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Date : 20160614


Dossier : IMM-5543-15

Référence : 2016 CF 667

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

YOSEPH FITWI GEBRU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS 

[1]               Il s’agit d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 à l’encontre d’une décision rendue par un agent d’immigration supérieur (l’agent), datée du 29 septembre 2015, qui a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur.

[2]               Devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) en 2012, le demandeur a allégué avoir été arrêté en Éthiopie parce qu’il a participé à une manifestation en juin 2005 en tant que partisan du parti Coalition pour l’unité et la démocratie (Coalition for Unity and Democracy). Il affirme avoir été amené à un centre de détention où il a été détenu pendant plus de cinq mois, au cours desquels il a été questionné, battu et torturé. Il affirme qu’on l’a ensuite relâché en lui donnant un avertissement. Il est demeuré en Éthiopie pendant deux ans. Ensuite, il prétend avoir quitté l’Éthiopie sans difficulté en direction des États-Unis en février 2007, puis est venu au Canada en janvier 2010 après avoir fait une fausse déclaration indiquant qu’il était divorcé et marié à une citoyenne américaine.

[3]               À son arrivée au Canada, il a présenté sa première demande d’asile. Il prétend craindre de retourner en Éthiopie en raison de sa participation à la manifestation de juin 2005. La demande a été rejetée par la SPR en 2012 puisque cette dernière a tiré d’importantes conclusions négatives à l’égard de la crédibilité du demandeur au sujet des éléments les plus pertinents de son exposé. Sa première demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a également été rejetée en juillet 2014, mais cette décision a été infirmée en juin 2015 dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il a mis son dossier à jour pour sa deuxième demande d’ERAR, laquelle a été rejetée en septembre 2015. En janvier 2016, la mesure de renvoi à son égard a été maintenue, ce qui a entraîné la présente demande de contrôle judiciaire.

[4]               Dans cette demande, l’argument du demandeur principal est que l’agent a commis une erreur en rejetant les lettres de la police indiquant qu’on le recherchait pour l’interroger. L’agent a conclu que les lettres étaient antérieures à la décision de la SPR en s’appuyant sur la date du calendrier éthiopien de 2006 apparaissant sur le document, plutôt que sur la date appropriée du calendrier occidental de 2014 indiquée dans la traduction. Le demandeur fait valoir que l’évaluation de l’ERAR ne peut être effectuée sans examiner cet élément de preuve crucial.

[5]               Bien qu’il semble que l’agent ait commis une erreur en concluant que les dates des documents de la police étaient antérieures à celle de l’audience, je conclus que dans le contexte de la décision de la SPR, il n’existe aucun fondement raisonnable permettant de conclure que même si la SPR avait eu ces documents en main, la décision aurait été différente. L’agent d’ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que de nouveaux éléments de preuve soient survenus depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance : Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CAF 385, au paragraphe 13.

[6]               Il n’existe aucun fondement raisonnable pour conclure que les lettres de 2014 de la police qui ont été rejetées auraient eu une incidence sur les conclusions découlant de l’audience de la SPR lorsque la décision de celle-ci s’appuyait sur de nombreuses carences en matière de crédibilité de la part du demandeur, plus précisément au sujet du rejet des rapports précédents de la police en indiquant que ces rapports étaient « absurdes ».

[7]               Le manque de crédibilité démontré par le demandeur devant la SPR inclut les éléments suivants :

         Indiquer faussement qu’il a présenté une demande de visa pour les États-Unis basée sur des craintes de persécution alors qu’il voulait plutôt entrer dans ce pays avec un de ses enfants dans le but d’obtenir des soins médicaux;

         Indiquer faussement qu’il a l’intention de déposer une demande d’asile aux États­Unis, puis affirmer qu’il ne l’a pas déposée parce que son frère était censé l’aider et qu’il ne l’a pas fait;

         Faire une fausse déclaration sur son identité aux autorités des États-Unis en prenant part à un mariage frauduleux avec une citoyenne américaine; ensuite, lorsque la fraude est découverte, déclarer que c’est son frère qui l’a poussé à faire ce geste même si le demandeur a participé activement à cette fausse mise en scène, y compris en étayant sa demande avec de faux documents;

         Soumettre deux lettres de police, remises prétendument à sa femme, qui contiennent des directives destinées à une équipe spéciale de surveillance du corps policier, ce que la SPR a déterminé être absurde dans une lettre au demandeur;

