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Date : 20160530


Dossier : IMM-4016-15

Référence : 2016 CF 600

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2016

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

ROLAIN KWAKWA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Rolain Kwakwa, prétend être un citoyen de la République démocratique du Congo (RDC), être né et avoir grandi dans ce pays et être photojournaliste pour le journal Le Phare en République démocratique du Congo. M. Kwakwa conteste une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 30 juillet 2015 par laquelle la SAR a conclu qu’il n’était pas un réfugié ou une personne à protéger, confirmant ainsi une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) rendue le 3 octobre 2013. En substance, la SPR et la SAR sont d’avis qu’il est plus probable que M. Kwakwa soit un citoyen de l’Angola.

[2] Il s’agit de la deuxième décision de la SAR concernant M. Kwakwa. Dans une première décision datée du 9 janvier 2014, la SAR avait rejeté l’appel initial de la décision de la SPR. La demande de contrôle judiciaire de cette décision de M. Kwakwa a cependant été autorisée par la juge Saint-Louis le 7 avril 2015 (Kwakwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-811-14), et le dossier a été renvoyé à la SAR pour réexamen.

[3] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, M. Kwakwa soutient que la SAR a une fois de plus erré, cette fois à trois égards. Premièrement, M. Kwakwa fait valoir que, en s’appuyant sur la norme de contrôle du caractère raisonnable, la SAR a appliqué la mauvaise norme à la décision de la SPR. Deuxièmement, il affirme que les conclusions de la SAR sont déraisonnables, car elles présument que les documents congolais présentés par M. Kwakwa sont peu fiables, puisqu’il est possible d’obtenir des documents congolais frauduleux en se livrant à la corruption. Troisièmement, M. Kwakwa soutient que la SAR a commis un manquement à la justice naturelle, puisque sa décision s’est fondée sur un nouvel ensemble d’arguments, soit un raisonnement et des conclusions d’invraisemblance sans lui donner la possibilité de formuler des observations.

[4] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de M. Kwakwa est accueillie puisque j’estime que, quelle que soit la norme de contrôle applicable par la SAR aux conclusions de la SPR, la SAR a enfreint les règles de justice naturelle en omettant de donner à M. Kwakwa la possibilité de formuler des observations à l’égard des arguments, des conclusions et du raisonnement supplémentaires retenus par la SAR à l’appui de ses conclusions. Compte tenu de ma décision sur ce point, il est inutile que j’aborde les autres erreurs alléguées par M. Kwakwa.

II. Contexte

[5] Dans sa décision, la SAR a confirmé les conclusions de la SPR et conclu que M. Kwakwa n’est pas un réfugié ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[6] L’audience de la SPR a porté sur la question de la prétendue citoyenneté angolaise de M. Kwakwa. En juillet 2013, M. Kwakwa est entré au Canada des États-Unis et a formulé une demande d’asile. Il a fondé sa demande sur sa crainte d’être persécuté en République démocratique du Congo, où il affirme avoir été arrêté, battu et menacé. Toutefois, M. Kwakwa est entré au Canada avec un passeport angolais et non avec un passeport de la République démocratique du Congo.

[7] La SPR a conclu que la question déterminante de cette demande d’asile était de savoir si M. Kwakwa était de nationalité angolaise. La SPR a analysé les documents fournis par M. Kwakwa afin d’établir sa nationalité congolaise, mais a constaté l’absence de documentation claire établissant un lien entre son identité congolaise et la documentation antérieure à 2007. La SPR n’a pas jugé crédible que M. Kwakwa ait obtenu un passeport angolais de façon préventive, compte tenu de son travail de journaliste en République démocratique du Congo. Elle a estimé que le niveau de risque auquel est exposé un journaliste n’est pas suffisant pour qu’une personne raisonnable obtienne un passeport frauduleux et se rende en Angola pour se soumettre à la prise d’empreintes digitales requise.

[8] La SPR a donc conclu qu’il était plus probable que M. Kwakwa soit citoyen de l’Angola plutôt que de la République démocratique du Congo. En conséquence, et puisque M. Kwakwa n’a pas allégué une crainte de retourner en Angola, la SPR a conclu qu’il n’était ni un « réfugié au sens de la Convention » ni une « personne à protéger ».

