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Date : 20160608


Dossier : T-1772-15

Référence : 2016 CF 639

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

MOHAMMAD KAMRAN

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 15 septembre 2015 où un juge de la citoyenneté a approuvé la demande de citoyenneté du défendeur.

[2]               Le défendeur, Mohammad Kamran (âgé de 44 ans), est un citoyen du Pakistan. Il est marié et sa femme était la co-demanderesse dans sa demande de citoyenneté. Ils ont trois enfants ensemble, dont un qui est né au Canada. À son arrivée au Canada le 9 août 2006, le défendeur est devenu un résident permanent du Canada en vertu du Programme des travailleurs qualifiés (programme fédéral).

[3]               Le 20 mai 2011, le défendeur a demandé la citoyenneté canadienne. La période visée s’échelonne donc du 20 mai 2007 au 20 mai 2011. Pendant cette période, il a déclaré 345 jours d’absence et 1 115 jours de présence au Canada dans sa demande et dans le questionnaire sur la résidence.

[4]               Dans une décision datée du 15 septembre 2015, le juge de la citoyenneté a conclu que, en s’appuyant sur le critère quantitatif établi dans la décision Re Pourghasemi, [1993] A.C.F. no 232, 62 F.T.R. 122 [décision Pourghasemi], et selon la prépondérance des probabilités, le demandeur de citoyenneté [traduction] « a démontré qu’il demeurait au Canada pendant le nombre de jours qu’il a déclaré et, par conséquent, qu’il satisfaisait à l’obligation de résidence énoncée à l’alinéa 5(1)c) de la Loi » (la décision, au paragraphe 21).

[5]               Dans le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers daté du 6 août 2015, l’agent de la citoyenneté a soulevé plusieurs préoccupations :

         [traduction] Il n’y a aucun indicateur actif solide démontrant des activités au Canada, et la plupart des éléments de preuve à l’appui étaient passifs plutôt qu’actifs;

         Des timbres d’entrée aux États-Unis non déclarés ou des timbres de rentrée ne figurent pas dans les passeports;

         Il est difficile d’établir la présence physique au Canada pendant toute la période visée, en particulier pendant deux périodes d’absence non déclarée : i) du 13 juillet au 28 novembre 2008; et ii) du 7 décembre 2009 au 10 novembre 2010;

         Le défendeur ne se trouvait pas au Canada avant la période visée et était absent pendant les 187 premiers jours de la période visée;

         Les factures de services publics ne couvrent pas toute la période visée et les comptes bancaires sont des comptes conjoints, de sorte qu’il est difficile de déterminer si c’est le défendeur ou sa femme qui a effectué les transactions.

[6]               Le juge de la citoyenneté a énuméré certaines des préoccupations soulevées par l’agent de la citoyenneté dans le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers, et, après avoir entendu le défendeur le 11 septembre 2015, il était convaincu que ce dernier était crédible et qu’il avait présenté suffisamment d’éléments de preuve pour étayer et confirmer les absences qu’il avait déclarées dans sa demande et dans le questionnaire sur la résidence.

II.                Questions en litige

[7]               Le demandeur soumet à la Cour les questions suivantes aux fins d’examen :

1.      Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en ne comptant pas le nombre de jours où le défendeur était physiquement présent au Canada pendant la période visée?

2.      Le juge de la citoyenneté a-t-il tenu compte, de manière déraisonnable, de l’absence du défendeur pendant la période du 7 décembre 2009 au 10 novembre 2010?

III.             Analyse

[8]               Les parties à la présente demande conviennent que la décision contestée doit être examinée d’après la norme de la décision raisonnable (Labioui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 391, au paragraphe 2 [décision Labioui]; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 RCS 9, au paragraphe 47).

[9]               Pour déterminer si le défendeur satisfaisait à l’obligation de résidence énoncée au paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, le juge de la citoyenneté s’est appuyé sur le critère quantitatif établi dans la décision Pourghasemi. Ce critère est fondé sur le compte strict de jours de présence effective au Canada pendant la période visée (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Muttalib, 2015 CF 1152, au paragraphe 24).

[10]           Le demandeur soutient que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en ne calculant pas le nombre réel de jours où le défendeur était physiquement présent au Canada. Plus précisément, le demandeur a cité le paragraphe 14 de la décision, dans lequel le juge de la citoyenneté a indiqué qu’il était convaincu que le défendeur avait passé la majeure partie de la période du 7 décembre 2009 au 10 novembre 2010 au Canada.

[traduction] Une préoccupation a également été soulevée au sujet d’un voyage potentiel du 7 décembre 2009 au 10 novembre 2010. Là encore, selon les nouveaux documents maintenant contenus dans le dossier, des activités auraient été menées au Canada de façon continue pendant cette période. Je suis convaincu que le demandeur a passé la majeure partie de cette période au Canada. [Non souligné dans l’original.]

