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Date : 20160614


Dossier : IMM-3932-15

Référence : 2016 CF 659

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2016

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

JUAN CAMILO GOMEZ FLOREZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   L’aperçu

[1]               Le demandeur, M. Juan Camilo Gomez Florez, est un citoyen de la Colombie. M. Florez demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 8 juillet 2015 par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Dans sa décision, la SPR a refusé de reconnaître à M. Florez la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, au motif que son récit n’est pas crédible et qu’il bénéficie de la protection de l’État en Colombie.

[2]               M. Florez plaide qu’en rendant sa décision, la SPR a erré en mettant en doute sa crédibilité et en concluant que la Colombie pouvait lui offrir la protection escomptée. M. Florez demande donc à la Cour, par le biais de la présente demande de contrôle judiciaire, d’annuler la décision de la SPR et de retourner le dossier à la SPR pour que sa demande soit réévaluée par un tribunal différemment constitué à la lumière de tous les éléments soumis.

[3]               La seule question en litige est de déterminer si la décision de la SPR est raisonnable.

[4]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de M. Florez doit échouer. En effet, je ne décèle dans la décision de la SPR aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour. Je suis plutôt d’avis que les conclusions de la SPR sur le manque de crédibilité du récit de M. Florez et sur la protection de l’État sont raisonnables et font clairement partie des issues possibles acceptables dans les circonstances.

II.                Le contexte

A.                Les faits

[5]               M. Florez est originaire de la ville de Cali, en Colombie. En octobre 2014, M. Florez commence à fréquenter un parc dans le quartier Las Cascadas de Cali, connu pour abriter plusieurs consommateurs de drogue, afin de donner de l’information aux jeunes et les aider à arrêter de consommer. Lorsqu’il entend certains jeunes dire que les membres de l’organisation criminelle Los Urabeños ont recours à eux pour transporter de la drogue, M. Florez leur conseille de ne pas le faire, de ne pas se joindre aux Los Urabeños et de les dénoncer.

[6]               En décembre 2014, deux hommes menacent M. Florez lorsqu’il quitte le parc, le bousculent et lui disent de ne plus se mêler des affaires des Los Urabeños. Suite à l’agression, M. Florez se rend au bureau du procureur général de l’État de Cali. Un employé prend sa déposition, et lui remet un formulaire afin qu’il puisse demander la protection de la police nationale. Un officier l’informe alors que la police colombienne n’a pas les ressources nécessaires pour le protéger et que des policiers se rendraient plutôt à son domicile pour lui recommander des mesures à prendre et lui fournir une liste de numéros de téléphone à composer en cas d’urgence.

[7]               Plus tard en décembre, M. Florez reçoit un appel dans lequel son interlocuteur fait référence à sa visite au bureau du procureur général et ajoute que M. Florez est désormais considéré comme un ennemi des Los Urabeños. L’interlocuteur menace de tuer M. Florez.

[8]               Dès le lendemain, M. Florez s’entretient avec le bureau de l’ombudsman, qui lui déclare que le bureau recommanderait le dossier de M. Florez à la police pour accélérer l’enquête en cours. La représentante de l’ombudsman conseille aussi à M. Florez de déménager. Le même jour, M. Florez déménage chez une amie de ses parents dans la ville de Pereira, à plus de 200 kilomètres de Cali. En janvier 2015, un agent de police se présente au domicile des parents de M. Florez à Cali et leur remet des recommandations écrites pour assurer la sécurité de M. Florez.

[9]               Le 21 janvier 2015, un homme armé empoigne M. Florez en pleine rue à Pereira et essaie de l’enlever. M. Florez réussit à échapper à son agresseur et à fuir les lieux à bord d’un taxi. M. Florez se rend alors au bureau du procureur général de Pereira pour porter plainte. L’employé lui recommande de retourner à Cali pour modifier sa plainte de décembre 2014 qui fait déjà l’objet d’une enquête. La police de Pereira lui conseille de quitter la ville.

