payés ».

[81]             Si le congé de direction compense réellement les heures supplémentaires payées au demandeur, il s’agit très certainement d’une solution plus simple, plus claire et préférable que de poursuivre les débats judiciaires en vue de recouvrer plus de 145 000 $ du demandeur dans le seul but de les lui remettre par la suite. J’invite les parties à considérer sérieusement cette option comme une solution possible.

IX.             LE DÉLAI DE PRESCRIPTION APPLICABLE

[82]           La DGGMT a conclu qu’un délai de prescription de 6 ans était prévu à l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (LRCECA) et qu’il était applicable. Cet article 32 est rédigé comme suit :

32. Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

[83]           Cette conclusion de la DGGMT est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte. Le demandeur s’appuie sur la décision Canada c. Parenteau, 2014 CF 968 (Parenteau), dans laquelle le juge Beaudry a examiné l’article 32 pour établir le délai de prescription applicable à une action en paiement d’un billet à ordre signé par un membre des Forces canadiennes. Constatant que la question en litige en était une de nature contractuelle, il conclut qu’il fallait déterminer où le fait générateur avait eu lieu. Le Canada prétendait que le délai de prescription était de six ans puisque le fait générateur était survenu dans plus d’une province. Le juge Beaudry a conclu sur le fondement des faits de cette affaire qu’il était survenu au Québec seulement, entraînant ainsi un délai de prescription de trois ans.

[84]           Il appert de la lecture de l’article 32 que sa raison d’être est de résoudre la question de savoir quel délai de prescription est applicable, soit fédéral ou provincial, lorsque l’État est visé par une procédure. Il le fait de deux manières. Premièrement, si le fait générateur est survenu dans plus d’une province, plutôt que de choisir quel délai de prescription provincial est applicable, le délai de prescription fédéral s’appliquera. Deuxièmement, si le législateur a adopté une loi particulière établissant un délai de prescription, alors cette loi particulière aura préséance sur la disposition générale de l’article 32. Dans l’arrêt Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu que des mesures de recouvrement prévues par la loi prises par l’État constituent des « poursuites » au sens de l’article 32. Par conséquent, le seul point à considérer est si le fait générateur est survenu dans plus d’une province. Les autres questions examinées dans ces motifs ne sont pas affectées par la détermination du délai de prescription.

[85]           Le demandeur soutient qu’il s’agit d’une affaire de rupture de contrat et que le fait générateur est survenu la première fois lorsque l’employeur lui a payé les heures supplémentaires en juin 2010. Il ajoute que le défendeur a affirmé que le demandeur n’avait pas droit à ce paiement et, par conséquent, il contrevenait à son contrat de travail. Le défendeur tente de recouvrer tous les paiements d’heures supplémentaires versés au demandeur depuis le mois de juin 2010.

[86]           Le demandeur fait valoir que le délai de prescription est soit celui de l’Ontario (2 ans), soit celui du Québec (3 ans) et peu importe celui qui s’applique, le défendeur est hors délai puisque le délai de prescription court à partir de la date de la violation, comme cela est établi dans Robert Simpson Co Ltd. et al. c. Foundation Co. of Canada Ltd. et al. (1982), 36 OR (2d) 97.

[87]           Le défendeur met l’accent sur la procédure de recouvrement comme telle intentée en vertu du paragraphe 155(3) de la LGFP. Il invoque la décision Gardner c. Canada (Agence des services frontaliers), 2009 CF 1156 (Gardner), à l’appui de son argument voulant que l’article 32 de la LRCECA soit une disposition qui, sauf incompatibilité avec toute disposition d’une autre loi fédérale, se veut d’application générale. La question en litige soulevée dans Gardner était de savoir si le délai de prescription avait été prorogé en raison de la correspondance entre les parties au fil des ans. L’application de l’article 32 n’était pas contestée en ce qui concerne le lieu où le fait générateur est survenu ni si un délai de prescription provincial s’appliquait. Il a finalement été jugé que le délai de prescription n’avait pas été prorogé et que les tentatives de recouvrement étaient prescrites.

[88]           Le contrat de travail sur lequel se fonde le défendeur s’est formé par l’envoi par la poste par le MDN de la lettre d’offre au demandeur à son domicile en Ontario. Le demandeur a reçu et signé la lettre puis l’a renvoyée par la poste à un bureau de Gatineau, comme le stipulait la lettre‑contrat. L’ordonnance modifiant le contrat et excluant le demandeur de l’unité de négociation a été rendue par la CRTFP, située en Ontario.

[89]           Les contrats sont généralement formés au lieu où l’offrant reçoit l’acceptation. Cependant, la règle de l’acceptation par la poste établit que le contrat s’est formé en Ontario puisque l’acceptation, conformément aux exigences de la lettre d’offre, a été mise à la poste par le demandeur en Ontario. Bien qu’elle ait été envoyée à un bureau de Gatineau, au Québec, la règle prévoit que l’acceptation survient au lieu et au moment de l’envoi. Cela signifie que le contrat s’est formé en Ontario. Nous savons également qu’en vertu de l’ordonnance de la CRTFP, les conditions de travail ont été modifiées en Ontario, sans égard à leur date d’entrée en vigueur.

[90]           La seule question qui subsiste est de savoir où est survenu le fait générateur. Le travail, y compris les heures supplémentaires, a été accompli à Gatineau, au Québec. Le paiement des heures supplémentaires a été demandé en envoyant des documents à Gatineau. Les faits substantiels à l’appui du recouvrement sont que le MDN veut recouvrer de l’argent du demandeur en vertu d’un contrat conclu et modifié en Ontario, mais auquel il a été contrevenu au Québec. Puisque le fait générateur survient dans plus d’une province, l’article 32 de la LRCECA s’applique et le délai de prescription en vertu duquel le défendeur peut demander le recouvrement des sommes est de 6 ans.

X.                CONCLUSION

[91]           Pour ces motifs, je conclus que la décision est déraisonnable et sera annulée. L’affaire sera renvoyée pour nouvel examen, en tenant compte des présents motifs de jugement.

[92]           En attendant qu’une nouvelle décision soit rendue, vu ma conclusion relativement à la préclusion promissoire, aucune mesure ne devrait être prise en ce qui a trait au recouvrement du prétendu trop-payé.

[93]           Le demandeur a obtenu gain de cause et a droit aux dépens, qu’il demande sur la base avocat-client. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, elles pourront présenter de brèves observations écrites à ce sujet dans les 20 jours de la date du présent jugement.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La décision du 30 mars 2015 rendue par Mme Susan Harrison, directrice générale de la gestion du milieu de travail, est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen, en tenant compte des motifs du présent jugement.

2.      Des dépens sont accordés au demandeur. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, elles pourront présenter de brèves observations écrites à ce sujet dans les 20 jours de la date du présent jugement.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-499-15

 

INTITULÉ :

LES PLUMADORE c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 septembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Christopher Rootham

 

Pour le demandeur

 

Christine Langill

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O’Brien Payne s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général

du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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