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Date : 20160504


Dossier : T­1156­15

Référence : 2016 CF 493

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2016

En présence de madame la juge Mactavish

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI SUR LA PREUVE AU CANADA ET DANS L’AFFAIRE D’UNE OPPOSITION CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 37 DE LA LOI SUR LA PREUVE AU CANADA

ENTRE :

ZHENUA WANG ET CHUNXIANG YAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE, LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE PUBLIQUE ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs sont des citoyens chinois qui demandent l’asile au Canada. Ils affirment qu’ils risquent d’être persécutés en Chine en raison de leur croyance chrétienne. D’ailleurs, les demandeurs déclarent une crainte raisonnable d’être persécutés par les autorités chinoises, qui, selon eux, les ont accusés injustement d’avoir participé à une combine à la Ponzi à grande échelle qui a engendré des millions de dollars en pertes et a touché des milliers de victimes chinoises.

[2]               Les demandeurs allèguent qu’ils sont les victimes d’une fraude commise contre eux par leurs anciens associés, soit Xi « Jessica » Chen et Chileung « Louis » Szeto. D’après les demandeurs, Chen et Szeto avaient initialement offert de les aider à obtenir le statut de réfugié au Canada. Par la suite, ces derniers ont participé à plusieurs entreprises commerciales avec les demandeurs. Les demandeurs indiquent que Chen et Szeto leur ont dérobé des millions de dollars, qu’ils ont cherché à récupérer en intentant une action civile contre Chen et Szeto devant la Cour supérieure de la justice de l’Ontario. Les demandeurs ont également déclaré les activités criminelles alléguées de Chen et Szeto à la Police régionale de York. Les demandeurs indiquent que, en représailles, Chen et Szeto les ont dénoncés à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), au département de la Sécurité intérieure des États­Unis et aux autorités de la citoyenneté et de l’immigration en République dominicaine.

[3]               Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est intervenu dans l’audience de demande d’asile des demandeurs afin qu’ils soient exclus de la protection de la Convention sur les réfugiés. Ce faisant, le ministre repose, en partie, sur les renseignements fournis par Chen et Szeto.

[4]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a tenu 22 jours d’audiences relativement aux demandes d’asile des demandeurs et l’affaire n’a pas encore été résolue.

[5]               Le 8 juillet 2015, soit la dernière journée des audiences, le président de l’audience a ordonné que le ministre produise [traduction] « [...] tous les documents de la Chine et de la Police régionale de York, et tous les documents provenant de Chen et de Szeto qui portent sur les questions en litige. »

[6]               Le ministre s’est opposé à l’ordonnance de la Commission, datée du 8 juillet 2015, visant à produire certaines vidéocassettes et certains documents pour les demandeurs. Il a fait valoir que ce matériel est protégé par un privilège d’intérêt public précis en vertu de l’article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C­5 (la « LPC »). Le ministre indique que la divulgation des documents et des vidéocassettes en litige pourraient compromettre une enquête en cours ou plus de l’ASFC.

[7]               En réponse, les demandeurs ont entamé la présente demande pour que, entre autres, la Cour détermine la validité de la revendication du privilège du ministre.

[8]               Tel qu’il sera exposé ci­après, j’ai conclu que bon nombre des documents produits par le ministre relativement à sa revendication du privilège d’intérêt public n’entrent pas vraiment dans la portée de l’ordonnance de production de la Commission. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de les produire. En outre, j’ai décidé que certains autres documents sont effectivement protégés par le privilège d’intérêt public et ne doivent pas être produits, car leur divulgation viendrait sans doute compromettre une enquête en cours ou plus, et que le reste des facteurs pertinents favorisent le ministre. Il n’a toutefois pas été démontré que les autres documents pour lesquels le ministre revendique le privilège d’intérêt public sont adéquatement protégés en vertu de l’article 37 de la LPC. Par conséquent, leur divulgation aux demandeurs sera ordonnée.

[9]               Finalement, je conclus que les vidéocassettes des interrogatoires menés avec Chen et Szeto par la Police régionale de York devraient être fournies aux demandeurs, avec seulement des expurgations très mineures.

I.                   Le format des présents motifs

[10]           Avant d’examiner le fond des questions liées à l’article 37, je veux commencer par indiquer que, par souci de transparence, j’ai décidé de préparer un ensemble unique de motifs plutôt que des motifs publics et confidentiels distincts, comme on le fait parfois dans de tels cas. Le corps des motifs, qui sera fourni aux demandeurs et à leur avocat, sera intégré dans le dossier public. Lorsqu’il est nécessaire de discuter des questions ou des documents précis découlant des audiences à huis clos, je le ferai dans les notes de bas de page, dont le contenu sera expurgé des motifs avant que ma décision soit rendue publique. Mes motifs seront autrement identiques dans les versions publiques et confidentielles.

II.                Résumé des procédures

[11]           Les demandeurs sont d’abord arrivés au Canada le 30 septembre 2012. Ils ont été arrêtés le 7 mars 2014 et détenus aux fins de l’immigration jusqu’à leur mise en liberté pour être assignés en résidence en novembre 2015. Ils ont été détenus en raison de préoccupations quant au fait qu’ils présentaient un risque de fuite et qu’ils étaient des fugitifs recherchés par la justice.

[12]            Les demandeurs ont demandé l’asile en juillet 2014. Comme il a été indiqué précédemment, les demandeurs déclarent une crainte raisonnable d’être persécutés par les autorités chinoises en raison de leur croyance chrétienne et de leur participation alléguée à une fraude à grande échelle, ce qu’ils nient vivement.

[13]           En septembre 2014, le ministre a donné un avis d’intention d’intervention dans la demande d’asile des demandeurs, alléguant qu’ils devraient être exclus de la protection des réfugiés conformément à l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « LIPR »). Selon l’avis, les demandeurs avaient commis des crimes graves de droit commun avant de venir au Canada. Dans son avis, le ministre a également soulevé des préoccupations quant à la crédibilité des demandeurs. Le ministre a ensuite modifié son avis d’intention d’intervention le 21 juillet 2015 afin d’ajouter des motifs d’exclusion.

