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Date : 20160615


Dossier : IMM-5118-15

Référence : 2016 CF 669

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

HUIMING CAO et ZHUOQI YANG

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, décision dans laquelle il a été déterminé que les demanderesses n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) ni des personnes à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR. La SPR a également conclu que les revendications des demanderesses n’avaient pas un minimum de fondement.

[2]               La demande est accueillie pour les motifs suivants.

I.                   Contexte

[3]               Les demanderesses sont Mme Huiming Cao (la demanderesse principale) et sa fille de cinq ans, Zhuoqi Yang. Elles sont des citoyennes de la République populaire de Chine (Chine) et sont arrivées au Canada le 26 juillet 2015. Leur demande a été présentée à la SPR le 4 août 2015. La demanderesse principale prétend qu’elle risque d’être persécutée en République populaire de Chine du fait qu’elle sera obligée de se faire stériliser puisqu’elle a subi deux grossesses.

[4]               Six mois après la naissance de sa fille en 2011, la demanderesse principale s’est fait poser un dispositif intra-utérin par le Bureau de planification familiale (BPF) de la Chine pour prévenir de futures grossesses. À la suite de cela, ses menstruations ont été douloureuses et irrégulières. Elle a alors appris qu’elle avait un déséquilibre hormonal et a suivi un traitement. Elle a effectué trois bilans par an à partir de la naissance de sa fille et ces bilans indiquent que du 1er août 2012 au 5 septembre 2014, son dispositif intra-utérin était toujours en place et qu’elle n’était pas enceinte.

[5]               La demanderesse principale allègue que lorsqu’elle était au BPF pour son bilan du 7 janvier 2015, on lui a dit que son dispositif intra-utérin n’était plus en place et qu’elle était enceinte. Elle a également été informée qu’elle devait se faire avorter et a été emmenée de force à l’hôpital où elle a été placée sous anesthésie générale pendant l’intervention. À son réveil, elle a trouvé des médicaments, son dossier médical relatif à la procédure d’avortement, et un avis lui demandant de se présenter à l’hôpital le 2 février 2015 pour y être stérilisée. Munie de ces éléments, elle a appelé son mari pour qu’il la conduise à la maison.

[6]               La demanderesse principale déclare qu’elle n’est pas retournée à l’hôpital et qu’elle est allée à la place dans un autre établissement médical pour y recevoir des soins de suivi sur les conseils d’un ami. Ne voulant pas se conformer à l’avis de stérilisation, la famille est allée se cacher chez un cousin habitant dans une autre ville. La demanderesse principale allègue qu’à l’approche de la date de son rendez-vous pour la stérilisation, elle a reçu plusieurs appels du BPF, mais les a filtrés et n’a pas répondu. Elle a également été informée par ses voisins que des représentants du BPF la recherchaient et étaient venus chez elle.

[7]               La famille est restée dans la clandestinité jusqu’à son départ de la Chine le 22 juillet. Elle dit craindre que le BPF continue à la chercher et la stérilise si elle était renvoyée en Chine. Bien que son mari soit resté à la maison, elle a le soutien de ses parents et d’autres membres de la famille au Canada.

II.                La décision contestée

[8]               La SPR a conclu que la demanderesse principale manquait de crédibilité et que la preuve qu’elle avait produite n’était pas digne de confiance. Par conséquent, elle a conclu qu’elle n’avait pas prouvé que le BPF la recherchait et qu’elle n’était donc pas en danger. En conséquence, la demande subordonnée de la demanderesse mineure n’a pas non plus abouti. La SPR a en outre conclu, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, que sa demande n’avait pas un minimum de fondement.

[9]               La SPR a fait référence à plusieurs éléments de la preuve qu’elle estimait être particulièrement préoccupants. Tout d’abord, elle a trouvé suspect que seul l’avortement figure dans le livret médical ambulatoire qui a été présenté par la demanderesse principale à titre de preuve documentaire de cette procédure. La SPR l’a interrogée à ce sujet, d’autant plus qu’elle avait précédemment affirmé avoir subi un traitement de suivi, et elle a répondu qu’elle était allée dans un autre hôpital et n’avait pas pris le livret. Elle a témoigné avoir reçu des médicaments dans cet hôpital. La SPR, qui avait fait remarquer que la demanderesse principale n’avait fourni aucune preuve médicale à cet égard, a conclu qu’elle inventait des réponses pour expliquer les incohérences, et a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité.