[10]           Deux jours plus tard, M. Florez prend le chemin de Bogota, à 300 kilomètres de Pereira, où il s’installe chez son cousin. Toujours en janvier, une lettre de menaces des Los Urabeños arrive au domicile des parents de M. Florez à Cali. Cette lettre dit que M. Florez est une « cible militaire », qu’il s’est sauvé à Pereira mais que la prochaine fois « on ne va pas te manqué [sic], mort aux ennemis, nous avons des contacts partout ».

[11]           M. Florez obtient son passeport le 28 janvier 2015 et quitte la Colombie pour les États-Unis le 2 février. Il fait sa demande d’asile à la frontière canado-américaine le 6 février.

B.                 La décision de la SPR

[12]           Dans sa décision, la SPR note d’abord que M. Florez n’a pas réussi à fournir d’explications raisonnables sur certains éléments principaux de son récit, et que celui-ci manque ainsi de crédibilité. Par exemple, M. Florez dit que la personne ayant reçu sa plainte au bureau du procureur général de Cali n’a pas noté fidèlement son récit, en omettant notamment ses propos invitant les jeunes du parc à dénoncer les paramilitaires et à ne pas se faire recruter dans leurs rangs. Pourtant, la copie de la plainte déposée par M. Florez fait expressément allusion à ces activités. La SPR estime qu’en cherchant indûment à mettre en doute les efforts déployés par l’État colombien pour le protéger, M. Florez a nui à sa crédibilité.

[13]           La SPR estime aussi que M. Florez n’a pas réussi à expliquer de manière satisfaisante comment il a pu échapper à ses assaillants lors de l’incident à Pereira. Dans sa décision, la SPR observe ainsi que les Los Urabeños sont principalement commandés par d’anciens paramilitaires des Forces armées révolutionnaires de Colombie [FARC]. Or, la SPR ne doute pas un instant de l’efficacité de cette organisation criminelle et considère que « les assaillants aient été incapables de mener leur attaque à bien nécessite une explication que le demandeur d’asile a été incapable de fournir ». La SPR est donc d’avis que l’agression à Pereira rapportée par M. Florez n’a pas eu lieu.

[14]           La SPR remarque aussi que le comportement de M. Florez n’est pas celui d’une personne craignant pour sa vie. Comme ses agresseurs détenaient de l’information à son sujet, la SPR trouve invraisemblable qu’il ait choisi d’aller habiter chez une amie de ses parents à Pereira, puis chez un cousin à Bogota. En effet, en s’installant chez un parent à Bogota, M. Florez a annulé tout avantage pouvant découler de son départ de Pereira. Qui plus est, M. Florez a agi ainsi même si ses agresseurs avaient déjà réussi à le retrouver une première fois lorsqu’il habitait chez l’amie de ses parents à Pereira suite à son déménagement de Cali. M. Florez connaissait pourtant les autres solutions qui s’offraient à lui, et avait aussi les moyens financiers pour retenir les services d’un avocat et acheter un billet d’avion.

[15]           Finalement, la SPR considère insatisfaisantes les explications de M. Florez sur son défaut de demander l’asile aux États-Unis. La SPR n’a pas cru M. Florez quand il dit craindre d’être victime de discrimination ou de mauvais traitements de la part des autorités américaines.

[16]           M. Florez a aussi déposé en preuve une lettre de son avocat attestant que M. Florez a fait l’objet de menaces de mort et faisant allusion à l’agression survenue à Pereira. La SPR n’accorde aucune valeur probante à cette preuve car rien ne permet à l’avocat d’attester la véracité d’un événement auquel il n’a pas assisté. Le SPR rejette aussi la lettre des Los Urabeños, prétendument reçue par les parents de M. Florez à leur domicile, qui menace M. Florez et précise que les Los Urabeños savent que M. Florez habite à Pereira. Sans aucune information sur sa provenance, la SPR estime que cette lettre ne suffit pas pour asseoir la crédibilité de M. Florez.

[17]           Pour l’ensemble de ces raisons, la SPR rejette la demande d’asile de M. Florez.