[14]           Tel qu’il est indiqué dans l’avis d’intention d’intervention modifié du ministre, Zenhua Wang aurait illégalement obtenu et utilisé un passeport chinois au nom de Changzhi Xie et il se serait présenté frauduleusement comme Changzhi Xie afin d’exécuter une transaction commerciale aux Bahamas. Il est également allégué dans l’avis modifié du ministre que M. Wang a été membre du conseil d’administration de la société Inzon Corporation, établie au Nevada, pendant qu’il détenait une part de la propriété de l’entreprise sous le nom de Changzhi Xie, ce qui constitue une infraction à la législation du Nevada.

[15]           Le ministre fait valoir que les actes de M. Wang constituent des infractions de faux semblant et d’autre fraude conformément aux articles 58, 59, 60 et 62 du Code pénal des Bahamas, ainsi que des infractions aux termes des articles 205.380 et 205.095 du Code criminel du Nevada, notamment l’obtention d’argent, de biens, de loyers ou de travail sous de faux semblants et d’autres actes constituant la falsification. Le ministre indique que, s’ils avaient été commis au Canada, ces actes constitueraient de graves infractions pénales aux termes du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C­46, particulièrement l’alinéa 362(1)a) concernant les infractions par un faux semblant ou une fausse déclaration, qui sont passibles d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas 10 ans. De plus, le ministre allègue que M. Wang a commis des infractions contrairement aux paragraphes 366(1) et (2) et à l’alinéa 368(1)a) du Code criminel, notamment la falsification, la création de faux documents et l’utilisation, le trafic ou la possession d’un document contrefait. Il s’agit d’infractions également passibles d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas 10 ans. Finalement, il est allégué que M. Wang a commis des infractions contrairement au paragraphe 57(1) du Code criminel, notamment la falsification et l’usage de faux en matière de passeports, soit des infractions passibles d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas 14 ans.

[16]           Le ministre déclare que Chunxiang Yan (la conjointe de M. Wang) détient également des passeports chinois sous deux noms différents : Fen Yan (que les autorités chinoises croient être sa réelle identité) et Chunxiang Yan, une identité qui aurait été obtenue illégalement. Le ministre fait valoir que ces actes constituent les infractions d’obtention et d’utilisation d’un passeport sous un faux nom qui, si elles étaient commises au Canada, constitueraient de graves infractions pénales conformément au paragraphe 366(2) et à l’alinéa 368(1)a) du Code criminel, à savoir des infractions passibles d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas 10 ans.

[17]           Par ailleurs, le ministre indique que les demandeurs devraient être exclus de la protection des réfugiés en vertu de l’article 1E de la Convention sur les réfugiés et de l’article 98 de la LIPR, car ils bénéficient du statut de résident permanent en Malaisie et ils ont un pays de référence sûr parce qu’ils sont des citoyens de la République dominicaine, ainsi que de la Chine.

[18]           La Commission a déterminé au début de la procédure que les audiences de demande d’asile devraient être disjointes, c’est­à­dire que la Commission examinerait d’abord la question d’exclusion, puis la question d’inclusion, au besoin. Les circonstances entourant l’obtention de la citoyenneté en République dominicaine par les demandeurs sont donc pertinentes à la question d’exclusion, en plus de leurs actes de criminalité allégués en Chine.

[19]           Le ministre a déposé 13 volumes de preuves à l’audience de demande d’asile des demandeurs. Ces documents contiennent de nombreuses références à Chen et à Szeto et à la relation entre ces derniers et les demandeurs. Entre autres, le ministre a divulgué des documents et des vidéocassettes provenant de la Police régionale de York et de l’ASFC qui concernaient les plaintes pénales formulées par les demandeurs contre Chen et Szeto, de même qu’une plainte à l’égard de Chen et de Szeto que les demandeurs ont soumise à l’ambassade de la Chine. Le ministre a aussi produit de nombreux documents liés à l’action civile que les demandeurs ont entamée contre Chen et Szeto auprès de la Cour supérieure de la justice de l’Ontario.

[20]           Lors de leur audience de demande d’asile, les demandeurs ont déposé plusieurs requêtes visant la divulgation de divers types de renseignements du ministre. On ne s’est pas prononcé sur la plupart de ces requêtes, qui semblent avoir été mises en suspens.

[21]           Jusqu’ici, M. Wang a fait l’objet d’un examen par le représentant du ministre au cours d’une période de neuf jours. Durant l’audience, M. Wang a été longuement interrogé au sujet de leur relation, la sienne et celle de Mme Yan, avec Chen et Szeto et de leur liaison aux questions d’immigration des demandeurs, y compris l’obtention de passeports de la République dominicaine pour les demandeurs. M. Wang a également fait l’objet d’un examen approfondi relativement à un certain nombre d’entreprises, y compris Hong Kong Yingxin à Hong Kong, Mixculture Tourism au Canada, Inzon aux États­Unis et Mixculture Capital aux Bahamas. De plus, le représentant du ministre a interrogé M. Wang sur sa plainte formulée auprès de la Police régionale de York à l’égard de Chen et de Szeto et de l’action civile des demandeurs contre Chen et Szeto.

[22]           Jusqu’ici, Mme Yen a fait l’objet d’un examen pendant environ quatre jours et demi; son examen est toujours en cours. Le représentant du ministre a longuement interrogé Mme Yan au sujet de sa relation avec Chen et Szeto, du rôle qu’ils ont joué pour les aider, elle et son conjoint, à obtenir leurs passeports de la République dominicaine, de l’action civile des demandeurs contre Chen et Szeto, ainsi que de la participation de Chen et Szeto aux entreprises des demandeurs.