[10]           En second lieu, la SPR a fait référence au passage du livret médical ambulatoire qui indique que la patiente avait consenti à l’anesthésie générale et que la procédure s’était bien déroulée. La SPR estime que cela est incompatible avec le témoignage de la demanderesse principale selon lequel elle s’était opposée à l’avortement.

[11]           La troisième incohérence identifiée par la SPR dans la documentation médicale était le fait que le bilan du 7 janvier 2015, date à laquelle elle prétend que sa grossesse a été détectée, ne figurait pas dans le livret faisant état des examens de planification familiale subis par la demanderesse principale. Interrogée à ce sujet, la demanderesse principale a dit qu’elle ne savait pas pourquoi il n’y avait pas eu d’entrée dans le livret ce jour-là, mais elle a offert l’explication possible qu’étant donné qu’elle avait physiquement résisté à son transfert du BPF à l’hôpital, l’agitation suscitée aurait pu être à l’origine de cet oubli. La SPR a également rejeté cette explication. La demanderesse principale a témoigné avoir trouvé le livret à côté de son lit à son réveil, après l’avortement. La SPR a conclu que, si les agents du BPF avaient conservé le livret alors qu’elle se faisait avorter, ils auraient eu le temps de le mettre à jour pour y faire figurer son dernier bilan.

[12]           La SPR a également tiré une conclusion défavorable à partir de son témoignage sur les problèmes liés à son dispositif intra-utérin et l’absence de documents à l’appui de ce récit. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait trouvé quelque chose d’anormal avec son dispositif intra-utérin, elle a témoigné qu’elle ressentait tout le temps une douleur, si bien que cela ne faisait pas de différence. Lorsqu’on lui a demandé, elle a évoqué plusieurs problèmes avec le dispositif intra-utérin et a témoigné avoir reçu des médicaments lorsqu’elle avait mal. Elle a ensuite témoigné avoir reçu un diagnostic de déséquilibre hormonal. La SPR a estimé que lorsqu’on lui a posé des questions sur ce diagnostic, les enquêtes et le traitement, son témoignage changeait et n’était pas vraisemblable. Elle n’a pas non plus fourni de documents médicaux relativement à ces problèmes médicaux. Interrogée à ce sujet, la demanderesse principale a déclaré que ces documents étaient en Chine et qu’elle ne savait pas qu’elle devait les apporter. Cette explication n’était pas satisfaisante pour la SPR. En effet, les documents corroborant ses problèmes gynécologiques étaient indispensables en ce sens qu’ils permettaient d’expliquer pourquoi elle avait prétendument perdu son dispositif intra-utérin et était devenue enceinte.

[13]           La SPR a également souligné deux incohérences dans le témoignage de la demanderesse principale et la documentation au point d’entrée. D’abord, la SPR l’a interrogée pour savoir si le BPF l’avait appelée à l’approche de la date de son rendez-vous pour la stérilisation. Quand elle a répondu qu’il l’avait appelée à plusieurs reprises, la SPR a demandé pourquoi cela ne figurait pas dans ses documents au point d’entrée alors qu’elle avait déclaré que les représentants du BPF étaient venus chez elle. Elle a répondu qu’elle ne pensait pas qu’il était nécessaire de mentionner les deux événements étant donné que s’ils étaient venus à sa maison, ils auraient certainement appelé aussi. Cette explication n’a pas satisfait la SPR. La SPR a conclu que la demanderesse principale inventait des réponses pour être cohérente avec son témoignage antérieur, à savoir que le BPF l’appelait pour lui rappeler les examens médicaux au sujet de son dispositif intra-utérin. La SPR a une nouvelle fois constaté qu’elle n’était pas franche et a tiré une conclusion négative quant à sa crédibilité.