C.                La norme de contrôle

[18]           Il est bien établi que, lorsqu’il s’agit de la crédibilité ou de la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile, les conclusions de la SPR sont de nature factuelle et commandent un degré élevé de déférence judiciaire, compte tenu du rôle de juge des faits du tribunal administratif (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa] au para 59; Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 155 au para 9; Martinez Giron c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 7 au para 14; Dong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 55 au para 17).

[19]           L’évaluation de la crédibilité loge en fait au cœur même de l’expertise des tribunaux administratifs en matière de réfugiés et elle est intimement liée aux faits d’une espèce donnée (Pepaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 938 au para 13; Lubana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CFPI 116 aux para 7-8). La SPR est ainsi mieux placée pour apprécier la crédibilité d’un demandeur d’asile, puisqu’elle peut le voir à l’audience, observer ses manières et entendre son témoignage. Le tribunal a alors la possibilité et la capacité de juger le témoin, son comportement, sa franchise, la spontanéité avec laquelle il répond ainsi que la cohérence et l’uniformité de ses propos. De plus, la SPR bénéficie des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d’expertise (El-Khatib c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 471 au para 6).

[20]           Puisqu’il s’agit de questions mixtes de faits et de droit, la norme de contrôle applicable aux questions portant sur la crédibilité et l’évaluation de la preuve faite par la SPR est donc celle de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF No 732 (CAF) [Aguebor] au para 4; Bikoko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1313 au para 8; Cortes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 598 au para 12; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 619 au para 26). Sur de telles questions de crédibilité et d'appréciation de la preuve, la Cour ne doit pas substituer son point de vue à celui du tribunal administratif même si cela pourrait constituer, à ses yeux, un dénouement préférable (Khosa au para 59). La Cour ne doit intervenir que si le processus décisionnel n’est pas transparent et intelligible et que la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] au para 47).

[21]           Les motifs d’une décision sont considérés raisonnables « s'ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses] au para 16). Dans ce contexte, la Cour doit faire preuve de retenue envers la décision du tribunal. Elle n'a pas pour mission de soupeser à nouveau les éléments de preuve au dossier ni de s’immiscer dans les conclusions de fait du tribunal, mais elle doit plutôt se limiter à rechercher si une conclusion a un caractère irrationnel ou arbitraire (Mikhno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 385 aux para 32-33; Diallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1062 au para 30).

[22]           Pour déterminer le caractère raisonnable, la Cour doit passer en revue les motifs du tribunal, mais elle peut aussi, au besoin, examiner le dossier pour mesurer et apprécier le caractère raisonnable de la décision (Newfoundland Nurses au para 15). Ceci dit, un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au para 54).

[23]           L’appréciation de la crédibilité d’un demandeur d’asile doit être transparente et intelligible (Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 NR 236 (CAF) [Hilo] au para 6). Ainsi, les motifs du tribunal doivent constituer une évaluation de la crédibilité du demandeur exprimée « en termes clairs et explicites ». À l’opposé, une analyse déclinée de façon vague et générale restera lacunaire et insuffisante, car un tribunal ne peut pas se contenter de tirer des conclusions au sujet de la crédibilité sans expliquer pourquoi ou de quelle façon cette crédibilité est contestée ou s’avère insuffisante.

[24]           Cette norme de la décision raisonnable s’applique aussi aux conclusions de la SPR concernant la protection de l’État (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94 [Flores Carrillo] au para 36; Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171 au para 38; Ruano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1023 au para 36; Orellana Ortega c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 611 au para 7).

III.             L’analyse : la décision de la SPR est-elle raisonnable?

[25]           Selon M. Florez, la SPR a erré tant dans son appréciation de sa crédibilité que dans son analyse de la protection de l’État offerte en Colombie.

[26]           M. Florez soutient d’abord que les conclusions de la SPR sur son manque de crédibilité sont déraisonnables. M. Florez soumet notamment que la SPR a erré en considérant le dossier comme incomplet, en doutant de son témoignage non-contredit sur l’événement de Pereira, en trouvant incohérent son comportement dans sa recherche d’un refuge en Colombie, et en lui reprochant son omission de revendiquer la protection aux États-Unis. Selon M. Florez, des motifs concrets s’appuyant sur une preuve forte doivent exister pour qu’on refuse de croire un demandeur d’asile (Vodics c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 783 au para 11). M. Florez soutient que, pour conclure au manque de crédibilité sur la foi de contradictions ou de divergences, il faut s’appuyer sur des preuves tangibles et réelles, et non pas simplement sur des incohérences mineures.