[23]           En juin 2015, il est devenu évident aux yeux des demandeurs que le ministre avait des documents obtenus de la Police régionale de York concernant les demandeurs et Chen et Szeto, en plus de documents fournis directement par Chen et Szeto, qui n’avaient pas été divulgués aux demandeurs précédemment. Par conséquent, les demandeurs ont renouvelé leur requête visant la divulgation de tous les éléments de preuve provenant de Chen et de Szeto dont dispose le ministre, ainsi que des preuves obtenues de la Police régionale de York et des autorités chinoises.

[24]           En réponse, le ministre a informé la Commission que Chen et Szeto font actuellement l’objet d’une enquête réalisée par l’ASFC, qui n’a pas encore été rendue publique. Par conséquent, le ministre a déclaré que si la requête de divulgation des demandeurs était accordée, il s’opposerait à la divulgation de toute preuve relative à Chen et Szeto conformément à l’article 37 de la LPC.

[25]           Il est à noter que, tandis que le représentant du ministre a déclaré devant la Commission que la divulgation publique de l’existence de l’enquête sur Chen et Szeto réalisée par l’ASFC compromettrait ladite enquête, ces renseignements figurent dans le dossier déposé par les demandeurs dans la présente affaire. Le ministre n’a pas demandé une ordonnance de confidentialité visant à soustraire ces renseignements à la divulgation publique; l’existence de l’enquête sur Chen et Szeto est donc maintenant une question du domaine public.

[26]           La Commission a accordé la requête de divulgation des demandeurs, en date du 8 juillet 2015, visant à ordonner le ministre de produire [traduction] « [...] tous les documents de la Chine et de la Police régionale de York, et tous les documents provenant de Chen et de Szeto qui portent sur les questions en litige. » Au cours d’une conférence de gestion de l’instance tenue le jour suivant, la Commission a d’ailleurs ordonné de ne pas poursuivre l’audience de demande d’asile des demandeurs jusqu’à ce que les questions liées à l’article 37 soient résolues.

[27]           En vertu du paragraphe 37(1) de la LPC, le ministre a ensuite produit un certificat émis par Linda Robertson, directrice adjointe de l’ASFC, dans lequel elle certifie que les éléments de preuve que le ministre cherche à retenir constituent des renseignements concernant une enquête ou plus sur un intéressé ou plus, dont la divulgation pourrait compromettre de telles enquêtes.

[28]           Mme Robertson a également fait valoir que la divulgation des éléments de preuve en litige pourrait miner la capacité de l’ASFC à prendre des mesures d’application contre les intéressés faisant l’objet des enquêtes en cours, car elle pourrait entraîner la destruction des éléments de preuve ou la fuite des intéressés. Par conséquent, Mme Robertson a certifié que la divulgation de toute partie des éléments de preuve en litige nuirait à un intérêt public précis en vertu de l’article 37 de la LPC.

[29]           Mme Robertson a aussi certifié que le ministre n’a pas l’intention de se fonder sur les éléments de preuve en litige pour soutenir son argument selon lequel les demandeurs devraient être exclus de la protection de la Convention sur les réfugiés. Cet argument a été maintenu dans l’avis d’intention d’intervention modifié du ministre.

[30]           Mme Robertson n’avait cependant pas examiné le dossier des demandeurs avant de certifier que la divulgation des documents en litige nuirait à une enquête ou plus. En outre, elle n’était pas consciente des questions soulevées dans l’affaire des demandeurs, au­delà des déclarations faites dans l’avis d’intention d’intervention du ministre. En effet, elle n’était même pas au courant du motif pour l’intervention du ministre, car il est indiqué dans son affidavit que le ministre intervenait dans l’audience de demande d’asile des demandeurs pour « fausse représentation », à savoir un argument manifestement inexact qui a ensuite été maintenu dans son contre­interrogatoire.

[31]           Les demandeurs ont déposé une demande par laquelle ils cherchent à obtenir une décision selon laquelle l’opposition du ministre conformément à l’article 37 de la LPC ne tient pas, en plus d’une ordonnance enjoignant le ministre à divulguer les versions non expurgées des éléments de preuve en litige. Subsidiairement, les demandeurs demandent une ordonnance visant à obtenir des résumés détaillés des renseignements retenus ou des admissions de faits. De plus, ils demandent une ordonnance déclarant que l’opposition des défendeurs constitue un abus de procédure et une ordonnance enjoignant les défendeurs à fournir les éléments de preuve en litige aux demandeurs.

III.             Le cadre juridique applicable

[32]           Avant d’examiner le bien­fondé de la demande des demandeurs, il est important de déterminer les principes juridiques qui régissent l’évaluation des oppositions en vertu de l’article 37 de la LPC.

[33]           L’article 37 de la LPC permet à un ministre de la Couronne de s’opposer à la divulgation de renseignements en certifiant à l’oral ou par écrit que les renseignements ne devraient pas être divulgués aux motifs d’un intérêt public précis, comme l’atteinte à une enquête en cours [paragraphe 37(1)].

[34]           Conformément au paragraphe 37(4.1) de la LPC, un tribunal peut ordonner la divulgation des renseignements en litige sauf s’il conclut qu’une telle divulgation est préjudiciable au regard des raisons d’intérêt public déterminées. Si la divulgation des renseignements en litige n’était pas préjudiciable au regard des raisons d’intérêt public déterminées, le tribunal pourrait ordonner la divulgation : Goguen c. Gibson, [1983] 1 C.F. 872.

[35]           Ce faisant, la Cour doit éviter de se fonder sur des « [...] allégations générales d’entrave éventuelle à une enquête en cours » : R. c. Toronto Star Newspapers Ltd. (2005), 204 C.C.C. (3d) 397 au paragraphe 15, [2005] O.J. no 5533 (C.S.J.). Il incombe plutôt au ministre d’établir que la divulgation des renseignements en litige aurait un effet préjudiciable concret sur l’enquête en cours.