[14]           La seconde incohérence réside dans la description que la demanderesse principale a donnée de la façon dont elle est entrée en possession de son dossier médical. Elle a déclaré que l’avis de stérilisation lui avait été donné par le BPF, mais a plus tard dit qu’à son réveil après l’avortement, son dossier médical était posé sur sa table de chevet, qu’elle n’avait pas vu d’infirmière ou de médecin, et qu’elle avait appelé son mari et était rentrée à la maison. Interrogée sur cette contradiction, elle a expliqué qu’elle voulait dire la même chose dans ces deux déclarations, à savoir que les responsables du BPF avaient laissé l’avis à son intention. La SPR n’était pas non plus satisfaite de l’absence d’explication quant à la raison pour laquelle la stérilisation n’avait pas été effectuée en même temps que l’avortement. Lorsqu’on lui a demandé, la demanderesse principale a dit qu’elle ne savait pas pourquoi la stérilisation n’avait pas été effectuée à l’époque, mais pensait que cela était peut-être dû à des saignements abondants, car il y avait beaucoup de sang sur son pantalon. La SPR a conclu qu’il n’était pas logique, après qu’elle a été emmenée de force à l’hôpital, attachée à son lit, et soumise de force à un avortement comme elle l’avait indiqué, que personne ne soit là à son réveil et que les documents pertinents se trouvent à côté de son lit.

[15]           Compte tenu de cette analyse, la SPR ne croyait pas, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse principale était enceinte le 7 janvier 2015, qu’elle avait été contrainte de se faire avorter, qu’on la recherche pour la faire stériliser ou que le BPF la pourchasse. Bien qu’elle était en possession de documents à l’appui des allégations au sujet de l’avortement et de la stérilisation, la SPR a conclu qu’elle ne pourrait accorder que peu d’importance à ces documents dans son évaluation de la demande, faisant remarquer que ces documents ne présentaient aucune caractéristique de sécurité et qu’ils pourraient avoir été produits par n’importe qui. La SPR a fait référence à un rapport d’échographie, notant qu’il s’agissait d’une impression et que les marques sur l’image ne sont pas déchiffrables. La SPR a également mentionné la preuve documentaire qui atteste l’existence de documents frauduleux en Chine. Tenant compte de cela et de ses préoccupations quant à la crédibilité du témoignage de la demanderesse principale, la SPR a conclu que les documents ne pouvaient pas être invoqués.

[16]           En conclusion, la SPR a rejeté la demande des demanderesses estimant qu’elle n’avait pas un minimum de fondement.

III.             Questions en litige et norme de contrôle

[17]           Les questions en litige soulevées par les demanderesses consistent à savoir si la SPR a commis en erreur en :

A.                tirant des conclusions en matière de crédibilité qui sont déraisonnables, ne peuvent pas être corroborées par les éléments de preuve, ou sont sans raisons ou explications appropriées;

B.                 n’accordant pas de poids aux documents à l’appui des demanderesses parce qu’ils n’avaient pas de caractéristiques de sécurité et en raison du fait qu’il est facile de se procurer de faux documents en Chine; et

C.                 concluant qu’il n’y avait aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder pour rendre une décision favorable et que, par conséquent, la demande n’avait pas un minimum de fondement.

[18]           Les parties conviennent et je souscris, que les questions en litige soulevées dans cette demande, lesquelles portent sur la crédibilité, doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Moshood c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 504 [Moshood], au paragraphe 9; Zhou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 619, au paragraphe 26). Cette norme s’applique également au contrôle des conclusions qui n’ont pas un minimum de fondement (voir Moshood, au paragraphe 9; Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 114, au paragraphe 3; Mahdi v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 281, au paragraphe 9).

IV.             Position des parties

A.                Les arguments des demanderesses

[19]           Les demanderesses ont fourni des arguments détaillés à l’appui de leur position selon laquelle la SPR a commis une erreur de la manière indiquée dans les questions en litige soulevées par les demanderesses.

[20]           Elles soutiennent qu’aucune conclusion défavorable n’était justifiée relativement au fait que seul l’avortement figurait dans le livret médical de la demanderesse principale, le livret étant propre à la région où se trouve l’hôpital et ne constituant pas un dossier médical complet. Elles soutiennent qu’il était logique que la demanderesse principale cherche à obtenir des soins de suivi dans un autre établissement, étant donné qu’il est raisonnable qu’elle n’ait pas voulu revenir dans l’endroit où elle avait dû subir un avortement. Elles font également valoir qu’il était injuste de tirer une conclusion négative à partir du dossier selon lequel la demanderesse principale avait consenti à l’anesthésie étant donné que le médecin n’aurait probablement pas mentionné que l’anesthésie et l’avortement avaient été pratiqués de force, car cela constituerait une preuve de violation des droits de la personne.