(la décision, au paragraphe 14)

[11]           Il ne faut pas oublier que c’est au demandeur de citoyenneté qu’il incombe d’établir, au moyen d’une preuve claire et convaincante, le nombre de jours de résidence au Canada (Atwani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1354, au paragraphe 12). En l’espèce, puisque le juge de la citoyenneté s’est appuyé sur le critère strict de la présence physique établi dans la décision Pourghasemi pour arriver à la conclusion que le défendeur respectait l’obligation de résidence énoncée au paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, comment a-t-il pu être convaincu que le défendeur répondait au critère de la présence physique alors que, selon les éléments de preuve, le défendeur était potentiellement absent pendant la période du 7 décembre 2009 au 10 novembre 2010? Pour calculer la période de présence physique selon le critère de la présence physique, les éléments de preuve doivent être examinés de nouveau par le même juge de la citoyenneté, s’il est encore saisi du dossier, afin de fournir des motifs succincts concernant le calcul du nombre de jours de présence. Dans la décision Pourghasemi, le juge Muldoon était d’avis qu’une présence strictement physique au Canada pendant trois ans était requise pour s’assurer que les demandeurs de citoyenneté s’étaient [traduction] « canadianisés » :

[traduction] Ainsi donc, ceux qui entendent partager volontairement le sort des Canadiens en devenant citoyens du pays doivent le faire en vivant parmi les Canadiens, au Canada, durant trois des quatre années précédant la demande, afin de se canadianiser. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut faire à l’étranger car la vie canadienne et la société canadienne n’existent qu’au Canada, nulle part ailleurs.

(Pourghasemi, précité, au paragraphe 6)

[12]           Étant donné que le défendeur a accumulé seulement 20 jours de présence physique au Canada de plus que l’exigence minimale de 1 095 jours au cours de la période visée, il est important que le juge de la citoyenneté calcule le nombre de jours où le défendeur était absent du Canada. Cette conclusion est conforme à celle du juge Luc Martineau dans la décision Labioui, précitée, aux paragraphes 17 et 18 :

[17]      Comme elle a utilisé le critère de Pourghasemi pour évaluer la demande de la demanderesse, la juge de la citoyenneté n’a pas compté le nombre de jours pendant lesquels la demanderesse se trouvait à l’étranger, malgré le fait qu’il s’agit d’un facteur déterminant quant à l’issue de la demande de citoyenneté (Hussein c. Canada [Citoyenneté et Immigration], 2015 CF 88, aux paragraphes 16 à 18 [Hussein]). Bien que la juge de la citoyenneté mentionne une divergence quant au nombre de jours à l’étranger déclaré par la demanderesse dans sa demande de citoyenneté et le Questionnaire sur la résidence (paragraphes 5 et 7) et qu’elle établit correctement l’exigence des 1 095 jours (paragraphe 15), elle ne calcule pas le nombre de jours au cours desquels la demanderesse se serait trouvée au Canada et ne détermine pas si les divergences de la preuve faisaient en sorte que la demanderesse ne respectait pas le seuil des 1 095 jours.

[18]      Compte tenu de cette omission de la part de la juge de la citoyenneté, la seule façon de comprendre les motifs quant au nombre de jours à l’étranger de la demanderesse serait de reprendre de novo l’examen du dossier (Korolove c. Canada [Citoyenneté et Immigration], 2013 CF 370, au paragraphe 47 [Korolove]; Hussein, au paragraphe 18). Par conséquent, la décision ne respecte pas les exigences de transparence, de justification et d’intelligibilité établies dans l’affaire Dunsmuir (Hussein, au paragraphe 18). En effet, une cour de révision ne peut combler les lacunes au point de réécrire la décision pour exposer des motifs qui n’existent tout simplement pas (Canada [Citoyenneté et Immigration] c. Matar, 2015 CF 669, au paragraphe 29) ni démontrer par ses propres calculs le caractère raisonnable de la décision de la juge de la citoyenneté (Korolove, au paragraphe 40).

[13]           La reprise de novo de l’examen du dossier étant justifiée, la Cour ne divulguera pas les conclusions de son évaluation des deux gros recueils d’éléments de preuve. Toutefois, elle fait remarquer que les éléments de preuve, et même l’affidavit du défendeur, ne démontrent pas, en définitive, l’existence d’un motif raisonnable pour expliquer la présence physique sur une durée de onze mois et trois jours pendant la période en question. La Cour précise que malgré l’abondance d’éléments de preuve, la période visée pendant laquelle le défendeur lui-même, et non les membres de sa famille, dont la présence n’est nullement contestée, se trouvait au Canada n’est pas tout à fait claire. Malgré l’abondance d’éléments de preuve, la Cour n’arrive pas à établir si le défendeur se trouvait effectivement au Canada pendant la période de onze mois et trois jours en question.

IV.             Conclusion

[14]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée au même juge de la citoyenneté, s’il est encore saisi du dossier, afin qu’il examine l’ensemble des éléments de preuve (et pas seulement les éléments signalés par un agent de la citoyenneté, tel qu’il est indiqué dans le dossier).


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée au même juge de la citoyenneté, s’il est encore saisi du dossier, afin qu’il examine l’ensemble des éléments de preuve (et pas seulement les éléments signalés par un agent de la citoyenneté, tel qu’il est indiqué dans le dossier). Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1772-15

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. MOHAMMAD KAMRAN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 mai 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 JUIN 2016

 

COMPARUTIONS :

Jelena Urosevic

 

Pour le demandeur

 

Lorne Waldman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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