[36]           Si la Cour conclut que la divulgation des éléments de preuve en litige est effectivement préjudiciable au regard des raisons d’intérêt public déterminées, elle doit ensuite déterminer si l’intérêt public en faveur de la divulgation l’emporte sur l’intérêt public à protéger une enquête en cours : paragraphe 37(5), R. c. Richards (1997), 34 O.R. (3d) 244 aux paragraphes 248 et 249, 100 O.A.C. 215 (C.A.). Si elle conclut que l’intérêt public en faveur de la divulgation l’emporte sur l’intérêt public à protéger une enquête en cours, la Cour peut ordonner la divulgation de l’intégralité, d’une partie ou de résumés des renseignements en litige et imposer toute condition relative à la divulgation que la Cour juge pertinente.

[37]           Au moment d’exécuter cet exercice de pondération, le juge Rothstein a indiqué dans la décision Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1996] 2 C.F. 316, 110 F.T.R. 81 au paragraphe 25, que les facteurs suivants devraient être pris en compte :

a) La nature de l’intérêt public que l’on tente de protéger par le secret [...].

b) La question de savoir si « un fait crucial pour la défense sera probablement ainsi établi » [...].

c) La gravité de l’accusation ou des questions concernées [...].

d) L’admissibilité des documents et leur utilité [...].

e) La question de savoir si les requérants ont établi qu’il n’existe pas d’autres moyens raisonnables d’obtenir les renseignements [...].

f) La question de savoir si les demandes de divulgation de renseignements visent la communication de certains documents ou constituent des interrogatoires à l’aveuglette.

[renvois omis]

Il convient également de consulter la décision Canada (Procureur général) c. Tepper, 2016 CF 307 au paragraphe 15, [2016] A.C.F. no 288, citant l’ouvrage de Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, 4e éd. (Markham : LexisNexis, 2014), aux pages 1073 et 1074.

[38]           Si la Cour n’ordonne pas la divulgation conformément aux paragraphes 37(4.1) ou (5), elle doit interdire la divulgation des renseignements en litige conformément au paragraphe 37(6).

IV.             L’historique procédural de la présente demande

[39]           Lorsqu’elle est appelée à statuer sur une demande faite en vertu de l’article 37 de la LPC, la Cour doit tout d’abord déterminer si la demande peut être traitée en fonction des affidavits déposés ou si les demandeurs ont établi l’existence d’une « apparence de droit » à la divulgation; dans ce dernier cas, la Cour doit examiner les éléments de preuve en litige afin de décider de la validité de la revendication du privilège : Khan, précité, au paragraphe 24.

[40]           Après avoir soigneusement examiné le dossier public et les affidavits déposés par le ministre à titre confidentiel, j’ai conclu que les demandeurs avaient établi l’existence d’une « apparence de droit » à la divulgation et que je devais examiner les documents et les vidéocassettes en litige pour décider de la validité des revendications du privilège d’intérêt public du ministre. Par conséquent, j’ai ordonné que le ministre produise ces documents aux fins de ma propre enquête.

[41]           Les demandeurs ont déposé une requête visant à nommer un amicus curiae  pour aider la Cour dans toute procédure ex parte concernant l’opposition du ministre en vertu de l’article 37. J’ai conclu qu’un amicus curiae pourrait m’aider à statuer sur l’opposition du ministre. M. Gordon Cameron a ensuite été nommé amicus curiae dans la présente affaire.

[42]           L’avis de demande des demandeurs soulève également une contestation constitutionnelle à l’article 37 de la LCP. L’avocat des demandeurs a confirmé cette contestation lors de la procédure de gestion de l’instance. Il a toutefois déclaré que les demandeurs ne donneraient pas suite à leur contestation à cette étape de la procédure. Les demandeurs décideront plutôt s’il est nécessaire de donner suite à leur contestation constitutionnelle au régime de l’article 37 après que la Cour aura statué sur l’opposition en vertu de l’article 37.

[43]           Finalement, les demandeurs font valoir que le fait que le ministre ne s’est pas opposé à la divulgation d’éléments de preuve pertinents en temps opportun constitue un abus de procédure. Selon les demandeurs, ce recours abusif est combiné au fait que le représentant du ministre les avait déjà interrogés pendant des jours, tandis qu’ils n’étaient pas au courant de l’existence ou du contenu de tous les éléments de preuve en litige dans l’instance.

[44]           Les demandeurs ont confirmé que la Commission devra ultimement prendre une décision sur la question liée à l’abus de procédure. Bien que j’aie certainement tenu compte des arguments liés à l’abus de procédure des demandeurs au cours de l’évaluation des questions relatives à l’article 37 dans la présente affaire, je ne formulerai aucun commentaire sur le bien­fondé de ces arguments, étant donné qu’il devra être déterminé par la Commission en temps opportun.

[45]           Après l’échange d’affidavits publics et confidentiels et d’observations écrites, on a tenu une audience publique en l’espèce le 23 mars 2016, ainsi que des audiences ex parte à huis clos le 24 mars et le 14 avril 2016 en présence de l’amicus curiae. Lors de l’audience à huis clos, j’ai entendu le témoignage du témoin du ministre, qui a expliqué le fondement de la revendication du privilège d’intérêt public. De plus, j’ai reçu les observations de l’avocat du ministre et de l’amicus curiae.

[46]           La question à trancher est donc de savoir si le ministre a établi que la divulgation des renseignements en litige compromettrait effectivement une enquête ou plus de l’ASFC et, dans l’affirmative, si le droit à la divulgation des demandeurs et l’intérêt public dans l’administration de la justice l’emportent sur l’intérêt public en faveur de la non­divulgation dans la présente affaire.

V.                Détermination de la pertinence des renseignements en litige

[47]           Pour déterminer si les renseignements que le ministre cherche à protéger doivent être divulgués aux demandeurs, je dois d’abord déterminer s’ils sont pertinents aux questions dont la Commission est saisie. Pour trancher cette question, je dois également examiner l’importance de l’ordonnance de divulgation de la Commission et, le cas échéant, le rôle que devrait jouer l’ordonnance dans mon évaluation de la pertinence des documents et des vidéocassettes en litige.