[21]           Les demanderesses soutiennent que la SPR s’est également montrée déraisonnable en rejetant le dossier des bilans de planification familiale étant donné qu’il est plausible que le rendez-vous du 7 janvier 2015 n’ait pas été inscrit dans le livret. Étant donné qu’il ne s’agissait pas d’une visite de routine, il y a eu résistance, et elle a été emmenée de l’endroit où elle a reçu le bilan à l’hôpital et n’y est pas retournée, il y a beaucoup d’explications plausibles quant au fait qu’aucune inscription n’a été faite dans le livret ce jour-là.

[22]           Les demanderesses contestent également la conclusion selon laquelle la demanderesse principale s’est contredite quand elle a déclaré que le BPF lui avait donné l’avis de stérilisation. Comme le BPF l’a déposé à son intention à côté de son lit d’hôpital, selon elle il n’est pas contradictoire de dire que le BPF lui a donné le document. Les demanderesses font valoir que lorsqu’on considère notamment que le témoignage de la demanderesse principale a été effectué par l’intermédiaire d’un interprète, une telle conclusion constitue une analyse microscopique inappropriée.

[23]           Les demanderesses prétendent qu’il n’était pas raisonnable pour la SPR de rejeter le rapport d’échographie au motif que l’image du bébé n’était pas claire. La SPR n’étant ni une spécialiste des échographies ni un professionnel de la santé, c’est le rapport joint qui appuie l’allégation de la grossesse qui est important. En outre, on ne pouvait pas s’attendre à ce que les demanderesses produisent le document original puisqu’il se trouvait à l’hôpital.

[24]           La position des demanderesses est que la SPR a également commis une erreur en tirant une conclusion négative à partir de l’absence de documentation médicale sur les problèmes avec le dispositif intra-utérin puisque cette question n’était pas primordiale à la demande. Toute la documentation qui aurait pu être fournie n’aurait pu porter que sur la douleur que le dispositif intra-utérin causait à Mme Cao, et non pas sur les raisons pour lesquelles elle l’avait perdu comme la SPR semblait s’y attendre.

[25]           En ce qui concerne l’incohérence alléguée entre le témoignage et la documentation au point d’entrée au sujet des appels téléphoniques du BPF, les demanderesses soutiennent qu’on ne sait pas avec certitude pourquoi la SPR a rejeté l’explication de la demanderesse principale. La SPR a simplement indiqué ce qui a été dit avant de déclarer son insatisfaction. Aucun motif n’a été fourni pour expliquer la conclusion défavorable.

[26]           Les demanderesses soutiennent également que la SPR a commis une erreur en n’accordant aucun poids aux pièces justificatives. Aucune analyse n’a été effectuée pour vérifier l’authenticité de l’avis de stérilisation, de la preuve que le dispositif intra-utérin avait été posé, du dossier médical ambulatoire, ou du certificat de planification familiale. Les demanderesses prétendent que la SPR est tenue d’examiner cette documentation plutôt que de la rejeter au motif qu’il existe des documents frauduleux en République populaire de Chine et qu’il n’y a pas de caractéristiques de sécurité. Elles font valoir que le fait de ne pas avoir analysé les documents individuels et de ne pas avoir noté que plusieurs documents portaient des timbres de l’émetteur présumé était une erreur.

[27]           Enfin, les demanderesses soutiennent que la conclusion selon laquelle il n’y avait pas un minimum de fondement était injustifiée puisque la Commission avait confondu l’analyse avec celle de la crédibilité de la demanderesse principale. Elles soutiennent que la SPR ne s’est pas demandé si la preuve documentaire, y compris les documents sur les conditions prévalant dans le pays, pouvait étayer une conclusion en faveur des demanderesses, indépendamment de la crédibilité du témoignage.

