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Date : 20160614


Dossier : IMM-2385-15

Référence : 2016 CF 661

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2016

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

MAKADOR ALI

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) datée du 21 mai 2015 par laquelle le commissaire de la SI O. Nupponen a ordonné la remise en liberté du défendeur, Makador Ali, sous réserve de plusieurs conditions.

[2]               La demande est accueillie pour les motifs qui suivent.

I.                   Contexte

[3]               L’appelant est né en Somalie. Il est arrivé au Canada le 15 avril 1996, a reçu un statut de réfugié par la CISR le 18 avril 1997 et a obtenu le statut de résident permanent le 16 novembre 2001.

[4]               Le 15 décembre 2009, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a publié un rapport en vertu de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) affirmant que selon l’agent, le défendeur était interdit de territoire pour des motifs de grande criminalité aux termes de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR en raison de sa condamnation pour voie de fait et méfait prononcée le 24 juin 2008 en vertu de l’article 266 et de l’alinéa 430(1)d) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Le 25 mai 2010, une ordonnance d’expulsion a été prononcée contre le défendeur.

[5]               Le 15 septembre 2011, l’ASFC a rédigé un autre rapport basé sur l’article 44 concernant le défendeur, reposant sur la conviction que ce dernier était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR pour criminalité organisée en raison de son appartenance à un gang de rue surnommé les « Bloods ». Le 16 septembre 2011, l’ASFC a arrêté le défendeur et l’a gardé en détention dans l’attente de son renvoi conformément au paragraphe 55(1) de la LIPR. Un contrôle des motifs de la détention s’est tenu le 28 octobre 2011 et a mené à la libération du défendeur sous la caution de son père le 1er novembre 2011.

[6]               Le 10 novembre 2011, le défendeur a été arrêté par l’ASFC pour défaut de se conformer à une condition de remise en liberté exigeant qu’il demeure avec son père. Un premier contrôle des motifs de la détention s’est tenu le 14 novembre 2011, puis un second le 21 novembre 2011. Le défendeur a été libéré essentiellement sous les mêmes conditions que celles ordonnées lors de l’examen de détention du 28 octobre 2011.

[7]               En juillet 2012, un mandat d’arrestation a été délivré par l’ASFC et a mené à l’arrestation du défendeur.

[8]               Le 31 juillet 2012, le commissaire de la SI a conclu que le défendeur était interdit de territoire en application de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR et une ordonnance d’expulsion a été rendue à son égard. Le 22 octobre 2012, le défendeur a été avisé que l’ASFC demanderait qu’un avis de danger soit rendu à son égard en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR.

[9]               Un contrôle des motifs de détention a été tenu par la SI le 2 novembre 2012 et l’appelant a été libéré sous la garde de sa mère. Une des conditions de remise en liberté était le dépôt d’une caution par sa mère et sa sœur de trois mille cinq cents dollars (3 500 $) et de cinq cents dollars (500 $) respectivement.

[10]           Le 21 juillet 2013, le défendeur a été arrêté par l’ASFC pour bris de ses conditions de remise en liberté ordonnées en novembre 2012. Le 30 juin 2013, à la suite d’un contrôle des motifs de détention par le commissaire de la SI O. Nupponen, le défendeur a été remis en liberté moyennant certaines conditions. La mère et la sœur du défendeur ont dû déposer la même caution qu’en novembre 2012. Toutefois, le commissaire de la SI a ordonné que les cautionnements faits au moment de la remise en liberté de novembre 2012 soient transférés afin que les cautions n’aient pas à faire de nouveau dépôt.

[11]           Le 27 novembre 2013, alors qu’il était en cautionnement pour l’immigration, le défendeur a été arrêté par la police et gardé en détention sous des accusations de tentative de meurtre, de voie de fait grave, de séquestration et d’entrée illégale dans une maison d’habitation reliées aux événements du 17 novembre 2013. Selon la police, un groupe de personnes aurait sévèrement agressé un individu, lui causant des blessures mettant sa vie en danger et le laissant inconscient dans un parc. La police soutient que le défendeur faisait partie du groupe d’agresseurs.

