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Date : 20160614


Dossier : IMM-5057-15

Référence : 2016 CF 665

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2016

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

YINGHAO LEI

YANYUN ZHEN

ZHIBIAO LEI (MINEUR)

AMY LEI ZHEN (MINEURE)

(AUSSI CONNUE SOUS LE NOM DE AMY ZHEN LEI)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs contestent la décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 14 octobre 2015. La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR), laquelle a rejeté la demande d’asile présentée en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[2]               En l’espèce, les demandeurs sont les membres de la famille de Yinghao Lei, formée de sa femme, de son fils et de sa fille.

I.                   Faits

[3]               Le demandeur principal et sa femme sont des citoyens chinois, possédant le statut de résident permanent au Honduras. Leur fils est né en Chine en 2002 et il est un citoyen chinois. Quant à leur fille, née en 2011, elle est une citoyenne du Honduras. Le demandeur principal est au Honduras depuis 2005; il est devenu résident permanent de ce pays en 2006. Deux ans plus tard, en 2008, il a ouvert un restaurant dans la ville de Tegucigalpa, et il a parrainé sa femme et son fils en 2009.

[4]               En septembre 2010, le restaurant tenu par le demandeur principal aurait été dévalisé par trois assaillants armés. Le demandeur principal n’a pas communiqué avec la police parce qu’il croyait que ce serait inutile et qu’il craignait des représailles.

[5]               En effet, les allégations qui sont à l’origine de l’instance au Canada commencent en avril 2014. Le demandeur principal aurait fait l’objet d’extorsion par un membre d’un groupe appelé « gang 18th Street ». La demande initiale de 100 000 lempiras a d’abord été réglée au moyen d’un paiement de 500 lempiras, ou 0,5 % de la demande initiale. Cependant, il semble que les demandes se sont répétées et, en mai 2014, le demandeur principal se serait présenté au poste de police afin de déposer une plainte sommaire. Lorsqu’il est retourné au poste de police une semaine plus tard pour tenter de savoir si l’enquête avait avancé, il semble qu’aucun agent de police n’aurait accepté de lui parler. D’autres appels auraient forcé les demandeurs à payer des sommes d’argent supplémentaires au gang 18th Street.

[6]               Cependant, selon le formulaire Fondement de la demande d’asile, déposé par le demandeur principal en janvier 2015, les sommes d’argent versées auraient été négligeables. Il semblerait que la somme de 500 lempiras est un montant [TRADUCTION] « pour faire une recharge de son numéro de téléphone juste dans le but d’arrêter son appel téléphonique » (paragraphe 5). Puis, on peut lire, au paragraphe 6, la déclaration suivante du demandeur principal, concernant les paiements versés en mai 2014 : [TRADUCTION] « [p]endant cette période, la personne a continué d’appeler, je n’ai pas eu d’autre choix que de payer deux autres fois pour son téléphone ».

[7]               Il semble que ce soit l’étendue du harcèlement subi par le demandeur principal. Naturellement, sa femme et lui étaient inquiets, mais les menaces n’étaient pas des plus extrêmes.

[8]               La famille a quitté le Honduras en juillet 2014 pour visiter de la famille en Chine. Des arrangements ont été pris afin qu’un passeur sorte la famille de la Chine pour la faire entrer en Amérique du Nord.

[9]               Un mystère entoure l’épisode impliquant le passeur. Les demandeurs ne voulaient pas retourner au Honduras, vu les menaces dont ils ont été victimes, mais ils ne voulaient pas non plus rester en Chine en raison de la politique de l’enfant unique, imposée par les autorités. Cependant, l’identité du passeur et le rôle qu’il devait jouer sont loin d’être clairs. Ainsi, le demandeur a déclaré qu’après en avoir discuté avec sa famille, en Chine, [TRADUCTION] « mes parents m’ont aidé à entrer en contact avec un passeur. Le passeur nous a suggéré d’utiliser nos visas américains pour se rendre au Canada, en passant par les États-Unis » (paragraphe 8).

[10]           De toute évidence, les demandeurs ont obtenu des visas américains, mais nous ignorons pourquoi ils ont choisi de se procurer des visas américains, quand leur but était de venir au Canada. Il ne semble pas que les demandeurs aient cherché asile aux États-Unis. Quoi qu’il en soit, la famille s’est rendue aux États-Unis le 18 août 2014, pour une période de quatre mois, et il semble que les demandeurs aient demeuré aux États-Unis, puisque le dossier indiquerait qu’ils sont arrivés au Canada le 29 décembre 2014.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[11]           Le 19 juillet 2015, la SPR a rejeté les demandes d’asile. La décision se fonde sur deux conclusions distinctes : 1) la demande des demandeurs ne concernait, à juste titre, que le Honduras, où leur crainte de persécution n’était pas crédible; 2) il n’existe aucun lien entre la crainte des demandeurs liée au Honduras et un motif énoncé dans la Convention sur les réfugiés ou un risque personnel dans ce pays.

[12]           Ce sont les deux conclusions soutenues par la SAR, alors qu’elle a maintenu la décision de la SPR.