         Être incapable d’expliquer comment il a pu demeurer en Éthiopie pendant deux ans et ensuite quitter ce pays sans difficulté, puis que les autorités soient à sa recherche sept ans plus tard (en 2012), seulement après son arrivée au Canada;

         Ne pas fournir de documents médicaux corroborant les blessures qu’il affirme avoir subies en prison, en indiquant qu’il ne voulait pas dévoiler ces blessures parce qu’il avait peur et que, par conséquent, il a décidé d’endurer celles-ci; ces faits, ajoutés à d’autres éléments de preuve concernant son séjour en Éthiopie, ont mené la SPR à conclure que ses affirmations de détention et de torture n’étaient pas crédibles.

[8]               Le simple fait que les dates des éléments de preuve étaient ultérieures à celle de la décision négative de la SPR ne permet pas automatiquement de valider ces éléments aux fins de l’ERAR, alors que des documents similaires avaient déjà été présentés à la SPR. Dans ces circonstances, je conclus que les rapports de police ne sont pas différents de manière significative de l’information fournie précédemment et que la SPR a désignée comme étant absurde. Dans la décision de la SPR, il existe également une preuve objective établissant la volonté du demandeur de dire n’importe quoi et de produire des faux documents dans le but de l’aider à obtenir un statut d’immigrant.

[9]               Dans la première lettre, l’auteur indiquait que le demandeur demeure avec sa famille, à Addis-Abeba, ce qui est faux. Le demandeur n’est pas retourné à Addis-Abeba depuis son départ, il y a plus de dix ans. L’auteur demande également au demandeur de se « présenter pour un interrogatoire » le 15 janvier 2014. La lettre n’indique pas sur quoi portera cet interrogatoire, si le demandeur est une personne d’intérêt pour la police, si la police ou d’autres personnes ont menacé le demandeur, ou quelles seront les conséquences s’il ne se présente pas à l’interrogatoire.

[10]           Dans la seconde lettre, l’auteur souligne que le demandeur ne s’est pas présenté pour l’interrogatoire le jour précédent et lui demande encore une fois de se présenter à celui-ci ou de communiquer avec le « bureau d’information de la Commission en tout temps ». De plus, l’auteur indique que si le demandeur ne respecte pas cette ordonnance, il sera tenu responsable de tout préjudice résultant pour lui-même ou sa famille. Encore une fois, l’auteur n’explique pas pourquoi le demandeur est devenu une personne d’intérêt. Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve établissant que la commission de police de la ville d’Addis-Abeba avait pris des mesures suivant l’envoi de la deuxième lettre.

[11]           En ce qui concerne les autres points soulevés par le demandeur, je ne vois aucune erreur susceptible de révision dans l’évaluation et la conclusion de l’agent indiquant l’insuffisance de preuve confirmant que le demandeur est une personne d’intérêt pour les autorités éthiopiennes. Cette conclusion se rapporte non seulement aux documents de la police, mais également à la conclusion de l’agent qui ne donne aucun poids à une lettre du président de l’organisation Unity for Human Rights and Democracy ou aux déclarations de membres de la famille, alors qu’il n’existe pas d’éléments de preuve concernant les diverses fonctions ou activités auxquelles le demandeur aurait été associé, ou autres éléments de preuve à l’appui de la demande.

[12]           Parallèlement, il n’existe aucun fondement pour que la Cour intervienne et rejette les éléments de preuve de l’agent alléguant que, depuis la décision de la SPR, les conditions à l’intérieur du pays ont beaucoup changé en lien avec les risques courus par le demandeur ou que le demandeur aurait attiré l’attention des autorités éthiopiennes pour sa participation à des manifestations au Canada. La décision de l’agent est raisonnable lorsqu’il conclut que le demandeur n’avait pas le profil d’une personne d’intérêt pour les autorités, puisque les personnes ciblées dans la documentation sont des leaders de l’opposition et des journalistes.

[13]           Enfin, le caractère raisonnable de la décision de l’agent tient principalement au respect des exigences en matière de justification, de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47-50).

[14]           Par conséquent, la demande est rejetée. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande. Aucune question n’est certifiée.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-5543-15

 

INTITULÉ :

YOSEPH FITWI GEBRU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 mai 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

Pour le demandeur

 

Hillary Adams

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Wazana

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

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