[12]           Le 29 novembre 2013, un mandat d’arrêt a été délivré par l’ACSF au motif que le défendeur avait brisé ses conditions de remise en liberté du 30 juillet 2013. Le 12 décembre 2014, le défendeur a été avisé que l’ACSF souhaitait obtenir un avis de danger à son égard en vertu de l’alinéa 115(2)b) de la LIPR.

[13]           Le défendeur est demeuré en détention jusqu’à sa libération sur caution prononcée par la Cour de justice de l’Ontario le 12 mars 2015, conditionnellement au respect de plusieurs conditions, notamment qu’il demeure avec sa mère, qu’elle agisse comme caution et dépose la somme de mille cinq cents dollars (1 500 $) à titre de garantie.

[14]           Le 13 mars 2015, soit le lendemain, l’ACSF a arrêté le défendeur au motif qu’il représentait un danger pour le public et qu’il était peu probable qu’il se présente pour son renvoi du Canada. Trois contrôles des motifs de détention ont par la suite été tenus, soit un premier le 16 mars 2015 par le commissaire de la SI D. Tordoff, un second le 23 mars 2015 par le commissaire de la SI Y. Dumoulin et un troisième le 22 avril 2015 par le commissaire de la SI S. Morin. Les commissaires ont prolongé la détention du défendeur à chaque contrôle au motif qu’il représentait un danger potentiel pour le public et qu’il y avait un risque de fuite sérieux.

[15]           Le 21 mai 2015, un quatrième contrôle des motifs de détention a été effectué par le commissaire de la SI O. Nupponen. Il a ordonné la remise en liberté du défendeur conditionnellement au respect de plusieurs conditions, dont de demeurer avec sa mère et que cette dernière agisse comme caution. Le 22 mai 2015, avant la libération du défendeur, le demandeur a sollicité un contrôle judiciaire de cette décision et a obtenu une suspension provisoire de la décision le 24 mai 2015. Le 29 mai 2015, la requête en sursis du demandeur a été accueillie pour la durée de la procédure de demande de contrôle judiciaire.

[16]           Au moment de l’audience sur la présente affaire, le défendeur avait fait l’objet de cinq contrôles des motifs de détention supplémentaires, tenus le 18 juin 2015, le 10 juillet 2015, le 10 août 2015, le 9 septembre 2015 et le 7 octobre 2015. Tous ces contrôles ont été tranchés en faveur du maintien de la détention.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[17]           Dans sa décision du 21 mai 2015, le commissaire de la SI O. Nupponen admet qu’il croit, comme ses collègues, que le défendeur présente un risque de fuite et est un danger pour le public. Il conclut toutefois que son projet de remise en liberté sous caution répond tant au risque de fuite qu’au danger pour le public. Il affirme que les conditions de la remise en liberté sont essentiellement [traduction] « un mélange des conditions qu’[il] a ordonné en juillet 2013 et prend en considération le fait que M. Ali a été remis en liberté par le tribunal criminel moyennant des conditions sévères. »

[18]           Le commissaire de la SI souligne que le défendeur fait face à des accusations ayant trait aux événements du 17 novembre 2013 mais n’a pas encore été trouvé coupable. Il note également qu’il semble y avoir de sérieuses questions sur la validité du dossier de la couronne à l’encontre du défendeur, en raison notamment de la rétractation d’un témoin principal et du délai entre les événements en question et l’arrestation du défendeur. Le commissaire de la SI est d’avis qu’il n’y a pas suffisamment de preuve crédible et digne de confiance pour démontrer que les conditions ordonnées par le passé ont été brisées. Il conclut de plus que les signalements selon lesquels le défendeur aurait participé à des incidents d’inconduite pendant sa détention n’offrent pas suffisamment de preuve pour trancher s’il était la victime ou l’instigateur de ces incidents, particulièrement en considérant l’environnement difficile qui prévaut en prison. Le commissaire est donc d’avis que le défendeur [traduction] « s’est assez bien conformé aux conditions qu’[il] lui a précédemment imposées. »