B.                 Les observations du défendeur

[28]           Le défendeur fait valoir que les conclusions en matière crédibilité et la constatation d’absence de fondement sont raisonnables et étayées par des motifs détaillés. Le défendeur évoque les préoccupations de la SPR relativement aux documents médicaux, lesquelles préoccupations résultent des incohérences entre les documents et le témoignage de la demanderesse principale. Le défendeur note en particulier le consentement à l’anesthésie générale, le manque de preuve de soins de suivi, et l’absence de consignation du bilan de planification familiale du 7 janvier 2015 ou de la grossesse dans le livret qui fait état de ces examens. En conséquence, peu de poids a été accordé à ces documents.

[29]           En ce qui concerne la conclusion d’absence de fondement crédible, le défendeur s’appuie sur la décision Lopez Espinoza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 502, dans laquelle la Cour a conclu que lorsque la SPR donne des motifs appropriés pour une conclusion défavorable en matière de crédibilité, il n’y a pas besoin d’autres motifs pour conclure à l’absence de fondement crédible. Le défendeur fait également valoir que, même si la SPR a omis d’examiner la preuve documentaire, une conclusion d’absence de fondement crédible peut être raisonnable s’il s’avère que les documents ne peuvent pas soutenir une décision positive. Par conséquent, il était raisonnable pour la SPR de conclure à l’absence de fondement crédible après avoir conclu que la demanderesse principale n’était pas crédible et après avoir écarté l’ensemble de la preuve.

V.                Analyse

[30]           La tâche assignée à la SPR qui consiste à prendre des décisions quant à la crédibilité des demandeurs d’asile est difficile et, conformément à la norme de contrôle applicable, ces décisions ne doivent être modifiées par la Cour que si elles n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables, et ce, même si la Cour est parvenue à une conclusion différente sur la même preuve (voir Nouveau-Brunswick (Conseil de gestion) c. Dunsmuir, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au paragraphe 47). Cela est particulièrement vrai dans les cas où la décision relative à la crédibilité se fonde en partie sur le témoignage d’un demandeur, que seule la SPR a eu l’avantage d’entendre directement (voir Dunsmuir, au paragraphe 49; Alyafi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 952, au paragraphe 4). Néanmoins, tout en étant conscient de la déférence requise, après avoir examiné la décision de la SPR et pris en compte les arguments des demanderesses qui contestent la décision, je ne peux pas conclure qu’elle fait partie de la catégorie acceptable.

[31]           La SPR a fait un certain nombre de constatations à partir desquelles elle tire des conclusions défavorables quant à la crédibilité de la demanderesse principale. Cependant, l’aspect le plus important de son témoignage porte sur l’avortement forcé présumé, qui est le fondement de sa crainte alléguée et qui, d’après la conclusion de la SPR, selon la prépondérance des probabilités, n’a pas eu lieu. J’ai trouvé que son témoignage au sujet de l’événement ne faisait guère de sens, car on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce que, après avoir été emmenée de force à l’hôpital, retenue contre son gré et soumise à un avortement, elle se retrouve seule à son réveil, prenne les documents et les médicaments qui avaient été laissés là, et quitte l’hôpital.

[32]           Tout cela conduit à la conclusion que le témoignage de la demanderesse principale est invraisemblable. La Cour a jugé que les constatations d’invraisemblance ne devaient être faites que dans les cas les plus clairs (voir Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776; Yang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 543, au paragraphe 10; Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 749, au paragraphe 54; Vodics c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 783). Dans K.K. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 78, le juge Annis a examiné les principes qui sous-tendent les conclusions quant à la plausibilité, en particulier dans le contexte des décisions sur la crédibilité, et leur examen par une cour de révision. Conformément à la norme de contrôle empreinte de retenue requise par l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la conclusion du juge Annis au paragraphe 84 était que le critère applicable peut être exprimé comme suit :

[84]      La cour de révision doit plutôt se demander si l’inférence tirée par la Commission appartient à un éventail d’inférences raisonnables qui peuvent être tirées. La preuve sous‑jacente est‑elle susceptible d’étayer des inférences diverses et, dans l’affirmative, la décision de la Commission appartient‑elle à cet éventail? Si l’écart entre les faits sous‑jacents et l’inférence invoquée sur leur fondement est trop grand, l’on pourra raisonnablement considérer que l’issue est hypothétique.