[9] Quant à la décision de la SAR, la SAR a souligné que M. Kwakwa avait le fardeau d’établir les faits qui sous-tendent sa demande d’asile selon la prépondérance des probabilités. Plus particulièrement, en ce qui concerne la création de l’identité et de la citoyenneté, la personne demandant l’asile a le fardeau d’établir qu’elle est la personne qu’elle prétend être. Conformément à l’article 106 de la LIPR et à l’article 11 des Règles de la section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, il incombe à un demandeur de transmettre des documents acceptables qui permettent d’établir son identité. La SAR a conclu que M. Kwakwa n’avait pas établi être un citoyen congolais.

[10] Plus particulièrement, à l’appui de sa décision, la SAR a effectué un examen détaillé des documents d’identité congolais présentés par M. Kwakwa, à savoir son certificat de naissance congolais, sa carte d’identité de l’électeur et sa carte de presse et a examiné pourquoi ces documents ne pouvaient servir de fondement à la demande de M. Kwakwa.

[11] Concernant son certificat de naissance congolais, la SAR a souligné qu’il ne comportait pas d’adresse, de photo ou d’empreintes digitales et a été délivré en 2007, et non pas en 1969, l’année de naissance de M. Kwakwa. En ce qui concerne la carte d’identité de l’électeur, la SAR a fait remarquer que la carte ne comportait pas d’adresse et a estimé qu’il s’agissait d’une carte d’identité provisoire. Par ailleurs, M. Kwakwa n’a pas expliqué devant la SPR quelles pièces d’identité lui avaient permis d’obtenir le certificat de naissance ou la carte d’identité de l’électeur. Au sujet de la carte de presse, la SAR a fait observer qu’elle ne portait pas de date de délivrance et comprenait des erreurs grammaticales.

[12] La SAR a également noté que les certificats de naissance peuvent être obtenus des autorités corrompues, car il n’y a pas de registre national des certificats de naissance en République démocratique du Congo. De même, de fausses cartes d’identité peuvent être obtenues facilement par la corruption en République démocratique du Congo. À la lumière de cette évaluation de la preuve et de la décision de la SPR, la SAR a fait le raisonnement que ces pièces d’identité n’étaient pas fiables, et ne pouvaient établir l’identité de M. Kwakwa en tant que citoyen de la République démocratique du Congo.

[13] Sur la question de la nationalité angolaise de M. Kwakwa, la SAR a également mentionné les mesures de sécurité en vigueur pour obtenir un passeport angolais et l’exigence pour les candidats de se soumettre à une prise d’empreintes digitales lorsqu’ils présentent leur demande, et lorsqu’ils reçoivent leur passeport. Étant donné que les empreintes digitales doivent correspondre, il n’est pas possible de récupérer un passeport pour quelqu’un d’autre. Dans sa décision, la SAR a ainsi mis en doute le témoignage de M. Kwakwa sur cette question, concluant qu’il n’était pas possible qu’une empreinte digitale soit prélevée sur une feuille de papier vierge et insérée dans un formulaire de demande ou un passeport.

[14] La SPR a examiné les éléments de preuve sur l’identité présumée de M. Kwakwa dans sa décision, mais cette analyse effectuée par la SAR est allée au-delà des conclusions de la SPR et a apporté des arguments et un raisonnement supplémentaires étayant les conclusions défavorables d’invraisemblance à l’encontre de M. Kwakwa. Ces conclusions n’ont pas été communiquées à M. Kwakwa avant que la décision de la SAR soit rendue.

[15] La SAR a finalement considéré que les explications fournies par M. Kwakwa sur son identité congolaise n’étaient pas raisonnables. La SAR a donc conclu que la conclusion de la SPR voulant que M. Kwakwa soit probablement un citoyen angolais était justifiée et raisonnable.

III. Analyse

[16] La seule question à déterminer est si la SAR a commis un manquement à la justice naturelle en omettant de communiquer à M. Kwakwa les arguments, les conclusions d’invraisemblance et le raisonnement supplémentaires sur lesquels elle s’est appuyée pour rendre sa décision.