[19]           Il se penche ensuite sur les conditions de remise en liberté qu’il juge appropriées en l’espèce. Il conclut que la mère du défendeur est toujours une caution convenable puisqu’il n’est pas convaincu que le défendeur a brisé ses conditions. Il accepte que la mère du défendeur dépose un cautionnement en espèces de mille cinq cents dollars (1 500 $) et que sa sœur fournisse un cautionnement en espèces de sept cents dollars (700 $).

III.             Questions en litige

[20]           Bien que formulées différemment de celles du demandeur, les questions en litiges dans la présente affaire sont les suivantes :

1)        La demande de contrôle judiciaire est-elle devenue théorique en raison des décisions subséquentes portant sur le contrôle des motifs de détention gardant le défendeur en détention? Si tel est le cas, la Cour devrait-elle exercer sa discrétion et rendre une décision malgré le caractère théorique de l’affaire?

2)        Dans l’éventualité où la question n’est pas devenue théorique ou si la Cour décide d’exercer sa discrétion, la décision du commissaire de la SI est-elle entachée d’une erreur susceptible de révision?

IV.             Analyse

A.                Affidavits de l’avocat du défendeur

[21]           À titre de question préliminaire, le demandeur a soulevé la question de l’admissibilité des affidavits du défendeur, datés du 10 juillet 2015 et du 29 octobre 2015 et signés par l’un de ses avocats le représentant dans le cadre des présentes procédures. Le demandeur soutient que ces affidavits devraient être radiés pour les deux raisons suivantes. Premièrement, ces affidavits ne sont pas conformes à l’article 82 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Règles des Cours fédérales), qui dispose qu’un avocat ne peut pas à la fois être l’auteur d’un affidavit et présenter des arguments à la Cour fondés sur cet affidavit, sauf avec l’autorisation de la Cour. Deuxièmement, ces affidavits contiennent de la preuve reposant sur une opinion et sur du ouï-dire. Dans ses observations orales, le demandeur a indiqué qu’il était prêt à retirer sa première objection si l’avocat en question n’était pas présent à l’audience sur le fond de la demande de contrôle judiciaire, mais qu’il maintenait toutefois sa seconde objection concernant les paragraphes 3 et 4 de l’affidavit du 10 juillet 2015 et les paragraphes 6 à 15 de l’affidavit du 29 octobre 2015.

[22]           Le défendeur soutient que ces affidavits contiennent de la nouvelle preuve pertinente visant à corriger des erreurs se trouvant au dossier. Il reconnaît que les affidavits contiennent peut-être des éléments de preuve basés sur des opinions, mais fait valoir qu’ils sont pertinents puisqu’ils concernent des mises à jour importantes du dossier pénal du défendeur pour lesquelles seul son avocat peut témoigner.

[23]           Je conclus que les paragraphes 3 et 4 de l’affidavit du 10 juillet 2015 et les paragraphes 6 à 15 de l’affidavit du 29 octobre 2015 contiennent du ouï-dire, des opinions et des nouveaux éléments de preuve et doivent par conséquent être radiés. L’article 81 des Règles des Cours fédérales dispose que les affidavits doivent se confiner aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. Qui plus est, l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22  [Access Copyright] établit qu’en principe et sauf quelques exceptions spécifiques, le dossier de preuve soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait le commissaire. Les paragraphes contestés ne font pas partie de ces exceptions et leur contenu n’est pas confiné à la connaissance personnelle du déclarant. Par conséquent, les paragraphes 3 et 4 de l’affidavit du 10 juillet 2015 et les paragraphes 6 à 15 de l’affidavit du 29 octobre 2015 contiennent du ouï-dire, des opinions et des nouveaux éléments de preuve et doivent être radiés.

