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Date : 20160608


Dossier : IMM-4312-15

Référence : 2016 CF 636

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2016

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

VALENTINA TORRES MARTINEZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse, Valentina Torres Martinez, est une citoyenne de la Colombie âgée de 19 ans. Elle est arrivée au Canada en août 2014, avec un permis d’études pour terminer sa dernière année d’études secondaires à l’école Sacred Heart School de Halifax. Son permis d’études, qui était valide jusqu’au 15 septembre 2015, portait la mention suivante : [traduction] « Interdiction d’occuper un emploi au Canada sans autorisation ».

[2]               La demanderesse a obtenu son diplôme d’études secondaires de la Sacred Heart School en juin 2015. Avant de terminer ses études secondaires, la demanderesse a été acceptée à l’Université Saint Mary’s de Halifax, pour la session universitaire d’automne devant débuter le 9 septembre 2015; en août 2015, la demanderesse a donc présenté une demande en vue de prolonger son séjour au Canada à titre d’étudiante. Sa demande a toutefois été refusée dans une lettre datée du 19 septembre 2015, dans laquelle il était indiqué ce qui suit : [traduction] « il a été déterminé que vous avez étudié au Canada sans autorisation et que vous avez ainsi enfreint une condition imposée en vertu du paragraphe 183(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-207, le Règlement) ».

[3]               Cependant, les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC), rendues publiques le 21 octobre 2015 conformément à l’article 9 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 (les Règles), portent à croire, selon une inscription datée du 20 septembre 2015, que la demande de prorogation du permis d’études de la demanderesse a été refusée, non pas parce qu’elle avait étudié sans autorisation, mais plutôt parce qu’elle avait travaillé sans autorisation à la Sacred Heart School, à titre de surveillante au service de garde scolaire des élèves du primaire. La demanderesse présente une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, à l’encontre de la décision rendue par l’agent d’immigration (l’agent) le 19 septembre 2015, lui refusant la prorogation de son permis d’études. Elle demande à la Cour d’annuler la décision de l’agent et de renvoyer l’affaire à un autre agent aux fins d’un réexamen.

I.                   Questions en litige

[4]               Les questions soulevées par la présente demande de contrôle judiciaire se résument en fait à une seule question que la Cour doit trancher : la décision de l’agent en l’espèce est-elle raisonnable?

[5]               Il n’est pas nécessaire de déterminer si la demanderesse a occupé un emploi autorisé ou non autorisé en conformité ou en contravention avec le Règlement. La demanderesse croyait que le numéro d’assurance sociale qu’elle avait obtenu l’autorisait à travailler pendant ses études à la Sacred Heart School, mais ce numéro lui a été délivré par erreur par des agents de Service Canada.

II.                Norme de contrôle

[6]               La demanderesse fait valoir explicitement, alors que le demandeur le fait implicitement, que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle qui doit s’appliquer à l’examen par la Cour de la décision de l’agent. Je conviens que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle appropriée.

[7]               Cela étant dit, la Cour ne doit pas intervenir si la décision de l’agent est justifiable, transparente et intelligible et la Cour doit déterminer « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47. Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, au paragraphe 16.

[8]               Il faut également considérer la décision à l’étude comme un tout et la Cour doit s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 [2013] 2 RCS 458, paragraphe 54; voir aussi Ameni c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 164, au paragraphe 35, 263 ACWS (3d) 745). De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable », et je ne crois pas qu’il « rentre dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, aux paragraphes 59 et 61.

III.             Les arguments des parties

[9]               La demanderesse fait valoir qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de refuser sa demande de prorogation de son permis d’études, pour le motif qu’elle avait étudié au Canada sans autorisation. Comme la demanderesse était titulaire d’un permis d’études valide pour terminer ses études secondaires et qu’elle n’a pas fréquenté d’autre établissement d’enseignement, il n’était pas raisonnable de lui refuser un permis d’études pour ce motif. La demanderesse dit n’avoir reçu les notes du SMGC qu’après avoir entrepris sa demande de contrôle judiciaire, et ces notes ne font aucune mention d’études non autorisées. Elle estime qu’il s’agit là d’une divergence importante et inquiétante, car, si la prorogation de son permis d’études lui a été refusée à cause d’un emploi non autorisé, elle ne pouvait le savoir qu’après avoir entrepris ces procédures. La demanderesse fait valoir que la référence à des études sans autorisation dans la lettre de refus datée du 19 septembre est plus qu’une simple erreur de sémantique ou d’écriture.

[10]           Elle ajoute que, contrairement à l’affaire Wang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1298, 302 FTR 127 [Wang], les notes du SMGC en l’espèce n’appuient pas la décision, mais mentionnent au contraire un motif très différent pour expliquer le refus de la demande. Lorsqu’on examine le motif de refus indiqué dans la lettre, et celui mentionné dans les notes du SMGC, la décision paraît incohérente. Selon la demanderesse, les notes du SMGC sont censées clarifier, et non remplacer ou réécrire, la décision. De plus, la demanderesse note que la lettre de refus est datée du 19 septembre 2015, alors que les notes du SMGC ont été créées et consignées le 20 septembre 2015, soit le lendemain du jour où la lettre lui a été envoyée. La demanderesse invoque l’affaire De Azeem c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1043, au paragraphe 28, 258 ACWS (3d) 171 [De Azeem] pour faire valoir que seules les notes du SMGC préparées avant l’envoi de la lettre de décision peuvent faire partie de la décision, sinon cela équivaudrait à permettre à un agent de réécrire une décision après qu’elle a été communiquée.