[17] M. Kwakwa soutient que la SAR a commis un manquement à la justice naturelle, puisque sa décision s’est fondée sur un nouvel ensemble d’arguments, soit un raisonnement et des conclusions d’invraisemblance, sans lui donner l’occasion de formuler des observations. M. Kwakwa soutient que, si la SAR voulait invoquer les nouveaux arguments quant à ce qui aurait dû constituer les motifs de la SPR ou quant à savoir pourquoi le témoignage de M. Kwakwa, selon lequel il travaillait comme journaliste et vivait sous son identité alléguée en République démocratique du Congo, ne devait pas être cru, M. Kwakwa aurait dû avoir la possibilité de formuler des observations.

[18] Je suis d’accord.

[19] La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est la norme plus stricte de la décision correcte. Cela signifie que lorsque ces questions sont soulevées, la Cour doit déterminer si le processus suivi par le décideur satisfait au niveau d’équité requis dans toutes les circonstances (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 313, au paragraphe 12). Plus précisément, les considérations d’équité procédurale, concernant le fait que la SAR ait commis un manquement à l’équité procédurale en faisant des conclusions supplémentaires quant à la crédibilité sans communiquer ces préoccupations aux parties, relèvent de la norme de la décision correcte (Ortiz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 180 [Ortiz], au paragraphe 17; Husian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684 [Husian]).

[20] Dans le cas qui est soumis à notre Cour, j’estime que le processus suivi par la SAR a contrevenu aux règles de justice naturelle et violé le droit de M. Kwakwa à un procès équitable.

[21] Dans plusieurs arrêts récents, notre Cour a confirmé les restrictions s’appliquant à la SAR dans son analyse en appel des décisions de la SPR. Comme l’a souligné le juge Hughes dans Husian au paragraphe 10, « [l]e fait est que si la SAR décide de se plonger dans le dossier afin de tirer d’autres conclusions de fond, elle devrait prévenir les parties et leur donner la possibilité de formuler des observations ».

[22] La SAR ne peut pas invoquer d’autres motifs fondés sur son propre examen du dossier si le demandeur d’asile n’a pas eu la possibilité de les aborder. Dans Ortiz, au paragraphe 21, le juge Shore a exprimé des doutes quant au fait que la SAR n’ait pas restreint son analyse à une évaluation de la décision de la SPR, mais a exprimé des conclusions supplémentaires relatives à la crédibilité à l’encontre du demandeur. Il sera utile de reproduire l’extrait suivant de cette décision :

[21] La SAR, dans le cadre de son évaluation indépendante de la preuve, a jugé que de nombreux éléments de preuve, y compris le rapport de police, ne devaient pas se voir accorder de poids. [...] Au lieu de cela, la SAR, comme l’a souligné le défendeur dans son mémoire des faits, a tiré de façon indépendante de nombreuses conclusions quant à la crédibilité du demandeur :

• Le demandeur n’a pas produit de documents cruciaux pour corroborer sa demande concernant la vente de sa première pharmacie, même s’il a produit plusieurs autres documents;

• Le demandeur a fourni un témoignage incohérent au sujet de son cousin devant la SPR;

• Le demandeur s’est installé à deux endroits où les FARC recrutent activement des enfants, même si la preuve documentaire suggère que les FARC ont été affaiblis en Colombie; et,

• Le rapport de police présenté par le demandeur à l’appui de sa demande ne semble pas être conforme aux descriptions que l’on trouve dans les documents sur les conditions dans le pays.

[23] Dans Ortiz, le juge Shore a cité et résumé l’arrêt récent de la juge Kane dans Koffi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 4 [Koffi], qui traitait également de conclusions indépendantes rendues par la SAR :

[22] Dans Koffi, ci-dessus, la juge Catherine M. Kane a déclaré que même si la SAR avait tiré de façon indépendante des conclusions défavorables sur la crédibilité d’un demandeur, sans les exposer au demandeur et sans lui donner la possibilité de faire des observations, la décision de la SAR pouvait encore être raisonnable. C’est le cas si [traduction] « la SAR n’a pas ignoré les preuves contradictoires déposées au dossier ou tiré des conclusions supplémentaires au sujet d’éléments que le demandeur ignorait » (Koffi, précité, au paragraphe 38). En l’espèce, la Cour n’estime pas que cette exception s’applique. À titre d’exemple, la SAR a conclu de façon indépendante que le rapport de police ne semblait pas être conforme à la procédure normalement suivie, comme cela est décrit dans la preuve documentaire (consulter le paragraphe 48 de la décision de la SAR). La SAR exprime donc des doutes quant à l’authenticité du rapport de police, une question qui n’a pas été examinée par la SPR et qui n’a pas non plus été présentée au demandeur. Par conséquent, la Cour conclut qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