B.                 Caractère théorique

[24]           Fait assez inhabituel, le demandeur soutient que sa demande de contrôle judiciaire est désormais théorique de par les décisions subséquentes survenues relativement aux contrôles des motifs de détention, lesquelles ont maintenu le défendeur en détention. Selon le demandeur, ces décisions auraient supplanté celle du 21 mai 2015, la rendant ainsi inopérante.

[25]           Le défendeur est en désaccord avec l’appelant. Ce dernier affirme qu’en raison de la demande de contrôle judiciaire en attente et de la disponibilité limitée d’aide juridique pour financer les contrôles des motifs de détention, il a spécifiquement demandé lors des contrôles des motifs de détention subséquents qu’il n’y ait pas de conclusion portée relativement à la validité de son plan de remise en liberté. Il ajoute que les décisions subséquentes le maintenant en détention sont entachées d’erreurs survenues lors de la décision sur le contrôle des motifs de détention du mois d’avril 2015.

[26]           Le jugement de principe sur la notion de caractère théorique est l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 [Borowski]. La Cour suprême du Canada, au paragraphe 16 de cette décision, décrit l’analyse en deux temps permettant de déterminer si une question est théorique. La première étape consiste à établir s’il reste un litige actuel. Si le litige n’existe plus, la question sera considérée comme purement théorique. Deuxièmement, si la question est purement théorique, la cour doit décider si elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre malgré tout le litige. Les trois critères suivants sont pertinents pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour : 1) l’existence d’un débat contradictoire entre les parties; 2) le souci de l’économie des ressources judiciaires et 3) la considération de la fonction véritable de la Cour dans l’élaboration du droit (Borowski, aux paragraphes 31, 34 et 40).

[27]           En vertu de l’article 55 de la LIPR, un agent peut arrêter et détenir un résident, permanent ou de l’étranger, avec ou sans mandat d’arrestation s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il est interdit de territoire et qu’il constitue un danger pour la sécurité publique ou se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi.

[28]           Conformément à l’article 57 de la LIPR, le commissaire de la SI doit contrôler les motifs justifiant le maintien en détention : 1) dans les quarante-huit heures suivant le début de la détention; 2) au moins une fois dans les sept jours suivants le premier contrôle; 3) au moins tous les trente (30) jours suivant le contrôle précédent. Pour chaque contrôle, le commissaire de la SI « doit décider à nouveau si le maintien de la détention est justifié » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, au paragraphe 8 [Thanabalasingham]; Kippax c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 429, au paragraphe 16 [Kippax]; Bruzzese c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 230, au paragraphe 45 [Bruzzese]).

[29]           Je reconnais que certaines demandes de contrôle judiciaires portant sur des décisions relatives au contrôle des motifs de détention n’ont pas été considérées comme théoriques par la Cour bien que d’autres contrôles se soient déroulés par la suite (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. B046, 2011 CF 877). Je suis toutefois d’accord avec le demandeur que dans les circonstances particulières à l’espèce, la demande de contrôle judiciaire est théorique. La décision du 18 juin 2015 maintenant le défendeur en détention a supplanté celle du 21 mai 2015, tout comme l’ont fait tous les contrôles qui ont suivi (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Ismail, 2014 CF 390, au paragraphe 22; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chen, (2000) 186 FTR 263 (CF), au paragraphe 27, Kippax, au paragraphe 7). La décision du 21 mai 2015 n’a plus aucun effet.

[30]           Ma conclusion selon laquelle la demande de contrôle judiciaire est désormais théorique est par ailleurs justifiée par le fait que, dans l’éventualité où je conclurais que la décision du 21 mai 2015 était raisonnable, je devrais néanmoins ordonner la tenue d’un nouveau contrôle des motifs de détention en raison des faits actuels à jour concernant la situation du défendeur. Les renseignements qu’il n’était pas possible d’obtenir ou qui n’existaient pas au moment du contrôle du 21 mai 2015 peuvent être maintenant réellement pertinents et devront être considérés par le commissaire de la SI dans sa nouvelle décision de garder ou non le défendeur en détention.