[27]           Je ne partage pas l’analyse formulée par M. Florez sur les questions de crédibilité et l’appréciation qu’en a fait la SPR. En somme, M. Florez manifeste son désaccord à l’encontre des conclusions de la SPR sans pour autant démontrer en quoi la décision serait déraisonnable. Je suis plutôt d’accord avec le ministre à l’effet que toute la preuve au dossier a été considérée par la SPR et que cette preuve appuie amplement ses conclusions sur le manque de crédibilité de M. Florez. L’évaluation de la preuve et de la crédibilité relève du pouvoir discrétionnaire de la SPR et il n’appartient pas à la Cour d’y substituer sa propre interprétation.

[28]           Les principes qui régissent la façon dont un tribunal administratif doit apprécier la crédibilité et la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile peuvent se résumer comme suit. D’entrée de jeu, il faut préciser que la présomption de véracité énoncée dans la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF) au para 5 n’est pas irréfragable, et que le manque de crédibilité d’un demandeur d’asile suffit pour la repousser. De plus, même si des éléments peuvent être insuffisants lorsque pris individuellement ou isolément, l’accumulation de contradictions, d’incohérences internes ou d’omissions en lien avec des éléments cruciaux du récit d’un demandeur d’asile peut sous-tendre une conclusion négative quant à sa crédibilité (Sary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 178 au para 20; Quintero Cienfuegos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1262 au para 1).

[29]           Certes, la SPR ne peut pas fonder sa conclusion quant au manque de crédibilité sur des contradictions mineures relevées dans des éléments de preuve secondaires ou marginales à la demande d’asile. Le tribunal ne doit donc pas aller trop en profondeur dans son approche ou se livrer à une analyse de la preuve qui soit « microscopique ». Autrement dit, ce ne sont pas toutes les incohérences et invraisemblances qui peuvent justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité; ce type de conclusion ne doit pas reposer sur un examen trop fouillé de questions sans pertinence ou périphériques à la demande d'asile (Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 NR 168 (CAF) au para 9; Cooper c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 118 [Cooper] au para 4; Akhigbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 249 au para 16).

[30]           Cependant, à l’inverse, une absence de crédibilité relative aux éléments centraux d’une revendication pourra s’étendre aux autres éléments de la demande d’asile (Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF No 604 (CAF) aux para 7-9) et être généralisée à l’ensemble de la preuve documentaire présentée pour corroborer une version des faits.

[31]           La SPR est également en droit de tirer des conclusions portant sur la crédibilité d’un demandeur d’asile en se basant sur l’invraisemblance, le bon sens et la raison, et de rejeter des témoignages irréfutés si ceux-ci ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire prise dans son ensemble (Hilo au para 4; Shahamati c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] ACF No 415 (CAF) au para 2; Yin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 544 au para 59; Hernandez Utrera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1212 au para 61; Toora c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 828 [Toora] au para 44)). Mais les conclusions et les inférences de la SPR doivent toujours demeurer raisonnables et être formulées en termes clairs et explicites (Cooper au para 4).

[32]           En l’espèce, les conclusions de la SPR sur le manque de crédibilité de M. Florez se fondent sur plusieurs motifs valables. Il suffit de mentionner ceux-ci : le fait que M. Florez n’a pas expliqué de manière satisfaisante en quoi l’employé au bureau du procureur général de Cali n’aurait pas bien noté sa déposition; l’invraisemblance de l’incident survenu à Pereira; le comportement de M. Florez suite aux incidents allégués; et le défaut de M. Florez de revendiquer une protection aux États-Unis. Or, il s’agit là des éléments centraux au récit de M. Florez.