III.             Questions en litige

[13]           La seule question devant notre Cour est de déterminer si la décision de la SAR de maintenir la décision de la SPR, à l’égard des deux questions en litige est raisonnable.

[14]           Comme je l’ai souligné lors de l’audience en l’espèce, il n’est pas approprié, à mon avis, de simplement traiter l’affaire comme s’il suffisait qu’une erreur ait été commise de la part de la SAR pour qu’une demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Par conséquent, se contenter de déclarer que la question en litige réside dans le fait que la SAR a commis une erreur, en mettant en doute la crédibilité des demandeurs, n’est pas suffisant. La nature fondamentale du contrôle judiciaire laisse entendre qu’il peut exister plus d’une issue raisonnable. Un désaccord sur la remise en question de la crédibilité des appelants ne rend pas l’issue déraisonnable. Comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 (Newfoundland Nurses) :

[15]      La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48). Cela signifie que les tribunaux ne doivent pas substituer leurs propres motifs, mais ils peuvent, s’ils le jugent nécessaire, examiner le dossier afin d’évaluer le caractère raisonnable de l’issue.

Par conséquent, si notre Cour devait conclure que le tribunal administratif a erré, parce qu’elle en serait arrivée à une conclusion différente, ne constitue pas automatiquement un motif suffisant pour infirmer une décision. En effet, la Cour, dans Newfoundland Nurses, a prévenu les cours de révision de ne pas qualifier les omissions d’erreurs fatales :

[17]      Le fait que la convention collective puisse se prêter à une interprétation autre que celle que lui a donnée l’arbitre ne mène pas forcément à la conclusion qu’il faut annuler sa décision, si celle-ci fait partie des issues possibles raisonnables. Les juges siégeant en révision doivent accorder une « attention respectueuse » aux motifs des décideurs et se garder de substituer leurs propres opinions à celles de ces derniers quant au résultat approprié en qualifiant de fatales certaines omissions qu’ils ont relevées dans les motifs.

[15]           De toute évidence, il ne s’agit pas de passer sous silence chaque erreur. Cependant, chaque prétendue « erreur » ne voue pas à l’échec une décision d’un tribunal administratif. Le véritable critère, à mon avis, demeure le fait de savoir si la décision était raisonnable ou non. La norme de la décision raisonnable continue d’être celle de la conclusion formulée au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190. La norme de la décision raisonnable tient compte du processus de même que de la décision en soi. Cependant, dans la mesure où une décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, elle sera considérée comme raisonnable. Quant au processus, la Cour parle « du caractère raisonnable [qui] tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ».

[16]           En l’espèce, il est plus approprié, à mon avis, de se demander si la mise en doute de la crédibilité des appelants est raisonnable et si la conclusion voulant qu’il n’existe pas de lien entre la crainte des demandeurs et un motif énoncé dans la Convention est raisonnable.

IV.             Argumentation et analyse

[17]           Les parties ont convenu que la norme de révision applicable est celle de la décision raisonnable. La Cour partage ce point de vue (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35). Les demandeurs ont contesté l’opinion de la SAR relative à la crédibilité de la demande présentée en l’espèce. Fondamentalement, les demandeurs, à mon avis, critiquent le fait que la SAR n’a pas tenu compte, dans son évaluation, de certaines nuances provenant du témoignage du demandeur principal.

[18]           La SAR examinait la contestation des demandeurs à l’égard d’une des conclusions relatives à la crédibilité, rendues par la SPR. Il s’agit de la conclusion quant à la durée du séjour des appelants aux États-Unis, où ils ont choisi de ne pas demander asile. La SAR a eu du mal à comprendre le récit relaté par le demandeur principal. Comme je l’ai déjà souligné, l’épisode impliquant le passeur est demeuré plutôt obscur. Cet épisode, comme j’ai pu le lire dans les trois paragraphes de la décision portant sur ce sujet, semble également avoir préoccupé la SAR. L’explication fournie par les demandeurs quant au fait qu’ils n’ont pas demandé asile aux États-Unis, où ils ont séjourné pendant quatre mois, n’était pas crédible. Invoquer le fait qu’ils ne connaissaient personne aux États-Unis ne règle en rien le fait qu’ils ne connaissaient personne au Canada non plus. L’existence de visas de visiteur pour les États-Unis est aussi problématique. Comme il est mentionné, on s’attendrait à ce qu’une personne qui craint pour sa sécurité et qui détient un statut légal dans un pays demande protection dans ce pays. Cela soulève la question de savoir pourquoi avoir obtenu des visas pour les États-Unis, puis y avoir séjourné pendant quatre mois, avant de venir au Canada. Lorsque l’on a demandé au demandeur principal pourquoi il avait attendu de venir au Canada pour demander asile plutôt que de l’avoir demandé aux États-Unis, il a répondu qu’il avait dépensé 5 000 $ et qu’il ne connaissait personne aux États-Unis. En effet, à la question de savoir pourquoi il avait payé quelqu’un pour les faire passer au Canada, alors qu’ils détenaient des visas américains valides, le demandeur principal n’a pu fournir de motif. Mentionner qu’il ne savait pas comment entrer ici n’améliore en rien sa crédibilité.