[11]           Le défendeur fait valoir que la question en litige en l’espèce se résume à une simple erreur typographique ou administrative dans la lettre de refus, et que la demanderesse n’a présenté aucun argument pour contester le refus basé sur un emploi occupé sans autorisation. Le défendeur fait également valoir que les notes du SMGC indiquent clairement que la demande a été refusée à cause d’un emploi non autorisé, et que la jurisprudence reconnaît que les notes du SMGC peuvent faire partie d’une décision. Selon le défendeur, si l’on se fie à l’affaire Wang, on ne peut déclarer qu’une erreur a été commise du seul fait que l’ensemble des motifs de la décision n’ont été reçus qu’après que la demanderesse a entrepris sa demande.

[12]           Le défendeur allègue en outre que la décision était raisonnable, parce qu’il faut reconnaître que la demanderesse a bel et bien occupé un emploi sans autorisation et qu’elle n’a soulevé aucun argument pour établir qu’une décision fondée sur ce motif serait, ou était, déraisonnable. La Cour, soutient le défendeur, peut et devrait choisir de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’annuler la décision lorsque rien ne le justifierait, car toute décision qui serait rendue après un réexamen serait identique, à l’exception de la correction d’une erreur typographique.

IV.             La décision de l’agent est-elle raisonnable?

[13]           La décision en l’espèce, qui a été communiquée à la demanderesse le 19 septembre 2015, indique clairement que le refus du permis d’études était basé sur des études non autorisées. Cependant, il ressort tout aussi clairement du dossier que la demanderesse n’a entrepris aucune étude non autorisée. Le permis qui lui a été délivré pour faire des études à la Sacred Heart School était valide jusqu’au 15 septembre 2015, soit quelque deux mois après la fin de ses études secondaires et environ cinq semaines avant que la demanderesse présente une demande de prorogation en vue d’entreprendre des études à l’Université Saint Mary’s. Cette décision rendue dans la lettre de refus datée du 19 septembre 2015 est intelligible et incohérente au regard de ces faits et elle ne peut être justifiée. Par conséquent, la décision est déraisonnable.

[14]           Bien que les notes du SMGC établissent tout aussi clairement, du moins de l’avis du défendeur, que le motif réel et approprié de refus du permis était l’emploi occupé par la demanderesse sans autorisation, cette divergence entre la lettre de refus et les notes du SMGC constitue plus qu’une simple erreur typographique ou administrative. Non seulement les notes du SMGC en l’espèce sont-elles postérieures à la lettre de décision, mais elles contredisent également le motif de refus du permis indiqué dans cette lettre. Ces notes sont par ailleurs différentes de celles ayant apporté des précisions à la lettre type de décision, qui ont été prises en compte par la Cour dans Wang :

[22]      Les notes du STIDI [Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration, aujourd’hui désigné SMGC] sont considérées comme faisant partie intégrante de la décision administrative : voir Kalra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1199, 2003 CF 941, au paragraphe 15, et Toma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1000, 2006 CF 779, au paragraphe 12. En l’espèce, les notes du STIDI apportent des précisions à la lettre type de décision et suffisent clairement à informer la demanderesse des motifs de refus du visa. La demanderesse ne peut se plaindre que les notes du STIDI n’ont pas été fournies avant l’introduction de la présente demande, car son avocate ne les a pas demandées plus tôt : voir Hayama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1642, 2003 CF 1305, au paragraphe 14, et Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1301, au paragraphe 31 [...]

[15]           Comme l’a déclaré notre Cour dans l’affaire De Azeem (au paragraphe 28), je ne suis « pas prêt à conclure que toutes les notes du SMGG font partie des motifs en l’espèce ». Même si l’on ne peut établir clairement, à la lecture des motifs de la Cour dans De Azeem, si les notes du SMGC dans cette affaire étaient postérieures à la décision à l’étude, il ressort clairement que seules les notes antérieures à la décision à l’étude dans De Azeem ont fait partie des motifs de la décision. Il y aurait un problème si l’on permettait que les notes du SMGC en l’espèce fassent partie des motifs de refus du permis d’études parce que, non seulement ces notes sont-elles postérieures à la lettre de décision, mais aussi parce qu’elles vont à l’encontre du motif indiqué dans cette lettre. Il est difficile de concevoir comment des notes du SMGC postérieures à une lettre de décision pourraient de quelque manière faire partie de la décision.

V.                Conclusion

[16]           La décision de l’agent en l’espèce n’était pas raisonnable. La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est donc accueillie. Aucune question de portée générale n’est certifiée. Aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : La demande de contrôle judiciaire est accueillie; il n’y a aucune question de portée générale à certifier ni aucuns dépens qui sont adjugés.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4312-15

 

INTITULÉ :

VALENTINA TORRES MARTINEZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 mai 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Lee Cohen

Scott McGirr

 

Pour la demanderesse

 

Melissa Chan

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee Cohen Law Inc.

Avocats

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Pour le défendeur

 

 

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