[48]           Lorsqu’elle a rendu son ordonnance de divulgation, la Commission a conclu implicitement que les renseignements faisant l’objet de l’ordonnance de divulgation étaient pertinents aux questions dont elle était saisie. La Commission a tenu quelque 22 jours d’audiences en l’espèce, de même que bon nombre de conférences de gestion de l’instance. Elle a entendu de nombreux éléments de preuve concernant le tissu complexe de relations entre les demandeurs (et leurs diverses entités juridiques) et Chen et Szeto. La Commission connaît donc personnellement les questions dont elle est saisie et l’importance potentielle des renseignements en litige. Ces questions militent toutes en faveur d’accorder un poids considérable à la conclusion de la Commission, selon laquelle les documents et les vidéocassettes qui entrent dans la portée de l’ordonnance sont pertinents au cas de réfugié des demandeurs.

[49]           Cela dit, la Commission n’avait pas mené une enquête sur les documents ou les vidéocassettes en litige avant de rendre son ordonnance de divulgation et elle n’était donc pas au courant du contenu réel ou de l’importance de ce matériel.

[50]           Dans ces circonstances, même si je suis consciente du fait que la Commission était clairement d’avis que les renseignements sollicités par les demandeurs pourraient être pertinents aux questions dont elle était saisie, je dois néanmoins tirer mes propres conclusions quant à la pertinence des documents et des vidéocassettes en litige.

[51]           Pour prendre ma décision, je dois avoir une compréhension claire des questions dont la Commission est saisie. Le ministre, qui a une perception étroite des questions dont la Commission est saisie, soutient que la Commission ne traite que de l’exclusion des demandeurs à ce stade et que les seules questions abordées sont celles établies dans l’avis d’intention d’intervention modifié. En ce qui concerne M. Wang, ces questions portent sur la possession et l’utilisation de l’identité « Changzhi Xie », notamment pour exécuter une transaction commerciale aux Bahamas et détenir des parts de la société Inzon Corporation. Pour ce qui est de Mme Yan, la Commission n’est saisie que des questions liées à la possession et à l’utilisation de l’identité « Fan Yan ».

[52]           Les demandeurs, qui ont une perception beaucoup plus vaste des questions dont la Commission est saisie, soutiennent qu’elles comprennent les questions survenues au cours de la procédure. Ils soulignent que le ministre a divulgué des vidéocassettes de leurs interrogatoires avec la Police régionale de York, ainsi que d’autres éléments de preuve fournis par Chen. D’après les demandeurs, cela témoigne du fait que le ministre comprend que les renseignements provenant de ces sources sont pertinents aux questions dont la Commission est saisie.

[53]           Les demandeurs indiquent d’ailleurs que le représentant du ministre les a longuement interrogés sur des sujets non établis dans l’avis d’intervention modifié, y compris la nature et l’étendue de leur relation avec Chen et Szeto et leurs transactions commerciales en Chine, à Hong Kong, au Canada, aux États­Unis et aux Bahamas, mettant ainsi ces sujets en cause dans la procédure. En outre, les demandeurs font valoir que leur histoire personnelle avec Chen et Szeto est essentielle à leur défense et qu’elle est d’ailleurs devenue cruciale pour décider de leur crédibilité.

[54]           Finalement, les demandeurs soutiennent que les questions liées à l’inclusion et au pays de référence demeurent les questions en litige dont la Commission est saisie.

[55]           À ce stade, la question liée au pays de référence est clairement une question en litige dont la Commission est saisie, car le ministre cherche à exclure les demandeurs en vertu de l’article 1E de la Convention sur les réfugiés et de l’article 98 de la LIPR au motif qu’ils ont un pays de référence sûr compte tenu de leur statut de citoyen de la République dominicaine. Par conséquent, les questions liées à la façon dont les demandeurs sont devenus des citoyens de la République dominicaine et à la légitimité de ce statut de citoyen sont nettement en litige à ce stade de la procédure, tout comme le rôle qu’ont joué Chen et Szeto pour aider les demandeurs à acquérir la citoyenneté.

[56]           Je suis également d’avis avec les demandeurs que les questions soulevées dans leur procédure de demande d’asile ne peuvent pas déterminées uniquement par un renvoi à l’avis d’intention d’intervention modifié du ministre. Même si je suis d’avis avec le ministre que les motifs pour l’exclusion relevés dans l’avis fournissent le fondement de ce qui est en cause durant cette phase de la procédure de demande d’asile des demandeurs, la portée de ces questions doit être examinée dans le contexte des procédures au fil de leur déroulement réel. Comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale, la pertinence des éléments de preuve en litige dans une demande faite en vertu de l’article 37 ne doit pas être considérée comme « se rapportant strictement à la question de savoir si elle se rapporte à un point qui a été plaidé, mais plutôt à son importance relative lorsqu’il s’agit de prouver la demande ou de se défendre » : Jose Pereira E Hijos S.A. c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 470 au paragraphe 17, 235 F.T.R. 158.

[57]           Par suite d’un examen de la transcription de l’audience de demande d’asile des demandeurs, il est évident que le représentant du ministre a longuement interrogé ces derniers sur diverses questions au­delà des motifs précis pour l’exclusion établis dans l’avis d’intention d’intervention modifié. Bon nombre de ces questions portaient sur la relation des demandeurs avec Chen et Szeto et leur participation aux diverses entreprises des demandeurs.

[58]           Qui plus est, lorsque les demandeurs ont soulevé des oppositions répétées à ces séries de questions, le représentant du ministre a justifié son long contre­interrogatoire en faisant valoir que ces autres questions étaient effectivement pertinentes à la décision concernant les motifs d’exclusion établis et à la crédibilité des demandeurs, soit une autre préoccupation clairement soulevée dans l’avis d’intention d’intervention du ministre. Cela vient miner l’argument que le ministre a présenté à la Cour, selon lequel les seules questions prises en compte par la Commission sont celles qui se rapportent strictement aux allégations précises contenues dans les deux avis d’intention d’intervention du ministre.