[19]           Comme on peut le voir, le problème de crédibilité ne se résumait pas qu’au fait de ne pas avoir cherché asile aux États-Unis. C’est plutôt l’épisode dans son ensemble qui était troublant.

[20]           Les demandeurs allèguent qu’ils ont fourni une explication crédible et logique pour les mesures qu’ils ont prises aux États-Unis. Quelle est cette explication crédible? La réponse est que les demandeurs étaient à la merci du passeur. Cette explication, à mon avis, ne rend pas les conclusions de la SAR déraisonnables. En fait, j’aurais conclu que l’explication elle-même était déraisonnable. Dans le présent dossier, la raison pour laquelle les demandeurs auraient été à la merci de passeurs aux États-Unis demeure inexpliquée. À mon avis, la supposée erreur n’écarte pas le caractère raisonnable de la décision de la SAR. Il peut exister un désaccord quant à l’importance à accorder aux plus amples explications fournies, selon lesquelles les demandeurs aient été à la merci du passeur, mais ce qui importe davantage est qu’il n’a pas été établi, dans le présent dossier, que la conclusion de la SAR n’appartient pas aux issues possibles acceptables.

[21]           Cependant, la question plus importante en l’espèce est la prétention des demandeurs voulant qu’il existe un lien entre leur crainte et les motifs énoncés dans la Convention.

[22]           Les demandeurs font valoir devant notre Cour qu’ils étaient ciblés au Honduras en raison de leur appartenance ethnique. Cette prétention présente une difficulté puisqu’il est raisonnable de conclure qu’elle n’est pas étayée par le témoignage du demandeur principal. La plaidoirie des demandeurs soutient que les riches entrepreneurs chinois sont particulièrement visés.

[23]           Comme l’a dit l’avocat du défendeur lors de l’audience en l’espèce, la réponse finale fournie par le demandeur principal devant la SPR était la pire réponse possible qu’il aurait pu donner. À la fin de l’interrogatoire du demandeur principal, l’échange suivant a eu lieu : [traduction]

Avocat :     « Alors, vous avez dit qu’il y a beaucoup de criminalité au Honduras. Ce gang... le gang 18th Street, cible-t-il les Honduriens d’origine, toutes les entreprises? »

Demandeur :  « Non. Ils ciblent particulièrement les Chinois. Les Chinois riches. »

Avocat :     « Je n’ai plus de questions. »

[24]           De toute évidence, l’avocat était satisfait de la réponse qu’il avait obtenue. Mais la réponse était quelque peu ambiguë. C’est ce qui a incité la commission de la SPR à poser la question suivante à laquelle elle a obtenu réponse :

[traduction]

Commissaire :            « Par souci de clarté, le gang 18th Street laisse donc tranquilles les gens riches qui ne sont pas Chinois, et il se concentre sur les Chinois. Est-ce votre témoignage? Le gang 18th Street laisse tranquilles les gens riches qui ne sont pas Chinois, et il se concentre sur les Chinois. Est-ce votre témoignage? ».

Demandeur : « Non. Du moment que vous êtes un homme d’affaires vous devenez leur cible. »

[25]           Il me semble qu’il était loisible à la SAR de parvenir à la même conclusion que la SPR, c’est-à-dire que le demandeur principal a spontanément répondu qu’il était visé parce qu’il était fortuné. Les demandeurs ont tenté de faire valoir que la SAR avait à expliquer la différence entre une réponse antérieure et la réponse finale donnée par le demandeur principal. Je suis d’avis qu’une telle exigence n’existait pas.

[26]           Quand la SPR a tenté d’obtenir des précisions sur ce qu’avait voulu dire le demandeur principal, elle a reçu une réponse qui était complète et qui était le dernier mot du demandeur principal, comme exprimé par ce dernier. En elle-même, cette réponse appuie la décision de la SAR selon laquelle [TRADUCTION] « [c]e simple extrait du témoignage est déterminant quant à la question du lien » (paragraphe 20 de la décision de SAR). Cette conclusion est raisonnable de prime abord, compte tenu de l’échange qui a eu lieu devant la SPR.

[27]           Cela permet également de statuer sur la question en litige concernant le risque généralisé. Comme il est bien connu, l’article 97 de la LIPR exige un risque personnel et non un risque qui est généralisé. L’existence d’un risque personnalisé est réfutée en soi par la connaissance d’une criminalité généralisée, ciblant tous les hommes d’affaires.

[28]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les parties ont convenu qu’il n’y avait aucune question grave de portée générale à certifier. Je partage ce point de vue.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5057-15

 

INTITULÉ :

YINGHAO LEI, YANYUN ZHEN, ZHIBIAO LEI (MINEUR), AMY LEI ZHEN (MINEURE), (AUSSI CONNUE SOUS LE NOM DE AMY ZHEN LEI) c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

 

Pour les demandeurs

 

Stephen Jarvis

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis and Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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