[24] En d’autres termes, la SAR est habilitée à tirer de façon indépendante des conclusions défavorables sur la crédibilité d’un demandeur, sans les lui exposer et sans lui donner la possibilité de formuler des observations, mais cela vaut seulement pour les situations où la SAR n’a pas ignoré les éléments de preuve contradictoires déposés au dossier ou tiré des conclusions supplémentaires au sujet d’éléments que le demandeur ignorait.

[25] Dans Ching c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725, la Cour a conclu que quand une question nouvelle et un nouvel argument ont été soulevés par la SAR à l’appui de sa décision, elle a en général l’obligation d’en aviser les parties et de leur offrir la possibilité de produire des observations en réponse à la nouvelle question. Dans cette cause, la SAR avait examiné des conclusions relatives à la crédibilité qui n’avaient pas été soulevées par le demandeur en appel de la décision de la SPR. Il s’agissait d’une « nouvelle question » à l’égard de laquelle la SAR avait l’obligation d’aviser les parties et de leur offrir la possibilité de présenter des observations et des arguments. De même, dans Ojarikre c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 896, au paragraphe 20 et dans Jianzhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 551, au paragraphe 12, la SAR avait soulevé dans sa décision des questions qui n’avaient pas été examinées ou invoquées par la SPR ou avancées par le demandeur. Ces situations se distinguent de Sary c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 178, au paragraphe 31, dans lequel j’ai conclu que la SAR n’avait pas examiné toutes les « nouvelles questions », mais plutôt fait référence à la preuve au dossier qui appuyait les conclusions formulées par la SPR. Une « nouvelle question » est une question qui constitue un nouveau motif, ou raisonnement, sur lequel s’appuie un décideur, autre que les moyens d’appel soulevés par le demandeur pour soutenir le caractère valide ou erroné de la décision portée en appel.

[26] Or, c’est le cas en l’espèce. Je conclus que, dans sa décision, la SAR a cerné des arguments et un raisonnement supplémentaires allant au-delà de la décision de la SPR en appel et n’a pas non plus donné à M. Kwakwa la possibilité de formuler des observations pour y répondre. Plus précisément, la SAR s’est appuyée sur des arguments au sujet du libellé des documents d’identité congolais de M. Kwakwa et a affirmé qu’il devrait y avoir une adresse dans l’en-tête de la carte d’identité de l’électeur et qu’une carte de journaliste ne devrait pas être utilisée dans le but de demander aux autorités de coopérer avec le journaliste. J’estime que la SAR a formulé des observations supplémentaires concernant les documents soumis par M. Kwakwa à l’appui de son identité congolaise, et qui n’avaient pas été soulevées ou abordées explicitement par la SPR. Il est possible que ces conclusions et ces arguments aient effectivement été étayés par la preuve au dossier, mais je suis d’accord avec M. Kwakwa qu’il aurait au moins dû avoir l’occasion de formuler des observations en réponse aux arguments et aux déclarations faites par la SAR, avant que la décision ne soit rendue.

[27] En outre, les conclusions de la SAR selon lesquelles il n’est pas possible qu’une empreinte digitale soit prise à partir d’une page vierge et insérée dans un formulaire de demande ou dans un passeport équivalaient à ce que le Tribunal prenne connaissance d’office de ce fait. La prise de connaissance d’office exige la divulgation et ne peut être faite par un tribunal sans le divulguer au demandeur et lui donner la possibilité de formuler des observations pour y répondre. La SAR a donc commis une erreur en créant l’impression qu’une telle prise de connaissance d’office avait influencé sa décision, tout en omettant de communiquer ces considérations à M. Kwakwa et lui donner la possibilité de répondre.