[33]           M. Florez affirme aussi à tort qu’il n’y a aucune incohérence dans son comportement lorsqu’il est allé vivre chez un cousin après le prétendu incident à Pereira, car il se sentait en sécurité chez des gens de confiance qui connaissent sa situation et qui le protégeaient. Or, comme il a été retracé à Pereira où il restait avec une amie de la famille, la SPR pouvait logiquement déterminer que le fait de rester avec un cousin à Bogota annulait tout avantage pouvant découler de son départ de Pereira. La SPR a consolidé ce raisonnement en notant que M. Florez est allé rester dans un hôtel après l’agression et connaissait donc les choix qui lui étaient offerts et accessibles. La SPR peut « rejeter un témoignage s’il ne concorde pas avec la prépondérance des probabilités qu’une personne pragmatique et bien renseignée jugerait facilement raisonnables à cet endroit et dans ces circonstances » (Toora au para 44).

[34]           En définitive, j’estime que l’analyse de la crédibilité de M. Florez faite par la SPR n’est entachée d’aucune erreur révisable. La Cour doit faire preuve d’une déférence importante à l’égard de l’appréciation que fait la SPR de la crédibilité d’un demandeur d’asile, ces questions de crédibilité étant au cœur même de la compétence de la SPR (Dunsmuir au para 53; Aguebor au para 4; Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319 au para 22). Il ne fait aucun doute en l’espèce que les déterminations de la SPR appuyant sa conclusion de non-crédibilité de M. Florez sont raisonnables et appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier en regard des faits et du droit.

[35]           Par ailleurs, le fait qu’un élément de preuve ne soit pas traité expressément dans une décision ne la rend pas déraisonnable lorsque les motifs sont suffisants pour évaluer le raisonnement du tribunal (Corzas Monjaras c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 771 au para 20; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF No 1425 [Cepeda-Gutierrez] au para 16). La SPR est présumée avoir soupesé et examiné l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée, à moins que le contraire ne soit établi (Newfoundland Nurses au para 16; Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF No 598 (CAF) au para 1). Dans le cas présent, je suis satisfait que la SPR a tenu compte de toute la preuve, même si elle ne se réfère pas directement à toutes ses composantes. Ce n’est que lorsqu’un tribunal passe sous silence des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions de façon claire que la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait (Cepeda-Gutierrez au para 17). Ce n’est pas le cas ici.

[36]           La Cour n'a pas pour mission d'apprécier de nouveau les éléments de preuve au dossier mais doit plutôt se limiter à rechercher si une conclusion a un caractère irrationnel ou arbitraire. Sous la norme de la décision raisonnable, il suffit que le processus et la décision respectent les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et la Cour ne doit pas substituer son opinion à celle du tribunal. Les arguments avancés par M. Florez expriment simplement son désaccord sur l’appréciation de la preuve effectuée par la SPR et invitent en fait la Cour à préférer son évaluation et sa lecture à celle du tribunal. Or, ce n’est pas là le rôle de la Cour en matière de contrôle judiciaire (Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113 au para 99). Les motifs de la décision de la SPR sur le manque de crédibilité de M. Florez possèdent les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, et permettent de déterminer que la conclusion appartient aux issues possibles acceptables. Il n’y a donc pas lieu pour la Cour d’interférer.

[37]           Sur la question de la protection de l’État, M. Florez affirme que la SPR se trompe en disant que les autorités colombiennes ont pris des mesures proportionnelles aux menaces qu’il a reçues. M. Florez soumet qu’il a cherché la protection des autorités de son pays à chaque occasion où il en avait besoin, mais qu’elles n’ont rien fait de concret pour lui venir en aide. M. Florez reproche à la SPR de n’avoir pas tenu compte des éléments de preuve qui corroborent sa version des faits.

[38]           Je ne partage pas l’avis de M. Florez.

[39]           La conclusion de la SPR sur la question de la protection de l’État revêt d’abord un caractère accessoire, car le tribunal pouvait valablement rejeter la demande d’asile de M. Florez en raison de son absence de crédibilité, sans évaluer la question de protection de l’État. Au surplus, il incombe à un demandeur d’asile d’épuiser tous les recours disponibles dans son pays, avant de requérir la protection internationale. Il n’était pas déraisonnable pour la SPR de conclure que M. Florez n’avait pas utilisé tous les recours qui lui étaient disponibles en Colombie, notamment à Pereira, avant de solliciter la protection du Canada.

