Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160607


Dossier : IMM-4204-15

Référence : 2016 CF 628

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

DAVID CRAIG KENNEDY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) qui vise à contester la décision d’un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent) qui a refusé de poursuivre le traitement de la demande de résidence permanente du demandeur au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada (demande de parrainage de conjoint).

[2]               La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est citoyen des États-Unis. En 2011, le demandeur a contracté une union entre conjoints de fait avec une citoyenne canadienne et a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

[4]               Le 10 février 2014, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a reçu la demande de parrainage de conjoint.

[5]               Le 1er juin 2015, CIC a envoyé au demandeur une lettre par courriel indiquant que le demandeur devait présenter un examen médical d’immigration dans les 30 jours (1er juillet 2015) afin que CIC poursuive le traitement de sa demande de parrainage de conjoint.

[6]               La requête est restée sans réponse puisque le courriel a été dirigé vers le dossier de courrier indésirable du demandeur.

[7]               Le 1er septembre 2015, CIC a envoyé au demandeur une lettre par courriel qui n’a pas été dirigé dans son dossier de courrier indésirable, lettre indiquant que CIC mettrait un terme à l’examen de sa demande de parrainage de conjoint parce qu’il n’avait pas présenté son examen médical d’immigration.

[8]               Le même jour, le 1er septembre 2015, le demandeur a envoyé une demande de réexamen à CIC demandant un délai additionnel de 60 jours pour présenter l’examen médical d’immigration.

[9]               Le 15 septembre 2015, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire relativement à la décision de CIC du 1er septembre 2015.

II.                Décision contestée

[10]           L’agent a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences requises pour immigrer au Canada au sens du paragraphe 16(1) de la Loi, car il avait omis de soumettre l’examen médical d’immigration que CIC lui avait demandé dans une lettre qui lui a été envoyée par courriel le 1er juin 2015. La lettre précisait que l’examen médical aux fins d’immigration est nécessaire afin d’évaluer la demande de parrainage de conjoint du demandeur, et que le défaut de présenter l’examen médical en question pouvait entraîner le rejet de la demande de parrainage de conjoint. Le 1er septembre 2015, aucun document n’avait été déposé et l’agent a donc rejeté la demande.

III.             Cadre législatif

[11]           La disposition suivante du Règlement est applicable en l’espèce :

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

16 (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

IV.             Question en litige

[12]           La seule question soulevée par cette demande est celle de savoir si l’agent a commis un manquement à son devoir d’équité procédurale envers le demandeur dans le traitement de la demande de parrainage de conjoint.

V.                Norme de contrôle

[13]           Les parties conviennent, et je suis d’accord, que lorsqu’il est question d’atteinte à l’équité procédurale dans le cadre de demandes de résidence permanente, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Khan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 503, au paragraphe 12 [Khan]).

VI.             Analyse

[14]           Le demandeur fait valoir que le défendeur a commis un manquement à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur lorsqu’il a rejeté sa demande au motif que le demandeur n’a pas répondu à la lettre que le défendeur a envoyée par courriel le 1er juin 2015 parce que le courriel, sans que le demandeur le sache, a été dirigé vers son dossier de courrier indésirable.

[15]           La jurisprudence entourant les questions de mauvaise communication par courrier électronique s’est développée en deux courants jurisprudentiels. Le juge Boswell dans Chandrakantbhai Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 900 a résumé les deux tendances aux paragraphes 36 et 37 comme suit :

[36]      Même si certaines des décisions précitées ont tenté de concilier les conclusions tirées dans la jurisprudence, il reste que celle‑ci n’est pas en tout point cohérente. Le premier courant jurisprudentiel énonce essentiellement qu’il incombe au ministre de prouver deux choses : (1) que la communication contestée a été envoyée à une adresse de courrier électronique fournie par le demandeur; (2) que rien n’indique que la communication a échoué ou est revenue. Si ces deux choses ont été prouvées, il n’importe pas que le demandeur ait reçu ou non la communication, étant donné que le défendeur s’est acquitté de son obligation d’équité procédurale (voir par exemple Kaur, au paragraphe 12; Yang, aux paragraphes 8 et 9; Alavi, au paragraphe 5; Halder, au paragraphe 48; Patel, au paragraphe 16; Khan, au paragraphe 13).