[31]           Je passe maintenant à la deuxième étape de l’analyse du caractère théorique de Borowski. Le demandeur soutient qu’il n’y a pas de motifs justifiant que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire puisqu’il ne subit aucune conséquence de l’absence d’une conclusion en l’espèce, les décisions subséquentes de la SI demeurant en vigueur et n’étant pas affectées par le résultat de la présente demande de contrôle judiciaire. En ce qui concerne le souci de l’économie des ressources judiciaires, le demandeur affirme qu’il n’y a pas dans la présente affaire de circonstances qui favorisent l’exercice du pouvoir discrétionnaire et qu’il n’existe pas de contexte contradictoire significatif.

[32]           Le défendeur soutient que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire parce qu’il s’agit d’une affaire pour laquelle la résolution comporte un intérêt public puisque le défendeur demeure en détention. Il ajoute qu’il serait intrinsèquement inéquitable de lui refuser le droit à une audience sur le fondement de la demande de contrôle judiciaire au motif que des contrôles des motifs de détention, exigés par la loi, ont eu lieu par la suite; particulièrement dans l’optique où lui avait initialement accordé sa libération. Enfin, le défendeur est d’avis que de lui refuser l’occasion d’obtenir une décision sur cette affaire, alors que c’est le demandeur qui a contesté la conclusion de la SI, va à l’encontre des principes mêmes de justice fondamentale.

[33]           J’ai pris en considération les principes établis dans Borowski et décidé d’examiner le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire nonobstant son caractère théorique. Je reconnais qu’il existe toujours un litige contradictoire entre les parties. Le défendeur est toujours en détention et il semble que la pertinence du choix de la mère du défendeur comme caution soit un litige dans les contrôles des motifs de détentions de la SI en cours. La Cour n’a pas reçu les notes sténographiques des décisions du 9 septembre 2015 et du 7 octobre 2015, mais on constate dans la décision du 18 juin 2015 que la mère du défendeur a été rejetée comme caution, alors que les décisions du 10 juillet et du 10 août 2015 indiquent que le défendeur a demandé au commissaire de la SI de ne pas se prononcer sur la question à savoir si sa mère était une caution appropriée jusqu’à ce que la cour rende un jugement dans la demande de contrôle judiciaire.

C.                 La décision du commissaire de la SI est-elle entachée d’une erreur susceptible de révision?

[34]           Le demandeur prétend que la décision du commissaire de la SI du 21 mai 2015 était incorrecte et déraisonnable puisqu’elle ne donne pas de motifs clairs et convaincants justifiant de s’éloigner des décisions antérieures sur les contrôles des motifs de détention et plus particulièrement de la décision du 22 avril 2015, qui conclut ce qui suit : [traduction] 1) le défendeur représente un danger pour le public; 2) il risque de fuir; 3) sa mère n’est pas une caution appropriée; 4) le défendeur a brisé ses conditions de remise en liberté; 5) la somme de deux mille deux cents dollars (2 200 $) est insuffisante pour assurer que le défendeur se conformera à ses conditions de remise en liberté. Le demandeur soutient que le commissaire de la SI O. Nupponen a complètement renversé ces conclusions sans même faire référence à la décision du 22 avril 2015 ou donner des motifs expliquant sa divergence.

[35]           Pour sa part, le défendeur fait valoir que la décision du 21 mai 2015 était raisonnable et rend compte avec exactitude de la connaissance du commissaire de la SI du dossier du défendeur et du fait que son avocat était absent aux trois contrôles précédents ayant décidés de prolonger sa détention. Concernant le contrôle du 22 avril 2015, le défendeur soutient que cette décision allait elle aussi à l’encontre des contrôles antérieurs, qu’elle contient des erreurs factuelles et préjudiciables et qu’elle ignore les conclusions des contrôles antérieurs de même que des renseignements pertinents. Il ajoute que le commissaire de la SI était en droit de se baser sur ses propres conclusions datant du mois de juillet 2013 pour évaluer la pertinence de nommer la mère du défendeur comme caution. Ce dernier affirme également que le commissaire de la SI ne s’est pas écarté des décisions précédentes sans donner des motifs convaincants pour ce faire.