[28] Je ne crois pas que les autres conclusions et déclarations faites par la SAR soient visées par l’exception étroite circonscrite par la juge Kane dans Koffi. Il ne s’agit pas d’un cas où la SAR a tiré des conclusions supplémentaires ou développé des arguments sur des questions connues de M. Kwakwa (Koffi, au paragraphe 38). Certes, M. Kwakwa était bien conscient que la question principale que la SAR devait trancher était son identité et l’utilisation présumée de documents frauduleux pour établir sa nationalité congolaise. Mais, la SPR n’avait pas tiré de conclusions définitives quant à la nature frauduleuse des documents fournis par M. Kwakwa, et on ne saurait affirmer que, étant donné les arguments et le raisonnement supplémentaires adoptés par la SAR, M. Kwakwa connaissait vraiment les arguments qu’il devait réfuter, ou qu’il avait bien eu l’occasion de formuler des observations en réponse aux préoccupations précises d’invraisemblance soulevées par la SAR dans ses motifs.

[29] La présentation de documents frauduleux en vue d’établir son identité avait été signalée par la SPR tout au long de sa décision, mais ce fait a été examiné et documenté plus en profondeur par la SAR. Même si la question de l’identité faisait partie intégrante de la demande d’asile de M. Kwakwa, devant la SPR et la SAR, il ne s’agit pas d’une situation où la SAR ne faisait qu’évaluer indépendamment la preuve au dossier (Haji c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 868, aux paragraphes 23 et 27). Dans le cas qui nous est soumis, les nouveaux arguments ont été soulevés par la SAR, et la SAR n’a pas simplement examiné les évaluations relatives à la crédibilité et la vraisemblance réalisées par la SPR pour conclure que ces évaluations étaient raisonnables d’après son propre examen de la preuve.

[30] Je reconnais qu’il y a une ligne fine (et parfois floue) entre des situations où la SAR soulève et aborde une « nouvelle question » et celles où elle fait simplement référence à un autre élément de preuve au dossier pour étayer une conclusion déjà existante de la SPR concernant une évaluation factuelle ou une question de crédibilité. Parfois, ces questions de fait ou relatives à la crédibilité ont été examinées en détail par la SPR dans sa décision ou par le demandeur dans ses observations. En l’espèce, toutefois, je ne suis pas convaincu que les questions retenues par la SAR à l’appui de sa décision défavorable à l’endroit de M. Kwakwa aient été communiquées à M. Kwakwa de façon appropriée pour lui permettre de les aborder. Elles ne constituaient pas non plus le cœur de la décision de la SPR et de l’appel interjeté par M. Kwakwa pour que l’on puisse présumer que M. Kwakwa en était nécessairement au courant.

[31] Dans ces circonstances, je suis donc d’avis que le processus suivi par la SAR n’a pas été équitable pour M. Kwakwa et a violé la lettre et l’esprit des règles d’équité procédurale.

[32] Je suis conscient du fait que, en renvoyant une fois de plus cette affaire à la SAR, le résultat pourrait finalement être le même après que la SAR aura achevé son analyse et compte tenu de la possibilité qui sera donnée à M. Kwakwa de formuler des observations en réponse aux arguments, aux conclusions et au raisonnement supplémentaires soulevés à l’appui de la décision défavorable rendue à son endroit. M. Kwakwa aura cependant joui pleinement du droit d’appel que lui confère la LIPR.

IV. Conclusion

[33] Puisque la SAR a commis un manquement à l’équité procédurale, je dois accueillir cette demande de contrôle judiciaire. L’avocat de M. Kwakwa a proposé que des questions soient certifiées si la demande était rejetée. Si j’avais tranché l’affaire en défaveur de M. Kwakwa, j’aurais pu certifier les questions en vue d’un appel pour préserver ses droits procéduraux. Toutefois, comme M. Kwakwa a obtenu gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire, je n’estime pas qu’il soit nécessaire de certifier les questions en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la SAR est annulée.

  3. L’affaire est renvoyée devant la SAR pour une nouvelle décision sur le fond par un tribunal constitué différemment.

  4. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4016-15

INTITULÉ :

ROLAIN KWAKWA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 mars 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

Le 30 mai 2016

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia

Pour le demandeur

John Locar

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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