[33]           Quelle que soit la formulation de l’approche adoptée pour examiner les conclusions quant à la plausibilité, je conclus que cette conclusion n’est étayée par aucune preuve quant aux pratiques, qu’il s’agisse des méthodes d’application des politiques de planification familiale de la Chine ou du traitement dans les hôpitaux chinois en général. La demanderesse a fait valoir que cette conclusion semblait reposer sur des hypothèses concernant les normes de soins applicables dans les hôpitaux canadiens. Je suis d’accord avec cet argument et conclus que cette conclusion n’appartient pas aux issues possibles raisonnables.

[34]           Je suis également d’accord avec les demanderesses que la décision de la SPR était déraisonnable, cette dernière ayant conclu que la demanderesse principale s’était contredite en témoignant dans un premier temps que les documents lui avaient été remis après l’avortement avant de déclarer qu’ils avaient été déposés sur sa table de chevet. Ayant examiné la transcription de son témoignage, j’interprète sa preuve comme une identification de la source de la documentation et je n’interprète pas son témoignage ou le contexte de celui-ci comme une suggestion selon laquelle elle s’était vu remettre en main propre la documentation par le personnel médical ou le BPF à la suite de l’avortement.

[35]           Cette partie de la décision de la SPR renvoie également à la question posée par la SPR à la demanderesse principale, à savoir pourquoi elle n’avait pas été stérilisée pendant l’avortement, ce à quoi elle a répondu qu’elle ne savait pas, mais c’était peut-être parce qu’elle avait beaucoup saigné. La SPR s’est dite insatisfaite de son explication, mais n’a donné aucune raison à l’appui de cette conclusion en ce qui concerne la possibilité d’effectuer l’avortement et la stérilisation en même temps. En outre, on ne peut pas attendre de la demanderesse principale qu’elle soit en mesure de parler des pratiques du BPF ou des incidences médicales de la combinaison de ces procédures, et je trouve une nouvelle fois que cette partie de la décision est déraisonnable.

[36]           La décision défavorable de la SPR en ce qui concerne la crédibilité a également été influencée par ce qu’elle a interprété comme étant des lacunes dans la documentation médicale. Plus précisément, la SPR mentionne le fait que le livret faisant état de l’avortement ne contenait pas d’autres entrées, l’absence de consignation de la grossesse et de l’avortement dans son livret de planification familiale, et le manque de documentation au sujet de sa visite de suivi liée à son avortement ou des problèmes avec son dispositif intra-utérin. La SPR a également invoqué l’absence dans le formulaire Fondement de la demande d’asile de la demanderesse principale de références aux appels des agents du BPF lors de son rendez-vous pour la stérilisation.

[37]           Je ne trouve pas que ces conclusions, qui reposent sur le manque d’éléments à l’appui de son témoignage et sur les incohérences dans son témoignage, n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables. Toutefois, la Cour ne peut pas déterminer si la SPR serait parvenue à la conclusion générale que la demanderesse principale n’était pas crédible et aurait rejeté sa demande si elle n’avait pas tiré les conclusions déraisonnables décrites plus haut relativement à son témoignage au sujet de l’avortement. Le rejet par la SPR des principales pièces justificatives, à savoir le dossier sur l’avortement et l’avis de stérilisation, était fondée dans une large mesure sur ses préoccupations quant à la crédibilité de la demanderesse principale. Par conséquent, la Cour ne peut pas non plus savoir si la SPR aurait accordé plus d’importance aux documents à l’appui si elle n’avait pas commis les erreurs décrites plus haut. Ma conclusion est donc que la décision doit être annulée et renvoyée pour réexamen par un autre commissaire de la SPR.

[38]           Ayant conclu que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie compte tenu des erreurs dans la décision relative à la crédibilité, et étant donné que la conclusion d’absence de fondement crédible résulte de la décision défavorable concernant la crédibilité, cette conclusion doit également être révisée.

[39]           Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire, et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5118-15

INTITULÉ :

HUIMING CAO et ZHUOQI YANG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 MAI 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 15 juin 2016

COMPARUTIONS :

Phillip Trotter

Pour les demanderesses

Nimanthika Kaneira

POUR LEDÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Phillip Trotter

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LEDÉFENDEUR

 

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