[36]           Comme il a été mentionné précédemment, chaque commissaire de la SI doit trancher l’affaire de nouveau et prendre tous les éléments existants en considération, y compris les motifs des décisions antérieures relatives au contrôle des motifs de détention. La loi est toutefois claire : bien que les décisions sur les contrôles antérieurs ne lient pas le commissaire de la SI, celui-ci ne doit pas s’écarter d’une décision précédente sans fournir des motifs clairs et convaincants de ce faire. Le décideur doit donner une explication claire des raisons pour lesquelles la décision antérieure d’un commissaire de la SI portant sur le contrôle des motifs de détention ne devrait pas être suivie (Thanabalasingham, aux paragraphes 8 et 10; Bruzzese, au paragraphe 45; Kippax, au paragraphe 17).

[37]           La cour Fédérale a affirmé ce qui suit dans Thanablasingham, aux paragraphes 12 et 13 :

[12] La meilleure façon pour le commissaire de fournir des motifs clairs et convaincants serait d’expliquer précisément ce qui a entraîné la nouvelle conclusion, c’est-à-dire expliquer ce que la décision antérieure énonçait et les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion contraire.

[13] Cependant, même si le commissaire n’énonce pas explicitement les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion différente de celle tirée par le commissaire antérieur, il peut le faire de façon implicite dans ses motifs de la décision subséquente. Ce qui serait inacceptable serait une décision rendue hâtivement sans qu’il soit fait mention d’une manière significative des motifs antérieurs de la détention.

[38]           La Cour a reconnu que la question de savoir si un commissaire a commis ou non une erreur en omettant de donner des motifs clairs et convaincants de s’écarter d’une décision antérieure portant sur le contrôle des motifs de détention est une question mixte de faits et de droit, révisable selon la norme de la décision raisonnable (Kippax, aux paragraphes 13 à 15; Bruzzese, aux paragraphes 42 à 45; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Li, 2008 CF 949, aux paragraphes 12 à 16).

[39]           Après examen des notes sténographiques de plusieurs décisions portant sur le contrôle des motifs de détention, je suis d’accord avec le demandeur qu’en ordonnant la libération du défendeur le 21 mai 2015, le commissaire de la SI O. Nupponen a omis d’élaborer des motifs clairs et convaincants justifiant de s’écarter de la décision du 22 avril 2015 du commissaire de la SI S. Morin.

[40]           En examinant si la détention continue du défendeur était justifiée, le commissaire de la SI S. Morin a observé pendant le contrôle du 22 avril 2015 qu’au moment du contrôle des motifs de détention de 48 heures après l’arrestation, soit celui du 16 mars 2015, le commissaire de la SI a accordé le bénéfice du doute au défendeur relativement au bris potentiel de ses conditions de remise en liberté parce que l’ACSF n’avait pas encore saisi le cautionnement de la caution. Le commissaire de la SI S. Morin souligne que, depuis cette décision, l’ACSF a entrepris les démarches officielles pour saisir le cautionnement et conclut par conséquent que le défendeur a brisé ses conditions de remise en liberté. Selon le commissaire de la SI, les solutions de remplacement à la détention proposées par le défendeur comportent deux lacunes majeures. Premièrement, il considère que la mère du défendeur n’est pas une caution « appropriée » puisqu’elle n’a pas été en mesure de veiller à ce que le défendeur respecte ses conditions de remise en liberté. Deuxièmement, il conclut que la somme de deux mille deux cents dollars (2 200 $) proposée comme nouvelle caution est insuffisante pour assurer que le défendeur se conformera à ses conditions de remise en liberté puisque, par le passé, il a été libéré en contrepartie d’un cautionnement de quatre mille dollars (4 000 $) qui a finalement dû être saisi en raison de son bris de conditions.