[59]           Autre fait important, la Commission a toujours permis au représentant du ministre de contre­interroger les demandeurs sur un large éventail de sujets au motif que ces questions étaient véritablement pertinentes à la décision concernant les questions dont la Commission est saisie.

[60]           Par conséquent, je suis d’avis que les questions abordées par la Commission n’étaient pas strictement limitées aux motifs d’exclusion étroits soulevés dans l’avis d’intention d’intervention modifié, mais englobaient plutôt une grande variété de sujets relatifs à l’histoire personnelle des demandeurs avec Chen et Szeto, de même qu’aux transactions commerciales des demandeurs à Hong Kong, au Canada, aux États­Unis et aux Bahamas.

[61]           La nature et la portée de l’audience devant la Commission étant ainsi comprises, j’étudierai ensuite le bien­fondé de l’argument du ministre selon lequel divers documents et diverses vidéocassettes ne devraient pas être divulgués en raison du privilège d’intérêt public.

VI.             Les renseignements en litige devraient­ils être divulgués aux demandeurs dans la présente affaire?

A.                Documents de la première catégorie

[62]           Le ministre et l’amicus curiae conviennent que 24 documents ou groupes de documents produits par le ministre en réponse à la demande des demandeurs ne cadrent clairement pas avec l’ordonnance de divulgation de la Commission, datée du 8 juillet 2015, car ils ne proviennent pas de la Chine et n’ont pas été fournis à l’ASFC par la Police régionale de York ou Chen et Szeto.[1]  Je suis d’accord avec cette conclusion.

[63]           Si je comprends bien les éléments de preuve du témoin du ministre, ces documents ont été produits, non par suite de l’ordonnance de production de la Commission, mais pour permettre à la Cour de comprendre la nature et l’étendue des enquêtes en cours de l’ASFC.

[64]           Ma tâche consiste à déterminer si le matériel que la Commission a ordonné au ministre de produire doit être exempté de la divulgation (en tout ou en partie) en raison d’un privilège d’intérêt public précis. Étant donné que les documents indiqués dans la note de bas de page 1 n’entrent pas dans la portée de l’ordonnance de production de la Commission, aucune question relative à l’article 37 n’est soulevée par rapport à ces documents. Le ministre n’a donc pas besoin de les produire.

B.                 Documents de la deuxième catégorie

[65]           Il existe un deuxième groupe de 14 documents ou groupes de documents[2], dont deux appartiennent également à la première catégorie[3] et trois autres entrent évidemment dans la portée de l’ordonnance de divulgation de la Commission.[4]  Il y a donc neuf autres documents qui pourraient entrer dans la portée de l’ordonnance de la Commission.[5]  Je dis bien « pourraient » parce que le ministre n’a fourni aucun élément de preuve lié à la provenance de nombreux documents faisant l’objet du contrôle.

[66]           L’ASFC connaît la source des documents en sa possession et les demandeurs n’ont aucun moyen de savoir d’où proviennent ces documents. Je comprends donc que l’avocat du ministre est d’avis que, dans le cas où le ministre n’a pas fourni des éléments prouvant la façon dont il est entré en possession de certains documents, il convient de tirer une conclusion défavorable contre le ministre et de supposer que les documents en litige cadrent effectivement avec l’ordonnance de divulgation de la Commission.

[67]           L’avocat du ministre et l’amicus curiae conviennent que les documents de la deuxième catégorie sont véritablement protégés par un privilège d’enquête. Ils conviennent d’ailleurs que l’effet préjudiciable de la divulgation des documents sur une enquête ou plus de l’ASFC l’emporte sur l’avantage salutaire d’une telle divulgation. Après un examen approfondi de ces documents, je suis d’accord avec l’évaluation de l’avocat.

[68]           Ces documents sont liés à des enquêtes en cours de l’ASFC sur des questions dont la Commission n’est pas saisie. En outre, je conclus que la divulgation de ces documents aux demandeurs compromettrait effectivement les enquêtes en cours de l’ASFC et qu’il ne s’agit pas d’une situation où les répercussions sur les enquêtes en cours pourraient être atténuées par la production de résumés ou de versions expurgées des documents en litige.[6]  En conséquence, la prépondérance penche en faveur du ministre en ce qui a trait aux documents de la deuxième catégorie, dont la divulgation ne sera pas ordonnée.

C.                 Troisième catégorie – Les vidéocassettes

[69]           L’ordonnance de divulgation de la Commission, datée du 8 juillet 2015, exigeait la production de tous les renseignements en la possession du ministre qui provenaient de Chen et Szeto ou ont été fournis par la Police régionale de York. Le ministre a refusé de produire quelque sept heures d’interrogatoires enregistrés de Chen et Szeto qui ont été menés par la Police régionale de York.[7]

[70]           Ces vidéocassettes entrent clairement dans la portée de l’ordonnance de divulgation de la Commission, car elles ont été fournies à l’ASFC par la Police régionale de York. Par ailleurs, elles sont évidemment pertinentes aux questions dont la Commission est saisie, étant donné que la relation des demandeurs avec Chen et Szeto a joué un rôle central dans les audiences de demande d’asile des demandeurs. En effet, le représentant du ministre a soutenu devant la Commission que [traduction] « nous devons comprendre la relation entre M. Wang, Mme Yan et [Chen]. Ce sont les actes qu’ils commettent les uns envers les autres qui sont au cœur de la fraude ».