[37]      Toutefois, dans les décisions Yazdani et Zare, la Cour était convaincue que le ministre défendeur avait envoyé les courriels aux bonnes adresses, mais elle a quand même accueilli les demandes de contrôle judiciaire. Dans la décision Yazdani, la conclusion de la Cour se fondait en partie sur une analyse de la faute, mais la Cour est allée plus loin dans l’affaire Zare, dans la mesure où elle a déterminé qu’une demande envoyée par courriel par un agent des visas qui s’est perdue « n’a pas été dûment envoyée » (Zare, au paragraphe 49). C’est aussi ce qu’on constate dans la décision Ghaloghlyan, dans laquelle la Cour a affirmé ce qui suit (au paragraphe 8) : « sur preuve que, selon la prépondérance des probabilités, un document a été envoyé, il existe une présomption réfutable que le demandeur concerné l’a reçu, et l’affirmation du demandeur voulant qu’il n’ait pas reçu le document ne réfute pas, à elle seule, la présomption » (non souligné dans l’original). Vu que la réception est une présomption réfutable, il importe réellement de savoir si le demandeur a reçu le message et c’est ce raisonnement qui a été suivi dans la décision Grenville.

[Souligné dans l’original.]

[16]           Dans l’affaire qui nous est soumise cependant, que ce soit le critère à deux volets ou l’approche d’analyse de la faute qu’on applique, le résultat est le même, c’est-à-dire que l’obligation d’équité procédurale est satisfaite. Si le critère à deux volets est appliqué, la première étape consiste à déterminer si la communication a été envoyée dans la boîte de courriel du demandeur, ce qui fut le cas. La deuxième étape consiste à déterminer si le courriel n’a pas été reçu ou a été retourné à l’envoyeur, ce qui n’est pas le cas puisque le demandeur l’a reçu. Si l’approche de l’analyse de la faute est appliquée, il doit y avoir des preuves que le document a été envoyé (et il y en a) et la présomption réfutable que le demandeur a reçu le courriel est confirmée par le fait que le demandeur reconnaît avoir reçu la communication électronique. Dans les deux cas, il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

[17]           Le demandeur invoque ma décision dans Asoyan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 206 [Asoyan] pour étayer la proposition que s’il n’y a pas de mécanisme, comme l’outil de confirmation de réception des courriels, pour raisonnablement garantir que le demandeur a reçu la communication, le défendeur est tenu de l’employer pour s’acquitter du fardeau de démontrer qu’il a fait preuve d’équité procédurale. Ainsi, le demandeur soutient que, puisque ce mécanisme n’a pas été employé, on a commis un manquement à l’équité procédurale à son égard du fait que le courriel n’a pas été porté à son attention.

[18]           La décision Asoyan se distingue dans la mesure où le courriel a été livré au demandeur. Dans Assoyan, j’ai indiqué que l’utilisation de l’outil de confirmation de réception constituait un moyen de confirmer que le courriel a atteint sa destination. Dans cette affaire, le demandeur n’avait aucun rôle à jouer dans l’échec de la remise de la communication, par opposition à une communication remise, mais qui n’a pas été lue. Dans le cas qui nous est soumis, le demandeur a bien reçu la communication, mais le courriel a été dirigé vers son dossier de courrier indésirable (sa boîte de courrier indésirable) par la fonctionnalité de filtrage du courrier indésirable. La responsabilité de gérer le système de filtrage de courrier indésirable du demandeur incombe évidemment à ce dernier, particulièrement du fait que les programmes de messagerie indiquent la présence d’éléments dans le dossier de courrier indésirable.

[19]           En outre, je conviens avec le défendeur que la preuve est insuffisante, ou à tout le moins incohérente, pour démontrer ce qui est réellement arrivé à ce courriel. Aucune capture d’écran ne peut démontrer que le courriel était dans le dossier de courrier indésirable ou que la fonctionnalité de filtrage du courrier indésirable était réglée pour filtrer les communications. En outre, aucune explication n’a été donnée pour expliquer que la lettre de décision de septembre n’a pas été filtrée, alors que le courriel envoyé à la même adresse quelques mois plus tôt a été filtré et dirigé dans le dossier de courrier indésirable.

[20]           Je suis toujours d’avis que l’équité procédurale concernant la transmission de courriels implique que le défendeur « est au minimum requis de mettre en œuvre tous les mécanismes raisonnables offerts par les programmes de courriels pour veiller à ce que ses communications importantes soient bien reçues » (Asoyan, au paragraphe 24). Aussi malheureux que cela puisse être pour un demandeur de voir sa demande refusée en raison de problèmes de communication par courriel dans les dernières étapes de sa laborieuse demande de résidence permanente, les faits demeurent que même si le défendeur n’avait pas de mécanisme du type « demander un accusé de réception », cela en soi ne permet pas d’éluder le fait que la communication a été correctement livrée par le défendeur et reçue par le demandeur. C’est le but de l’option de demande d’accusé de réception. Cela n’a rien à voir avec ce qui constitue une faute de la part du demandeur, soit d’omettre de lire ses courriels.

VII.          Conclusion

[21]           En conséquence, la présente demande est rejetée, et aucune question n’est certifiée pour être portée en appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande, et aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4204-15

 

INTITULÉ :

DAVID CRAIG KENNEDY c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 mai 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Gurpreet Singh Gill

Pour le demandeur

 

Shaun Mellen

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gurpreet Singh Gill

VLG Lawyers

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.