[41]           Lors du contrôle des motifs de détention du 21 mai 2015, le commissaire de la SI O. Nupponen considère comme son collègue que le défendeur représente un danger pour le public et qu’il présente un risque de fuite. Bien qu’il ait donné plusieurs motifs expliquant pourquoi il était convaincu que la solution de rechange à la détention proposée répondait tant au risque de fuite qu’à la sécurité du public, il a omis de reconnaître l’existence des décisions antérieures sur les contrôles des motifs de détention et plus particulièrement la décision du 22 avril 2015, qui a tenu compte des mêmes risques et des mêmes options de rechange à la détention.

[42]           Dans son mémoire des faits et du droit, le défendeur se fonde sur les extraits suivants de la décision du 21 mai 2015 pour soutenir que le commissaire de la SI O. Nupponen a fait référence à la décision de son collègue de façon claire : [traduction]

[4] Considérant les observations de l’avocat du défendeur et de l’avocat du ministre, le témoignage de M. Makador Ali et la preuve supplémentaire reçue, j’en viens à la conclusion qu’il existe un danger pour le public et qu’il y a un risque de fuite. En ce sens, je suis d’accord avec mes collègues qui ont maintenu la détention par le passé.

[5] Toutefois, la solution proposée aujourd’hui me convainc. À mon avis, cette alternative répond de façon convenable au risque de fuite et au danger posés par M. Ali.

... Lorsque j’ai libéré M. Ali en juillet 2013, j’ai pris une décision relativement aux bris de conditions allégués.

... Par le passé, mes collègues ont souligné qu’au Canada, une personne est innocente jusqu’à preuve du contraire.

[43]           Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation que fait le défendeur de ce passage. À mon avis, les extraits soulignés par le défendeur ne sont pas significatifs et ne constituent pas des « motifs clairs et convaincants » justifiant de s’éloigner des décisions antérieures sur les contrôles des motifs de détention. La citation au « passé » ne permet pas de déterminer si le commissaire de la SI renvoie aux décisions sur les contrôles survenus avant le mois de juillet 2013 ou après l’arrestation du défendeur du 28 novembre 2013. Le commissaire de la SI n’explique pas non plus à quelle décision antérieure il fait référence ni quels éléments ont spécifiquement menés à son opinion divergente, qu’il s’agisse de nouvelle preuve ou d’un changement de circonstances. À mon avis, cela ne constitue pas un renvoi significatif aux décisions précédentes sur le contrôle des motifs de détention. On ne peut pas non plus conclure que les motifs du commissaire de la SI justifiant de s’écarter des décisions antérieures sont implicites dans sa décision. L’absence de motifs expliquant pourquoi le commissaire choisit de s’écarter de l’évaluation du 22 avril 2015 qui conclut au maintien de la détention constitue un défaut de fournir conformément à ce qu’exige le droit « des motifs clairs et convaincants » justifiant de s’écarter des décisions antérieures. En omettant de ce faire, le commissaire de la SI O. Nupponen a commis une erreur susceptible de révision (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. B046, 2011 CF 877, au paragraphe 50) qui rend sa décision déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[44]           Pour ces motifs, je suis convaincu que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et que la décision de la SI du 21 mai 2015 remettant le défendeur en liberté doit être annulée. Puisque le défendeur obtiendra un nouveau contrôle des motifs de détention presque immédiatement comme le requiert le paragraphe 57(2) de la LIPR, aucune fin utile ne serait servie par le renvoi de l’affaire à un autre commissaire de la SI pour nouvel examen.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      Les paragraphes trois et quatre de l’affidavit du 10 juillet 2015 du défendeur ainsi que les paragraphes six à quinze de son affidavit du 29 octobre 2015 sont rayés.

3.      La décision de la Section de l’immigration du 21 mai 2015 est annulée.

4.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2385-15

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c. MAKADOR ALI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 décembre 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 14 juin 2016

COMPARUTIONS :

Kirk Shannon

Pour le demandeur

Bruce Engel

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

Engel & Associates Professional Corporation

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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