[71]           De plus, la relation des demandeurs avec Chen et Szeto est pertinente à l’une des allégations du ministre dans son avis d’intention d’intervention, c’est­à­dire la participation alléguée de M. Wang à une entreprise bahamienne avec deux différentes identités. En guise de défense à cette allégation, les demandeurs ont fait valoir que M. Wang n’a pas signé le document ayant donné lieu à l’allégation. Ils déclarent que Chen ou Szeto ont signé le document en question en utilisant le nom « Changzhi Xie » dans le cadre d’un plan plus vaste visant à frauder les demandeurs pour des millions de dollars.

[72]           Par ailleurs, le représentant du ministre a déjà fourni à la Commission un certain nombre de documents provenant de Chen et Szeto, qui viennent confirmer la pertinence de la relation des demandeurs avec ces derniers pour ce qui est des demandes d’asile des demandeurs. La Cour a déjà conclu que, une fois que le ministre choisit de divulguer des renseignements sur une question, il faut, par souci d’équité, procéder à la divulgation : B135 c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 871 au paragraphe 26, 438 F.T.R. 128.

[73]           Ainsi, la question est de savoir si le ministre a établi que la divulgation des vidéocassettes des interrogatoires de Chen et Szeto compromettrait à une enquête ou plus de l’ASFC et où établir un équilibre en vue de peser le pour et le contre de la divulgation.

[74]           Dans le contexte d’une demande d’asile, les obligations de divulgation ne sont pas absolues et peuvent être limitées par des revendications valides d’un privilège ou d’autres mécanismes permettant de refuser de divulguer certains renseignements. Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CSC 1 [2002] au paragraphe 122, [2002] 1 R.C.S. 3; Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CSC 9 aux paragraphes 53 et 57 à 61, [2007] 1 R.C.S. 350.

[75]           Le privilège d’enquête n’est pas un privilège générique : Conway c. Rimmer et al., [1968] A.C. 910, [1968] 1 All E.R. (H.L.); Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, précité, à la page 1084. La Cour d’appel de l’Ontario a d’ailleurs conclu que même s’il y a [traduction] « un motif évident par lequel il faut faire preuve de prudence au moment de divulguer le contenu de tout document en la possession de la police, il ne s’agit pas d’un motif acceptable pour exclure de tels documents dans une certaine catégorie » : Smerchanski c. Lewis Smerchanski c. Asta Securities Corporation Limited, (1981), 31 O.R. (2d) 705 au paragraphe 20, 120 D.L.R. (3d) 743 (C.A.).

[76]           Qui plus est, le privilège d’enquête a été décrit comme un motif « assez étroit » pour la confidentialité qui « doit être établi au cas par cas » : R. c. Toronto Star Newspapers Ltd., (2005) 204 C.C.C. (3d) 397 au paragraphe 14, [2005] O.J. no 5533 (C.S.J.).

[77]           Dans la présente affaire, aucun élément de preuve ne suppose que Chen ou Szeto étaient des informateurs de la police ou qu’on leur avait fait une promesse de confidentialité quelconque relativement aux renseignements qu’ils ont fournis lors de leurs interrogatoires par la police. Chen et Szeto sont évidemment conscients du fait qu’ils ont été interrogés par la Police régionale de York et, par conséquent, ils sauraient ce qu’ils avaient dévoilé à la police. Chen et Szeto auraient également été mis au courant, au moins par la Police régionale de York, qu’ils faisaient l’objet d’une enquête parce qu’ils ont été avisés de leur droit de consulter un avocat avant le début des interrogatoires et leurs déclarations ont été faites après mise en garde.

[78]           Les demandeurs sont aussi conscients du fait que Chen et Szeto font l’objet d’une enquête menée par l’ASFC, car le représentant du ministre en a expressément informé la Commission lors de l’audience du 8 juillet 2015. Je dois également remettre en question l’ampleur de la préoccupation du ministre à l’égard de l’effet préjudiciable de la divulgation de l’existence de l’enquête menée par l’ASFC sur Chen et Szeto sur l’enquête en question, étant donné qu’aucune tentative n’a été faite par le ministre pour éviter que ces renseignements soient divulgués dans la procédure en vertu de l’article 37. Ils font donc maintenant partie du dossier public.

[79]           Bien que je n’aie pas reçu tous les documents produits dans le contexte de l’action civile des demandeurs contre Chen et Szeto, il est évident, selon le dossier public des demandeurs, que Chen et Szeto ont formulé de nombreuses allégations différentes d’inconduite de la part des demandeurs dans cette action.[8]  Il est également évident que Chen et Szeto ont divulgué de nombreux documents dans l’action civile. Ils ont d’ailleurs produit bon nombre de documents liés à leur relation avec les demandeurs et à leurs diverses entreprises. Parmi les renseignements divulgués au cours des interrogatoires de Chen ou Szeto avec la police, le ministre n’a relevé aucune information précise qui n’avait pas déjà été divulguée aux demandeurs dans le contexte de l’action civile.[9]

[80]           Les interrogatoires de Chen et Szeto ont été fournis dans le contexte d’une enquête policière sur certaines allégations d’actes criminels qui avaient été commis à leur endroit par les demandeurs. Bien que les interrogatoires traitent naturellement de sujets qui auraient peut­être suscité l’intérêt de la Police régionale de York, les vidéocassettes ne révèlent aucun sujet qui pourrait susciter l’intérêt de l’ASFC dans le contexte de ses propres enquêtes.

[81]           Par conséquent, le ministre n’est pas parvenu à établir que les vidéocassettes des interrogatoires de Chen et Szeto avec la Police régionale de York devraient être soustraites à la divulgation au motif que la divulgation pourrait compromettre une enquête ou plus de l’ASFC. Le ministre est donc tenu de fournir aux demandeurs des copies de l’enregistrement des interrogatoires de Chen et Szeto avec la Police régionale de York dans les 30 jours suivant la date de mon ordonnance à cet égard.[10]

[82]           Cela dit, cinq très brèves parties des vidéocassettes sont de nature semblable aux renseignements contenus dans les documents de la deuxième catégorie.[11]   J’ai déjà conclu que la divulgation de ce type d’information compromettrait une enquête en cours ou plus de l’ASFC et qu’il ne s’agit pas d’une situation où les répercussions sur les enquêtes en cours pourraient être atténuées par la production de résumés ou de versions expurgées des extraits vidéo en litige. Conséquemment, la prépondérance penche en faveur du ministre en ce qui a trait aux vidéocassettes indiquées dans la note de bas de page 11 et ces parties des vidéos devraient être soustraites à la divulgation.