[40]           En effet, la SPR s’est fondée sur les éléments suivants pour arriver à cette conclusion : les autorités colombiennes avaient, à chaque étape, pris des mesures proportionnelles aux menaces essuyées par M. Florez; M. Florez n’est pas allé voir la police colombienne pour se prévaloir de la protection urgente recommandée par le bureau de l’ombudsman en décembre 2014; le temps de réaction de la police en janvier 2015 était rapide et loin d’être déraisonnable; la preuve ne montre pas que le bureau de l’ombudsman ait recommandé à M. Florez de déménager à Pereira en décembre 2014; l’avocat de M. Florez en Colombie n’a pas pris de mesures judiciaires pour contester le refus du bureau du procureur général de Cali de modifier la plainte de décembre 2014 suite à l’agression de Pereira; et M. Florez ne s’est pas adressé aux autres postes de police ou aux autres instances officielles à Pereira.

[41]           Sur la question de la protection de l’État, un demandeur d’asile doit réfuter par une preuve claire et convaincante la présomption selon laquelle les autorités de son pays sont capables de le protéger (Moran Gudiel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 902 [Moran Gudiel] au para 40). La protection de l’État n’a pas besoin d’être parfaite, il suffit qu’elle soit adéquate (Moran Gudiel au para 31; Ferko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1284 au para 44).

[42]           Dans le cas présent, les autorités colombiennes ont pris des mesures afin d’offrir la protection à M. Florez, et celui-ci ne saurait prétendre que ces autorités ne pouvaient pas le protéger. En fait, la capacité de la police colombienne de protéger M. Florez n’a été compromise que par son défaut d’épuiser tous les recours à sa disposition.

[43]           Les tribunaux doivent présumer qu’un État est capable de protéger ses propres citoyens. Cette présomption ne peut être écartée que s’il y a une confirmation claire et convaincante de l'incapacité de l'État d'assurer la protection du demandeur d’asile (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 à la p. 724; Flores Carrillo aux para 17-19, 28 et 30; Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c Villafranca [1992] ACF No 1189 (CAF) au para 6). Ce fardeau de preuve repose sur les épaules du demandeur d’asile.

[44]           Dans le dossier de M. Florez, la SPR a examiné avec soin la preuve documentaire et les principes en matière de protection de l’État, et les tentatives incomplètes de M. Florez de recourir à la protection des autorités colombiennes avant de s’enfuir aux États-Unis et au Canada. La décision d’un demandeur d’asile de fuir avant que la police n’ait eu le temps de conduire une enquête et d’offrir une réponse convenable n'équivaut pas à une absence de protection de l'État.

[45]           De plus, le ministre mentionne avec raison l’opinion de la Cour d’appel fédérale dans (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118 [Zeng] au para 19), qui rappelle que la recherche du meilleur pays d’asile est incompatible avec l’aspect auxiliaire de la protection internationale des réfugiés. Aussi, le défaut de M. Florez de formuler d’abord une demande d’asile aux États-Unis est incompatible avec le principe établi par la décision Zeng.

[46]           Je conclus donc dans les circonstances que la décision de la SPR sur la protection de l’État colombien n’est aucunement déraisonnable.

IV.             Conclusion

[47]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de M. Florez est rejetée. La décision de la SPR refusant sa demande d’asile est transparente et intelligible, et ses conclusions sur le manque de crédibilité de M. Florez appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. De plus, la SPR n’a commis aucune erreur dans son appréciation de la protection offerte par l’État colombien.

[48]           Les parties n’ont pas soulevé de question grave d’intérêt général à certifier dans leurs représentations et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens;

2.      Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3932-15

INTITULÉ :

JUAN CAMILO GOMEZ FLOREZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 février 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 14 JUIN 2016

COMPARUTIONS :

Me Jorge J. Colasurdo

Pour le demandeur

Me Thi My Dung Tran

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Colasurdo, Jorge

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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