[83]           L’amicus curiae et le ministre se consulteront afin de veiller à ce que seules les parties révélant les renseignements indiqués dans la note de bas de page 11 soient retirées avant que les vidéos soient divulguées aux demandeurs par les présents motifs. Toute question ou tout différend quant à l’étendue des expurgations requises peut m’être adressé.

D.                Documents de la quatrième catégorie

[84]           Bon nombre de documents proviennent clairement de Chen ou Szeto et cadrent entièrement avec l’ordonnance de divulgation de la Commission.

[85]           Le premier groupe comporte 13 documents que Chen a fournis à la Police régionale de York durant l’un de ses interrogatoires avec la police.[12]  Le fait que les documents sont maintenant en la possession de l’ASFC ne révèle en aucun cas les domaines d’intérêt de l’ASFC, ni la nature ou la portée de ses enquêtes en cours. Le ministre reconnaît d’ailleurs que bon nombre de ces documents ont déjà été produits dans le contexte du litige devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.[13]  On ne m’a pas convaincu que la divulgation de la plupart de ces documents aurait un effet négatif sur toute enquête en cours de l’ASFC. Les documents mentionnés dans la note de bas de page 12 doivent donc être produits, sous réserve des exceptions figurant dans la note de bas de page 13.

[86]           Les documents du deuxième groupe, que Chen a directement fournis à l’ASFC, cadrent clairement avec l’ordonnance de divulgation de la Commission.[14]  On ne m’a pas convaincue que la divulgation de la plupart de ces documents nuirait à toute enquête en cours de l’ASFC. Les documents mentionnés dans la note de bas de page 14 doivent donc être produits, sous réserve des expurgations indiquées dans la note de bas de page.

E.                 Documents divers

[87]           Il reste alors cinq documents ou groupes de documents qui n’entrent pas totalement dans l’une ou l’autre des catégories de documents susmentionnées. Ces documents seront donc évalués individuellement.

[88]           Le premier document apparaît deux fois dans les affidavits du ministre.[15] Le ministre n’a fourni aucun élément de preuve concernant la provenance de ce document et, pour les motifs fournis précédemment, je suppose que le document cadre avec l’ordonnance de divulgation de la Commission.

[89]           Ce document est pertinent aux questions dont la Commission est saisie. Puisqu’aucune information ne révèle la source du document, on ne m’a pas convaincu que sa divulgation porterait atteinte à toute enquête menée par l’ASFC parce qu’on n’a pas établi que la divulgation du document révélerait tout domaine d’intérêt de l’ASFC. Le document décrit dans la note de bas de page 15 doit donc être divulgué.

[90]           Ces derniers commentaires s’appliquent également au deuxième groupe de documents.[16] Encore une fois, on ne m’a fourni aucun renseignement sur la source des documents en litige et on ne m’a donc pas convaincu que leur divulgation porterait atteinte à toute enquête à laquelle l’ASFC pourrait participer. Par conséquent, les documents doivent être divulgués.

[91]           En outre, on ne connaît pas l’origine de deux autres documents. Ainsi, je suppose qu’ils entrent dans la portée de l’ordonnance de divulgation de la Commission.[17] On ne m’a cependant pas convaincu que ces documents sont pertinents aux questions dont la Commission est saisie. Il n’est donc pas nécessaire de les produire.

[92]           Le dernier document, qui provient de la Police régionale de York, entre dans la portée de l’ordonnance de divulgation de la Commission.[18] On ne sait pas qui a préparé le document en litige, mais, étant donné qu’il provient de la Police régionale de York, il ne révèle aucun domaine d’intérêt éventuel de l’ASFC dans le contexte de ses propres enquêtes.[19]  Le document décrit dans la note de bas de page 18 doit donc être produit.

VII.          Conclusion

[93]           Pour ces motifs, la contestation des demandeurs à l’égard de l’affirmation du ministre, concernant un privilège d’enquête d’intérêt public en vertu de l’article 37 de la LPC, est accordée en partie. Dans les 30 jours suivant la présente décision, le ministre devra produire les documents et les vidéocassettes à divulguer selon les présents motifs, et ce, sous le format indiqué dans les notes de bas de page qui renvoient aux motifs. Les dépens suivront l’issue de la cause.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La contestation des demandeurs à l’égard de l’affirmation du ministre, concernant un privilège d’enquête d’intérêt public en vertu de l’article 37 de la LPC, soit accordée en partie;

2.                  Dans les 30 jours suivant la présente décision, le ministre produise les documents et les vidéocassettes à divulguer selon les présents motifs, et ce, sous le format indiqué dans les notes de bas de page qui renvoient aux motifs;

3.                  Les dépens suivront l’issue de la cause.

« Anne L. Mactavish »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T­1156­15

 

INTITULÉ :

ZHENUA WANG ET CHUNXIANG YAN c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE, LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario), le 23 mars 2016

Ottawa (Ontario), le 24 mars et le 14 avril 2016

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 mars et le 14 avril 2016 (à huis clos)

Le 23 mars 2016 (audience publique)

 

ORDONNANCE PUBLIQUE ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 mai 2016

COMPARUTIONS :

M. Lorne Waldman

 

Pour les demandeurs (audience publique)

 

M. James Todd et Mme I. Erdei

 

Pour les défendeurs

 

M. Gordon Cameron

AMICUS CURIAE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats­procureurs

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs (audience publique)

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

Blake, Cassels & Graydon LLP

Avocats­procureurs

Ottawa (Ontario)

AMICUS CURIAE

 

 



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